jeudi 13 décembre 2012

proposition de texte pour le discours du président de la République française en Algérie, la semaine prochaine


 en prévision du voyage en Algérie du président de la République
esquisse pour un discours possible


Mes chers amis algériens, mes chers compatriotes.

Oui, c’est à mes compatriotes que je m’adresse à m’adressant à vous avec certitude et avec bonheur. Certitude de la France et bonheur de votre fréquent visiteur depuis mon stage d’ambassade chez vous. La France, pas seulement celle de 1830, mais celle de 1962, celle qui vous a dû tant en 1914-1918 et plus encore en 1942-1944, votre sol, vos aïeux et la vie des nôtres chez vous. Mon premier séjour à Alger quand se produisait un décisif changement ici, par la succession du président Boumedienne. Les souvenirs que j’en garde m’habitent et m’inspirent toujours. Ils me font d’ailleurs comprendre qu’un nouveau changement, encore plus décisif, est en train de se faire. La France vous accompagne comme depuis longtemps, nous nous connaissons si bien les uns les autres.

Compatriotes, car une bonne part de vous tous va et vient en France, la rive nord de notre Méditerranée, car vos parents, grands parents étaient encore Français au moins théoriquement, il y a juste cinquante ans, vous de la rive sud de notre Méditerranée, car vous Algériens de passeport ou Algériens de choix français vivez chez nous et donnez à la France un des éléments essentiels de son identité pour aujourd’hui et pour demain. La France, par vous, compte la première population musulmane d’Europe. C’est beaucoup et c’est bien d’une patrie commune qu’il peut s’agir.

Il m’a été dit que le président de la République française doit exprimer une repentance publique pour une autre France, celle de la conquête, celle des soubresauts d’une Histoire qu’elle dirigeait mal et que vous ne pouviez vivre telle quelle. Elle n’était pas la vôtre. Oui, élu par une majorité de Français, dont bon nombre sont des vôtres, et représentant dès lors tous les Français, j’ai quelque chose à vous dire sur ce passé.


La conquête a été, en Algérie, un nivellement par le bas. Et le régime colonial, par définition, ne forme pas des élites, mais des domestiques… Ce sont les malheurs de notre pays qui m’ont jeté dans l’arène politique. Si la France avait trouvé des solutions équitables aux problèmes qui se sont posés chez nous, il est probable que je me serais contenté de « cultiver mon jardin ». mais comment peut-on vivre pour soi quand la détresse des hommes et l’injustice qui les frappe deviennent un spectacle quotidien ?  [1] Vous le reconnaissez, n’est-ce pas. Se souvenant de Violette et Blum, citant Prévost-Paradol, Anatole France, Sartre, Tillion, Camus, Ferhat Abbas nous ouvre donc le chemin, en se réclamant de Jean Jaurès : Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. Et que dénonce-t-il ? au plus sombre de « la nuit coloniale », en Septembre 1960, mais ne le publiant qu’après notre accord de paix, en Mars 1962.

La volonté de faire de notre pays une colonie de peuplement et le projet de faire d’un pays arabe une « province de sang français » ont amené la France à commettre, en Algérie, trois crimes majeurs :
1° elle a détruit l’Etat algérien et les cadres politico-sociaux de la société arabe, ce qui l’a entrainée à poser un problème d’ordre national et humain qu’elle n’a pas été en mesure de régler, malgré cent trente ans d’occupation ;

2° elle s’est obstinée à substituer le peuplement européen au peuplement algérien. Par voie de conséquence, elle a créé un ordre social monstrueux et ouvert la voie à un racisme chronique que ses lois d’exception, en tous les domaines, ont alimenté tout le long du siècle ;
3° elle a concédé à la colonie européenne des franchises abusives, à une époque où l’Algérien, en tant qu’individu et malgré ses appels réitérés au respect de la « légalité coloniale », n’était pas armé politiquement pour défendre ses droits. L’attelage du « maître » et du « sujet » a fini par provoquer un déséquilibre social explosif. [2]

Ainsi, mes chers amis algériens, vous l’avez dit mieux que moi mais c’est au président de la République française de le proclamer.

Mon regret, notre regret, votre regret – sans que que vous ayez à le publier – est que nous n’ayons pas su organiser dans le passé ce que nous devions vivre ensemble, que nous n’ayons pas su faire la liberté, l’égalité et la fraternité au sud de la Méditerranée comme vous savez et comme vous continuez de voir que nous le faisons au nord. De cette incapacité, ceux qui se sont appelés les « pieds-noirs » ont pâti finalement bien plus d’autres, alors qu’ils étaient réputés en profiter.

Oui, la France se repend de n’avoir pas su faire du passé colonial un grand avenir et d’avoir provoqué votre lassitude, vos désespérances au point qu’une partie des vôtres, que vous, vous avez pris les armes contre ce qui ceux qui se conduisaient en occupant étranger. Nous aurions pu vous faire partager la République française, notre cécité – malgré le labeur et la générosité de beaucoup d’entre nous avec vous – a provoqué cette guerre. Beaucoup, à l’étranger, de part et d’autre aussi de la Méditerranée, ont vu que cette guerre était fratricide. Elle devait être évitée, elle ne l’a pas été. Nous nous sommes entretués, torturés, massacrés, il y a eu entre nous – comme il a été si bien dit – « cette haine qui ressemble à l’amour ». C’est le repentir de la France. Il ne faut plus que cette guerre continue de nous hanter. Il nous faut la convertir en une confiance du cœur pour aujourd’hui et pour demain, un partage sincère et chaleureux de tout ce qui peut se retrouver de commun dans un passé où nous avons combattu ensemble d’autres barbaries, d’autres occupants.

Sincèrement, vraiment, la France, son peuple vous disent que c’est possible.   

Il y a eu aussi ces choix extrêmes d’un patriotisme unique, par des compréhensions différentes de ce que devait être alors la France. Des Français ont été de votre côté dans la lutte. J’ai salué la mémoire de Maurice Audin parce qu’il était votre soutien et votre ami, communiste français approuvé par René Capitant, un gaulliste : aujourd’hui, il n’est plus « disparu » ! Des vôtres, peut-être même de vos familles, ont été de notre côté, les harkis, envers qui les gouvernements français se sont très mal conduits. Ils ont droit à votre estime en tant qu’Algériens et à notre reconnaissance en tant que Français, même si de votre part comme de la nôtre, c’est bien tard. Enfin, il y a ceux qui ont continué et ont voulu rester ou venir, le cardinal Duval choisissant votre nationalité, tant de jeunes coopérants français que vous avez aimés et, de Foucauld aux moines de Tibeïrine, votre terre est celle aussi de leur sang comme nos lignes de front et de bataille en Europe ont été marquées de votre sang autant que par le nôtre. Au bord de la Seine, l’Institut du monde arabe doit beaucoup à notre commune histoire, elle nous fait réfléchir autant sur la nation arabe que sur la nation française. De quoi sont-elles donc faites ? Quel est leur socle, quel est leur ciment ? Votre esprit, vos mœurs, votre don de la proximité ajoutent à notre intelligence, à nos vies et commerce de quartiers, à notre dialectique et notre progrès social. Oui, malgré la guerre et ses horribles cicatrices, nos liens sont restés forts, indissolubles. Nous ne sommes pas séparables.  
Je veux aussi vous dire – ici, bien plus fort et de façon encore plus motivée qu’ailleurs dans le monde où il y eut tant de territoires et de peuples sous la souveraineté française – que la colonisation, dans son principe, quand elle est un rapport de forces, quand elle est un esprit de supériorité sociale, racial, religieux par méconnaissance de l’autre, par crainte de l’autre, la colonisation est illégitime. Nous n’avons pas su en tirer à temps les conséquences ni faire ensemble quelque chose sans précédent et exceptionnel. L’Histoire, plus encore que vous et nous, l’a finalement rejetée, elle et ses faux semblants, pour qu’il ne reste que nous, face à face, avec pour seule question : notre avenir, maintenant.

Je regrette que nous ayons contredit ainsi les valeurs qui ont fondé la France, mais je suis convaincu qu’elles nous inspirent, aujourd’hui, bien plus efficacement quand nous voulons une suite – vraie, pratique, idéale, sans faux-semblants - et quand nous lisons donc le passé et le présent autrement. L’Histoire ne nous divise plus, si nous en faisons la suite ensemble. En cette époque d’intégrismes et d’intolérances, notre communion est indispensable : elle peut être plus contagieuse que ces haines et partis pris si peu fondés entre les hommes.

Vous avez su avant, pendant, depuis votre guerre d’indépendance distinguer entre le fait colonial – dont l’Histoire a montré qu’il est éphémère – et le parti que peut en tirer chacun quand il va à l’essentiel. Vous nous avez aidés à nous libérer d’un occupant barbare, vous avez reconnu en nous des valeurs autrement dites que les vôtres mais qui sont les mêmes et vous continuez de puiser dans ce fonds commun qui a version française depuis des siècles. Vous l’enrichissez chaque jour, je le constate. La langue française, la laïcité française,  la démocratie française vous doivent quotidiennement. La langue beure, respectueuse de notre grammaire, invente splendidement un accent de plus pour notre époque et nos divers, et surtout un vocabulaire souvent si juste : c’est éclatant, joyeux, familier, et la véhémence – dans nos quartiers, en France – est le ton de l’amitié. Les valeurs d’humanisme, de tolérance, de culture des musulmans de France sont exemplaires autant pour la majorité des Français, chrétiens pratiquants ou pas : elles nous assurent que la modération a plus de conviction que l’extrêmisme, surtout en religion. La démocratie trouve l’un de ses tests ultime dans votre admission parmi d’autres nationalités étrangères à participer aux gestions municipales.

Si je suis venu en Algérie, chez vous, en plein respect de votre souveraineté, c’est pour entendre de vous vos souhaits pour maintenant et pour l’avenir. Je suis porté par ceux des vôtres qui vivent chez nous. Je suis porté par les morts de plusieurs passés sanglants et de sacrifices. Je suis surtout porté par le bon sens. La Méditerranée – chacun de mes prédécesseurs l’a fortement ressenti et proposé – doit nous unir. Je suis porté par la plus grande ambition pour l’Afrique et pour l’Europe. Aucune stratégie de paix et de développement n’est concevable sans que l’Algérie et la France agissent ensemble dans la région, en Afrique et tout autour de la Méditerranée, au Maghreb autant qu’au Machrek. Chacun de nous doit réussir chez soi. Chez nous, vous y êtes pour beaucoup. Nous souhaitons l’être chez vous. C’est évident pour la cohésion nationale française, c’est évident pour la démocratie algérienne. Et si la France peut contribuer à la parfaite entente entre vous et vos frères marocains nos amis, à l’épanouissement du printemps libertaire dans cette Afrique du nord que nous aimons, nous le ferons. Et si vous pouvez contribuer à la stabilité, à la pérennité des Etats, au bien-être social, à la colérance religieuse et culturelle dans l’ensemble du Sahara dont une grande part est vôtre, vous le ferez, je le sais.


Tout est fragile, tout est réversible entre les hommes. Nous le savons bien, nous qui sommes compatriotes Algériens et Français. C’est pourquoi, chaque génération doit fonder à nouveau. Nous le faisons aujourd’hui. Augustin et le Prophète disent ensemble : demain, n’est-il pas très proche ? A trois mois près, je suis né quand débuta notre guerre civile, mais pas civilisée. Je voudrais que mon voyage commence la version contemporaine de la parfaite amitié entre nous, chers compatriotes que ce soit de nationalité ou d’âme. Moi, et ma génération, celle de tous les après-guerre, je veux réussir avec l'Algérie ce que le général de Gaulle, et la génération de toutes les guerres, a fait avec l'Allemagne depuis plus de cinquante ans. Vous comprenez bien ce que je veux dire : remarier deux peuples divisés, jugés même irréconciliables. Et entendez : c’st pendant la première visite d’un chef du gouvernement allemand en France du 2 au 8 Juillet 1962, que la France, par la voix du général de Gaulle, a reconnu le 3 Juillet 1962.


Frères algériens, Peuple d'Algérie, par ma voix, oui, la France veut se réconcilier pleinement avec vous. Peuple d'Algérie, acceptes-tu la main que le peuple de France te présente ?

[1] -  Ferhat Abbas, La nuit coloniale (Julliard, Mai 1962 . 233 pages) p. 107
[2] - ibid. pp. 46-47  


Bertrand Fessard de Foucault – mercredi 12 . jeudi 13 Décembre 2012

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