samedi 15 août 2015

réponse d'un diplomate français à un compatriote d'adoption, à propos du Sahara mauritanien - proposée à Cridem



Sahara mauritanien : réponse à une interpellation



Ahmed Salem Ould Moktar dit Cheddad m’interpelle “ à propos du retrait de la Mauritanuie du conflit du Sahara occidental en 1979 ” qu’il semble approuver. Je ne sais à laquelle de mes publications il se réfère : chroniques anniversaires d’Ould Kaïge ? entretiens avec le colonel Ould Haïdalla ? publication de documents diplomatiques français ?

Permettez-moi de lui répondre factuellement.

1° l’accord du 5 Août n’est pas un retrait de la guerre. Malgré un engagement le 10 Août  donné par le Roi à Mohamed Khouna Ould Haïdallah : « le Maroc et la Mauritanie s’engagent à ne rien faire qui puisse porter atteinte à la sécurité réciproque de leurs deux pays », les relations entre les deux pays, et notamment la situation aux frontières du nord-ouest, sont exécrables malgré des appels de Nouakchott aux Nations Unies et l’intermédiation du roi Fayçal ; la Mauritanien a continué plusieurs années à être le théâtre de fait de l’affrontement algéro-marocain. Je n’entre pas dans les causes ni l’historique de ce conflit.

2° l’accord entre la Mauritanie et le Polisario signé à Alger par le lieutenant colonel Ahmed Salem Ould Sidi et Bachir Mustapha Sayed pour la « RASD » : la Mauritanie abandonne le Tiris El Gharbia… n’établit pas pour autant la République saharouie sur le territoire auquel elle prétend ni en 1979 ni encore aujourd’hui. Le Maroc occupe aussitôt la partie qu’avait obtenue la Mauritanie par l’accord de Madrid (14 Novembre 1975) et cherche même à se maintenir à Bir Oum Grein.

La Mauritanie y a perdu la couverture stratégique de son chemin de fer minéralier, elle y a perdu la co-propriété avec le Maroc des phosphates mis au jour par l’Espagne et elle a surtout perdu une partie d’elle-même puisqu’il est impossible de nier que la frontière établie en 1900 entre les ambitions françaises et les ambitions espagnoles au Sahara était artificielle, que de part et d’autre l’organisation sociale, la langue et la culture, les patronymes (c’est un Mohamed Ould Abdel Aziz qui est secrétaire général du Polisario, à la première époque, une fois tué devant Nouakchott Sayed Ould Ouali : le 9 Juin 1976), les vêtements, la marque des animaux sont les mêmes, que la continuité et l’homogénéité à tous égards se constatent par quiconque vient sur place… et le Polisario n’y a rien gagné en territoire ni en population. Il demeure jusqu’aujourd’hui hôte de l’Algérie et bien moins d’Etats, notamment africains, qu’en 1977-1980, reconnaissent la République qu’il a proclamée.

 Cet accord est donc un mauvais accord que le Premier ministre mauritanien ainsi que son négociateur regrettent presqu’aussitôt d’avoir conclu. Tout s’est improvisé, depuis le sommet de Monrovia, et sous la pression d’une rupture unilatérale du cessez-le-feu par le Polisario (affaire de Tichla, le 12 Juillet : 61 prisonniers mauritaniens). Il s’était agi de « mettre au point les modalités pratiques de restitution de la partie du Sahara occidental occupée par la Mauritanie à son titulaire légitime, le peuple sahraoui ». Ce fut raté.

3° Il est vain de chercher, au nom d’Ahmed Ould Bouceif ou de Mohamed Khouna Ould Haïdallah, une politique saharienne de rechange. Il n’y avait qu’une politique possible, celle qu’a mise en œuvre le président Moktar Ould Daddah. Cette politique était réaliste, elle était dans les moyens du pays, elle correspondait à la nature de la Mauritanie-même, artificiellement divisée pour les besoins des deux puissances coloniales.

Réaliste car, à partir du moment où l’Espagne allait quitter le territoire sous la contrainte (commencement des attentats et des manifestations, spirale de la violence depuis le 17 Juin 1970, mort du général Franco), l’alternative était simple : ou bien le Maroc à La Guera et tout le long du chemin de fer minéralier, ou bien l’entente avec lui. Soutenir l’indépendance d’une portion mauritanienne du Sahara occidental ? pour quelle raison ? et sans doute au prix d’une guerre maroco-algérienne précisément sur le territoire mauritanien de 1960. La Mauritanie n’avait pas le choix et elle était dans son droit. D’ailleurs, la revendication marocaine sur la zone qu’administrait l’Espagne ne tenait qu’à raison d’une revendication plus vaste, celle de la Mauritanie-même : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, à l’époque où il représentait le pays aux Nations-Unies, l’a brillamment établi. Dès le 1er Juillet 1957, Moktar Ould Daddah, a peine investi à la tête du premier gouvernement national qu’ait jamais eu la Mauritanie, l’avait clairement et ambitieusement énoncé.

Défendre cette réunification territoriale partielle était dans les moyens du pays si peu préparé qu’il ait été militairement. Passés les drames de la surprise, une stratégie toujours défensive, et sans invoquer le droit de suite contre l’Algérie puisque la guerre n’était pas voulue mais subie, portait de plus en plus en 1978 ses fruits. De tous les protagonistes, les Mauritaniens étaient les plus en progrès et en gains d’efficacité. Diplomatiquement, le front tenait et aurait tenu : l’Algérie n’a pas que des amis, notamment en Afrique dite noire, et le président Boumedienne est mort dans les six mois du putsch renversant le président Moktar Ould Daddah. Ce dernier, s’il était demeuré au pouvoir, disposait à titre personnel – et donc pour la Mauritanie – d’un crédit international (et financier) que n’a plus jamais eu ensuite le pays : cela permettait de tenir. Le Maroc, quoique seul, a tenu. Nouakchott était d’ailleurs diplomatiquement bien plus décisive pour Rabat que les forces armées royales le furent pour le dispositif mauritanien, qui restait tenu – pour les opération – par la Mauritanie seule. La publication que je vais continuer d’ici peu, dans les colonnes du Calame, des archives de l’ambassade de France établissent ces affirmations. La Mauritanie a perdu cette guerre parce que certains de ses militaires sont entrés en politique, et par effraction.

4° la France, que je n’ai jamais eu l’honneur de représenter en Mauritanie que comme un de ses simples ressortissants, d’abord coopérant au titre du service national, puis ensuite ami personnel du président-fondateur, n’a pas reconnu l’accord de Madrid et a seulement soutenu l’indépendance de la Mauritanie dans ses frontières du 28 Novembre 1960, avant comme après le putsch du 10 Juillet 1978 : elle est intervenue militairement dans le conflit pour défendre ses propres ressortissants, employés de la S.N.I.M. et parfois enlevés en otages. Raids aériens à la demande écrite de la Mauritanie, contribution à la formation et au perfectionnement des forces nationales mauritaniennes. Tenant en grande estime son homologue mauritanien, le président Giscard d’Estaing était cependant en faveur de la paix au Sahara pour n’avoir pas à choisir entre les vrais belligérants : Maroc et Algérie, et n’a donc pas hésité à reconnaître ceux qui, en Mauritanie, s’étaient par la force imposés comme successeurs du fondateur. L’accord d’Alger a donc été salué positivement à Paris. Reconnaissance et salut que, pour ma part, je regrette.

5° la tentative du 16 Mars 1981 est héroïque mais malheureusement sanglante. Elites politique et sociale du pays, les colonels Ould Sidi et Bah Ould Abdelkader voulaient rétablir la légitimité, ils n’arrivaient nullement en mercenaires ni du Maroc ni de la France. La France ignorait cette tentative et a fortiori ne l’a pas appuyée. Le président Mitterrand, dès le premier été de son installation à l’Elysée, a proposé au président Moktar Ould Daddah de contribuer au retour de celui-ci au pouvoir, le roi Hassan II, au même moment, a fait la même proposition. Le Président a refusé les deux.



alias Ould Kaïge
Bertrand Fessard de Foucault,
ancien ambassadeur mais pas en Mauritanie,
samedi 15 août 2015

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