lundi 17 août 2015

rencontre " esclavage moderne et changement climatique : l'engagement des villes "


INTERVENTION DU PAPE FRANÇOIS
Salle du Synode
Mardi 21 juillet 2015


Je me permets de parler en espagnol. Bonsoir, bienvenue.
Je vous remercie sincèrement de tout cœur pour le travail que vous avez accompli. Il est vrai que tout tournait autour du thème de la préservation de l’environnement, de cette culture de la préservation de l’environnement, néanmoins cette culture de la préservation de l’environnement n’est pas uniquement un comportement — je le dis dans le vrai sens du terme — «vert», c’est bien davantage. Prendre soin de l’environnement signifie avoir une attitude d’écologie humaine. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas dire que la personne se trouve ici et que la création, l’environnement, se trouvent là. L’écologie est totale, elle est humaine. Et c’est ce que j’ai voulu exprimer dans l’encyclique Laudato si’: que l’on ne peut séparer l’homme du reste; il existe une relation qui influence de manière réciproque, que ce soit celle de l’environnement sur la personne ou celle de la personne selon la manière dont elle traite l’environnement; et également de l’effet rebond pour l’homme lorsque l’environnement est maltraité. C’est pourquoi à une question que l’on m’a posée, j’ai répondu: «Non, ce n’est pas une encyclique “verte”, c’est une encyclique sociale». Car dans la société, dans la vie sociale de l’homme, nous ne pouvons pas faire abstraction de la préservation de l’environnement. De plus, la préservation de l’environnement est un comportement social, qui nous socialise dans un sens ou dans un autre — chacun peut lui donner la valeur qu’il souhaite — et qui d’un autre côté nous fait recevoir — j’aime l’expression italienne, lorsqu’il est question de l’environnement —, de la Création, de ce qui nous a été offert en don, c’est-à-dire l’environnement.
D’un autre côté, pourquoi cette invitation, qui me semble être une idée de l’Académie pontificale des sciences, de Mgr Sánchez Sorondo, très féconde, d’inviter les maires des grandes villes et des moins grandes, de les inviter ici pour parler de cela? Parce que l’une des choses que l’on remarque le plus lorsque l’on ne prend pas soin de l’environnement est la croissance démesurée des villes. C’est un phénomène mondial. C’est comme si les têtes, les grandes villes, se faisaient grandes, mais à chaque fois avec des cordons de pauvreté et de misère plus grands, où les gens souffrent des effets de la négligence de l’environnement. C’est dans ce sens que le phénomène migratoire est impliqué. Pourquoi les gens vont-ils dans les grandes villes, dans les cordons des grandes villes — «villas miseria», les baraques, les favelas? Pourquoi font-ils cela? Simplement parce que le monde rural ne leur donne pas d’opportunité. Et là réside un point présent dans l’encyclique — et avec beaucoup de respect, mais cela doit être dénoncé néanmoins —, l’idolâtrie de la technocratie. La technocratie conduit à détruire le travail, elle crée du chômage. Les phénomènes de chômage sont très importants et les personnes sont contraintes à émigrer, à la recherche de nouveaux horizons. Le grand nombre de chômeurs est alarmant. Je n’ai pas les statistiques, mais dans certains pays d’Europe, surtout chez les jeunes, le chômage des jeunes — des moins de 25 ans — dépasse les 40% et dans certains pays, l’on arrive à 50%. Entre les 40, 47 — je pense à d’autres pays — et les 50%. Je pense à d’autres statistiques sérieuses données par les chefs de gouvernement, par les chefs d’Etat directement. Et si l’on projette cela dans l’avenir, nous voyons un fantôme, en d’autres termes quel avenir une jeunesse au chômage peut-elle envisager aujourd’hui. Que reste-t-il à cette jeunesse: ou bien les dépendances, l’ennui, le fait de ne pas savoir quoi faire de leur vie — une vie privée de sens, très dure, le suicide des jeunes — les statistiques de suicide chez les jeunes n’ont pas encore été publiées dans leur totalité — ou la recherche d’autres horizons, dans des projets de guérilla également, d’un idéal de vie.
D’un autre côté, la santé est en jeu. La quantité de «maladies rares», c’est ainsi qu’on les appelle, qui proviennent de nombreux éléments utilisés pour fertiliser les champs — ou allons savoir, l’on ne connaît pas encore bien la cause — mais qui, quoi qu’il en soit, résultent d’un excès de technicisation. Parmi les plus grands problèmes en jeu, il y a ceux de l’oxygène et de l’eau. C’est-à-dire la désertification de grandes zones pour la déforestation. J’ai à côté de moi le cardinal-archevêque chargé de l’Amazonie brésilienne, qui peut dire ce que signifie une déforestation aujourd’hui en Amazonie, qui est le poumon du monde. Le Congo, l’Amazonie sont les grands poumons du monde. La déforestation dans ma patrie depuis quelques années... il y a 8, 9 ans, je me rappelle que le gouvernement fédéral a fait un procès dans une province pour stopper la déforestation qui frappait la population.
Que se passe-t-il lorsque tous ces phénomènes de technicisation excessive, sans préservation de l’environnement, au-delà des phénomènes naturels, incident sur la migration? Ne pas avoir de travail et puis la traite des personnes. Le travail au noir est de plus en plus fréquent, c’est un travail sans contrat, un travail «organisé sous la table». Comme il s’est accru! Le travail au noir est très répandu, et cela signifie qu’une personne ne gagne pas suffisamment pour vivre. Cela peut provoquer des délits, tout ce qui se produit dans une grande ville à cause de ces migrations provoquées par la technicisation excessive. Je me réfère surtout à l’environnement agricole et aussi à la traite des personnes dans le travail minier. L’esclavage minier est répandu et important. Et cela signifie l’utilisation de certains éléments de traitement des minéraux — arsenic, cyanure... — qui provoquent des maladies à la population. En cela, il y a une très grande responsabilité. Tout rebondit, tout revient en arrière, tout... C’est l’effet rebond contre la même personne. Cela peut être la traite des êtres humains pour le travail esclavagiste, la prostitution, qui sont sources de travail, pour pouvoir survivre aujourd’hui.
C’est pourquoi je suis content que vous ayez réfléchi à ces phénomènes — j’en ai mentionné quelques-uns, pas plus — qui frappent les grandes villes. Je dirais en fin de compte que les Nations unies devraient s’occuper de cela. Je place beaucoup d’espoir dans le sommet de Paris de novembre prochain: que l’on arrive à un accord fondamental et de base. J’ai beaucoup d’espoir. Toutefois, les Nations unies doivent s’intéresser avec beaucoup de force à ce phénomène, surtout de la traite des personnes provoquée par ce phénomène environnemental, l’exploitation des gens.
J’ai reçu il y a quelques mois une délégation de femmes des Nations unies, chargées du problème de l’exploitation sexuelle des enfants dans les pays en guerre. Les enfants comme objet d’exploitation. C’est un autre phénomène. Et les guerres sont aussi un élément de déséquilibre de l’environnement.
Je voudrais enfin terminer avec une réflexion, qui n’est pas la mienne, mais celle du théologien et philosophe Romano Guardini, qui parle des deux formes d’«inculture»: l’inculture que Dieu nous a laissée, afin que nous la transformions en culture, et pour cela il nous a donné la mission de prendre soin, de faire grandir et de dominer la terre; et la seconde inculture, lorsque l’homme ne respecte pas cette relation avec la terre, n’en prend pas soin — c’est très clair dans le récit biblique, qui est une littérature de type mystique. Quand il n’en prend pas soin, l’homme s’empare de cette culture et commence à la faire dévier. En d’autres termes, l’inculture: il la fait dévier, en perd le contrôle et donne lieu à une seconde forme d’inculture: l’énergie atomique est bonne, elle peut aider. Jusque là tout va bien, mais pensons à Hiroshima et à Nagasaki. C’est-à-dire que l’on crée le désastre et la destruction, pour prendre un vieil exemple. Aujourd’hui, dans toutes les formes d’inculture, comme celles que nous avons traitées, cette seconde forme est celle qui détruit l’homme. Un rabbin du Moyen Age, plus ou moins de l’époque de saint Thomas d’Aquin — sans doute quelqu’un me l’a-t-il déjà entendu dire — expliquait dans un «midrash» le problème de la Tour de Babel à ses «paroissiens» dans la synagogue et disait que pour construire la Tour de Babel, il avait fallu beaucoup de temps et beaucoup de travail, surtout pour réaliser les briques. Il fallait préparer la boue, chercher la paille, en faire des blocs, les couper, les faire sécher, puis les mettre au four, les cuir... Une brique était un bijou, elle avait énormément de valeur. Et ils montaient la brique pour la mettre sur la tour. Lorsqu’une brique tombait, c’était un problème très grave et le coupable, celui qui avait négligé le travail et avait laissé tomber la brique, était puni. Lorsque tombait un ouvrier, l’un de ceux qui travaillaient à la construction, ce n’était pas grave. Tel est le drame de la seconde forme d’inculture: l’homme créateur d’inculture et non de culture; l’homme créateur d’inculture car il ne prend pas soin de l’environnement.
Et pourquoi cette invitation de l’Académie pontificale des sciences aux maires des villes? Parce que, même si cette conscience sort du centre vers les périphéries, le travail le plus sérieux et le plus profond se fait des périphéries vers le centre, c’est-à-dire de vous vers la conscience de l’humanité. Le Saint-Siège, ou tel ou tel pays, pourra faire un beau discours aux Nations unies, mais si le travail ne part pas des périphéries vers le centre, il n’a pas d’effet. D’où la responsabilité des maires des villes.
C’est pour cela que je vous remercie vraiment beaucoup de vous être réunis comme périphéries qui prennent très au sérieux ce problème. Chacun d’entre vous a dans sa ville des choses comme celles dont j’ai parlé et que vous devez gouverner, résoudre, et ainsi de suite. Je vous remercie de votre collaboration. Mgr Sánchez Sorondo m’a dit que beaucoup d’entre vous sont intervenus et que tout cela est très riche.
Je vous remercie et je demande au Seigneur qu’il nous donne la grâce de pouvoir prendre conscience de ce problème de destruction que nous sommes nous-mêmes en train de développer en ne prenant pas soin de l’écologie humaine, en n’ayant pas de conscience écologique comme celle qui fut donnée au principe pour transformer la première inculture en culture et s’arrêter là, et ne pas transformer cette culture en inculture. Un grand merci.
 
 



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