mardi 25 novembre 2008

entretien accordé par Sidi Ould Cheikh Abdallahi à un quotidien français . 25 novembre 2008



La Mauritanie à nouveau aux mains des militaires.


à la recherche d'une solution, l'Union européenne veut éviter de faire payer à la population mauritanienne, dont la moitié vit sous le seuil de pauvreté, les conséquences d'éventuelles sanctions économiques.



Qui est ce président déchu ?


On l'appelait « le président qui rassure ». Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été élu président de Mauritanie le 25 mars 2007 avec 52,85 % des voix, à l'âge de 70 ans. Présenté comme un homme de consensus, voulant préserver l'unité nationale, il avait alors le soutien des militaires. Son investiture avait consacré la fin d'un processus exemplaire de restitution du pouvoir aux civils, après un coup d'État militaire en 2005, qui avait déjà renversé un militaire au pouvoir depuis 21 ans, Maaouiya Ould Taya, aujourd'hui exilé en Arabie saoudite.

Homme discret, de la communauté majoritaire des Arabes, dans une famille de marabouts de la confrérie des Tidjanes, Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été l'élève de la prestigieuse École normale sénégalaise de William Ponty d'où était sortie également la majorité des anciens chefs d'État africains. Francophone et francophile, il a poursuivi des études en mathématiques, physique et chimie à Dakar avant d'obtenir un diplôme d'études approfondies en économie à Grenoble.

De retour en Mauritanie, il a été ministre d'État à l'économie peu après l'indépendance du pays, avant de détenir le portefeuille de l'hydraulique, de l'énergie, et celui très important de la pêche. Il fut à plusieurs reprises arrêté ou mis en résidence surveillée par les militaires. En 1989, il avait préféré s'exiler : il travaillait au Niger pour le Fonds koweïtien. En 2003, il est rentré en Mauritanie, ayant choisi de prendre sa retraite de fonctionnaire. Mais les militaires l'ont rappelé en 2005, lui demandant de faire acte de candidature à la présidence. Ce sont encore eux, l'été dernier, qui ont choisi de l'écarter.

Où en est la Mauritanie aujourd'hui ?

L'embellie démocratique aura donc été de courte durée. Aucune solution pour l'instant n'est envisagée, le nouvel homme fort du pays, arrivé par le putsch du 6 août 2008, le général Ould Abdel Aziz, a une marge de manœuvre étroite, mais il n'a cure des menaces de sanctions individuelles (interdiction de voyager) ou de la mise en quarantaine de la Mauritanie (exclue par exemple de l'Union africaine). Compte tenu de l'extrême pauvreté du pays où la moitié de la population - au total, 3,1 millions d'habitants - vit en dessous du seuil de pauvreté, aucune sanction économique n'a été (et ne sera) prise. L'Union européenne comme l'Union africaine ont décidé d'envoyer une mission commune à Nouakchott, avant le 12 décembre, date d'une prochaine réunion à Addis-Abéba, pour trouver une « solution ».

Ancienne colonie française, trait d'union entre le Maghreb et l'Afrique Noire, terre traditionnelle d'esclaves (même si l'esclavage a été aboli en 1980), la Mauritanie est entrée début 2006 dans le club restreint des pays africains producteurs de pétrole avec l'exploitation du petit champ pétrolier offshore de Chinguetti au large de Nouakchott. La production est de 20 000 barils/jour.

Julia Ficatier


Tous droits réservés : La Croix

Diff. 103 404 ex. (source OJD 2005)

Mardi 25 Novembre 2008


ENTRETIEN. Sidi Ould Cheikh Abdallahi, Président déchu de Mauritanie.


« Je ne désespère pas de retrouver le pouvoir ».


Démis le 6 août par un coup d'État militaire, l'ancien président mauritanien, arrivé démocratiquement au pouvoir en mars 2007, espère en la communauté internationale et particulièrement en la France.



Croyez-vous toujours que vous redeviendrez un jour président ?

Sidi Ould Cheikh Abdallahi : On en est au quatrième coup d'État en Mauritanie depuis l'indépendance en 1960. Mais le putsch du 6 août a été le premier contre un régime démocratiquement installé, contre le président démocratiquement élu que j'étais depuis quinze mois. Malgré ma mise en résidence surveillée dans mon village natal de Lemden (voir carte), je ne désespère pas de retrouver mes fonctions.

Quels sont vos arguments ?

Je suis le président légitime. Il n'est pas question pour moi de baisser les bras puisque la communauté internationale, les Nations unies, l'Union africaine et l'Union européenne ont la même position. Tout le monde condamne le coup d'État, demande le retour à l'ordre constitutionnel. Peu importent les modalités pratiques de mon retour, personne ne glisse de fait vers une légitimation du coup d'État et la reconnaissance du président en place.

Je me réjouis d'avoir entendu le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, déclarer vendredi dernier à Addis-Abéba : « On ne peut accepter que des coups d'État déstabilisent l'Afrique. » Le président Nicolas Sarkozy a eu lui aussi une position très claire, très nette, que j'apprécie hautement : il a immédiatement condamné l'opération et affirmé vouloir tout faire pour le retour du président élu dans ses fonctions. Je lui lance un appel pour que la situation évolue. Après tout, la France est notre ancienne puissance tutélaire.

Comment pouvez-vous renverser la situation ?

Je rejette totalement toute recherche de solution qui porterait en elle l'acceptation de fait et la légitimation du coup d'État. Il n'y a rien qui justifie que le pouvoir m'ait été enlevé par la force. Moi-même, je ne veux pas m'opposer par la force. Je n'en ai pas le pouvoir, ni les armes. Je ne ferai rien pour créer des troubles à Nouakchott. C'est dans le domaine du droit, de la légalité, que je me bats.

Que vous reprochent les putschistes ?

Au moment où je vous parle, ils sillonnent le pays, par l'intermédiaire de leurs ministres, pour expliquer « leur » coup par la corruption, qui serait prétendument de mon fait ou de mon épouse. Que l'on regarde les comptes, je ne crains rien. Le 6 août, les putschistes m'ont accusé d'avoir créé des problèmes au sein de l'armée parce que j'ai démis par un décret à 8 heures du matin le chef de la garde présidentielle, le général Mohamed Ould Abdel Aziz. À 8 h 30, j'étais déjà dans une caserne, arrêté. Ils jugeaient avoir à faire face à un coup d'État civil qui les aurait mis de côté… Aujourd'hui, Mohamed Ould Abdel Aziz est le chef de la junte.

Les putschistes ne vous reprochent-ils pas aussi d'avoir été trop laxiste à l'encontre des islamistes ?

Ils m'accusent d'avoir été trop complaisant avec les islamistes en libérant une dizaine d'entre eux. Mais, quand je suis arrivé à la présidence, ils étaient en prison depuis plus de deux ans sans avoir été jugés. Dans un État de droit, ne fallait-il pas que ces islamistes soient jugés ? Ils dépendaient du ministre de la justice. Par ailleurs, une fois les verdicts proclamés (libération pour certains, peines légères pour d'autres), un appel a été interjeté à ma demande car je les jugeais trop cléments !

Les militaires voudraient me faire passer pour un intégriste, parce que j'ai fait construire aussi une petite mosquée dans l'enceinte de la présidence. Ils m'accusent de n'avoir pas su protéger la Mauritanie des islamistes armés. Or c'est toute la sous-région, dans la bande sahélienne, qui est attaquée par des groupes islamistes. Les putschistes viennent d'en faire les frais. Ils ont connu, il y a un mois et demi, une forte attaque d'islamistes armés à Tourine dans le nord. Onze militaires, et leur guide, ont été assassinés.

recueilli par Julia Ficatier




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