vendredi 7 août 2015

procuré et commenté par Pierre Bonte - la fatwa de Cheikh Sidya en faveur de Coppolani - chez Vlane


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Pacification : voici le texte de la fatwa de Ould Cheikh Sidiya qui justifie de collaborer avec les français...


Général Gouraud
Il faut dire les choses comme elles sont en restant fidèle à la vérité historique sans s’insulter les uns et les autres comme c’est malheureusement parti notamment avec la sortie de l’avocat du diable dirait le colonel Ould Beibacar, ingénieur du nord qui ne sait apparemment pas ferrailler noblement puisqu’il insulte tout le Trarza jusqu’à justifier le nom Oumtounsi pour l’aéroport en souvenir des combattants du nord car l’aéroport a reçu financement de la Snim oubliant au passage les 450 hectares pris au cœur de Nouakchott en échange de ce marché s’il fallait ferrailler à base du droit des terres et des ressources des uns et des autres comme au bon vieux temps de la zizanie. 


Reste que c’est un fait que les grands marabouts du Trarza ont facilité la pénétration française pour les raisons que voici et sans lesquelles il n’y aurait certainement eu ni pacification ni même Mauritanie. Pour ne citer que les maures ils seraient certainement restés divisés fidèlement au portrait qu’en fait le gouverneur William Ponty le 31 octobre 1907 s’adressant au Commissaire du Gouvernement général en Mauritanie, le lieutenant-colonel Gouraud, qui prend alors ses fonctions, cité par le pape de l’anthropologie  mauritaniste, Pierre Bonte 

« Guerrières ou maraboutiques, les tribus maures vivent de la même vie nomade et ont toujours manifesté une égale horreur pour la vie sédentaire des agriculteurs ou des commerçants envers lesquels elles manifestent le plus profond dédain. Cette vie errante et contemplative a déterminé les caractères généraux de leur mentalité, caractères plus accusés chez les guerriers que chez les marabouts, dont le zèle religieux sait souvent s’allier avec une conception très nette des intérêts purement matériels. Ennemi du travail, le Maure cherche volontiers les ressources nécessaires à la satisfaction de ses besoins dans le vol et le pillage des populations sédentaires. La fourberie, le mensonge, la versatilité ne peuvent être dans ces conditions que ses moindres défauts; en outre son existence nomade a développé jusqu’à l’excès les sentiments d’individualisme qui sont le propre des berbères et qui se manifestent par l’amour de l’indépendance absolue. La haine de l’infidèle, née d’un fanatisme religieux savamment entretenu par les confréries, est le seul lien qui puisse, dans quelques rares circonstances, unir pour un instant les divers éléments de cette race qui ont toujours vécu en réalité dans un état de perpétuelle méfiance et d’hostilité. »

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Quant aux résistants de certaines tribus du Nord, voilà ce qu’écrit le perspicace colonel Gouraud qui a dirigé la fameuse campagne de l’Adrar : « La guetna est pour ces nomades qui mènent dans leurs campements une existence misérable, l’époque où l’on mange à sa faim, où l’on mène quelques semaines la vie plus douce des ksour. Aussi les dissidents, les talibés d’el Ouéli se flattent-ils de faire leur guetna malgré-nous.
Dans ces conditions, la guetna va prendre une importance capitale ; si nous réussissons à empêcher les dissidents de récolter leurs dattes, j’estime qu’à part quelques irréductibles, ils demanderont l’aman… »


On connaît la suite…

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Cet extrait de « L’appel au jihâd et le rôle du Maroc dans la résistance à la conquête du Sahara (1905-1908) » par le regretté Pierre Bonte unanimement respecté par les chercheurs mauritaniens, donnera à ceux qui n’en savent rien ou peu, une idée de la différence d’approche entre les régions. Ainsi si de Boutilimit la fatwa invite à baisser les armes et aider les français dans leur entreprise pour des raisons sages parfaitement respectables preuves d’une lucidité admirable, à Tidjikja, avec fière élégance, on baisse les armes avec mépris et en désespoir de cause pendant qu’on accuse les gens de l’Adrar d’être pires que les français en délivrant des fatwas qui autorisent le pillage des tribus qui ont fait allégeance aux français. 
Pierre Bonte

Extrait : « Au premier temps de sa pénétration « pacifique » du Sahara occidental, alors qu’il est en train d’occuper le Trarza, Coppolani obtient de celui qu’il considère comme son principal soutien dans la région, Shaykh Sîdiyya Bâba, le 5 janvier 1903, une fatwa sur la question ainsi formulée :

« Faut-il que les Musulmans fassent la guerre sainte lorsque les Chrétiens occupent leur territoire, et que non seulement ils ne s’opposent à rien de ce qui touche la religion, mais qu’au contraire ils favorisent la pratique de cette religion en établissant des qâdî et en organisant l’administration judiciaire? Il faut également considérer que les chrétiens agissent ainsi avec des musulmans qui sont dans l’impossibilité matérielle de faire la guerre sainte, tels que ceux qui habitent à l’est du Maghreb (Algérie et Tunisie) »
(traduction de Michaux-Bellaire, 1907 : 83).

Se référant, sans grande originalité d’ailleurs, à la tradition malékite et en particulier à Sîdi Khalîl, Shaykh Sîdiyya introduit plusieurs arguments qui eurent un large impact au Sahara occidental. Shaykh Sîdiyya établit d’abord la recevabilité de la question :

« Si le Prophète ou le Savant se rend compte qu’il est impossible de réaliser l’exercice du gouvernement conformément à la volonté de Dieu, ni à écarter l’injustice, si ce n’est en donnant le pouvoir à l’infidèle, c’est à lui de savoir ce qui lui reste à faire ». On voit que l’auteur vise là le « gouvernement » des émirs et des hassân et que l’on peut retrouver les arguments avancés par d’autres auteurs un siècle auparavant pour justifier l’acceptation par les zawâya de l’ordre politique « injuste » qui régnait au Sahara précolonial. Dans ces conditions alors « il est prescrit aux Musulmans qui se trouvent dans de semblables conditions de ne pas attaquer les Chrétiens et de ne rien négliger pour vivre en paix avec eux ».

La principale raison invoquée est cependant que les Musulmans de ce pays n’ont pas les capacités de s’unir et de se défendre. Shaykh Sîdiyya note :

« L’impuissance de ce pays à lutter contre la force des Chrétiens est reconnue. Tout homme de bon sens qui entend et qui voit se rend compte du manque d’union des Musulmans, de l’absence de trésor public indispensable à toute action, et de l’infériorité de leurs armes vis-à-vis de celles des Chrétiens ». Pas plus qu’il n’est du devoir des Musulmans en de telles circonstances de mener le jihâd, il ne leur est demandé de quitter le pays pour se réfugier dans une terre musulmane, d’émigrer en masse ou partiellement de leur territoire conquis par les Chrétiens, « tant à cause de leur pauvreté qu’à cause du manque d’endroits où ils trouveront la sécurité et les ressources nécessaires ».
Le dernier argument invoqué par le Shaykh est plus spécieux puisqu’il interroge en fait directement sur la nature de l’ordre politique précolonial, dont il contient une critique explicite, pour justifier cette fois la colonisation :

« Non seulement ils (les Chrétiens) ne s’opposent pas à l’exercice de la religion, mais lui prêtent leur concours en faisant construire des mosquées, en nommant des qâdî et en donnant à toute chose une bonne organisation. Ils répriment le vol et le brigandage et maintiennent la paix entre les tribus insoumises de ce pays sans gouvernement et font beaucoup d’autres choses de ce genre. Il est certain qu’ils réussissent très bien en cela. Dieu – qu’il soit exalté ! – les a envoyés dans sa miséricorde pour les créatures et dans sa bonté ».

Cet appel à la collaboration avec les colonisateurs fut contresigné, à la demande de Coppolani, par Shaykh Sacd Bû. Combattu par d’autres leaders religieux, dont le principal est Shaykh Mâ al-cAynîn, et par des tribus telles que les Idyaydyaba, qui avaient perpétué un courant de pensée, peut-être hérité de l’époque de Sharr bubba, revendiquant l’instauration temporelle de l’ordre politique de l’islam, il n’en eut pas moins une certaine efficacité aux premiers temps de la conquête. Les réactions à celle-ci et la résistance croissante avec son cortège de combats, de pillages et de misère, vont cependant entraîner une évolution de ces positions.

Parmi les tribus zawâya soumises plus ou moins de bon gré, les pillages subis tant de la part des troupes coloniales qui réquisitionnent nourriture et moyens de transport, que de la part des dissidents qui tentent de justifier leurs attaques par les nécessités de la guerre sainte, entraînent de nombreuses réactions. En réponse aux zawâya de l’Adrar qui ont déclaré licites les pillages contre les tribus soumises aux Français, les Idawcalî de Tijigja, occupée en 1905, délivrent cette fatwa dont le ton, même s’il admet la soumission aux Infidèles, est bien différent de l’argumentaire de Shaykh Sîdiyya et met l’accent sur les caractère de nécessité de cette soumission :

« Au nom d’Allah, l’Unique, le Miséricordieux, etc. Notre attitude vis-à-vis des Français peut se résumer dans l’adage bien connu "une main que tu ne peux couper, embrasse la", nous accueillons avec le sourire des gens que nous haïssons de tout notre coeur.

Les habitants de Tijigja ont été envahis pendant la période de grandes chaleurs par une forte armée or, comme le dit Khalil, le compromis et le paiement de rançon sont recommandables et même obligatoires dans de telles conditions pour des Musulmans peu nombreux et désarmés.
D’autre part, le fait pour nous de cohabiter dans la même localité avec des Infidèles ne rend pas le pillage à nos dépens un acte licite, car le même Khalil dit que l’exode n’est pas obligatoire pour les gens faibles et qui ne savent pas où trouver refuge, etc.

Qu’ils sont étonnants les hommes du pays de l’anarchie où les Infidèles laissent les Musulmans pratiquer leur culte sans toucher à leurs biens si ce n’est par achat ou par faibles prises pendant qu’au même moment ceux qui se prétendent les combattants du jihâd s’autorisent à les piller.
Malheur à ceux [les marabouts de l’Adrar] qui ont rendu des fatwa autorisant le pillage du bien des Musulmans ».

On le voit, le problème ainsi soulevé n’est plus de savoir si le jihâd est licite, les Idawcalî ne contestent pas que la lutte contre l’Infidèle est une obligation, même s’ils ajoutent que le colonisateur, en définitive, respecte les choses de la religion ; ils estiment par contre qu’elle n’est pas possible et que la soumission est une question de rapport de force. C’est ce rapport de force que d’autres leaders religieux vont tenter de modifier, en faisant appel au Commandeur des Croyants. Le rôle principal est sur ce point exercé par Shaykh Mâ al-cAynîn. »



L’appel au jihâd et le rôle du Maroc dans la résistance à la conquête du Sahara (1905-1908)

Pierre Bonte
p. 101-135

Résumés

La conquête des pays maures de la rive droite du fleuve Sénégal débute en 1902 sous la direction de Xavier Coppolani qui envisage une occupation « pacifique » s’appuyant sur les confréries musulmanes. Sa mort en 1905 souligne la résistance des tributs et des émirats. Pour repousser les colonisateurs, les Maures s’organisent sous la Bannière du jihâd et font appel au Sultan du Maroc, « commandeur des croyants » pour obtenir son soutien militaire et politique, les confréries se divisant quant à la légitimité de l’appel. Un lointain cousin du Sultan, Mawlay Idrîs est envoyé avec des armes et de l’argent. Il réussit en un premier temps à unifier la résistance grâce à l’appui de Shaykh Mâ al-cAynîn, chef de la confrérie fadhaliyya qui a lui même des visées sur le trône marocain. Il échoue militairement devant Tidjikja, au Tagant en 1906, et les troupes rassemblées se dispersent rapidement. La résistance se poursuivra néanmoins jusqu’en 1912 sur d’autres bases tribales et régionales.

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Texte intégral

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1L’occupation coloniale française du Sahara occidental, bientôt baptisé Mauritanie, débute en 1902 sous l’égide de la figure exceptionnelle de Xavier Coppolani qui la préparait depuis sa première mission au Soudan en 18991. Coppolani propose un projet d’« occupation pacifique » du pays qui s’appuie sur la vision de la société musulmane qu’il a développée à partir de ses travaux consacrés au Maghreb. Société musulmane faut-il immédia­tement préciser et non société tribale, telle qu’on peut la trouver en Algérie et telle qu’on l’observe de manière exclusive au Sahara. Sur cette société tribale, Coppolani a peu à dire, de même que sur l’organisation politique maure qu’il se contente de réinterpréter à travers le prisme de la société occidentale d’Ancien régime avec ses nobles-guerriers « improductifs » et pillards, le "clergé" maraboutique – qu’il cherche à rallier à la colonisation française – et son tiers-état znâga que la colonisation devra libérer de son joug. Par contre sa vision de la société musulmane est étroitement, voire exclusivement, déterminée par les études qu’il a menées sur le mouvement confrérique soufiste au Maghreb (Depont et Coppolani, 1897).
2Au Sahara, le mouvement soufiste, s’il prend une nouvelle importance au XIXe siècle, est loin de représenter l’ensemble de l’islam local. En outre il est étroitement associé aux appartenances tribales, que les confréries se constituent à partir des tribus ou que la confrérie investisse et réorganise le système tribal. D’autres représentations de la solidarité musulmane existent, liées à de récentes réinterprétations du mouvement almoravide, ou encore à des traditions mahdistes dont se fait l’écho Sharr Bubba, la « guerre des Marabouts » au XVIIe siècle. Bref l’islam maure ne peut se réduire à la tension entre le caractère local et pourrait-on dire « partisan » des mouvements confrériques soufistes, et les tendances pan-islamiques derrière lesquelles, à la fin du XIXe siècle, les administrateurs coloniaux français voient volontiers la main exclusive des Ottomans, du Roi du Maroc, « Commandeur des Croyants », et de leurs alliés allemands.
3Au delà et au sein même du mouvement soufiste, dont l’apparition au Maghreb, associée au sharifisme, est liée à un contexte politique bien particulier de lutte contre la poussée occidentale il existe en effet une tradition islamique profondément marquée de la volonté de conjuguer les règles religieuses et l’exercice de l’autorité politique, une tradition d’organisation politique de la umma, de la communauté des Croyants dont les fondations dynastiques au Maroc ont exploré les multiples ressorts. C’est dans cette mesure que, contrairement aux prévisions de Coppolani, les « marabouts » maures, dont il pensait qu’ils seraient les auxiliaires privilégiés de la conquête, se révéleront d’aussi farouches opposants, quand les circonstances le leur permettront, que les guerriers hassân, et c’est dans cette mesure aussi que l’opposition à l’occupation coloniale se conjugue un temps avec l’idée du jihad.

L’appel au « Commandeur des Croyants »

4Bien qu’elle s’inscrive dans la culture islamique maure, l’idée du jihâd n’a pas eu au Sahara occidental, depuis le XVIIe siècle, la place qu’elle occupe dans les sociétés africaines méridionales voisines où elle a inspiré de grandes entreprises politiques, en particulier en milieu peul. La dernière entreprise de ce genre est celle d’al-Hajj Umar, née dans la vallée du Sénégal, qui s’effectue sous la bannière de la tijâniyya. Les caractères particuliers de l’organisation sociale et politique maure, l’opposition entre hassân et zawâya en particulier, n’ont pas favorisé les revendications d’un établissement temporel de l’ordre de l’islam, sinon sous forme de prises de positions eschatologiques qui entérinent en fait le renoncement à ces revendication de la part des leaders zawâya (Ould Cheikh, 1985).
5Les appels au jihâd contre les Français se manifestent cependant très vite. Il est vrai d’ailleurs que Coppolani a envisagé l’hypothèse d’un appel à la guerre sainte en réponse à l’occupation française, et a tenté de s’appuyer sur le courant « anti-jihâdien » qui existe dans la société maure pour désamorcer cette menace potentielle. Il faudra en fait plusieurs années de combats, et l’occupation d’une grande partie de la zone saharienne méridionale par les troupes françaises, pour que le thème du jihâd unifie, à partir de 1905 et pour une période relativement courte, la résistance à la colonisation.
6Cette unification s’effectuera initialement en se référant au statut religieux du Roi du Maroc, du « Commandeur des Croyants ». Cette référence n’implique en aucune façon la reconnaissance d’une autorité politique maghrébine sur les tribus sahariennes, elle est de nature exclusivement idéologique, une tentative pour transcender les divisions segmentaires et factionnelles de la société tribale. Le titre et les origines sharifiennes de la dynastie marocaine donnent au mouvement de résistance une légitimité supérieure et confortent les fondements de son unité. D’autres considérations cependant ont aussi joué.
7Les rivalités entre puissances coloniales, entre la France et l’Allemagne en particulier, pour faire passer sous leur contrôle le royaume sharifien, marquent profondément la politique africaine française. Entre ses possessions algériennes et soudanaises, la France souhaite établir un pont et empêcher une implantation allemande qui pourrait se conjuguer avec l’ancienne présence espagnole au Maghreb et au Sahara pour remettre en question la visée impériale. Parfois assimilées, sans réel fondement, à des visées panislamistes soutenues par l’empire ottoman et les Allemands, les positions politiques et religieuses du Roi du Maroc, apparaissent, dans cette première décennie du XXe siècle comme un obstacle aux visées coloniales françaises. Ces représentations ont sans nul doute contribué à fortifier l’importance accordée par les tribus sahariennes à la légitimation religieuse de l’émir al-mu’minîn et à justifier les demandes d’intervention qu’ils lui adressent.
8D’autre part, et ceci n’est sans doute pas la moindre des motivations, le Maroc est à cette époque, dans cette région, la seule puissance musulmane qui soit restée indépendante. C’est par le Maroc que peuvent arriver les armes qui permettront d’organiser et de développer la résistance. C’est par l’intermédiaire du Maroc, accessoirement de la contrebande d’armes le long des côtes atlantiques occupées par les Espagnols, qu’ont déjà été introduites au Sahara les armes modernes à tir rapide qui mettent les nomades pratiquement à égalité avec les troupes coloniales. Parmi les demandes qu’adressent principalement les envoyés des tribus maures au Roi viennent en priorité la fourniture d’armes leur permettant de résister à la pénétration coloniale.
9Les délégations envoyées en 1905 par les tribus du Sahara occidental au Roi du Maroc ne représentent pas les premières tentatives pour organiser, au nom du jihâd, la résistance à la colonisation. D’autres Sahariens ont effectué auparavant la même démarche et au Maroc même s’affrontent les partisans du jihâd et ceux qui s’y opposent. J’emprunterai certaines des analyses qui suivent à Abitbol (1986) qui a consacré un long article à cette question.
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10Dès 1893, lorsque le colonel Archinard achève de démanteler l’empire d’al-Hajj Umar et que la colonne Bonnier investit Tombouctou, une délégation des Brabish d’Arâwan et des Bû Jûbayha se rend à Marrakesh auprès de Mawlay al-Hasân pour solliciter son appui contre l’occupation française du Soudan2. Cette démarche suscite une vive émotion parmi les populations marocaines mais le Roi, déjà aux prises avec les pressions européennes, se montre réticent à lui donner une suite. Il fait attendre cinq mois la délégation puis lui demande des « écrits » attestant de la suzeraineté de ses membres sur Tombouctou. Il obtient finalement des culamâ de Fès un texte selon lequel il n’est pas lié vis-à-vis de ceux qui le sollicitaient par le devoir du jihâd. Ce texte, qu’analyse Abitbol, est important car il énumère les arguments qui, dans les années à venir, permettront aux Rois du Maroc de répondre à des sollicitations du même ordre.
11Le secours à accorder aux populations sahariennes ne semble pas justifié aux conseillers du Roi ni en fait ni en droit. Ils évoquent des raisons politiques : Tombouctou ne fait pas partie de l’empire sharifien. Or le Roi n’est tenu de pratiquer le jihâd que pour ses propres sujets. Afin de mieux asseoir la thèse selon laquelle le Roi n’est pas tenu de secourir les Musulmans des régions voisines, ils ajoutent que le jihâd ne peut être pratiqué que si il ne risque pas d’avoir des conséquences négatives : en l’occurrence rompre les relations de paix avec les Européens et dénoncer des traités qui viennent d’être signés. Les conséquences d’une rupture de ces traités pourraient être bien pires pour l’Etat sharifien et entraîner une main mise définitive des puissances européennes sur le royaume.
12Ce texte souligne l’évolution de l’idéologie sharifienne calawite à la fin de la période précoloniale. La volonté d’assumer le leadership spirituel de l’ensemble de la communauté musulmane est contrebalancée par celle de défendre les limites circonscrites du royaume. « Alors que tradition­nellement c’est la place que le Sultan détient ou aspire à détenir au sein de la umma qui fixe les frontières de son pouvoir, la situation est désormais inversée : la communauté politique à l’intérieur de laquelle il exerce un pouvoir réel est celle-là seule où il est habilité à exercer ses prérogatives religieuses et califales » (Abitbol, 1986 : 170).
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13Au Maroc même, le courant anti-jihâdien était cependant combattu au sein du royaume par de nombreux leaders de la périphérie rurale. Certains de ces leaders auront une position fortement affirmée en ce domaine. C’est le cas de Muhammed al-cArbi al-Madghâri, shaykh de l’ordre des darqâwiyya, qui en 1863 et 1883 tenta de soulever les tribus du sud. Ahmed ibn al-Hashîmi bal-Filâli, son disciple, et al-Mustâva ibn al-Hanâfi al-Hasâni al-cAlawi, qui en 1895 tenta de soulever les Banî Mghlid, représentent aussi ce courant qui sera plus particulièrement illustré par le shaykh saharien Shaykh Mâ al-cAynîn3.
14On retrouve au Sahara occidental cette même opposition entre partisans et adversaires du jihâd. Dans un contexte nouveau, celui de la colonisation, elle prolonge un débat idéologique et politique ancien au sein des tribus zawâya.
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15Au premier temps de sa pénétration « pacifique » du Sahara occidental, alors qu’il est en train d’occuper le Trarza, Coppolani obtient de celui qu’il considère comme son principal soutien dans la région, Shaykh Sîdiyya Bâba4, le 5 janvier 1903, une fatwa sur la question ainsi formulée :
« Faut-il que les Musulmans fassent la guerre sainte lorsque les Chrétiens occupent leur territoire, et que non seulement ils ne s’opposent à rien de ce qui touche la religion, mais qu’au contraire ils favorisent la pratique de cette religion en établissant des qâdî et en organisant l’administration judiciaire? Il faut également considérer que les chrétiens agissent ainsi avec des musulmans qui sont dans l’impossibilité matérielle de faire la guerre sainte, tels que ceux qui habitent à l’est du Maghreb (Algérie et Tunisie) »
(traduction de Michaux-Bellaire, 1907 : 83).
16Se référant, sans grande originalité d’ailleurs, à la tradition malékite et en particulier à Sîdi Khalîl, Shaykh Sîdiyya introduit plusieurs arguments qui eurent un large impact au Sahara occidental. Shaykh Sîdiyya établit d’abord la recevabilité de la question :
« Si le Prophète ou le Savant se rend compte qu’il est impossible de réaliser l’exercice du gouvernement conformément à la volonté de Dieu, ni à écarter l’injustice, si ce n’est en donnant le pouvoir à l’infidèle, c’est à lui de savoir ce qui lui reste à faire ». On voit que l’auteur vise là le « gouvernement » des émirs et des hassân et que l’on peut retrouver les arguments avancés par d’autres auteurs un siècle auparavant pour justifier l’acceptation par les zawâya de l’ordre politique « injuste » qui régnait au Sahara précolonial. Dans ces conditions alors « il est prescrit aux Musulmans qui se trouvent dans de semblables conditions de ne pas attaquer les Chrétiens et de ne rien négliger pour vivre en paix avec eux ».
17La principale raison invoquée est cependant que les Musulmans de ce pays n’ont pas les capacités de s’unir et de se défendre. Shaykh Sîdiyya note :
« L’impuissance de ce pays à lutter contre la force des Chrétiens est reconnue. Tout homme de bon sens qui entend et qui voit se rend compte du manque d’union des Musulmans, de l’absence de trésor public indispensable à toute action, et de l’infériorité de leurs armes vis-à-vis de celles des Chrétiens ». Pas plus qu’il n’est du devoir des Musulmans en de telles circonstances de mener le jihâd, il ne leur est demandé de quitter le pays pour se réfugier dans une terre musulmane, d’émigrer en masse ou partiellement de leur territoire conquis par les Chrétiens, « tant à cause de leur pauvreté qu’à cause du manque d’endroits où ils trouveront la sécurité et les ressources nécessaires ».
18Le dernier argument invoqué par le Shaykh est plus spécieux puisqu’il interroge en fait directement sur la nature de l’ordre politique précolonial, dont il contient une critique explicite, pour justifier cette fois la colonisation :
« Non seulement ils (les Chrétiens) ne s’opposent pas à l’exercice de la religion, mais lui prêtent leur concours en faisant construire des mosquées, en nommant des qâdî et en donnant à toute chose une bonne organisation. Ils répriment le vol et le brigandage et maintiennent la paix entre les tribus insoumises de ce pays sans gouvernement et font beaucoup d’autres choses de ce genre. Il est certain qu’ils réussissent très bien en cela. Dieu – qu’il soit exalté ! – les a envoyés dans sa miséricorde pour les créatures et dans sa bonté ».
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19Cet appel à la collaboration avec les colonisateurs fut contresigné, à la demande de Coppolani, par Shaykh Sacd Bû5. Combattu par d’autres leaders religieux, dont le principal est Shaykh Mâ al-cAynîn, et par des tribus telles que les Idyaydyaba, qui avaient perpétué un courant de pensée, peut-être hérité de l’époque de Sharr bubba, revendiquant l’instauration temporelle de l’ordre politique de l’islam, il n’en eut pas moins une certaine efficacité aux premiers temps de la conquête. Les réactions à celle-ci et la résistance croissante avec son cortège de combats, de pillages et de misère, vont cependant entraîner une évolution de ces positions.
20Parmi les tribus zawâya soumises plus ou moins de bon gré, les pillages subis tant de la part des troupes coloniales qui réquisitionnent nourriture et moyens de transport, que de la part des dissidents qui tentent de justifier leurs attaques par les nécessités de la guerre sainte, entraînent de nombreuses réactions. En réponse aux zawâya de l’Adrar qui ont déclaré licites les pillages contre les tribus soumises aux Français, les Idawcalî de Tijigja, occupée en 1905, délivrent cette fatwa dont le ton, même s’il admet la soumission aux Infidèles, est bien différent de l’argumentaire de Shaykh Sîdiyya et met l’accent sur les caractère de nécessité de cette soumission :
« Au nom d’Allah, l’Unique, le Miséricordieux, etc. Notre attitude vis-à-vis des Français peut se résumer dans l’adage bien connu "une main que tu ne peux couper, embrasse la", nous accueillons avec le sourire des gens que nous haïssons de tout notre coeur.
Les habitants de Tijigja ont été envahis pendant la période de grandes chaleurs par une forte armée or, comme le dit Khalil, le compromis et le paiement de rançon sont recommandables et même obligatoires dans de telles conditions pour des Musulmans peu nombreux et désarmés.
D’autre part, le fait pour nous de cohabiter dans la même localité avec des Infidèles ne rend pas le pillage à nos dépens un acte licite, car le même Khalil dit que l’exode n’est pas obligatoire pour les gens faibles et qui ne savent pas où trouver refuge, etc.
Qu’ils sont étonnants les hommes du pays de l’anarchie où les Infidèles laissent les Musulmans pratiquer leur culte sans toucher à leurs biens si ce n’est par achat ou par faibles prises pendant qu’au même moment ceux qui se prétendent les combattants du jihâd s’autorisent à les piller.
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Malheur à ceux [les marabouts de l’Adrar] qui ont rendu des fatwa autorisant le pillage du bien des Musulmans »6.
21On le voit, le problème ainsi soulevé n’est plus de savoir si le jihâd est licite, les Idawcalî ne contestent pas que la lutte contre l’Infidèle est une obligation, même s’ils ajoutent que le colonisateur, en définitive, respecte les choses de la religion ; ils estiment par contre qu’elle n’est pas possible et que la soumission est une question de rapport de force. C’est ce rapport de force que d’autres leaders religieux vont tenter de modifier, en faisant appel au Commandeur des Croyants. Le rôle principal est sur ce point exercé par Shaykh Mâ al-cAynîn.

Le rôle de Shaykh Mâ al-cAynîn

22Ce n’est pas un hasard si Shaykh Mâ al-cAynîn joue le rôle d’intermédiaire entre les tribus sahariennes dissidentes et le Roi du Maroc. Il entretient les meilleures relations avec Mawlay cAbd al-Azîz (1894-1908) qui l’a accueilli à Marrakesh avec tous les honneurs en 1896 et qui lui a permis de développer les enseignements de sa voie confrérique dans les villes du sud du Maroc. Il est soutenu en particulier par le grand Vizir, Ahmed ibn Mûsa qui serait personnellement affilié à la fadhîliyya. Le Roi comptait s’appuyer sur le Shaykh pour asseoir son autorité dans le sud, en profitant du déclin du rôle des Tekna, ainsi que pour y arrêter la poussée européenne. Il l’investit des fonctions de qâyd et lui reconnaît une influence privilégiée dans le sud-marocain et au Sahara. La construction de Smâra dans les dernières années du XIXe siècle souligne cette influence croissante du Shaykh.
23Les intérêts de Shaykh Mâ al-cAynîn sont ainsi étroitement liés à la préservation de l’autonomie marocaine vis-à-vis des puissances coloniales, au point d’ailleurs que lorsque les Rois, pressés par la nécessité, signeront des accords léonins avec la France, il prendra la tête de la résistance contre ceux-ci. Mawlay cAbd al-cAziz ayant renoncé à ses engagements en faveur de l’indépendance du royaume fut chassé par son frère Mawlay al-Hafîdh en 1908. Presque immédiatement celui-ci reprenait la même politique et signait avec la France les accords d’Algésiras. Shaykh Mâ al-cAynîn, à la tête d’une armée recrutée parmi les tribus du sud-marocain et du Sahara marcha alors sur Fès mais il est arrêté par les troupes françaises à Tiznit où il meurt en 1910. Son fils al-Hiba reprendra la même politique. Il réussira à occuper Marrakesh en 1912 et à se proclamer Roi, avant d’être chassé à son tour par les troupes françaises.
24En 1905, face à l’occupation française du sud du Sahara, à l’exception de l’Adrar, à laquelle il s’est opposé dés le début, en gardant cependant une certaine prudence, Shaykh Mâ al-cAynîn renforce la coopération avec le Roi du Maroc. Celui-ci envoie quelques troupes à Smâra, sous le commandement de l’un de ses cousins Mawlay Idrîs ibn cAbd ar-Rahmân, pour l’appuyer militairement. Le Roi en profite pour renforcer ses positions dans le sud en conférant le titre de qâyd à 14 chefs de tribus sahariennes (Abitbol, 1986). Des armes sont aussi envoyées pour renforcer la résistance en Mauritanie.
25Le rôle de Shaykh Mâ al-cAynîn dans l’organisation du jihâd contre la colonisation française s’explique aussi par d’autres raisons. La dimension « pan-confrérique » de la voie fadhîliyya avec laquelle s’identifie le Shaykh à cette époque lui conférait une sorte de vision pan-islamiste particulièrement à même de transcender les divisions locales de la umma.
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26Les fonctions d’arbitrage dans lesquelles excelle le Shaykh durant ces premières années du XIXe siècle vont aussi dans ce sens. Il est en particulier intervenu dans le déroulement du long conflit qui oppose les Rgaybât et les Awlâd Bûsbac avec plus ou moins de bonheur en fait7. Il a obtenu la fin du conflit entre les Rgaybât et les Awlâd Qaylân et à cette occasion, quelques temps avant, il a négocié, fin 1904, le retour en Adrar de son élève et disciple, Sîd-Ahmed uld Ahmed, en tant qu’émir du pays. Sîd’Ahmed, encore très jeune, resta très attaché au Shaykh qui a détaché auprès de lui l’un de ses fils Shaykh Hasâna, qui va contribuer à l’organisation de la résistance.
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27La mort de Coppolani et la situation relativement difficile dans laquelle se trouvent les troupes coloniales en 1905 encouragent Shaykh Mâ al-cAynîn à intervenir plus activement dans la résistance à la colonisation8. Il lance un appel au jihâd qu’il adresse à deux des principales personnalités religieuses du sud : Shaykh Sîdiyya Bâba, atout majeur des Français au Sahara, et le chef des Kunta Muhammed al-Mukhtâr, lui aussi rallié à Coppolani et qui vient de réoccuper avec les siens les oasis du Tagant dont il avait été expulsé à la suite de guerres malheureuses. Il ne prend pas cependant lui-même la direction de la jihâd mais en investit Mawlay Idrîs, le cousin du Roi qui vient de le rejoindre et qui se dirige vers l’Adrar.

L’entreprise de Mawlay Idrîs

28Mawlay Idrîs rejoint en Adrar la plupart des chefs de la dissidence et y trouve des centaines de guerriers prêts à marcher contre l’envahisseur français. Les mois qui suivent, jusqu’au siège de Tijigja (novembre 1906), représentent un épisode original de la résistance à la colonisation car, au delà et peut-être même à cause de son échec, elle marque profondément la résistance à venir.
29Le regroupement des dissidents en Adrar s’effectue à partir du début de l’année 1906. On trouve progressivement réunis, dans une région qui supporte difficilement cet excédent de population guerrière, volontiers pillarde, les dissidents du Trarza avec l’émir Sîdi uld Muhammed Fâl et ceux du Brâkna, dirigés par l’émir Ahmadu, une partie des Idawcish sous l’autorité de deux des fils de l’émir Bakkar, cUthmân et Muhammed Mahmûd, la majorité des Awlâd Bûsbac qui mènent la lutte contre les Français depuis 1904, des éléments rgaybât qui sont attirés par le manque de pâturages au nord, etc. Ils s’ajoutent aux guerriers de l’Adrar qui se sont regroupés, les Awlâd Qaylân en particulier, autour de l’émir Sîd’Ahmed.
30La date d’arrivée de Mawlay Idrîs en Adrar reste relativement imprécise. Sa présence est attestée en juin 1906 mais il semble qu’il ait pu arriver des semaines voire des mois avant. Il est accompagné de quelques hommes, peu nombreux, mais dispose par contre d’armes et de munitions qu’il distribue aux dissidents. Il tente aussi d’organiser ceux-ci en levant un impôt destiné à alimenter le bayt al-mâl et à financer les opérations militaires. Le bilan de son action apparaît vite assez mitigé.
31Bien qu’il soit un disciple de Shaykh Mâ al-cAynîn et sous l’influence directe du fils de celui-ci, Shaykh Hasâna, qui séjourne longuement auprès de lui, l’émir de l’Adrar, Sîd’Ahmed, est peu soucieux de conforter l’influence qu’exerce Mawlay Idrîs sur les dissidents en général et sur la population de l’Adrar en particulier. L’afflux de guerriers dissidents extérieurs, souvent avec leurs campements, entraîne aussi une forte pression sur les ressources locales et est source de multiples incidents, dont les guerriers de l’Adrar sont souvent l’origine. L’ensemble de la région connaît de mauvaises conditions alimentaires et sanitaires qui aggravent les tensions.
32D’un autre côté cependant, l’unification de la résistance contre l’occupation coloniale a un fort impact sur les tribus de l’ensemble de la Mauritanie. A la fin du mois d’août 1906, malgré les réticences de l’émir Sîd’Ahmed, un accord est conclu autour de Mawlay Idrîs, coordonnant les efforts de l’ensemble des dissidents installés en Adrar. Cette unification de la résistance va dépasser rapidement les frontières de l’Adrar et va concerner aussi nombre de tribus plus ou moins soumises aux Français.
33Les succès de cette unification de la résistance sont dus pour une part importante à la propagande intense que déploie Shaykh Mâ al-cAynîn en cherchant à lui donner une légitimité religieuse incontestable. Il adresse à cette fin une série de lettres aux principaux responsables religieux sahariens. L’un des premiers destinataires est Shaykh Sîdiyya dont il ne désespère pas qu’il puisse renoncer à soutenir la cause des Français. La lettre suivante a été adressée à Shaykh Sîdiyya par Shaykh Muhammed al-Amiad, des Awlâd Abyayri, habitant Smâra et gendre de Shaykh Mâ al-cAynîn, dans le courant de 1906 :
« La lettre a pour but de vous faire savoir ce que tous les musulmans ont décidé au sujet des chrétiens : c’est à dire que tous les marabouts et tous les guerriers depuis le Hawd jusqu’à la mer ont envoyé des délégués auprès de Shaykh Mâ al-cAynîn. Voici les délégués qui étaient représentées : les Ahl Sîdi Mahmûd étaient représentés par le fils de Banay ; les Aghlâl par leur chef uld Ghawb qui représentait en même temps le chef des Mashdûf uld M’haymid ; les Idaybussât et des Massûma, et uld Lakhib, chef des Awlâd an-Nâsir ; les Tajâkanat uld Ahmed Zaydân et uld Maybu. ; les Idawcish avec Ahmed Mahmûd uld Bakkar et uld Assas ; les Ahl Shaykh al-Khadi par Sîdi al-Mukhtâr uld Sîdi. Uld cAydda, uld Dayd ; les Idawcalî et enfin les Smâsîd.
Toutes ces tribus sont d’accord de faire la guerre sainte aux chrétiens et les délégués venus voir Shaykh Mâ al-cAynîn sont partis avec un neveu du Roi appelé Mawlay Idrîs. Ils ont avec eux de bons fusils.
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Dans quelque temps le Shaykh Mâ al-cAynîn ou un de ses fils se rendra auprès du Roi pour obtenir de lui des armes et les vivres nécessaires aux troupes et aussi pour renouveler ce qui lui a été dit l’année dernière, c’est à dire que les musulmans se plaignaient des chrétiens... Tu n’ignores pas que le Roi a comme ami depuis l’année dernière les Allemands qui sont très puissants. Avant cette nation il avait les Anglais qui étaient les amis de son père »9
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34On notera que la lettre fait moins appel à des sentiments religieux qu’au bon sens de Shaykh Sîdiyya pour apprécier les nouveaux rapports de force qui s’instaurent : les tribus sahariennes sont en train de s’unir contre les Français, elles sont soutenues par le Roi du Maroc, et celui-ci peut bénéficier de l’appui des Allemands, voire des Anglais. Cependant le contexte de la guerre sainte, du jihâd, est clairement évoqué. L’argumentaire est développé pour souligner à Shaykh Sîdiyya que les raisons qu’il a pu invoquer – l’anarchie du pays, un rapport de force défavorable – sont en train d’évoluer et que rien ne l’empêche de rejoindre dans ces conditions les forces musulmanes regroupées contre les Infidèles. Malgré d’autres tentatives du même ordre Shaykh Sîdiyya s’en tiendra à sa position favorable aux Français. Cette position restera cependant l’exception10.
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35Au Tagant, le succès de l’action de Shaykh Mâ al-cAynîn sera par contre incontestable (Ould Khalifa, 1991). Il repose sur l’activité de l’un de ses disciples et homme de confiance, originaire des Idawcalî de Tijigja, Muhammed al-imâm uld Zayn qui se rend au Tagant début 1906 pour exhorter l’ensemble des tribus à se soulever contre les Français et à s’unir autour de Mawlay Idrîs, muni d’une série de lettres du Shaykh destinées aux principaux responsables zawâya et hassân. Son action sera particulièrement efficace auprès de Muhammed al-Mukhtâr uld Hamûd, le vieil « ami » de Coppolani qui a permis son retour avec les siens à Rashîd11, auquel il promet, comme l’avait déjà fait Coppolani, le titre de « chef du Tagant ».
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36Muhammed al-imâm gagne à la cause de la résistance son frère Sîdi uld Zayn, qui a été un partenaire privilégié des Français au moment de leur installation à Tijigja et qui a joué le rôle d’intermédiaire auprès des Idawcalî. Il a été cependant soupçonné de complicité après la mort de Coppolani12 et a vu son influence remplacée auprès des autorités coloniales par celle d’cAbdî uld M’Bârik, ancien intendant des biens de l’émir Bakkar. Autour de ces deux leaders se constituent deux factions au sein du qsâr de Tijigja, l’une, la plus nombreuse, anti-française, l’autre favorable à une entente avec les autorités coloniales. A partir de mars 1906, les troubles se multiplient à Tijigja même, où la garnison française se trouve de plus en plus coupée de la population. Ces troubles s’accentuent avec l’arrivée dans l’Adrar de Mawlay Idrîs que rejoint aussitôt Muhammed al-imâm uld Zayn qui, preuve s’il en était de l’hostilité de ces populations, a pu mener durant des mois ses activités de résistance dans le qsâr. L’aggravation des troubles en avril entraîne l’arrestation et l’emprisonnement de son frère Sîdi uld Zayn. En mai 1906, la plupart des notables de la ville s’en éloignent, accentuant l’isolement des Français (Abdallahi ould Khalifa, 1991).
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37Une pression particulière s’était exercée sur le chef des Kunta de Rashîd, Muhammed al-Mukhtâr uld Hamûd, qui avait reçu dès octobre 1905 deux lettres de Shaykh Mâ al-cAynîn contresignées par le Roi du Maroc annonçant l’arrivée d’un envoyé de celui-ci. Il semble s’être rallié très vite à la dissidence, tout en conservant des relations en apparence amicales avec les autorités françaises de Tijigja, et il interviendra aussi personnellement auprès de Shaykh Sîdiyya pour l’attirer dans le camp de la résistance13. Cette lettre est datée d’après l’arrivée de Mawlay Idrîs en Adrar, alors que Muhammed al-Mukhtâr est en conflit de plus en plus ouvert avec l’administration française qui ne soupçonne pas cependant la radicalité de son retournement.
38Après avoir annoncé à Shaykh Sîdiyya le rassemblement des dissidents autour de Mawlay Idrîs et l’intention de celui-ci de marcher sur le Tagant, Muhammed al-Mukhtâr souligne que Mawlay Idrîs a « l’intention de faire des fortifications soit à Qsâr al-barka, soit à al-Hnûk, soit à Moudjéria, mais le choix du Sharif ne s’est encore porté sur aucun point. Cette fortification a pour but de détruire celle que les Français ont faites ou auront à faire ». Muhammed al-Mukhtâr énumère ensuite toutes les tribus qui sont mobilisées et il ajoute :
« Tout ce monde a prêté serment au Sharif et se met à son entière disposition, en s’abritant sous l’ombre de son étendard et en consentant même d’être sous ses souliers.
Maintenant occupe-toi sérieusement de ton affaire et prépare-toi en t’adressant à Dieu qui seul pourra te délivrer. Tu agiras en montrant beaucoup de familiarité et d’affection pour cacher ton stratagème et ton arrière-pensée.
Dans toutes mes affaires je ne compte sur aucun autre appui que sur le tien, toute autre personne que toi ne pèse pour moi que l’aile d’un moustique et ne peut être d’une utilité égale à la tienne.
La seule chose qui m’avait déterminé à faire ma soumission aux Français était l’espoir de t’avoir un jour ou l’autre pour que nous examinions la situation ensemble et arrangions nos affaires. Tu es mon frère et nous devons marcher ensemble, Dieu assiste toujours les frères quand ils veulent s’aider entre eux... Je te préviens que j’ai prêté serment au Magnanime, à l’illustre Sharif. Puisse, par nos efforts nous deux et par ton concours, Dieu faire triompher l’islam. Soit d’une résolution ferme et agis avec prudence pour ta délivrance.
Il faut que tu te dépêches et que tu prennes vite tes résolutions car le drapeau des infidèles s’est élevé au dessus de celui des musulmans de sorte que le sort se montre en faveur des méchants et que la religion fondée par les meilleures créatures n’est point saluée par personne.
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Dans tous les cas ne publie rien et soit discret jusqu’à ce que l’occasion à saisir se présente »14.
39Muhammed al-Mukhtâr appliquera les principes qu’il conseille à Shaykh Sîdiyya de suivre en se retournant contre les Français à la première occasion qui se présente. Après qu’un accord ait été signé entre les dissidents de l’Adrar fin août 1906, et alors que ceux-ci se préparent à marcher sur le Tagant, les ralliements de tribus au Sharif se multiplient, ainsi que nous l’avons vu dans la première lettre citée. Il s’agit de la plupart des tribus du Tagant, de la Rgâyba et même du Hawd : les Idawcish, Ahl Sîdi Mahmûd, Aghlâl, Idaybussât, Mashdûf, Tinwajiw, Awlâd an-Nâsir, Tajâkanat, Massûma, etc. Certains hommes de ces tribus, en petit nombre, rejoignent les dissidents. Le plus grand nombre se regroupe non loin de Tijigja en attendant l’issue des combats.
40Mawlay Idrîs après avoir rassemblé les troupes à Shingîti, où il se constitue une garde personnelle de 200 fusils, se met en marche vers le Tagant, suivi par la plupart des dissidents sauf les guerriers de l’Adrar et l’émir Sîd’Ahmed qui ne rejoindront que plus tardivement le gros de la troupe. Fin septembre, les forces de Mawlay Idrîs séjournent à l’entrée du Khatt, la dépression qui sépare l’Adrar du Tagant et elles entrent dans cette dernière région le 11 octobre, le Sharif s’installant près d’Asharîm où il reçoit l’allégeance directe de Muhammed al-Mukhtâr uld Hamûd et de nombreuses tribus. Il envoie une lettre aux autorités françaises de Tijigja, les sommant d’évacuer cette ville et l’ensemble du pays.
41Dès lors la garnison française de Tijigja se trouve totalement isolée dans un pays hostile ; elle est en outre mal informée de l’évolution de la situation. Apprenant que les forces de Mawlay Idrîs font mouvement vers Tijigja et sont installées à proximité de Nyemlân, à quelques dizaines de kilomètres du qsâr, les autorités coloniales locales envoient un détachement de tirailleurs menés par les lieutenants Andrieux et de Franssu pour surprendre et attaquer le campement du Sharif. En fait, égarés par les guides, ils sont eux-mêmes surpris par plusieurs centaines de guerriers et subissent de très lourdes pertes le 24 octobre 1906 : les lieutenants Andrieux et de Franssu sont tués ainsi que deux sous-officiers européens et 15 tirailleurs. On compte en outre 25 blessés et les survivants ne rallient Tijigja qu’avec difficulté. Au cours du combat, les auxiliaires kunta de Muhammed al-Mukhtâr ont retourné leurs armes contre le détachement français contribuant à sa destruction.
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42Même si les pertes du côté des résistants ont été très lourdes, près de 100 morts15, cette affaire eut un grand retentissement dans tout le pays et amène nombre de tribus encore dans l’expectative à se rallier au Sharif. Celui-ci décide de marcher sur Tijigja, investie le 6 novembre et qui restera assiégée jusqu’à la fin du ce mois.
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43Un certain affolement règne du côté français16, en partie justifié par le nombre des assaillants : on a pu compter jusqu’à 2000 guerriers rassemblés autour de Mawlay Idrîs, dont 400 armés de fusils à tir rapide. Cependant le poste de Tijigja reste bien armé et surtout les forces de Mawlay Idrîs auront beaucoup de mal à coordonner leurs efforts au delà des distinctions tribales. Le 6 novembre une première attaque est tentée et repoussée. Une seconde attaque, le 11 novembre, entraîne de lourdes pertes du côté des assaillants (68 tués et 76 blessés). Il n’y a plus dès lors qu’une série d’escarmouches et les forces rassemblées par Mawlay Idrîs se désagrègent peu à peu. On peut noter en particulier que l’émir Sîd’Ahmed de l’Adrar, qui a rejoint le gros des forces du Sharif après l’investissement de Tijigja avec 300 guerriers, abandonne le siège dès le 23 novembre, estimant que la stratégie d’attaque frontale contre un poste français était erronée. Le 26 novembre, Muhammed al-Mukhtâr uld Hamûd se replie à son tour vers Rashîd où le rejoignent bientôt Mawlay Idrîs et une partie des Idawcish et des guerriers de l’Adrar soit environ un millier de guerriers. Les autres forces sont déjà dispersées quand la colonne de secours dirigée par le lieutenant-colonel Michard débloque le poste le 1er décembre 1906.
44La volonté d’unification des forces de la résistance ne survit donc pas très longtemps aux divergences tribales et politiques auxquelles s’ajoutent des conflits quant à la stratégie à suivre. Mawlay Idrîs, peut-être pour laisser la porte ouverte aux négociations et asseoir son autorité, et celle du Roi, sur ces régions sahariennes, semble avoir voulu surtout opérer une démonstration de force en s’emparant d’un poste français hautement symbolique puisqu’il porte le nom de Fort-Coppolani. Certains chefs de tribu sont restés sur leur réserve, en particulier ceux de la Rgâyba et du Hawd qui ne se sentent pas encore directement visés par l’occupation coloniale; après les premières pertes subies, très lourdes, ils ont préféré attendre l’issue du combat. D’autres encore, plus conscients peut être des difficultés du combat, ne veulent pas attaquer directement les Français mais les isoler en coupant les lignes de ravitaillement : c’est le cas de l’émir Sîd’Ahmed. Les Idawcish pour leur part auraient souhaité attaquer la colonne de secours Michard pour faire tomber ensuite la garnison du poste de Fort-Coppolani. Un incident significatif va accélérer la désagrégation des forces qui ont attaqué le Tagant.
45Un notable des Idaybussât, Muhammed cAbdallahi uld Zaydân uld Qâli, avait rallié Mawlay Idrîs avec 400 chameaux qui représentaient la contribution de la tribu à l’effort de jihâd. Il en donna 60 à Mawlay Idrîs et 30 seulement aux Ahl Mâ al-cAynîn, en l’occurrence Shaykh Hasâna et Shaykh at-Tâlib al-Khyâr qui accompagnaient le Sharif. Ceux-ci s’estimèrent lésés et décidèrent de se replier vers l’Adrar en compagnie de l’émir Sîd’Ahmed. Ce fut le signal d’une dislocation générale et d’un repli massif vers le nord et en partie vers l’est (Mamadou Ba, 1932).

L’échec de Mawlay Idrîs et la persistance des troubles

46En dehors de toutes considérations stratégiques – la suite des événements militaires montrera que la stratégie de l’émir Sîd’Ahmed était en fait la mieux adaptée à la résistance – l’échec de la tentative d’unification de la résistance sous Mawlay Idrîs pourrait tenir principalement à l’ambiguïté du projet qui s’est développé autour de lui.
47La légitimité religieuse du jihâd repose essentiellement sur l’autorité de Shaykh Ma al-cAynîn, sur les relations qu’il établit avec d’autres leaders religieux et, naturellement, sur une volonté, largement partagée dans la population, de résistance à l’occupation coloniale. L’appel à un représentant du Roi du Maroc s’inscrit plus dans les stratégies marocaines du Shaykh qu’elle ne correspond à une référence politique des tribus sahariennes à l’autorité du Roi. Certes la légitimation sharifienne du « Commandeur des Croyants » n’est pas sans importance dans la tentative d’unification du mouvement. Mais elle s’effectue sous le contrôle strict des Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn; deux des fils du Shaykh accompagnent Mawlay Idrîs et ils n’hésiteront pas à s’opposer à lui comme en témoigne l’épisode précédemment rapporté des chameaux des Idaybussât.
48L’engagement du Roi du Maroc dans l’affaire apparaît relativement limité. Il mène avec les puissances européennes de difficiles négociations dont l’autonomie du royaume va sortir diminuée. S’il s’appuie sur des leaders locaux dont Shaykh Mâ al-cAynîn, influent parmi les turbulentes et puissantes tribus du sud-marocain et du Sahara, est l’incarnation, il ne le fait que pour renforcer son autorité dans ces négociations extérieures. Deux ans plus tard, le conflit éclatera entre le Roi cAbd al-cAziz et Shaykh Mâ al-cAynîn et il se poursuivra des années durant, amenant les Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn à revendiquer pour eux-mêmes le trône marocain.
49Le Roi se garde bien de s’engager de manière irréversible. Il envoie un lointain « cousin » qui partage ses origines sharifiennes. Il fournit certes des armes et des munitions qui, redistribuées en partie par Shaykh Mâ al-cAynîn, serviront à asseoir l’influence de celui-ci, mais il n’envoie pas de troupes. Le projet même de Mawlay Idrîs, qui devait être muni d’instructions relativement précise et n’était pas, comme le présentent volontiers les autorités coloniales, un aventurier, n’est pas sans ambiguïté. Il semble être surtout attaché à une démonstration de force qui, simultanément, établirait une certaine influence du Roi sur ces terres lointaines, et permettrait de disposer de nouveaux atouts dans les négociations avec les Français. Aux lendemains de la désagrégation des forces du Sharif au Tagant, l’administration coloniale est plus ou moins consciente de cet état de fait comme en témoigne cet extrait du rapport politique de la Mauritanie du 1er trimestre 1907 :
« Une lettre reçue récemment du Tagant et émanant de Sidi ould Zein, notable Edouali, ancien chef des Tamiellah de Tidjikja, nous donne des renseignements sur la situation à la fin du trimestre des principaux chefs dissidents et sur le Cheriff Moulaye Idriss.
Ce dernier, installé à Reghnia, près de Ouaddan, avait invité les tribus pillardes à restituer aux populations maraboutiques les biens qu’elles leur avaient volés. Si ces ordres n’étaient pas rigoureusement exécutés, le cheriff devait rentrer au Maroc et ses partisans reviendraient au Tagant, sauf cependant Mohamed el Moktar ould el Hamed, chef des Kounta, et les deux chefs Edouaïch, Ousman et Moktar qui, toujours irréductibles, demeurent décidés à ne plus s’installer dans le pays. Mais au cas où il serait obéi, Moulaye Idriss devait se rendre dans le Hawd pour recevoir au nom du Roi du Maroc, la soumission des tribus de ce pays.
Moulaye Idriss aurait reçu une lettre d’Abdel Aziz lui prescrivant : "de ne pas dépasser l’Adrar et de ne rien faire contre les Français tant que ceux-ci n’iront pas l’attaquer dans ce pays. Les troupes et les armes qui étaient attendus du nord ne sont pas arrivées; on n’a reçu dans l’Adrar que 7 fusils, mais il paraît que Ma el Aïnin en a reçu un grand nombre".
Les instructions du Roi du Maroc, la nouvelle attitude du shérif qui semblait vouloir se concilier l’amitié des marabouts en leur faisant restituer leurs biens pillés par les guerriers, sa persistance à demeurer à Ouaddan cachaient sans doute des projets.
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Le succès des négociations entamées avec le gouvernement chérifien a eu pour conséquence le rappel de cet agitateur »17
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50Il est pour le moins contradictoire de traiter Mawlay Idrîs d’« agitateur » alors que l’on montre que sa politique est déterminée par celle du Roi du Maroc et est liée aux négociations que mène celui-ci avec les Français. Les archives coloniales associent d’ailleurs très clairement ces événements avec l’évolution de la situation au Maroc et avec la rivalité franco-allemande. Les Allemands sont souvent accusés d’avoir introduit nombre des armes qui parviennent au Sahara par l’intermédiaire de Shaykh Mâ al-cAynîn18. Quoi qu’il en soit, il est clair que les intérêts convergents des Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn et ceux des Roi du Maroc à propos de la jihâd au Sahara occidental étaient en 1905 largement conjoncturels et qu’ils pouvaient tout aussi rapidement diverger au Sahara en 1907 comme ils divergeront au Maroc même peu après.
51Malgré les tentatives de Mawlay Idrîs pour redresser la situation au début de l’année 1907, il est très vite abandonné de tous les dissidents qui ne reconnaissent plus son autorité et sa légitimité et par les Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn en particulier qui vont dorénavant jouer un jeu plus personnel au Sahara comme au Maroc. Démuni, ayant dû vendre tous ses biens pour essayer d’alimenter sa cause, Mawlay Idrîs doit se résoudre à rentrer au Maroc en août 1907. On dit qu’il ne disposait plus même de chameaux pour le voyage de retour et que les animaux pour ce voyage lui furent fournis par Shaykh at-Tâlib al-Khyar uld Shaykh Mâ al-cAynîn lui-même.
52Nous avons vu que les dernières tentatives de Mawlay Idrîs pour ressaisir quelques autorités sur les tribus sahariennes au nom du Roi du Maroc ont consisté en son intervention auprès des guerriers rassemblés dans l’Adrar pour qu’ils restituent les biens pillés aux marabouts. Nous avons vu aussi que c’était là un des points sur lesquels s’était discuté la légitimité du jihâd. Le problème, après l’échec de l’expédition sur Tijigja, a pris une grande ampleur. Les dissensions se multiplient entre les divers groupes dissidents rassemblés au nord malgré une visite commune des principaux chefs de la dissidence, l’émir de l’Adrar, Sîd’Ahmed, Ahmadu, émir du Brâkna, Sîdi uld Muhammed Fâl, émir du Trarza, les chefs des Shratît et des Abakâk, des représentants des Ahl Sîdi Mahmûd, auprès de Shaykh Mâ al-cAynîn pour réorganiser la lutte contre les Français en juillet 1907.
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53La tension est particulièrement vive entre les guerriers de l’Adrar et ceux du Tagant, qui se sont longuement affrontés une quinzaine d’années auparavant. Les Awlâd Qaylân Awlâd Silla tuent Muhammed uld al-Mukhtâr uld Swayd Ahmed, l’un des notables des Idawcish. De nombreux ghazw sont lancés sur les campements idawcish dissidents qui cherchent à regagner le Tagant. Les Awlâd Busbac et les Rgaybât pillent tous les campements qui se présentent. La situation, aggravée encore par une dure sécheresse et une épidémie de variole, est telle que les commerçants de Shingîti prennent contact avec les autorités françaises pour qu’elles contribuent à mettre fin aux exactions qu’ils subissent. De nombreuses tribus réfugiées dans l’Adrar quittent à partir d’août 1907 cette région pour partir vers les Hawd ou vers le nord. Un mouvement de soumission semble s’amorcer en septembre 1907 qui concerne même une partie des Awlâd Qaylân dont une cinquantaine de tentes se réfugient au Tagant. Il en est de même des grands nomades, des Rgaybât en particulier19 qui à l’instigation de Shaykh Sîdiyya, envoient alors une délégation à Saint-Louis pour négocier leur ralliement aux Français, en l’occurrence le lieutenant-colonel Gouraud qui vient de prendre le commandement en Mauritanie. Un traité signé le 30 novembre 1907 leur accorde l’aman, la paix, et la libre circulation de leurs troupeaux et caravanes contre versement d’un droit de passage en territoire soumis aux Français. Il ne s’agit pas d’une soumission mais cette situation de paix entre les Rgaybât et les Français se poursuivra, au prix de quelques incidents locaux, jusqu’en 1912.
54L’un des buts du ralliement des Rgaybât à la fin de 1907 est de rétablir les mouvements caravaniers avec Saint-Louis; C’est cette même exigence qui amène en décembre 1907 une délégation des Idawcalî et des Aghlâl de Shingîti, soutenue par les Tekna de ce qsâr, à signer une convention avec les autorités françaises.
55Le découragement, ou l’attitude prudente, d’un certain nombre de tribus de l’Adrar et du nord du Sahara à l’égard des Français, est en partie lié aux difficultés rencontrées par les chefs sahariens qui ont envoyé une nouvelle surba auprès de Shaykh Mâ al-cAynîn pour négocier l’octroi d’armes et de troupes.
56Tout comme la précédente surba envoyée auprès de Shaykh Mâ al-cAynîn, et qui s’était traduite par l’expression de violents incidents anti-français à Casablanca et Oujda lorsque cette délégation, menée par le Shaykh, s’était rendue près du Roi du Maroc, en 1906, la délégation qui se va à Smâra en juillet 1907, menée par les chefs que nous avons précédemment citée, se rend auprès du Roi. La situation n’est cependant guère favorable car celui-ci a été obligé de traiter avec les Français et ne se montre guère décidé à relancer les hostilités au Sahara et à fournir armes et hommes. Malgré de nombreuses rumeurs qui courent à travers le Sahara occidental durant ces mois, les résultats resteront en définitive assez limités et contribueront à alimenter l’hostilité à l’égard du Roi lui-même au Maroc, où il va être bientôt détrôné pour avoir traité avec les Français.
57La propagande française alimente ces informations :
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« Pour rassurer les tribus alarmées par ces bruits, une circulaire en langue arabe était préparée pour être répandue dans les campements. Elle devait faire connaître à tous que Mawlay Idrîs et Shaykh Mâ al-cAynîn avaient été officiellement désavoués par le Roi, qui leur enjoignait de cesser les hostilités contre nous, en même temps qu’elle indiquait les réparations accordées à la France par le gouvernement sharifien à la suite du meurtre du docteur Mauchamp à Marrakech »20.
58Il ne s’agit pas simplement de propagande. L’échec de la surba auprès du Roi du Maroc est patent aux yeux des Maures eux-mêmes. Muhammed al-Mukhtâr uld Hamûd, devenu l’un des plus farouches opposants à la conquête coloniale, n’a pu se joindre à elle. Il se rend peu après à Smâra auprès de Shaykh Mâ al-cAynîn pour solliciter des secours en armes et en hommes. Econduit, il tentera d’obtenir des soutiens auprès des Tekna, alliés anciens des Kunta, toujours en vain. Il se rend alors à son tour, toujours sans succès, auprès du Roi à Fès pour se plaindre auprès de lui de Mawlay Idrîs et de Shaykh Mâ al-cAynîn.

A la recherche d’une nouvelle politique coloniale

59Malgré ces échecs, la situation française au Sahara occidental au cours de cette année 1907 évolue assez peu et les garnisons restent enfermées la plupart du temps, faute de moyens d’intervention mobile, dans les postes, laissant un large champ libre aux attaques des dissidents qui sont encore nombreux et déterminés malgré les difficultés à coordonner leurs efforts. Ils en reviennent essentiellement à une pratique de ghazw, qui correspond aussi aux nécessités imposées par la situation alimentaire au nord, déferlant sur les régions et tribus soumises sans rencontrer de forte résistance.
60Le rapport sur la situation politique de la Mauritanie pour le 4ème trimestre 1907, rédigé par Ponty (1er avril 1908), souligne que si le pays n’est pas secoué en cette fin de 1907 par des événements graves et malgré le développement de la mobilité des troupes françaises, la conquête territoriale est loin d’être achevée. Le quadrillage des postes a montré ses limites qui apparaîtront plus particulièrement lors de l’évacuation en 1908 du poste d’Akjoujt. Les soumissions sont contraintes et peu assurées. Les ghazw en provenance du nord, de l’Adrar en particulier, menacent constamment les intérêts français et les tribus ralliées. Après quelques mois d’accalmie à la fin de 1907, marqués de succès relatifs (ralliement des Rgaybât, échec de la surba au Maroc, etc.) les troubles vont prendre une nouvelle ampleur en 1908, amenant les autorités coloniales à entreprendre l’occupation de l’Adrar. Ces troubles marquent une nouvelle stratégie des dissidents, celle que défendait l’émir Sîd’Ahmed l’année précédente, fondée sur l’avantage de la mobilité et sur la recherche de la désorganisation des lignes de ravitaillement et de communication du colonisateur.
61Le répit obtenu par les autorités coloniales françaises après l’échec de l’entreprise de Mawlay Idrîs est ainsi employé d’abord à renforcer la présence militaire. Deux types de mesures sont pris.
62La création en novembre 1906, au moment où une lourde colonne de secours dégageait Tijigja, de trois compagnies méharistes marque la première tentative des troupes coloniales de créer des unités montées ayant la même mobilité que celle dont disposaient les guerriers sahariens. Il y avait certes eu auparavant plusieurs expériences d’utilisation d’auxiliaires maures (partisans), en particulier avec Frérejean, mais elles ne reposaient pas sur l’organisation militaire moderne dont disposeront ces unités méharistes, ancêtres des pelotons méharistes et des « groupes nomades » (GN).
63D’autre part le réseau de postes surveillant les territoires conquis est renforcé. La création du poste de Kiffa, au milieu des zones de parcours des Ahl Sîdi Mahmûd, permet de surveiller les frontières orientales du Tagant et établit une liaison avec les positions françaises du Soudan. Celle du poste d’Akjoujt, à 150 kilomètres d’Atâr, séparé du Trarza par une distance à peu près égale sans eau, représente par contre un pari hasardeux. Destiné à surveiller les frontières nord du Trarza et à servir de base pour l’occupation de l’Adrar, il va en fait représenter un maillon faible du dispositif français en 1908.
64De manière générale, le nombre des troupes régulières implantées en Mauritanie ne cesse d’augmenter, soulignant les difficultés militaires de la conquête.
65Sur le plan politique pourtant le projet politique de pénétration « pacifique » et de ralliement des tribus à la souveraineté française n’est pas réellement abandonné ainsi qu’en témoignent les instructions données au nouveau Commissaire du Gouvernement général en Mauritanie, le lieutenant-colonel Gouraud, qui prend alors ses fonctions, par le Gouverneur William Ponty le 31 octobre 1907. Nous les citerons longuement car elles traduisent encore certaines illusions et méconnaissances des réalités sociales maures, en continuité avec les analyses de Coppolani, mais marquant aussi les évolutions en cours de celles-ci.
« Je crois utile, en vous rappelant les directions données en 1905 par le Gouverneur général Roume, de vous indiquer les caractères primordiaux de la politique qui a été constamment suivie en Mauritanie.
La politique intérieure qui retiendra principalement votre attention est remarquablement adaptée à la forme sociale du pays, aux moeurs et à la mentalité des populations qui l’habitent. Guerrières ou maraboutiques, les tribus maures vivent de la même vie nomade et ont toujours manifesté une égale horreur pour la vie sédentaire des agriculteurs ou des commerçants envers lesquels elles manifestent le plus profond dédain. Cette vie errante et contemplative a déterminé les caractères généraux de leur mentalité, caractères plus accusés chez les guerriers que chez les marabouts, dont le zèle religieux sait souvent s’allier avec une conception très nette des intérêts purement matériels. Ennemi du travail, le Maure cherche volontiers les ressources nécessaires à la satisfaction de ses besoins dans le vol et le pillage des populations sédentaires. La fourberie, le mensonge, la versatilité ne peuvent être dans ces conditions que ses moindres défauts; en outre son existence nomade a développé jusqu’à l’excès les sentiments d’individualisme qui sont le propre des berbères et qui se manifestent par l’amour de l’indépendance absolue. La haine de l’infidèle, née d’un fanatisme religieux savamment entretenu par les confréries, est le seul lien qui puisse, dans quelques rares circonstances, unir pour un instant les divers éléments de cette race qui ont toujours vécu en réalité dans un état de perpétuelle méfiance et d’hostilité.
Il est facile de trouver une preuve convaincante de ces dispositions d’esprit dans le peu de succès obtenu l’an dernier par un émissaire, jouissant cependant d’une grande renommée parmi les Maures : Moulay Idriss, en effet, malgré une longue préparation politique, en dépit de l’autorité que lui conférait d’une part sa double qualité de cherif et d’envoyé du Roi et, d’autre part, l’appui que lui donnait Ma al-Aïnin, n’a réussi à grouper, au prix des plus grandes difficultés, que quelques centaines de guerriers composés d’éléments hétéroclites, empruntés aux tribus les plus diverses et parmi lesquels il ne parvint même pas à maintenir l’ordre.
Ces faits comportent pour nous un précieux enseignement. On ne peut songer à soumettre dés l’abord par la force ces tribus qui, par leur mobilité, échappent à notre action; et ce ne sera pas certainement avant un temps très long que l’on parviendra à grouper et à diriger, suivant nos règles administratives habituelles, ces individualités rebelles. Ce principe "diviser pour régner" trouvera dans ce pays son application parfaitement appropriée. M. Coppolani l’a d’ailleurs très bien compris en tirant un si habile parti des dissensions entre les diverses tribus et notamment de l’antagonisme qui a toujours séparé les tribus maraboutiques des tribus guerrières.
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Les groupements guerriers seront encore longtemps pour nous des ennemis irréductibles, car ils se rendent parfaitement compte que l’établissement de notre domination sera la ruine de leurs deux moyens d’existence : le pillage des sédentaires et la traite des noirs. Nous ne pouvons donc trouver un appui qu’auprès des tribus maraboutiques qui, confiantes dans la protection que nous leur donnons contre les tribus guerrières, se sont sous la domination de chefs religieux influents ralliés franchement à notre cause. Deux chefs religieux établis dans le sud du Trarza et dont l’influence en Mauritanie et dans le Sénégal est considérable nous ont tout d’abord apporté l’appui de leur autorité : Cheikh Saad Bou et Cheikh Sidia se sont rapidement rendu compte du but de nos efforts et du bénéfice qu’ils tiraient de notre occupation, qu’ils savaient fatale, n’ignorant pas que nous étions bien décidés à triompher un jour ou l’autre de toute opposition. M. Coppolani et le lieutenant-colonel Montané-Capdebosc ont toujours entretenu avec ces chefs religieux dont l’habileté à raisonner et à discuter a été aiguisée par des études ardues de théologie scolastique, des relations étroites et d’un caractère presque amical »21.
66Les analyses que fait William Ponty de la société maure restent encore proches de celles de Coppolani mais sont aussi marquées des conséquences de l’échec du projet de conquête « pacifique » et de l’expérience de près de cinq ans de tentatives d’occupation coloniale de plus en plus « armée ».
67La distinction entre hassân et zawâya, entre guerriers et marabouts, est toujours, pour une part à juste titre, considérée comme un point crucial dans la société maure. Cependant la vision hiérarchique qu’en avait Coppolani, de manière dévalorisante pour les guerriers, sur le modèle de la société occidentale d’Ancien Régime où les guerriers représentaient l’équivalent d’une noblesse parasite, s’estompe : il s’agit de la même société tribale organisée selon des valeurs différentes. Les marabouts constituent encore des interlocuteurs privilégiés, en particulier Shaykh Sacd Bû et Shaykh Sîdiyya qui ont fortement contribué à l’implantation française, mais l’heure n’est plus très éloignée où les guerriers apparaîtront aussi comme des auxiliaires possibles de la conquête et de l’occupation coloniales.
68Loin d’être abandonné, et ceci correspond à la seconde partie des instructions adressées par William Ponty à Gouraud, le projet de conquête de l’Adrar qui parachevait le programme de Coppolani est plus que jamais à l’ordre du jour. William Ponty souligne à Gouraud la nécessité d’occuper l’Adrar conformément au plan déjà élaboré par Coppolani. C’est une zone de refuge et « le point de concentration de nos ennemis ». Les droits de la France ne sont pas contestés en ce domaine sur le plan international, toutefois il serait risqué et prématuré d’engager immédiatement une action militaire car les tribus sont bien armées.
« Il est acquis que les tribus guerrières ont reçu de Ma el Aïnin un armement perfectionné qui leur permettrait de nous opposer une résistance sérieuse, surtout si l’on tient compte des qualités guerrières de ces populations fanatisées par les marabouts. L’expérience de Niemelane a en effet montré que les Maures savent fort bien utiliser le terrain et sont loin d’être des ennemis négligeables, surtout si l’on considère qu’ils combattent dans une région dont ils connaissent les moindres accidents et où les points d’eau nous sont inconnus ».
69La conquête de l’Adrar est donc plus que jamais à l’ordre du jour et Gouraud dès sa nomination en octobre 1907 va s’attacher à l’organiser. Il lui faudra cependant plus d’un an pour parvenir au résultat visé car, conformément aux prévisions de William Ponty, les Maures se révèlent de redoutables adversaires et l’année 1908 est particulièrement difficile pour la colonisation française.
70A bien des égards, au terme de près de dix ans d’entreprises coloniales au Sahara occidental, l’échec de la surba regroupant les principaux leaders de la résistance auprès de Shaykh Mâ al-cAynîn puis, avec celui-ci, auprès du Roi du Maroc au milieu de l’année 1907 représente cependant un tournant important dans l’évolution de la résistance. Il met fin à l’idée d’une unification des Musulmans autour du jihâd contre les Infidèles, regroupant tous ceux d’entre-eux qui restent encore indépendants à cette époque au Maghreb et au Sahara. Il est loin cependant de signifier la fin de cette résistance qui va reprendre avec une nouvelle vigueur en 1908 et continuer après l’occupation française de l’Adrar en 1909. C’est au sein de la société maure même, les tribus du nord du Sahara perpétuant la résistance, tout comme se poursuivront de fortes résistances régionales au Maroc, que se développent désormais exclusivement les mouvements de lutte contre la colonisation. ils se perpétueront jusqu’au début des années 1930.
71L’échec de la surba correspond par ailleurs à une évolution de la situation au Maroc même. Dans le courant de l’année 1907, alors que les principaux chefs sahariens sont déjà rassemblés à Smâra, le Roi Mawlay cAbd al-cAziz tente de traiter avec les Français, déclenchant une vague de protestation et des mouvements anti-européens qui se traduisent par des pillages des biens appartenant à des Juifs et par des massacres d’Européens à Casablanca. Ce mouvement est en partie canalisé par Shaykh Mâ al-cAynîn qui marche sur Casablanca et Marrakesh à la tête de guerriers recrutés dans les tribus sahariennes et sud-marocaines. Les membres de la surba saharienne participeront à cette expédition et feront le coup de feu autour de Casablanca. Ils participent aussi au détrônement de Mawlay cAbd al-cAziz et à son remplacement par son frère Mawlay al-Hafidh, qui s’empressera peu après de traiter à son tour avec les Français. Mawlay al-Hafidh est cependant arrivé au pouvoir avec l’aide de Shaykh Mâ al-cAynîn et, s’il ne lui confie pas de troupes, il lui cède 500 à 600 fusils modernes à tir rapide, des munitions et la somme de 30 000 F pour organiser la lutte contre les Français. Ces moyens, lorsque la surba rentre enfin en Adrar au début de 1908, contribueront à une relance locale des luttes de résistance qui marquent l’année 1908.

L’évolution de la situation dans l’Adrar

72Au début de 1908, l’Adrar reste le bastion de la résistance ne serait ce que parce qu’il s’agit de la seule région qui échappe encore à la présence des troupes coloniales. Malgré les renforts en armes ramenés du Maroc, la situation n’est pas sans poser des problèmes aux résistants à l’occupation française eux-mêmes.
73Il faut d’abord rappeler à cet égard la longue crise de succession qu’a connu l’Adrar après la mort accidentelle de l’émir Ahmed uld Sîd’Ahmed à la fin de 1899. Cette crise a une double dimension.
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74Il s’agit d’abord d’une crise dynastique stricto sensu. Ahmed uld M’Hammed, l’émir mort en 1891 n’avait pas d’héritier mâle, ce qui explique que la transmission du titre se soit faite à son cousin germain, Ahmed uld Sîd’Ahmed. Le pouvoir passe, à la mort de celui-ci (1899), à une branche collatérale issue d’un autre fils d’Ahmed uld cAydda (mort en 1861) : Mukhtâr, dont l’autorité ne sera jamais réellement reconnue22, puis à son fils Ahmed qui est très vite tué au cours d’un combat contre les Awlâd Busbac. La crise dynastique se prolonge jusqu’au retour de Sîd’Ahmed uld Ahmed, encore très jeune, fin 1904. Le rôle qu’il va jouer, au départ sous le contrôle des Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn, dans la résistance à l’occupation coloniale française, va lui permettre d’accumuler rapidement un grand prestige et sa fonction d’émir de l’Adrar est reconnue de manière incontestable au retour de la surba au Maroc, à laquelle il a participé, début 1908.
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75La crise que connaît l’émirat de l’Adrar entre 1899 et 1909 n’est pas seulement d’ordre dynastique. Elle correspond aussi aux transformations des rapports de force factionnels au sein des tribus hassân de l’Adrar au profit des Awlâd Qaylân. Ceux-ci, qui constituaient au XIXe siècle le gros des factions soutenant les prétendants à l’émirat, acquièrent progressivement une certaine marge d’autonomie dans ces luttes factionnelles et s’engagent dans des conflits tribaux qui mettent en évidence leur puissance politique et militaire. Leur unité religieuse, relative, s’effectue aussi à travers leur ralliement massif à Shaykh Muhammed Fadhîl uld cAbaydi23. Après avoir contribué à la déstabilisation de l’émir Ahmed uld Sîd’Ahmed, à la fin de son règne, dans les dernières années du XIXe siècle, ils combattront Mukhtâr, puis son fils Ahmed. A la mort de celui-ci, ils apparaissent comme la seule force conséquente parmi les hassân de l’Adrar. Une longue guerre, aux résultats indécis, les opposera ces mêmes années aux Rgaybât, soulignant l’autonomie qu’ils ont acquise. C’est au terme de cette guerre, après que les deux partis aient sollicité l’arbitrage de Shaykh Mâ al-cAynîn, que les Awlâd Qaylân reviennent de Smâra, fin 1904, avec le jeune émir Sîd’Ahmed uld Ahmed, que leur a imposé le Shaykh, et dont ils pensent qu’ils pourront aisément le contrôler.En fait, et sans doute sur les conseils éclairés de Shaykh Hasâna et Shaykh at-Tâlib al-Khyâr, fils de Shaykh Mâ al-cAynîn, qui séjournent longuement en Adrar à cette période, le jeune émir Sîd’Ahmed va réussir à recréer rapidement à son profit les clivages traditionnels qui existaient chez les Awlâd Qaylân. En prenant comme conseiller Sîd’Ahmed uld Mageyya et Sîdi Hurma uld Khtayra, il rallie autour de lui les Awlâd Qaylân du Dhahr et ceux des Naqmûsha. Ces choix rejettent dans l’opposition à l’émirat les Tûrsh et les autres Naqmûsha qui restent sous le contrôle de la chefferie traditionnelle des Ahl M’Haymed. Les Awlâd cAmmonni, ayant subi de fortes pertes contre les Awlâd Busbac, ne pèsent plus alors d’un poids très lourd. Les Awlâd Akshâr, l’autre tribu composant les Jacvriyya, connaissent de leur côté un conflit interne sanglant qui entraîne un début de dispersion de la tribu.
76Ces conflits n’empêchent pas une certaine unification des guerriers de l’Adrar derrière l’émir lors des premiers conflits contre les troupes coloniales au Tagant en 1905 puis en 1906. Ils restent cependant latents. Au retour, début 1908, de la surba qu’il a accompagné au Maroc, l’émir Sîd’Ahmed, sans doute conforté par les armes qui ont été ramenées du Maroc, réactive ces luttes factionnelles de manière à renforcer son pouvoir. Il suscite en particulier un concurrent aux Ahl ad-Dîk, les chefs traditionnels des Tûrsh, que ceux-ci assassineront. L’émir fait alors appel aux Rgaybât, qui sortent d’un long conflit avec les Awlâd Qaylân, et aux Idayshilli, pour piller les campements des Tûrsh, et ceux de al-Lgrac uld Macyûv, des Awlâd Akshâr, qui s’est rangé lui aussi dans la faction hostile à l’émir. Les Awlâd Qaylân opposés à l’émir suscitent alors les prétentions d’un prétendant, en la personne du propre frère de l’émir, M’Hammed, que celui-ci fera exécuter courant 1909.
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77Alors même que se mobilisent en Adrar les forces contre l’occupation française, dans le courant de l’année 1908, les conflits factionnels conservent toute leur intensité au sein de l’émirat et contribueront à freiner les luttes. Les difficultés de mobilisation des forces anti-coloniales sont d’autant plus marquées que l’Adrar connaît, à la fois comme un résultat de la pression des réfugiés dissidents du sud et pour des raisons climatiques et épidémiologiques, une situation délicate sur le plan alimentaire et sanitaire. Le ralentissement marqué des échanges transsahariens et régionaux ajoute à ces difficultés. Pendant toute l’année 1908, les populations de l’Adrar vivront dans des conditions très difficiles et seront tentées d’accueillir favorablement, malgré leur esprit de résistance, l’occupation française24.
78Cette conjoncture difficile n’en souligne que plus remarquablement la force du mouvement de résistance en Adrar en cette année 1908. Le regroupement de ces forces autour des fils de Shaykh Mâ al-cAynîn, dans le domaine spirituel mais aussi politique et militaire, d’une part, ainsi que, d’autre part l’autorité croissante de l’émir Sîd’Ahmed qui a repris le contrôle du jeu factionnel interne à l’émirat, contribuent fortement à animer cet esprit de résistance. Les autorités coloniales elles-mêmes remarquent dans le courant de 1908, non seulement ce regain de la résistance mais aussi une nouvelle stratégie d’opposition à la conquête coloniale. C’est le cas de Montané-Capdebosc qui, même s’il a cédé à Gouraud la direction des opérations politiques et militaires, reste au fait des affaires sahariennes :
« Depuis le mois de 1908, nous avons vu se dérouler dans cette colonie une suite ininterrompue d’incursions poussées sur notre territoire par les tribus guerrières de l’Adrar, non plus seulement sous la forme habituelle de pillages entrepris par des bandes isolées contre les tribus soumises placées sous notre administration, mais aussi sous celle d’audacieuses agressions dirigées, suivant un plan d’ensemble bien nettement arrêté, contre nos troupes elles-mêmes, principalement contre nos convois » (1909 : 94).
79Le point faible des troupes françaises, encore peu mobiles, immobilisées dans les garnisons, réside dans les lignes de communication et de ravitaillement, sur lesquelles va porter l’effort principal des dissidents en 1908, non sans succès. Les choix stratégiques de l’émir et de ses conseillers ont été de ce point de vue judicieux.
80Peut-on pour autant considérer que, en conformité avec la vision de Coppolani, les menaces contre l’occupation coloniale viennent exclusivement des hassân menacés dans leur privilège, sous le relais éventuellement des menées « panislamiques » des Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn. En ce début de l’année 1908 c’est la vision que partagent encore les autorités coloniales, qui en tirent quelques réconforts, comme le souligne le texte qui suit, et qui va se trouver en partie démenti par les événements à venir :
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« S’il semble douteux que le retour dans l’Adrar de la sorba ait eu un certain retentissement, il ressort également d’une façon très nette d’informations plus récentes que les chiffres d’armes et surtout d’hommes ont été singulièrement amplifiés, sans compter qu’une troupe de 3000 hommes aurait les plus grosses difficultés à se ravitailler en vivres et à trouver des pâturages suffisamment abondants pour les chameaux et son bétail. Il est peu vraisemblable que les événements du Maroc aient permis à Abd el-Aziz, non plus qu’à Moulay Hafid de gaspiller leurs ressources en effectif, déjà si maigres, sur un territoire aussi excentrique que l’Adrar. D’ailleurs Cheikh Saad Bou et Sidia dont aucune raison nouvelle ne nous permet de suspecter la fidélité éprouvée ne croient pas à une action offensive contre nous, d’abord parce que l’Adrar où règne toujours la famine ne pourrait pas nourrir un supplément de population, ensuite parce que si des mouvements offensifs d’ensemble se préparaient, ils auraient été immédiatement prévenus par les nombreux émissaires qu’ils possèdent dans cette région. L’assurance qu’ils nous donnent à ce sujet se trouverait corroborée par les avances amicales que nous font les tribus maraboutiques de Chinguetti et les protestations d’amitié et les demandes d’aman adressées aux postes de l’Inchiri et de Tidjikja par une partie de la population de l’Adrar. Il est donc permis de penser que tous ces éléments n’accueilleraient pas favorablement des flots de guerriers venus du nord allant bientôt battre les murs de leurs ksours et de conclure avec Cheikh Sidia que les bruits alarmistes ont été répandus à dessein, principalement par les Kounta et les Idaouaich dissidents, toujours intéressés à jeter le trouble parmi les tribus ralliés ».25
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81L’erreur est de penser que la résistance dans les territoires non occupés par les Français est le fait des seuls guerriers, armés de l’extérieur. Il est vraisemblable qu’à cette époque, malgré les difficultés objectives de vie et les conventions conjoncturelles signées par certaines tribus qsûriennes pour réactiver des mouvements caravaniers vitaux pour le ravitaillement du pays, l’ensemble de cette population de l’Adrar était hostile à l’installation des Français, comme elle l’avait été tout au long du XIXe siècle. La distinction entre guerriers et marabouts relève en ce domaine largement de l’idéologie coloniale26.

Le reflux colonial dans l’Inshiri (1908)

82Conformément au plan que caressait Coppolani en installant en décembre 1903 un poste à Nouakchott, les autorités coloniales ont tenté en 1907 d’organiser une autre route d’accès à l’Adrar que celle du Tagant, axe privilégié de pénétration. C’est ainsi qu’à partir de Twayzzikt, où avait été créé un poste provisoire, non loin de Damân, en un lieu où Shaykh Sacd Bû s’était fait construire une maison à la fin du XIXe siècle, un détachement est envoyé en décembre 1907 à Akjoujt, au coeur de l’Inshîri, pour y installer un poste.
83Le site est relativement bien choisi, connu pour son abondance en eau dans une zone très désertique. Il est situé à quelques dizaines de kilomètres seulement de l’extrémité occidentale de l’Adrar, la grande grara de Grarat levras, à la pointe des monts Ibî, et à un peu plus de cent kilomètres à vol d’oiseau d’Atâr. Il commande de vastes zones de pâturages que fréquentent pour une part les tribus hassân de l’Adrar, Awlâd cAmmonni et Awlâd Akshâr et qui lorsque les circonstances climatiques sont favorables sont ouverts au tribu du Trarza ainsi qu’aux tribus du Sahîl au nord.
84Il s’agit donc d’un lieu favorable à une implantation militaire mais qui présente aussi des inconvénients majeurs. Il se situe au milieu d’un cirque montagneux propice aux surprises et aux embuscades. Il est surtout séparé, en saison sèche, des points les plus proches au sud par une zone sans eau et particulièrement aride et chaude de près de 150 kilomètres, très périlleuse pour les convois. La proximité des dissidents de l’Adrar devient dans ces périodes d’isolement du poste un danger réel.
85Durant les premiers mois de 1908, cependant, la position du poste d’Akjoujt se révèle favorable pour faire pression sur les dissidents de l’Adrar ainsi que pour explorer les zones septentrionales encore pratiquement inconnues des Français (Mugnier-Pollet, 1911). Les mois frais de décembre à février se révèlent plutôt favorables aux Français dans cette région de l’Inshîri qu’ils explorent progressivement, établissant une liaison avec l’établissement français de la baie du Lévrier, alors que la mission militaire et scientifique de Gruvel parcourt la côte atlantique de Nouakchott à Port-Etienne, il n’en sera plus de même avec l’arrivée des chaleurs et les difficultés croissantes de ravitaillement du poste d’Akjoujt, les points d’eau se raréfiant vers le sud.
86Il faut ajouter à ces difficultés naturelles, la pression militaire des guerriers de l’Adrar, d’autant plus mordante que les troupes françaises, à partir d’Akjoujt, sont à deux ou trois jours de marche de points stratégiques du massif, tels que les palmeraies du mont Ibî ou encore la grande grara de Yagrev et les débouchés des wad Sagâlil et al-Abyadh. Les pâturages de l’Amsâga, et des dunes de l’Akshâr et de l’Azaffâl sont aussi à portée immédiate des Français qui menacent directement les campements et les troupeaux.
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87Une première alerte pour les troupes coloniales basées à Akjoujt est l’affaire de Sarât. Afin de mener des opérations de représailles contre les Idayshilli des mont Ibî, qui, étant les plus directement menacés par la présence française, mènent des opérations répétées de harcèlement contre le poste, une expédition est montée qui attaque plusieurs de leurs campements à Sarât, le 12 mars 1908. Les campements sont dispersés mais, à l’occasion d’une contre-attaque menée par l’émir de l’Adrar, à la tête de 250 guerriers27, le capitaine Repoux qui dirige les troupes françaises de la garnison est tué.
88A partir du mois d’avril, le poste d’Akjoujt commence à souffrir des difficultés de ravitaillement par la route du sud. La garnison manque de vivres frais et une épidémie de scorbut se développe, immobilisant les hommes et affaiblissant les capacités de défense, plus encore d’offensive. Les guerriers de l’Adrar plus mobiles s’enhardissent et mènent des actions efficaces de harcèlement et de rupture des lignes de communication française. La situation du poste se dégrade alors rapidement.
89Le 21 mai 1908, un détachement du poste d’Akjoujt, mené par les lieutenants Aubert, Coutance et de Solers, qui tente une sortie pour débusquer les résistants retranchés dans les massifs montagneux qui entourent le poste, est sérieusement accroché par les forces de l’Adrar. Il doit se replier à l’intérieur du poste en ayant 4 tués et 15 blessés. Plus grave que cet échec est l’enlèvement de la quasi-totalité des chameaux du poste qui sont au pâturage à proximité. La garnison d’Akjoujt est pratiquement immobilisée et isolée des postes français du Trarza.
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90Les résistants vont dès lors tenter de renforcer cet isolement et d’enlever le poste en attaquant les convois de secours et en dispersant les premières troupes chamelières que les autorités coloniales françaises ont commencé à organiser. Dès le mois de mai 1908 un premier convoi de ravitaillement est attaqué et dispersé à Tinwedar. Peu avant les chameaux du peloton méhariste de Tijigja, au pâturage à proximité de Fort-Coppolani, sont eux aussi attaqués et en partie enlevés; une attaque identique a eu lieu ce même mois de mai 1908 contre les chameaux du peloton méhariste du Trarza28. Tout ceci prouve une certaine coordination des efforts de résistance à l’occupation coloniale, auxquels l’arrivée des tlâmîd de Shaykh Mâ al-cAynîn va donner une nouvelle dimension. Plus grave encore se révèle l’affaire du convoi du commandant Berger.
91En juillet 1908, la situation sanitaire et militaire du poste d’Akjoujt commence à devenir inquiétante. Les troupes françaises sont totalement immobilisées et le manque de ravitaillement frais a aggravé l’épidémie de scorbut. Une colonne est envoyée à partir du Trarza sous le commandement du commandant Berger. Elle est accrochée à Nwaghmâsh, près de la grara de Damân, par les guerriers de l’Adrar qu’elle peut repousser (21 juillet 1908) mais, reprenant sa route vers le nord, à une période particulièrement chaude de l’année, elle trouve les puits comblés par les dissidents et éprouve de lourdes pertes (24 morts dont 11 morts de soif). La colonne de ravitaillement est bloquée à Burjaymât, à mi-distance du Trarza et d’Akjoujt, et elle reste sous la menace d’un coup de main. En août une nouvelle tentative de ravitaillement d’Akjoujt, à partir du poste de Nouakchott, sous la direction du lieutenant Gobert, est elle aussi un échec : le convoi est accroché et subit de lourdes pertes (deux européens tués et 15 tirailleurs). La pression des dissidents ne pèse pas seulement sur Akjoujt. En juillet 1908 une attaque est aussi menée contre le nouveau poste français de Port-Etienne qui sera difficilement repoussée.
92A la fin du mois d’août 1908, les troupes françaises sont partout sur la défensive. Elles sont enfermées dans les postes ; elles ont perdu une bonne partie de la mobilité qu’elles s’étaient donnée en créant des unités méharistes qui ont subi de lourdes pertes ; leurs routes de ravitaillement sont sans cesse harcelées. Le poste d’Akjoujt en particulier apparaît à la merci d’un coup de main. La décision est prise de procéder à son évacuation.Une colonne de secours est organisée sous la direction de Frérejean qui vient d’être rappelé en Mauritanie. Il est le 25 août à Nouakchott et prend immédiatement la route du nord avec les troupes disponibles. Entre temps, la colonne Berger a pu atteindre Akjoujt qui a donc été ravitaillé. La colonne Frérejean croise la colonne Berger qui s’est déjà repliée en direction du sud. Frérejean arrive à Akjoujt le 10 septembre. Il a l’ordre d’évacuer le fort et de détruire tout le matériel qui ne peut être transporté, y compris les matériaux de construction. Il prend ensuite la route du retour, en repoussant une attaque maure à Agilal Faye (19 septembre 1908), jusqu’à Burjaymât, où se regrouperont les forces participant à la marche sur l’Adrar à partir de l’Inshîri, toujours sous le commandement de Frérejean.

L’intervention des tlâmîd de Shaykh Mâ al-cAynîn

93Shaykh Mâ al-cAynîn a conservé, à sa disposition, une partie des armes qui ont été ramenées du Maroc par la surba qui en est rentrée au début de 1908. Ces armes vont lui permettre d’organiser un contingent de guerriers disciplinés et totalement engagés derrière le Shaykh, que les autorités coloniales prendront l’habitude de désigner sous le nom de tlâmîd Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn. Ils sont souvent commandés par les fils mêmes du Shaykh. A partir d’avril-mai 1908, plusieurs contingents de ces tlâmîd descendent vers le sud et s’installent à proximité de l’Adrar, contribuant à la pression qui s’exerce sur le poste d’Akjoujt. Ils vont donner une nouvelle dimension à la lutte de résistance, en s’inspirant de la stratégie de rupture des lignes de communication et de destruction des unités mobiles françaises que pratiquaient déjà depuis quelques mois les guerriers dissidents de l’Adrar.
94Leur redoutable capacité militaire est soulignée par des officiers, tels Frérejean, qui reconnaissent aussi leur rigueur d’organisation et leur bravoure. Dans ses Mémoires, Frérejean écrit à propos des tlâmîd Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn :
« Supérieurement armés, animés d’un sombre fanatisme, ayant des intelligences dans tous les milieux maures, ces derniers opèrent surtout contre les détachements français. Sans renoncer aux pillages qui sont le principal excitant de la guerre chez tous les nomades sahariens ils donnaient une note nettement hostile aux Chrétiens à toutes ces bandes de brigands qui se groupaient autour d’eux et auxquels ils servaient de réserve et de centre de ravitaillement. Cependant, jusqu’à la fin mars 1908 ces moines-soldats étaient restés en arrière des partis guerriers pillards » (1995 : 374).
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95A partir de cette date, les tlâmîd Ahl Shaykh Mâ al-cAynîn vont contribuer prioritairement à la pression qui s’exerce contre les pelotons méharistes français. En mai ce sont les chameaux d’Akjoujt qui sont razziés à proximité même du poste, puis le troupeau du peloton méhariste du Trarza est attaqué mais les assaillants sont repoussés; un peu plus tard ce sont les chameaux du peloton du Tagant qui sont eux aussi visés. Le principal succès des tlâmîd se situe un peu plus tard. Les 13 et 14 juin 1908, ils surprennent au pâturage le détachement méhariste français conduit par le capitaine Mangin à al-Muymân dans le Khatt, entre l’Adrar et le Tagant29. Le détachement est pratiquement anéanti (30 tirailleurs tués, ainsi que le capitaine Mangin lui-même et un sous-officier européen) et son troupeau est enlevé dans sa totalité. Il s’agit de l’une des principales victoires remportées par les résistants à l’occupation coloniale depuis fin 1902, et elle aura d’autant plus de retentissement que les troupes coloniales n’ont pas été submergées par le nombre comme au combat de Nyemlân en 1906, mais qu’elles ont été battues par une troupe quasi-régulière, bien entraînée et armée, guère supérieure en nombre (elle est estimée à 150 fusils), qui a submergé par sa bravoure et sa puissance de feu le détachement français. Leçon en sera tirée pour la préparation de la colonne de l’Adrar qui sera dotée de troupes et d’un armement de manière bien supérieure à ce qui avait été connu jusque là au Sahara occidental.
96En attendant le coup est rude pour les Français qui se trouvent en partie immobilisés et qui devront, nous l’avons vu précédemment, évacuer précipitamment le poste d’Akjoujt, au prix d’efforts considérables et coûteux en hommes. La pression des tlâmîd se poursuit cependant dans les mois qui suivent. Peu après al-Muymân, ils surprennent et détruisent un petit détachement conduit par le vétérinaire Amiel; celui-ci est tué avec 11 hommes. Cette pression s’exerce même bien au sud, dans des régions occupées depuis des années par les Français. En octobre 1908, un convoi revenant à vide de Moudjeria vers Kaedi sous la conduite du sergent Alle est surpris et détruit à Lafutar. Le sergent Alle est tué avec plusieurs de ses hommes, le ghazi est repoussé difficilement au nord de Moudjeria. Quelques jous après un contre-ghazi envoyé au nord d’Aleg s’égare et plusieurs hommes meurent de soif. Le mois suivant, le lieutenant Reboul est tué lors d’un accrochage à Agwishisht.
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97L’un des enjeux de ces combats, dont témoigne leur localisation, est de rompre les routes de communication et de ravitaillement de la colonne de l’Adrar dont le gros se rassemble au Tagant, tandis qu’une colonne mobile s’organise dans l’Inshîri. Cette pression se poursuivra en décembre 1908, alors même que les deux colonnes font mouvement vers l’Adrar. Une série de pillages interviennent au Trarza, au Brâkna et au Gorgol. Les troubles s’étendent même dans la région de Kiffa. Le 18 décembre 1908, les Aghlâl tentent d’enlever les chameaux du peloton de méhariste de Kiffa et ils prendront dans les mois qui suivent la tête de la résistance dans cette région30
98L’année 1908 a été vraisemblablement l’année la plus difficile de l’occupation coloniale du Sahara occidental. Une année où les troupes coloniales se sont trouvées constamment sur la défensive et ont même du évacuer une partie des territoires occupés. La stratégie adoptée par les résistants s’est révélée efficace. Les deux attaques menées en 1905 et en 1906 contre Tijigja ont souligné la difficulté d’investir directement les postes français, bien défendus, en l’absence d’armes lourdes. Par contre la rupture des communications et du ravitaillement du poste d’Akjoujt a montré la possibilité d’obtenir le repli de l’occupant colonial. Les forces cependant, malgré l’apport de quelques centaines de fusils modernes début 1908, restent disproportionnées. Les échecs de l’occupation coloniale même vont contribuer à accélérer la réalisation de la dernière étape du programme de Coppolani : l’occupation de l’Adrar. il ne s’agit plus par contre de pénétration « pacifique ». Le 9 janvier 1909, la lourde colonne rassemblée à cette fin entre à Atâr. Une nouvelle étape de l’occupation coloniale débute alors.

Conclusions

99Après une première période (1902-1905) d’occupation relativement aisée de la rive droite du Sénégal menée à l’initiative de X. Coppolani, les limites du projet de « conquête pacifique » du Sahara occidental qu’avait conçu celui-ci en s’appuyant sur ses relations avec certaines tribus zawâya, se manifestent clairement. Coppolani lui-même y laissera la vie. S’ouvre une seconde phase de la conquête (1905-fin 1908) où la conquête est sérieusement ralentie et même doit refluer à Akjoujt. Cette seconde phase est caractérisée par des tentatives de regroupement des forces de la résistance autour de l’idée de jihâd et plus généralement en référence à la foi commune qui met en avant des leaders religieux tels que Shaykh Mâ al-cAynîn. Elle met aussi en évidence un certain rôle du Maroc, seul pays musulman qui ait encore à cette époque préservée son autonomie dans la région. Ce rôle est à la fois direct et indirect.
100L’intervention directe du Maroc apparaît relativement secondaire. Elle s’organise autour de l’idée d’une responsabilité lointaine du « Commandeur des Croyants » en ce qui concerne la lutte contre les Infidèles et se traduit par quelques livraisons d’armes et l’aventure malheureuse de Mawlay Idrîs. Les souverains marocains sont trop préoccupés de juguler eux-mêmes la pression coloniale pour pouvoir s’investir dans des luttes sahariennes lointaines et hasardeuses.
101Plus efficace est l’intervention indirecte par le biais de Shaykh Mâ al-cAynin Ce shaykh d’origine saharienne mobilise des troupes importantes et joue un rôle intermédiaire crucial pour la fourniture d’armes modernes. Cette intervention n’en est pas moins ambiguë. La mobilisation de la résistance au Sahara est de plus en plus pour le Shaykh un instrument de légitimation de ses ambitions marocaines. C’est le trône marocain que revendiqueront bientôt ouvertement le Shaykh puis son fils al-Hiba. L’intérêt de la famille pour les affaires sahariennes déclinera dans les années qui suivent.
102L’échec de la résistance tient d’abord à la disproportion des forces, aux difficultés de vie des populations sahariennes en ces temps de guerre et de famine, mais aussi à la persistance des luttes factionnelles et « dynastiques » qui caractérisent la société tribale. L’occupation de l’Adrar, en janvier 1909, clôt l’occupation coloniale de la Mauritanie « utile ». Sous d’autres formes la résistance se poursuivra néanmoins dans le Nord en particulier jusqu’aux années 1930.

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Ould Khalifa Abdallahi, 1991, Les aspects économiques et sociaux de l’oued Tijigja : de la fondation du ksar à l’indépendance (1660-1960), Thèse d’histoire, Université Paris.

Notes

1 Ce texte reprend nombre d’observations que j’ai développées dans ma thèse d’État : L’émirat de l’Adrar. Histoire et anthropologie d’une société tribale saharienne, Paris, EHESS, 1998.
2 La démarche est appuyée sur quatre lettres, l’une du « chef des notables » de Tombouctou, la seconde du qâdî de cette ville, la troisième du chef des Kunta et la quatrième d’Ahmadu Shaykhu, roi toucouleur de Ségou.
3 Originaire d’une famille du Hawd, l’est de l’actuelle Mauritanie, Shaykh Mâ al-cAynîn (1831-1910) est sinon le fondateur du moins le principal propagateur d’une voie (tarîqa) spécifique qui a pour particularité d’accorder le wird des autres confréries parallèlement à la sienne. Après avoir étudié dans l’Adrar et effectué de nombreux voyages il choisit de s’installer dans le Sahel, entre le Maroc et l’Adrar et exerça une influence certaine sur les tribus locales.
4 Un des leaders (vers 1862-1924) de la confrérie qâdiriyya au Trarza, disciple des Kunta de l’Azawad malien qui ont introduit cette voie au Sahara et en Afrique occidentale. La famille possédait de nombreux disciples sur la rive gauche du Sénégal occupée de longue date par les Français ce qui a pu contribuer à les rapprocher de ceux-ci.
5 Frère cadet de Shaykh Mâ al-cAynîn, suivant la même voie confrérique, il s’installa pour sa part au Trarza et avait lui aussi de nombreux disciples sur la rive gauche française du Sénégal. Il eut très tôt des relations directes avec les Français dont il favorisa les expéditions de découverte à l’intérieur du Sahara.
6 Cité par Abdallahi ould Khalifa daprès une traduction de Muhammed al-Shannafi (1991).
7 En 1905 quelques Awlâd Bûsbac, avec des Ayt Ussa et Azwâfid des Tekna, organisèrent un ghazi à Aserir (wad Nûn) et ils attaquèrent les Rgaybât du Sharg emportant leur bétail. Les Rgaybât les poursuivirent et ils se réfugièrent à Smâra demandant le secours de Shaykh Mâ al-cAynîn. Les Rgaybât, au nombre de 800, encerclèrent la ville sans l’attaquer. Un accord fut conclu sous l’égide du Shaykh qui entraîna le départ définitif d’une partie des Awlâd Bûsbac vers le sud (Baroja : 1955).
8 Cette intervention de Shaykh Mâ al-cAynîn après la mort de Coppolani explique que les représentants locaux de l’administration coloniale et militaire française lui aient attribué, à tort, l’instigation du meurtre.
9 Archives du Ministère de la France d’outremer. Série Mauritanie IV. Dossier 2.
10 La position de Shaykh Sacd Bû lui-même, le plus ancien allié des Français, et lié à eux par des intérêts évidents, n’est pas très claire à cette période. Des accusations de contact avec Shaykh Mâ al-cAynîn, son frère, sont portées contre lui par les autorités coloniales. En fait, il semble être resté dans une position de prudente attente qui n’exclut pas des contacts réguliers avec la dissidence.
11 Il reste à cette époque un allié privilégié aux yeux des Français et il a reçu 50 fusils modernes pour armer des partisans et défendre le qsâr de Rashîd contre les dissidents.
12 Et sérieusement « passé à tabac » au cours des interrogatoires qui ont suivi à l’instigation de Frérejean.
13 Cette lettre n’est parvenue aux autorités françaises qu’au début de 1907, ce qui semble prouver que Shaykh Sîdiyya lui-même gardait une certaine prudence et ne s’empressait pas d’informer ces autorités des velléités de dissidence de certains chefs sahariens. Rappelons que la voie confrérique des Ahl Shaykh Sîdiyya est fortement liée dés l’origine à la qâdiriyya kunta dont Muhammed al-Mukhtâr apparait comme l’un des leaders spirituels et politiques.
14 Archives nationales du Sénégal. Dossier 12 G 2.
15 Ce qui amena les Awlâd Busbac à se retirer tandis que les Aghlâl et les Mashdûf ne se pressaient pas d’envoyer des hommes au combat.
16 Ainsi qu’en témoigne ce télégramme envoyé de Tijigja en date du 26 octobre et qui arrivera sous forme de dépêche à Dakar le 3 novembre : « Détachement envoyé contre Idris a été repoussé. Lieutenants Andrieux et Franssu, sergents Fleurille et Philippe tués, leurs corps laissés à l’ennemi, beaucoup de tirailleurs tués ou blessés. Nombre de Idris (sic) augmente de jour en jour. Je tiens dans poste. Je demande envoi urgent de 500 hommes au moins car ennemi compte déjà 300 fusils à tir rapide. Je ne compte plus que 65 fusils rayés pour la défense du poste. Infirmier Fort-Coppolani a disparu » (Archives du Ministère de la France d’outremer. Série Mauritanie IV. Dossier 2).
17 Ministère de la France d’outremer. Mauritanie IV. Dossier 2 bis.
18 Ainsi cette lettre, en date du 6 décembre 1906, de M. Robin, gérant le consulat de France à las Palmas qui souligne l’importance de la contrebande de guerre dans les ports des Canaries. Des fusils et des munitions arriveraient par les paquebots de la compagnie allemande Woerman de Hambourg ; de petits bateaux les transportent sur la côte d’Afrique. Outre les Allemands et les Belges on trouve aussi impliqués dans cette contrebande les Espagnols eux-mêmes. L’auteur cite un vapeur de la compagnie Ruis Torrés et Cie de Barcelone qui a débarqué récemment 5000 cartouches. Les officiers des garnisons espagnoles du Rio de Oro feraient eux-mêmes de la contrebande et ne partiraient jamais pour cette colonie « sans emporter une pacotille d’armes de guerre, de revolvers principalement, qu’ils vendent aux Maures de la côte » (Archives du Ministère de la France d’outremer. Série Mauritanie IV. Dossier 2).
19Archives du gouvernement général de l’AOF. Dakar. Dossier 1 D 223.
20 Rapport politique de la Mauritanie. 3ème trimestre 1907. Ministère de la France d’outremer. Mauritanie IV. Dossier 2 bis.
21 Archives du gouvernement général de l’AOF. Dakar. Dossier 1 D 224.
22 Mukhtâr et sa famille se rallieront très vite aux Français avec lesquels ils reviendront en Adrar en 1910.
23 (1823-1901), un lointain cousin de Shaykh Mâ al-cAynîn qui avait implanté la fadhiliyya en Adrar même.
24 L’administration française est parfaitement au fait de cet état de chose. Ainsi un document datant du lendemain du retour de la surba du Maroc note que la misère règne dans l’Adrar où « une jument de race s’échange contre 20 kilos d’avoine (P.B., il s’agit sans doute d’orge ou de blé) et un chameau contre cinq » (Archives du Gouvernement général de l’AOF. Dakar. Dossier 1 D 228).
25 Le Gouverneur général de l’AOF, W. Ponty, à Mr. le Ministre des Colonies, Dakar, 9 avril 1908. Archives du Ministère de la France d’Outremer. Série Mauritanie VI. Dossier 1. 1908-1909.
26 Le cas des Kunta est significatif. Après son séjour au Maroc où il a dénoncé la mollesse de Mawlay Idrîs et de Shaykh Mâ al-cAynîn, Muhammed al-Mukhtâr uld Hamûd revient à Rashîd, à quelques dizaines de kilomètres de Fort-Coppolani, courant 1908. Il faudra plusieurs mois pour qu’un détachement français puisse le déloger (août 1908), signe s’il en était du manque de mobilité des troupes coloniales. Il se réfugiera alors en Adrar qu’il quittera devant les troupes de Gouraud en 1909 pour gagner le Maroc puis l’Arabie saoudite où il mourut. Il ne s’agit pas du seul exemple d’opposition irréductible dans les milieux zawâya à la présence coloniale au Sahara.
27 Sîdi uld Muhammed Fâl, émir du Trarza aurait aussi participé à cette contre-attaque.
28 Cette attaque échoue mais début juin une centaine de chameaux utilisés par les Français sont enlevés près de Boutilimit.
29 Le capitaine Mangin aurait dispersé ses forces en se rendant, avec un détachement réduit aux puits d’al-Muymân pour désensabler ceux-ci et en permettre l’accès aux chameaux du groupement méhariste. Le carré n’avait été aménagé que sommairement et l’enrayement de la mitrailleuse dont disposait le détachement annihila sa résistance. Le lendemain le reste du détachement, battant en retraite, mena un nouveau combat à Talmeust et éprouva à nouveau de grosses pertes.
30 Archives du Gouvernement général de l’AOF. Dakar. Dossier 1 D 229.

Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Bonte, « L’appel au jihâd et le rôle du Maroc dans la résistance à la conquête du Sahara (1905-1908) », Journal des africanistes, 76-2 | 2006, 101-135.

Référence électronique

Pierre Bonte, « L’appel au jihâd et le rôle du Maroc dans la résistance à la conquête du Sahara (1905-1908) », Journal des africanistes [En ligne], 76-2 | 2006, mis en ligne le 31 décembre 2009, consulté le 08 août 2015. URL : http://africanistes.revues.org/768

Auteur

Pierre Bonte

Directeur de recherche au CNRS, Laboratoire d’anthropologie sociale, Paris.

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Paru dans Journal des africanistes, 78-1/2 | 2009
Paru dans Journal des africanistes, 76-1 | 2006

Droits d’auteur

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