dimanche 3 février 2013

guerre pour le Mali ? ou guerre au Sahara ? ou intervention pour l'avenir ?

Guerre pour le Mali ?
ou guerre au Sahara ?
ou intervention pour l’avenir ?




La prise de contrôle des agglomérations sahariennes du Mali par des « djihadistes » ou des « bandes incontrôlées » (les appellations varient depuis un siècle quand elles sont de plume française) et les opérations de reconquête menées par les troupes françaises, plus ou moins accompagnées par des éléments de l’armée nationale malienne, sont – ensemble – un révélateur salutaire.

Bâtir l’avenir ne se fera pas à partir de l’une ou l’autre de ces irruptions étrangères. C’est d’une difficulté fondamentale, plus vive au Sahel qu’ailleurs en Afrique, qu’il s’agit. Mais celle-ci n’est pas forcément belligène.

Les espaces sub-sahariens, pour ceux compris dans l’ancien empire colonial français, ont été conquis par le sud-ouest à l’exception du Tchad. Les bases militaires étaient initialement maritimes. Le contrôle français de l’hinterland septentrional, à quelques années près et selon des statuts différents, était antérieur : l’Afrique méditerranéenne stabilisait le grand désert et le Sahara relevait d’un commandement militaire unique pour sa partie la plus complexe et pluri-ethnique : celui des « Confins » sis à Tindouf. Les découvertes  du potentiel minéral furent postérieures à ces prises de contrôle et les débuts d’exploitation : le pétrole et le gaz algériens, puis les phosphates en territoire espagnol, furent presque contemporains des fins de souveraineté européennes. L‘uranium nigérien, le fer mauritanien sont même de mises en valeur postérieures. C’est dire qu’une vue d’ensemble politique et économique du Sahara n’a jamais été qu’un projet, notamment celui d’Organisation commune des régions sahariennes, morte-née entre 1956 et 1960, et a fortiori une analyse des terrains de parcours, des agglomérations et des échanges au désert et entre ses « rives » nord et sud. Il en est résulté pour les Etats indépendants un legs de la période française désastreux. Ceux de l’Angleterre et de l’Italie, de la Libye aux Somalies et au Soudan, ne le sont pas moins : ils continuent de générer les drames de la « corne » de l’Afrique et du Darfour. Mais ce qu’avait laissé la France et ce qu’avaient voulu les responsables de la première génération des indépendances en Afrique d’expression française ne s’était pas encore révélé, hors l’inimitié algéro-marocaine et la contestation fondamentale par Rabat de l’algérianité de Tindouf, voire de l’indépendance de l’ensemble mauritanien de l’Atlantique à l’Azawad vis-à-vis de l’empire chérifien. Inimitié manifestée par la « guerre des sables » en 1963 et la fragmentation artificielle de l’ensemble mauritanien entre Français et Espagnols dès 1900, entre colonies de Mauritanie et du Soudan pendant toute la période française, celle-ci marquée par l’hésitation à propos du Hodh et moins explicitement de l’Azawad. Il en est donc résulté des frontières de décision et d’habitudes françaises qui ne correspondent que partiellement à celles des populations. Il est vrai que la sédentarisation et des pratiques commerciales très différentes des époques caravanières ont permis aux administrés d’intégrer davantage ces frontières. L’ensemble était cependant fragile. Les dirigeants sahéliens de la première génération en avaient conscience qui décidèrent en 1968 d’une Organisation des Etats riverains du Sahara, aussitôt dotée d’importants projets de communications transahariennes. D’une exploitation commune désenclavant notamment le sud-ouest algérien, il n’a été question que pour la seule possession anciennement espagnole qui selon les traités maroco-mauritaniens devait économiquement rester indivise au bénéfice conjoint des deux nouvaux souverains : montage éphémère.

L’Europe, voisine, se crut longtemps quitte d’une part par les traités avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et d’autre part par le processus de Barcelone et les aides aux « ajustements structurels », l’ensemble justiciable de la fin des préférences euro-maghrébines et euro-africaines. De sécurité, il ne commença d’être question [1] qu’au moment où l’Occident se trouva un substitut à l’ennemi soviétique : Ben Laden, Al Qaïda, l’Aqmi naquirent à point nommé. La crainte d’un intégrisme islamiste devint un enjeu autant de politique intérieure que d’interventions multilatérales : l’Algérie face au F.I.S., la Mauritanie et cet éveil, justifiées chacune dans leurs dictatures de la fin des années 1990 et des années 2000. La piste ne mène nulle part, car elle n’encourage qu’un penchant pré-existant dans le sytème atlantique et dans les Etats maghrébins : l’éradication d’un terrorisme sans frontière et sans socle étatique. La prise de contrôle des agglomérations du nord du Mali et le projet logique d’une descente des « djihadistes » sur Bamako étaient une première.

Ce qui les fait échouer n’est pas l’intervention française mais l’hétérogénéité des populations que ne peut réduire la pratique universelle au Sahel de l’Islam, selon des confréries rayonnant depuis le Sénégal et la Mauritanie. Ces populations sont de races, d’ethnies, de traditions diverses qui ne peuvent s’entendre que si la tutelle des unes sur les autres est légère, voire seulement nominale. Les arrangements à Bamako, à Niamey, à Yaoundé, à Ndjamena sont de cet ordre. Ils n’ont pas lieu d’être à Nouakchott car – si domination il y a – l’habitude a été inverse depuis la chute des empires du Ghana et du Mali : ce sont les nomades et les commerçants qui l’ont emporté sur les sédentaires, et les pratiques esclavagistes avec le métissage culturel intense que celles-ci ont généré ont certes créé des situations aujourd’hui intolérables humainement, socialement et économiquement, mais elles apportent à terme des équilibres et une identité consensuelle impensables, il y a encore peu d’années.

Autrement dit, l’irruption étrangère soit de « bandes incontrôlées » soit de troupes très organisées, mais toutes étrangères au Mali – au moins actuellement – est superficielle par rapport à des dialectiques, des problèmes et des évolutions apparemment sociales et ethniques, en réalité très politiques. Surtout si l’on entend par politique, le respect des droits de l’homme et l’invention locale de la démocratie, c’est-à-dire la participation de tous au pouvoir, ou surtout l’imagination, sans modèle extérieur, de modes de vie économique et sociale communs à des populations d’atavismes tout différents, sinon antagonistes.

Les solutions de contrainte – celles des « djihadistes » de recrutement majoritairement hors du Mali, celles de l’ancienne métropole, seule à avoir la logistique et l’atavisme pour intervenir « en ligne » – déblayent mais ne construisent pas. Les « islamistes » ont démontré que les trêves ou modus vivendi entre Bamako et les Touaregs ne produisent pas une administration solide ni cohérente pour le nord du Mali, soit les deux tiers désertiques en apparence de son territoire. Les Français démontrent – puisqu’ils sont seuls, malgré les résolutions onusiennes, les soutiens logistiques et financiers de quelques Européens [2] et de quelques monarchies pétrolières, les conférences et comités d’Afrique de l’Ouest – que l’Afrique n’est pas davantage parvenue que l’Union européenne, a avoir une politique et des organes de défense. L’Europe a connu l’atrocité de guerres « locales », celles de Yougoslavie, l’Afrique en connaît encore et depuis davantage de temps. Même si les Etats-Unis depuis une dizaine d’années s’implantent militairement au Sahara et au Sahel, même si la Chine conquiert économiquement et commercialement l’Afrique centrale et visent les ouvertures atlantiques du Sahel, principalement le port de Nouakchott avec sa pénétrante routière jusqu’au Mali, les responsabilités d’avenir en tous domaines restent euro-africaines.

Le test de la maturité africaine et de l’efficacité européenne est actuellement français. Pas tant par la puissance de l’intervention du 12 Janvier : 4.500 hommes mobilisés dont 3.500 au sol, que par son effet de déclenchement, même s’il est probable que la soudaine mise en route vers le sud des conquérants du nord fut provoquée par l’imminence de l’arrivée à Bamako des deux cent cinquante formateurs européens de la future force africaine. Les résolutions du 12 Octobre et du 20 Décembre étaient vagues en contenu (un concept crédible d’intervention à définir par la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest) et en calendrier : quarante-cinq jours pour le concept et une exécution avant l’hivernage. Il faut le succès des frappes aériennes sauvant Bamako les 12 et 13 Janvier pour que le 14 à huis clos, le Conseil de sécurité approuve unanimement l’intervention française au Mali et que les Etats-Unis estiment qu’il faut revoir entièrement la résolution 2085, au prétexte qu’il leur est juridiquement impossible d’aller soutenir un pouvoir local encore dépourvu de légitimité électorale… Il faut que les Français arrivent à Gao, le 27 Janvier, en coincidence avec le XXème sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba, pour que le secrétaire général des Nations Unies évoque un déploiement de « casques bleus » au Mali. La prise d’otages sur le site de Tigantourine à In Amenas, dans l’est du Sahara algérien, le 16, ne provoque que récriminations contre le mode d’assaut et surtout jalousie de tous les pays occidentaux, y compris le Japon, que seul le président français ait été informé à mesure par son homologue algérien. L’intervention française, et surtout ses immédiats succès, provoque aussi un clivage entre Arabes. Dès le début des opérations, alors seulement aériennes, le 12 Janvier, les Premiers ministres de Libye, de Tunisie et d’Algérie se rencontrent à Ghadames pour fermer les frontières de leurs pays respectifs et contrôler les trafics d’armes et surtout les flux de carburant, dispositions décisives contre les « djihadistes », tandis qu’au contraire le Qatar puis l’Egypte font publiquement part de leurs doutes et même de leur désaveu pour toute solution de force, proposant même leur médiation.

Ce qui pouvait en quinze jours devenir panafricain et de la compétence des Nations Unies est donc resté bilatéral comme l’a montré l’appel exclusif à la France lancé le 10 Janvier par le président intérimaire malien [3] Dioncounda Traoré. Son appel à la C.D.E.A.O, le 4 Septembre 2012 n’avait et n’a encore eu aucun effet pratique, puisque quatre jours après le début des opérations françaises, le 16 Janvier, à Abidjan, le sommet de la CDEAO consacré au déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA) en est seulement à la décision de principe, et à chercher le financement des corps expéditionnaires, inertie de même nature que les pourparlers commencés, le 30 Janvier, à Koweit, en conférence internationale pour remédier à la crise humanitaire en Syrie… quand commence la troisième année de guerre civile ! Pas davantage son appel aux Nations-Unies le 24 Septembre 2012, n’aboutissant qu’à une confirmation à New-York de la délégation de compétence à la C.D.E.A.O. chargée de mobiliser 3.500 hommes. Il est vrai qu’en marge des pourparlers internationaux, la capitale malienne s’illustrait, le 11 Décembre, d’un nouveau coup d’Etat, l’armée contraignant le Premier ministre à la démission.

L’Europe et son expression la plus efficace, l’entente franco-allemande, ne sont pas en reste de lacunes et d’inertie. Ni l’intimité entre Paris et Berlin, ayant généré depuis vingt ans une brigade mixte, ni l’évidente solidarité stratégique entre les rives nord et sud de la Méditerranée avec le prolongement saharien et sahélien du Maghreb si proche en migrations et en courants commerciaux, n’ont – jusqu’à présent – déterminé un appui physique à l’intervention française. L’« Europe de la défense », à plus forte raison d’une disponibilité militaire pour le maintien de la paix ou la protection des valeurs communes, n’existe pas encore ni en pratique ni même en volonté politique. En réalité, l’opération au Mali consacre une intimité franco-africaine qui n’a pas encore son substitut et la diplomatie française ne s’est pas attachée à convaincre ses partenaires multilatéraux atlantiques ou européens, comme à propos de « l’opération Licorne » en Côte d’Ivoire. Elle n’a été efficace qu’avec l’Algérie et la Mauritanie, sans rien réclamer qui soit public. Elle avait pourtant bénéficié de près d’un an entre l’arrivée des perturbateurs dans le nord du Mali et les résolutions des Nations Unies prévoyant, sans les organiser, leur destruction ou leur expulsion, et la mise sous menace immédiate de la capitale malienne, heureusement très excentrée, et elle n’a déterminé aucun des partenaires de la France, alors que la cause est parlante et précise. Les Etats-Unis pour des opérations douteuses ont su monter des coalitions soutenant leurs inavsions et leur occupation en Afghanistan et en Irak ; ils parviennent même à amener à leurs vues les Algériens pour organiser leur début de connaissance des affaires sahariennes.

Cette confirmation de la France au Sahara situe à terme ses responsabilités dans des domaines et selon des enjeux bien plus vastes encore que la question de savoir combien de temps elle restera isolée sur le territoire malien et si elle y rencontrera les difficultés habituelles d’opérations dégénérant en entreprises progressivement qualifiées de néo-colonialistes [4].

La relation euro-africaine qu’avec la Belgique la France avait inventée en 1957 en négociant le traité de Rome et en y faisant inscrire et financer la première solidarité nord-sud de l’histoire des relations internationales, a dégénéré, à deux points de vue, puisqu’elle n’est plus privilégiée économiquement et commercialement, et puisque la défense de valeurs communes est restée émolliente. La charte euro-africaine est le traité de Cotonou, novation des traités de Yaoundé et de Lomé s’étant succédés depuis cinquante ans. Elle est à revoir totalement – selon le bilan désastreux de la « mondialisation » économique et commerciale – pour ce qui est des relations entre entreprises et pour les grands échanges et investissements, et elle a été mal rodée pour ce qu’elle prévoyait en défense des droits de l’homme et de la démocratie. Les tolérances, notamment françaises, ont violé ces dispositions qui étaient de nature à faire entrer dans les esprits dirigeants de l’Afrique d’autres mœurs. Un des effets immédiats des opérations françaises en cours est d’ailleurs de légitimer – au moins temporairement – ces tolérances vis-à-vis de la Mauritanie et du Tchad. Ces deux Etats sont décisifs dans le dispositif militaire : fermeture de la frontière occidentale du nord-Mali, renforts ouest-africains de la part de la seule armée déjà encadrée par le France et ayant, du fait du voisinage libyen et des revendications souvent explicites de Tripoli, une certaine expérience de la guerre du désert. Le général-président Déby au Tchad improvise aussitôt une révision constitutionnelle lui permettant de diriger directement son parti politique et supprimant l’inamovibilité des magistrats, en y insérant une disposition satisfaisant Paris … puisque les opérations militaires hors du territoire sont désormais loisibles sans approbation parlementaire pendant leurs quatre premiers mois (texte calqué sur la Constitution française). Le général-président de la Mauritanie n’est pas en reste : Mohamed Ould Abdel Aziz prépare des états-généraux de l’éducation, à la manière dont un exercice semblable en Décembre 2008-Janvier 2009 lui permit de donner le change aux Occidentaux et d’aller vers des élections présidentielles pour son profit. C’est à la France – qui n’est pas dupe mais qui tolère – de comprendre que son expertise doit s’étendre et s’imposer jusqu’en politique intérieure. C’est aux Français à comprendre que la sécurité pérenne – les libérant d’une responsabilité pychologiquement délicate à exercer et internationalement difficile à justifier si les opérations tournent à l’occupation – dépend d’une réalité étatique sincère, donc la démocratie consensuelle, pratique. Chacun des Etats du Sahel en est là même si le Mali était seul en péril de mort immédiat pour des raisons apparemment sécuritaires.

La France a donc une conversion à opérer vis-à-vis d’un héritage mental « françafricain » toujours prédominant et que risque de renforcer une vue simpliste de la question malienne, sinon sahélienne. Elle a un effort d’influence et de rayonnement vis-à-vis de ses partenaires européens : c’était son art et son génie propres depuis la déclaration Schuman en 1950 jusqu’au projet de Constitution européenne très convenablement écrite sous l’autorité de Valéry Giscard d’Estaing, zélateur d’utiles consensus. Il est dit par les commentateurs parisiens que la guerre pour le Mali est la véritable naissance présidentielle de François Hollande. Mais l’enjeu n’est-il pas bien plus grand et bien plus complexe que de dégager quelques villes et voies de communications outre-Méditerranée et outre-Sahara, que de confirmer quelque prestige de l’ancienne métropole et de son chef du moment ?

Mais ni la démocratie et le respect des droits de l’homme, dans chacun des Etats partenaires africains et européens (les contrôles de l’immigration ne montrent pas que ces derniers soient toujours exemplaires) ni la solidarité entre les deux organisations continentales que sont l’Union africaiane et l’Union européenne, la première s’étant donnée pour modèle et ambition institutionnels la seconde, ne sont sincères si une question de fond n’est pas résolue.

Elle semble de culture générale, mais aussi un tabou. La non-coincidence en général, et particulièrement au Sahel et au Sahara, des frontières et des organisations étatiques avec la disposition millénaire des populations, leurs séparations les unes d’avec les autres, ou leurs osmoses progressives, ou la spécialisations de leurs relations mutuelles. L’ensemble de la zone ayant eu le même dominateur militaire et administratif, cette non-coincidence était d’effet limité. Elle est aujourd’hui décisive, elle a conduit aux zones de non-droit et à des exercices de souveraineté pratiquement inexistants, en tout cas irresponsables. Le renversement d’Amadou Toumané Touré est suivi dans les quinze jours d’une proclamation touareg de l’indépendance de l’Azawad, le 6 Avril 2012. Tout le travail, périodiquement accompli par des médiateurs étrangers parmi lesquels l’ancien ministre du général de Gaulle et de François Mitterrand, Edgard Pisani, accompagné d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, en 1990, les divers accords et trêves n’ont pas davantage remédié à des difficultés de fond, que la stagnation de la question de l’ancienne possession espagnole en fenêtre atlantique du Sahara occidentale, depuis la renonciation mauritanienne du 5 Août 1979.

Sans doute aucun, la France ne peut – à elle seule – ni poser la question, ni la résoudre. Cette question, en forme de constat, est latente dans la plupart des Etats issus des partages du continent africain entre puissances européennes. Elle a sa solution – me semble-t-il – dans deux voies à parcourir en même temps et par tous les protagonistes. La première, en sage fidélité à la résolution fondatrice de l’Organisation de l’Unité africaine, du 22 au 25 Mai 1963, est certes de garder intangibles les frontières héritées de ces partages mais d’en relativiser l’effet par un exercice multilatéral de la souveraineté étatique dans certains domaines : certainement la sécurité, certainement les transports et voies de communication. Les transhumances et les échanges commerciaux au Sahara et d’une rive à l’autre du « grand désert » étaient, antérieurement aux Etats d’aujourd’hui et aux conceptions actuelles de la souveraineté, cette organisation pratique : les empires du Ghana, du Mali et même des royaumes comme celui du Tekrour l’avaient, au sud, d’ailleurs mieux compris que les entités et sultanats maghrébins. La seconde innovation ou réconciliation avec les réalités, sinon avec un passé mouvant et parfois indécis, est de hâter d’un même mouvement l’intégration panafricaine et l’incrustation de la démocratie dans les esprits et dans les mœurs : c’est simplement l’extension des droits de l’homme et de leur respect à tous les domaines de la vie collective en Afrique. Pas d’individus, pas de groupes ou de classes, pas d’Etats ou de régions qui soient inférieurs, mineurs, serviles surtout quand le mot est hypocritement interdit, pour que rien n’en soit avoué.

Le Sahara – potentiellement exemplaire selon des coopérations tripartites entre Afrique sédentaire, nord maghrébin, et Européens – pourrait ces semaines et mois-ci donner à explorer aussi ce qui reste si conflictuel dans la région des Grands Lacs, dans le delta du Niger, dans l’ancien Soudan anglo-égyptien, dans bien d’autres voisinages et ambiances difficiles. Sur place ou depuis l’Europe du congrès de Berlin, il y aura bientôt un siècle et demi, les habitudes de puissance, donc de mésestime de l’autre, sont catastrophiques. Le Mali vient de le prouver. A Bamako, le président de la République française a été le plus applaudi quand – au rebours du discours désinformé de son prédécesseur à l’université Cheikh Anta Diop – il a évoqué l’histoire nationale de ses hôtes comme le fondement d’une aide mutuelle selon les époques entre les deux pays.

La connaissance de soi autant que de l’autre est la racine unique des indépendances et des démocraties nouvelles, de l’intuition panafricaine et des obligations européennes. Les martyrs d’In Amenas n’ont pas fait diversion. Ils ont, de leur sang et de leur innocence, prouvé cette solidarité entre des gens, des nationalités, des pays si différents. Solidarité autre que celles qui, au Mali libéré, pousseraient aux vengeances, aux exactions et très vite, au-delà des frontières, à des symétries ou à des antinomies meutrières : chaque ethnie, en situation de puissance, vengeant sa cousine ou sa parente, mise juste ailleurs en minorité. Sénégal et Mauritanie ont connu ce drame en Avril-Mai 1989. Les Tutsis et les Hutus, le Rwanda, le Burndi, le Kivu congolais ont commis aussi ces atrocités. Le suspense, dès qu’il n’est plus militaire, devient relationnel. Il a commencé, ville par ville, campement par campement, à mesure de la reconquête du nord malien par les Français pour compte de tiers. Puisse ce tiers – le Mali intégral – se vouloir à nouveau et très vite se le prouver et le montrer à tous.

L’ensemble de leçons donné par un seul fait – la succession ultra-rapide d’actions militaires pour maintenir puis restaurer la territorialité d’un Etat – n’aura, en effet, sa fécondité que s’il provoque un autre avenir que la perpétuation de plus en plus malaisée de multiples passés : une nouvelle vie nationale, puis de proche en proche régionale, continentale. Le défi était-il seulement militaire quelques minutes avant la décision de François Hollande de répondre à l’appel de son homologue intérimaire dans l’ancien Soudan français ? C’est probablement parce qu’il n’avait alors que huit mois d’expérience du pouvoir chez lui et pratiquement aucune mémoire africaine, sauf son stage d’ambassade en Algérie, que le président français a pu ne considérer que l’avenir.



Bertrand Fessard de Foucault – dimanche 27 Janvier. dimanche 3 Février 2013




[1] - ainsi l’African Crisis Response Initiative dès 1996 de la part des Etats-Unis ou le Programme de renforcement des capacités africaines de maintien de la paix  proposé par la France en 1997

[2] - un avion de transport danois, deux belges plus un médicalisé, selon la réunion des ministres des Affaires étrangères européens le 17 Janvier, bientôt deux Transall allemands pour la CDEAO promis à Alassane Ouattara en visite à Berlin le 16 … et les réseaux d’observation et de renseignements américains, à l’œuvre en territoire algérien depuis dix ans

[3] - président de l’Assemblée nationale quand, dans la nuit du 21 au 22 Mars 2012, le capitaine Amado Sanogo prend et pille le palais de Koulouba

[4] - la réticence en France de Jean-Luc Mélenchon, dès la décision de François Hollande, puis la mise en garde de Valéry Giscard d’Estaing contestant toute implication au sol les anticipent déjà

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