J'ai eu le plaisir et l'honneur de dîner longuement et en confiance, tête-à-tête avec Boubakar. Son commentaire est essentiel, clarifiant et pacifiant s'il était nécessaire, au point de vue du contenu. Il indique aussi que la rédaction de ce manifeste a transcendé les clivages politiques, et même sinon surtout le clivage majorité du pouvoir en place/opposition au pouvoir actuel issu d'un putsch, quelle qu'ait été ensuite l'apparence de l'élection du 18 Juillet 2009.
jeudi 2 mai 2013
Mauritanie-Boubacar Messaoud: Le Manifeste des Harratines, un appel pour que ce pays avance dans la paix (Interview)
ALAKHBAR (Nouakchott) - En Mauritanie, les Harratines (descendants d’esclaves) ont publié, le 29 avril 2013, un MANIFESTE Pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines au sein d’une Mauritanie unie, égalitaire et réconciliée avec elle-même.
Le document est «un appel aux Mauritaniens qui veulent que ce pays avance dans la paix», a déclaré Boubacar Ould Messaoud, président de SOS-Esclaves et signataires du Manifeste, dans cette interview accordée à Alakhbar.
Le document est «un appel aux Mauritaniens qui veulent que ce pays avance dans la paix», a déclaré Boubacar Ould Messaoud, président de SOS-Esclaves et signataires du Manifeste, dans cette interview accordée à Alakhbar.
ALAKHBAR: Pourquoi la publication d’un manifeste des Harratines ?
Boubacar Ould Messaoud : C’est un appel aux Mauritaniens qui veulent que ce pays avance dans la paix. Un appel à la bonne volonté des gens pour qu’ils sachent que ce que les Harratines posent tous les jours mérite d’être entendu. Nous ne pouvons plus vivre l’indifférence de ceux qui prétendent que nous sommes leurs concitoyens, alors que nous estimons être des citoyens de seconde zone.
ALAKHBAR : Qui a, ou qui ont été à l’origine de ce manifeste?
Boubacar Ould Messaoud : C’est le courant harratine qui existe depuis les années 50. En 1978, nous avons créé le mouvement El Hor qui a été à l’origine de l’abolition formelle de l’esclavage avec la déclaration le 5 juillet 1980 et sa promulgation le 9 novembre par les mêmes colonels qui nous ont gouvernés sans interruption pendant une trentaine d’années. Cet esprit, cette volonté de rompre totalement avec l’esclavage d’une part et, d’autre, de se positionner comme des citoyens à part entière dans ce pays habite beaucoup de Harratines. À l’origine de ce manifeste, il y a des amis, des gens dont la seule différence est qu’ils appartiennent à des groupes différents mais qui sont des Harratines. J’y ai contribué au titre de président de SOS-Esclaves comme d’autres leaders d’ONG de défense des droits de l’Homme ou de partis politiques, de mouvements sociaux ou syndicaux. Vous les connaissez; nous n’avons pas besoin de dire: «Tel ou telle est le chef de file ou en est l’initiateur».
ALAKHBAR : Qu’est ce qu’il faut retenir d’essentiel dans ce document ?
Boubacar Ould Messaoud: Tous les points sont essentiels dans ce document. Les Harratines vivent la discrimination et la marginalisation dans tous les secteurs de la vie nationale: l’Armée, la Police, la Justice, l’Enseignement et, surtout, la Garde. Des retraités appartenant à la communauté arabe blanche, si on peut l’appeler entre guillemets, sont promus président de conseil d’administration et continuent ainsi à percevoir des rétributions conséquentes quand d’autres crèvent dans la misère. En revanche, combien de Harratines sont nommés président de conseil d’administration ? Combien de Harratines travaillent dans des banques ? Combien sont-ils à avoir un rôle important dans ces institutions. Il n’en existe presque que pas. Ils sont plutôt des balayeurs, des plantons dans les sociétés
Il y a certes une élite Harratine qui s’en sort peu à peu, mais qui reste marginalisée par rapport aux autres.
ALAKHBAR : Est-ce qu’il a été possible de recueillir toute la problématique harratine dans un seul document ?
Boubacar Ould Messaoud : Nous n’avons pas eu de difficultés à regrouper la problématique harratine dans un document. Nous avons la chance d’avoir des éléments dans tous les secteurs. En fait, nous avons très rapidement recoupé les informations nécessaires.
Ce document a été pratiquement fini depuis quelques mois. Mais il fallait qu’il soit présenté à tous les leaders harratines, à toutes les parties qu’il pourrait intéresser, qu’elles soient signataires ou pas. Aujourd’hui, aucun leader harratine ne peut valablement dire qu’il n’a pas été consulté.
ALAKHBAR : Pourtant le président de IRA, Birame, a boudé la cérémonie de publication du manifeste. Pensez-vous alors que tous les cadres harratines sont d’accord sur la formule ?
Boubacar Ould Messaoud: Birame s’était retiré de la salle. Je devais le revoir par la suite, mais je n’ai pas eu la chance de le faire, parce qu’il est parti en Europe. Il a certainement vu quelque-chose qui l’a heurté. Mais, il est solidaire de ce document qui recoupe toutes les préoccupations des Harratines.
ALAKHBAR : Vous avez parlé d’un retard de publication de quelques mois. Mais le problématique harratine date des années. Pourquoi avoir attendu jusqu’au 29 avril 2013 pour publier ce manifeste ?
Boubacar Ould Messaoud : La problématique harratine date des années, de plusieurs siècles même. Mais elle se développe. Il y a 10 ans, 15 ans, 20 ans, nous n’étions pas au même état d’esprit ni à la même compréhension de la situation. Les Harratines étaient très divisés-Ils le sont d’ailleurs actuellement- divisés par leur appartenance tribale, régionale et par le fait qu’en Mauritanie, on n’a jamais vraiment uni les gens. Les gens sont divisés par ethnie, par tribu et par la race. Et les Harratines esclaves, anciens esclaves ou assimilés suivent le courant de la tribu à la quelle ils pensent appartenir. Aujourd’hui, ils s’en dégagent. Et grâce à l’émergence d’une élite harratine, opprimée comme le reste, les gens sont devenus mûrs à poser leurs problèmes de manière concertée, claire et sans équivoque. C’est cette élite qui a décidé de poser le problème de la marginalisation des Harratines. Car le constat est que quelque soit leur niveau, universitaires, ingénieur ou autre, les Harratins sont partout marginalisés et disqualifiés par rapport à d’autres qui, parfois, n’ont de référence que le nom de famille.
ALAKHBAR : Est-ce que des Harratines du parti au pouvoir ont participé à ce manifeste ?
Boubacar Ould Messaoud : Oui. Il y a des Harratines qui sont membres du parti au pouvoir qui ont participé à toutes les étapes de rédaction et de publication.
ALAKHBAR : Qui par exemple ?
Boubacar Ould Messaoud : Mon rôle ce n’est pas de donner des noms. Il ne s’git pas d’une enquête policière. Ou bien, vous participer à la promotion de ces gens-là, ou bien, vous les indiquez à la vindicte des autres. De toute façon, des registres, sur lesquels les signataires ont mentionné leur nom et fonction, seront publiés certainement. Vous y référez. Je ne peux pas vous dire: « Tel Monsieur dans tel parti politique est avec nous ».
ALAKHBAR: Peut-on savoir quelle a été la réaction des acteurs politiques?
Boubacar Ould Messaoud : Très sincèrement, je n’ai pas encore rencontré d’acteurs politiques pour en discuter avec eux. J’avais des réunions en enfilade avec des partenaires européens qui ne sont repartis qu’aujourd’hui (mercredi). Mais je sais que dehors (après la cérémonie de publication), j’ai rencontré des amis, qui appartiennent essentiellement à l’opposition, qui ont exprimé leur satisfaction et qui estiment que c’est un évènement positif et important.
ALAKHBAR: Quelle réaction attendez-vous quand même de la part de ces acteurs politiques ?
Boubacar Ould Messaoud : Nous attendons d’eux une ouverture réelle vis-à-vis de notre action. Nous, ONG de droit de l’homme, dénonçons l’esclavage en tant que pratique et séquelles et nous avons besoin de mobiliser l’opinion nationale et internationale sur le phénomène. L’esclavage est l’un des grands maux que vivent les Harratines, mais il est escamoté, nié, ignoré et souvent pas pénalisé malgré qu’il existe une loi qui l’incrimine depuis 2007. Nous avons souvent des esclavagistes qui sont amenés à la Police, au Parquet ou devant les tribunaux, mais qui finissent par être libérés, parce qu’on estime qu’ils ne sont pas des esclavagistes, ou bien on crée des conditions de leur libération par une mise en liberté provisoire qui ne finit jamais. Et parfois le contrôle judiciaire n’est qu’une manœuvre mettant fin à toute poursuite, le présumé ou la présumée esclavagiste est mis ou mise en liberté effective et s’évanouie dans la nature.
ALAKHBAR: Pouvez-vous, au moins, nous dire la réaction de Messaoud qui est un des leaders historiques de la cause harratine ?
Boubacar Ould Messaoud : Je n’ai pas besoin d’aller chercher la réaction de Messaoud, je la connais. Messaoud considère que les Harratines sont profondément marginalisés. C’est sa conviction et le sens de sa lutte. Il lutte contre la marginalisation des Harratines et pour le développement harmonieux de toutes les composantes de ce pays.
ALAKHBAR: Le manifeste publié, qu’est ce qui va suivre ?
Boubacar Ould Messaoud: Nous poursuivrons la revendication de nos droits dans l’ensemble des secteurs que ce soit du point de vue des syndicats des travailleurs, ouvriers, dockers et des cadres diplômés harratines qui chôment ou même qui travaillent mais marginalisés. Nous mettrons en relief notre manifeste. Nous continuerons à réclamer l’application de la loi criminalisant l’esclavage de manière effective et généralisée dans le pays. Nous continuerons à demander une véritable discrimination positive en faveur des Harratins qui sont les plus exclus dans ce pays.
Je voudrais, pour terminer, dire que je suis très inquiet à la volonté de certains de réduire la composante négro-africaine et les Harratines à des proportions inférieures à la composante des «maures blancs ». Il ne faut pas l’enrôlement à l’état civil biométrique soit instrumentalisé pour réduire artificiellement certaines composantes de la population en privilégiant des régions peu peuplées par rapport à celles qui le sont plus. Imaginez, que des villes de 5 à 11 mille habitants ont deux députés, deux sénateurs alors que d’autres de 25 mille habitants n’ont qu’un député et un sénateur.
On dit également dans le pays que des Touareg de l’Azawad (Mali) et des Sahraouis (Sahara Occidental) sont enrôlés facilement. Ce, parce que tout Maure est considéré par certains comme Mauritanien, ce qui n’est pas normal. Si on considère que tout Poular n’est pas un Mauritanien, ce qui est vrai, tout Maure aussi n’est pas un Mauritanien non plus. Le Maure peut être Malien, Sahraoui, Marocain ou Algérien. Il faut avoir une position juste et équitable vis-à-vis de tous les non mauritaniens qu’ils viennent d’Afrique du Nord, du Sahara, du Mali ou d’Afrique sub-saharienne.
D’une manière générale, seule une attitude juste et équitable permettra aux mauritaniens honnêtes de s’entendre et à la Mauritanie de surmonter ses contradictions et de connaitre un véritable développement économique et social.
Publié par Diko à
jeudi, mai 02, 2013
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