vendredi 28 septembre 2012

à Nicolas Sarkozy, avant son entretien avec Mohamed Ould Abdel Aziz, le 27 Octobre 2009

note à la haute attention
de
Monsieur le Président de la République

entretien avec le général Mohamed Ould Abdel Aziz
l’après-midi du mardi 27 Octobre 2009

La Mauritanie reste imprévisible. Sécurité même à Nouakchott, mouvements dans les forces armées, contestation des chefs aussi bien dans le parti présidentiel que dans le principal mouvement d’opposition.

Les Mauritaniens sont apparemment divisés entre ceux qui espèrent que le putschiste du 6 Août 2008 devenu l’élu du 18 Juillet 2009 tiendra parole – en fait, sur un programme, qui était également attendu d’exécution par celui qu’il a renversé, Sidi Ould Cheikh Abdallahi (reçu juste deux ans auparavant par le Président de la République) – mais l’observent point par point, et ceux qui l’ont jugé une fois pour toutes.

Seul changement, en deux ans, Total est passé d’une position de timide producteur à celle de découvreur dans le bassin de Taoudeni, aux promesses déjà identiées par Pierre Messmer, commandant le cercle d’Atar en 1951…

Seule certitude pour les Mauritaniens : le rôle de la France pendant toute cette année pustchiste.



Les consultations euro-mauritaniennes au titre de l’article 96 du traité de Cotonou ont commencé sous la présidence française de l’Union européenne ; elles ont abouti le 3 Avril 2009 à des décisions ou sanctions dont l’application demeure, au moment où l’élu mauritanien du 18 Juillet 2009 est reçu officiellement par le Président de la République.

La France avait eu une position de condamnation immédiate et ferme du coup militaire du 6 Août 2008, renversant Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le premier président élu selon un scrutin démocratique et pluraliste (25 Mars 2007), depuis le régime fondateur du président Moktar Ould Daddah (20 Mai 1957 au 10 Juillet 1978). Elle a ensuite beaucoup contribué – selon les uns à une solution consensuelle (les accords dits de Dakar, signés les 2-3 Juin 2009) – selon d’autres à faire admettre internationalement le fait accompli.

La France et le Président de la République – ainsi que celui à qui a été prêtée une influence décisive sur l’évolution de notre appréciation des gens et des choses de Mauritanie depuis quinze mois, M° Robert Bourgi, lié au milliardaire local Mohamed Ould Bouamatou, lui-même apparenté au général Mohamed Ould Abdel Aziz – sont donc regardés en Mauritanie comme ayant exercé la plus grande influence sur la mise en place du régime actuel.

Cette influence avait été supposée dans les précédents changements de régime, sauf à la chute du dictateur de plus de vingt ans, le colonel Maaouyia Ould Sid Ahmed Taya (3 Août 2005), auquel s’était lié le président Jacques Chirac, en sorte que l’Union européenne tarda paradoxalement à reconnaître la remise du pays dans l’axe démocratique. Cette influence a été cette fois avérée.

L’entretien présidentiel est donc vu comme un sceau apposé à notre action depuis le coup du général Mohamed Ould Abdel Aziz.




La visite mauritanienne a lieu dans une ambiance au pays qui peut se caractériser ainsi 
– hébétude des oppositions qui avaient espéré l’emporter dans les urnes et au moins provoquer un second tour où elles se seraient coalisées, d’autant plus aisément qu’elles s’étaient accordées sur une charte de bonne conduite pendant la campagne et sur un gouvernement de coalition si l’un ou l’autre de ses champions l’emportait ;
– léthargie de la population : l’hivernage a été pluvieux mais avec beaucoup d’inondations catastrophiques – la soudure alimentaire est difficile et un monopole s’est de fait installé pour les importations (famille El Ghadde ne cousinage avec le président) – les coopérations étant souvent interrompues, beaucoup de programmes sont arrêtés – en fait depuis 2005, c’est l’attentisme et la déception à la suite de chaque changement, le pays en est au troisième si l’on considère l’élection présidentielle du 18 Juillet dernier comme une simple consolidation, au quatrième si l’on considère que c’est un nouveau départ ;
– l’opinion générale est hantée par le précédent Ould Taya, de pas mauvaise apparence quand il s’empara du pouvoir que détenait un autre colonel à qui pouvait être reproché de pencher pour les indépendantistes sahraouis et de s’obséder de complots. Le régime dégénéra en deux ans au point que restent purullentes deux plaies très douloureuses, risquant d’opposer d’ailleurs les Mauritaniens originaires de la vallée du fleuve Sénégal aux autres, date de ce régime : les réfugiés au Sénégal, les massacres sans procès des militaires Toucouleur. Le régime constitutionnel tardivement mis en place ne fut qu’une façade, toutes élections truquées. Celui du général Mohamed Ould Abdel Aziz va-t-il tourner de la même manière arbitraire, sinon sanguinaire ?
– dans l’immédiat, la majorité présidentielle dont l’élection date de Novembre 2006 et Janvier 2007, sous l’influence de la précédente junte et non sous celle du président renversé qui restait alors à élire très concurentiellement, est en train de se désorganiser, plus pour des raisons de pouvoir entre la direction nationale du parti présidentiel et les puissances locales, que pour une critique du cours gouvernemental.



La sécurité qui était la responsabilité des juntes de 2005 et de 2008, et celle du général Mohamed Ould Abdel Aziz pendant le mandat interrompu de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, n’est toujours pas assurée.

Les coups les plus voyants (un poste saharien en Juin 2005, nos compatriotes à l’automne de 2007, le guet-apens dans le nord où tombe une patrouille en Septembre 2008) sont souvent commentés comme des coups montés, soit par le pouvoir sous Ould Taya, soit par les généraux Mohamed Ould Abdel Aziz et El Ghazouani depuis 2007. Ils tombent trop bien pour ne pas s’accorder avec une façade sécuritaire dont, à Nouakchott, on a pu croire que c’était la façon décisive de se faire évaluer par la France surtout et les Etats-Unis



L’homme prétendu fort n’a pas encore été déchiffré en psychologie personnelle. Il passait pour un sécuritaire et non un politique jusqu’à la réussite de son coup, et maintenant son élection, reconnue internationalement en légitimité, et comme un fait dans le pays.

Il est cependant tributaire de plusieurs faiseurs de roi.
Le couple formé avec le général El Ghazouani, intérimaire maintenant définitif à la tête de l’institution qui perpétue la junte de 2008, a été testé à plusieurs reprises par nous, dès l’automne de 2008 : détachable ou pas de son camarade Abdel Aziz ? Conclusion d’alors : il est censément solide et fidèle. Comme l’était la garde rapprochée d’Ould Taya.
Le miliardaire Mohamed Ould Bouamatou, également impliqué dans la succession sénégalaise et ses apparences dynastiques, a été décisif pour faire évoluer le point de vue français ; il a paru hésitant à quelques moments de la campagne présidentielle.
Le vice-président du Sénat, Mohcen Ould Hadj, changerait une nouvelle fois de camp, en tout cas gênerait désormais par ses exigences autant que le maintien du président de l’Assemblée nationale hostile au putchiste dès le coup : l’encadrement parlementaire n’est donc plus aussi assuré qu’il y a un an.

Il n’a pas su consolider puis exploiter l’alliance de fait que lui proposait, dès son coup de 2008, Ahmed Ould Daddah, jusques-là à la tête du plus important des partis d’opposition. Cette compréhension tenait, en réalité, à un malentendu : le putsch éliminait l’élu de 2007 mais n’aurait pas dû conduire son auteur à la candidature présidentielle. La proposition à ce compétiteur, très introduit internationalement, de prendre la place de Premier ministre serait habile et logique, maintenant que le scrutin a eu lieu. Apparemment, personne n’y songe.

Enfin, peut-il confirmer son travail d’image de « président des pauvres » ?
Et ses engagements, ressassés depuis son putsch de « régler tous les problèmes».


Dans ces conditions, il pourrait être demandé au général Ould Abdel Aziz,


un signe de respectabilité démocratique, autre que sa seule élection : la mise en liberté d’un journaliste, devenu emblématique, Hanevy Ould Dehah, détenu depuis cent trente jours (le 18 Juin 2009) au moyen de procédures ou même d’artifices pratiques illégaux. C’est le directeur du principal site électronique d’opposition Taqadoumy mais reconnu comme de grande qualité, y compris littéraire pour la version arabe. Cinquante détenus ont été grâciés à la fin du ramadan, mais pas lui. L’Union européenne, selon le chapitre VII de l’accord de Dakar, y est attentive. Il ne serait pas déplacé que sa libération fasse suite à l’entretien présidentiel.


l’analyse qu’il fait, actuellement, de son pouvoir et des soutiens dont il bénéficie : son propre parcours montre qu’une élection n’est pas un gage de pérennité, même si l’on estime reconnue sa régularité – la rumeur de l’arrestation, vers le 15 Octobre, de deux colonels censés préparer un coup est-elle fondée ?

note accompagnée d’une lettre au dispositif suivant :

Monsieur le Président de la République,


par le directeur de votre cabinet – relation amicale de très longue date et en qui j’ai toute confiance pour avec sérénité équilibrer près de vous les effets de plus en plus délétères des esprits de cour – je viens de proposer à votre haute attention une note sur la Mauritanie, puisque vous recevez votre homologue, cet après-midi.

Permettez-moi d’insister sur deux choses.

La première, les Mauritaniens se reconnaissent dans un certain type d’homme : tolérant, cultivé, pudique, davantage d’écoûte que d’exposé. Ils sont un peuple, certes composite ethniquement, mais très marqué par une géographie et une histoire communes qui les ancrent dans le souci des premières nécessités concrètes mais tout autant dans la conscience de l’immanence, ils ont de la mémoire, ils savent reconnaître les leurs – je pense à Moktar Ould Daddah, leur fondateur (votre antithèse à âge égal mais votre rencontre vous eût impressionnés mutuellement), à Sidi Ould Cheikh Abdallahi dont le renversement n’a pas entamé l’équilibre et la longaminité et à Ahmed Ould Daddah, opposant malheureux et parfois pas bien inspiré mais courageux et très au fait. Nos amis mauritaniens sont d’accueil plus que d’initiative, mais excellents pour la mission et le travail commun. La démagogie, y compris les travers de certains aspects de nos relations avec eux avan comme depuis l’indépendance, ou maintenant, ne font pas long feu, même s’ils ne disent pas qu’ils ne sont pas dupes. Ils savent surtout reconnaître leurs amis, ils sont fidèles.

Dans cet esprit, je me permets d’insister – fort – sur le lien entre développement économique (donc des soutiens financiers à ce qui en vaut la peine et qui marche déjà, et des projets profitant à la population), sécurité quotidienne et stratégique, droits de l’homme.

Ne traiter que l’un des trois est stérile et inefficace. Vous pensez comme moi aux priorités géo-stratégiques. Si le souci des droits de l’homme – cas concret du journaliste évoqué par ma note jointe – n’éclaire pas et ne justifie pas ces priorités, vous serez vain, car la psychologie putschiste a été renforcée dans les forces armées et la mentalité courante par l’année écoulée. Quant au développement, la Mauritanie est viable, riche selon ses besoins, mais elle est accaparée. Nous devons veiller à ce qu’elle ne le soit pas par nos intérêts.

Cinquantenaire des indépendances, je rencontre Jacques Toubon, que je connais aussi des années 1980. Il s’agit – ce qui sera avouer que nous ne nous sommes pas très bien ni très logiquement conduits depuis cinquante ans – d’opérer la mûe du discours de Brazzaville . 1944 . et de la tournée africaine du général de Gaulle l’été de 1958. Il y a tout à faire. Vous vous êtes particulièrement impliqué par de nombreuses interventions publiques. Vous savez que je me suis accordé avec peu d’entre elles, mais un retour à des repères que nous avons eus autrefois et à un dialogue de fond avec beaucoup d’Africains, vous est tout à fait possible, parce que vous êtes la France, depuis votre élection de 2007. Vous serez cru. Mais il y a à vraiment consulter, réfléchir, partager. Sans que j’insiste, sachez que je peux y contribuer.

Votre interlocuteur de cet après-midi, selon que vous l’entreprendrez dans ces perspectives, vous donnera sa mesure. J’ignore, quant à moi, quelle elle l’est. Ce n’est pas être abstrait ou naïf que de regarder au grand angle.

Très attentivement et en espérance.

Bertrand Fessard de Foucault




à Monsieur Nicolas SARKOZY, Président de la République
aux bons soins de Monsieur Christian FREMONT, Préfet, directeur de son cabinet
par courriel

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