Pour des institutions consensuelles - publié par Le Calame daté du 11 Novembre 2008
Des institutions proprement mauritaniennes - publié par Le Calame daté du 25 Novembre 2008
Pour des institutions consensuelles
Le mode de dévolution du pouvoir se ratifie mieux qu’il ne s’invente. La Mauritanie, les Mauritaniens le savent comme tout autre nation. Le temps fait tout et ce qui est accident ou circonstances recueille rétrospectivement le consentement de tous et devient jurisprudence, règle.
Moktar Ould Daddah exerce le pouvoir de 1957 à 1978 par consensus. Consensus des élites de l’époque : 1957, selon une administration française qui avait compris que rien ne vaut davantage que l’entente entre les administrés pour distinguer le chef. Consensus des partis de l’époque : 1961, beni oui-oui, opposants de la Nahda ou sympathisants du Mali, guerriers du nord, tous consentent à la fusion des partis et à l’investiture du Premier ministre pour la présidence de la jeune République islamique. 1966, 1971, 1976, investiture du candidat unique par le congrès du Parti, lui-même fonctionnant par consensus.
Second mode : la force, les putsches de 1978, de 1984, de 2005 et de 2008, tous de salut public mais de perspectives différentes. Les deux premiers n’envisagent la démocratie qu’à terme et ne se soucient pas de la désignation du futur chef, c’est le présent qui l’emporte (pendant treize ans). Les deux derniers ont un même objet : mettre fin à un exercice du pouvoir généralement condamné, mais l’objet est vite dissimulé par la proposition d’avenir. La démocratie en 2005 pour 2007, un exercice du pouvoir enfin bénéfique selon les discours de l’homme fort auto-proclamé depuis trois mois. A la force rien ne peut répliquer que la force, ce fut le cas pendant trente ans, c’est un cas de figure si l’expérience actuelle continue de ne se fonder que sur la force, la propagande et les réponses suscitée dans la population n’y pourront rien.
Troisième mode : l’élection. Sous le régime consensuel de 1961 à 1978, l’élection n’était qu’une forme de la participation au consensus, elle n’était pas une option entre des alternatives. Dans le système constitutionnel du 20 Juillet 1991 – modèle importé de France via l’adaptation algérienne (qui a aujourd’hui fait long feu à Alger) – le pouvoir est reçu ou confirmé par élection. Dans les pays aux racines démocratiques anciennes (un siècle ou deux, ce qui de mémoire humaine et surtout d’instinct collectif est peu…), l’élection va de soi, sa transparence moyennant discussion qui n’aboutit pas (les recomptages de bulletins de vote en 2000 pour Bush junior voire la confidence que me fit François Mitterrand en 1979 qu’il avait gagné l’élection de 1974 contre Valéry Giscard d’Estaing, mais grâce à l’outre-mer, ce qui ne lui donnait que moins de 40.000 voix d’avance, insuffisant pour appliquer un vrai programme de gauche et de rupture). Au contraire en Mauritanie, la discussion est telle en 1992, en 1997, en 2003 et de façon plus feutrée en 2007-2008 que la légitimité, décidément, ne sort pas des urnes. Le légalisme affirme que oui, mais la fraude était avérée sous Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya et si elle ne le fut pas à l’automne de 2006 et au printemps de 2007 (fonctionnement consensuel de la CENI), la rumeur a été que le vainqueur avait été choisi et soutenu par les militaires. Le putsch de 2008 n’étant somme toute qu’un retrait de la confiance initialement accordée. Doctrine militaire de la souveraineté nationale en Mauritanie : les forces armées sont les dépositaires, en dernier resoort, de la légitimité et de la souveraineté. Thèse qui peut valoir à condition qu’elle soit acceptée par l’ensemble des Mauritaniens et que soient réglées les formes d’avancement dans l’armée, l’accès-même à la fonction militaire (comme en Union soviétique, on était ou pas admis dans le Parti communiste au sein duquel se faisait toute carrière), et qu’enfin le système fonctionne sans que quelques officiers s’attribuent tout en intimidant leurs pairs ou en appelant à leur solidarité passive jusqu’à ce que quelques autres se rebellent, cf. 1984 et 2003.
Ce qui prévaut depuis trois mois est une dévolution du pouvoir par la force que ratifiera un plébiscite. Rien ne pourra l’empêcher qu’une force opposée. Il n’y a pas à y réfléchir, sauf à constater que le défaut de légitimité – et donc de consensus pour la dévolution du pouvoir – finit à terme (mais ce terme peut être long à venir) par toujours renverser l’état de fait. L’appel populaire à une mémoire qui fait consensus – celle de Moktar Ould Daddah, pour la première fois, honorée de quelque symbole, le 5 Novembre dernier, a de multiples interprétations possibles. Une seule semble retenue : personne d’autre ne fait consensus.
La preuve a été faite que le système importé en 1991 – et dont la rédaction fut bâclée autant alors que dans la révision adoptée par referendum du 25 Juin 2006 – n’est pas viable, car ses deux propositions principales ne tiennent pas en Mauritanie. La dévolution du pouvoir par élection est et restera discutée tant que les élections seront suspectées et les candidatures manipulées par une force antérieure à l’élection. L’alternance au pouvoir – critère de la démocratie en Europe occidentale, en Amérique du nord et au Japon (ou – là-bas – c’est plutôt successivité du pouvoir) – n’a pas été vêcue comme telle pendant les quinze mois d’exercice des fonctions présidentielles par Sidi Ould Cheikh Abdallahi : impatience autant du R.F.D. que des militaires, incapacité de la plupart des protagonistes du jeu constitutionnel de laisser au temps la mise en œuvre de toutes les procédures parlementaires. Dès l’automne de 2007, on ne se voyait plus attendre encore quatre ans et demi, dès le printemps 2008 on ne voulait plus attendre même l’automne de 2008. Qu’y faire ? pour l’avenir, sinon inventer – à la mauritanienne – d’autres institutions que l’étranger aura du mal à comprendre, mais c’est le propre de l’étranger de ne comprendre qu’à partir de lui-même ou d’imposer un modèle. Le génie de l’administration française en Mauritanie avait été d’importer un modèle « colonial » uniforme, mais en pratique de laisser fonctionner la chefferie traditionnelle, même pour le recrutement et le fonctionnement de l’assemblée terrioriale, et ce fut un génie – supérieur – que celui de Moktar Ould Daddah sous les apparences du modèle constitutionnel importé (la Constitution parlementaire du 22 Mars 1959 puis présidentielle du 20 Mai 1961, toutes deux adoptées par consensus, sauf l’opposition de Sidi el Moktar N’Diaye, pour a seconde) de faire fonctionner, en réalité, un tout autre système.
Celui-ci – tel que je l’ai compris en l’observant et en le discutant autant avec le Président qu’avec ses jeunes opposants, dans les années 1970 – fonctionnait suivant quelques principes :
1° la discussion jamais interrompue tant que l’on n’aboutissait pas au consensus valait sans vote mais par l’acquiescement de chacun aux compromis et aux perspectives sur lesquels on s’était accordé [1];
2° les questions d’application se tranchaient selon des rapports et de nouvelles discussions en commission, reprenant s’il le fallait tous les principes et acquis à leur racine (cf. Le Calame 3 Octobre 2008 . chronique anniversaire des 1er-4 Octobre 1963) ;
3° les instances délibératives et plus encore exécutives : Bureau politique national, Conseil des ministres ne votaient pas ou seulement pour la forme (à main levée), en sorte que personne n’était mis en minorité et qu’il n’y avait pas, au sein du système, d’opposition formelle et déclarée. Il y avait accord sur une discipline consistant à appliquer ce qui avait été unanimement décidé ;
4° la participation la plus générale était systématiquement souhaitée, recherchée et organisée : conseil des ministres, bureau politique national, groupe parlementaire du Parti furent à partir de 1966 et plus encore 1971 et 1975 fusionnés dans les grandes circonstances. La prise de parole était sollicitée par le président [2]. Chef-d’œuvre : les séminaires de 1969 à 1971 racine (cf. Le Calame 3 Octobre 2008 . chronique anniversaire des 6-13 Octobre 1969).
Le système était volontairement, constamment maintenu en étant d’ouverture et d’intégration des nouveaux éléments ou des « repentis ». C’était le génie propre de Moktar Ould Daddah, ne posant guère la question de confiance que dans trois hypothèses, vérifiées historiquement :
1° la formation du gouvernement en 1957 ;
2° l’application des décisions du congrès par le Bureau politique en 1963 ;
3° les élargissements aux « jeunes », à de multiples reprises entre 1969 et 1975.
Comment écrire et surtout pratiquer ce système aujourd’hui et demain ?
car à l’évidence le putsch de 2008 – contrairement à celui de 2005 dans ses premiers mois (il y eut ensuite le procès d’intention fait à Ely Ould Mohamed Vall de se maintenir au pouvoir par divers artifices, dont l’abstention ou le vote blanc aux premières consultations) – ne fabrique qu’un clivage opposition/majorité. La minorité hostile au nouveau cours des choses représente au moins les 2/5ème du Parlement, et les membres de la junte se répandant à l’intérieur du pays n’ont pas toujours pour les accueillir l’ensemble des élus municipaux, loin s’en faut. Le plébiscite en cours – préparé par une pétition contre l’ingérence de l’étranger et l’embargo, tous les deux peut-être redoutés mais absolument pas vérifiés, jusqu’à présent – ne réduira pas l’opposition intérieure.
Il me semble que quels que soient les textes constitutionnels, la pratique du pouvoir – étant réglé, de fait ou à la longue, le mode de dévolution du pouvoir, affaire de participation et non de résignation populaires – doit reproduire les modes de discussion et de consentement traditionnels, millénaires en Mauritanie. Le bicaméralisme est coûteux, il a été inventé pour que Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya ne soit pas prisonnier d’élections à l’Assemblée nationale qu’il n’aurait pas contrôlées. Les instances du genre Conseil consitutionnel ou Haute Cour de justice n’ont pas de sens quand les élections sont truquées ou quand on veut ratifier une déposition du président déjà effectuée par la force. L’exercice du pouvoir doit être collégial, ce que ne prévoit pas l’ « ordonannce constitutionnelle » du 11 Août racine (cf. Le Calame 19 Août 2008 . analyse comparée des chartes militaires avec l’actuelle) , laquelle n’a d’ailleurs pas davantage prévu le titre de chef de l’Etat pour le président du Haut Conseil d’Etat.
Quels que soient les intitulés des institutions à venir, et même quelles que soient celles-ci qui n’ont pas forcément à être écrites – les politologue sauront décrire les fonctionnement sans qu’il y ait des appellations – les Mauritaniens consentiront au pouvoir dominant s’ils ont la sensation vêcue qu’ils y participent. Pas seulement lors d’élections jusqu’à présent jugées peu significatives dès leur résultat…, mais surtout à longueur de temps. Accessoirement, mais c’est décisif, il faut des chefs dont l’autorité s’impose davantage par rayonnement personnel et moral que par l’élection ou la force. Chacun le sait.
Quant à la démagogie, les « copiers-collers » depuis trente ans du discours de l’homme fort du moment (c’est sous Mohamed Khouna Ould Haïdalla que les militaires inventèrent le slogan de la « rectification »… quant aux bienfaits : électrification, routes et autre prix du gaz, c’était le thème de la campagne de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya en Octobre 2003 pour faire oublier les combats du mois de Juin précédent) montrent que celle-ci s’effondre dès que la force ne les soutient plus, renversée qu’elle est par une autre force.
Le mode de dévolution du pouvoir se ratifie mieux qu’il ne s’invente. La Mauritanie, les Mauritaniens le savent comme tout autre nation. Le temps fait tout et ce qui est accident ou circonstances recueille rétrospectivement le consentement de tous et devient jurisprudence, règle.
Moktar Ould Daddah exerce le pouvoir de 1957 à 1978 par consensus. Consensus des élites de l’époque : 1957, selon une administration française qui avait compris que rien ne vaut davantage que l’entente entre les administrés pour distinguer le chef. Consensus des partis de l’époque : 1961, beni oui-oui, opposants de la Nahda ou sympathisants du Mali, guerriers du nord, tous consentent à la fusion des partis et à l’investiture du Premier ministre pour la présidence de la jeune République islamique. 1966, 1971, 1976, investiture du candidat unique par le congrès du Parti, lui-même fonctionnant par consensus.
Second mode : la force, les putsches de 1978, de 1984, de 2005 et de 2008, tous de salut public mais de perspectives différentes. Les deux premiers n’envisagent la démocratie qu’à terme et ne se soucient pas de la désignation du futur chef, c’est le présent qui l’emporte (pendant treize ans). Les deux derniers ont un même objet : mettre fin à un exercice du pouvoir généralement condamné, mais l’objet est vite dissimulé par la proposition d’avenir. La démocratie en 2005 pour 2007, un exercice du pouvoir enfin bénéfique selon les discours de l’homme fort auto-proclamé depuis trois mois. A la force rien ne peut répliquer que la force, ce fut le cas pendant trente ans, c’est un cas de figure si l’expérience actuelle continue de ne se fonder que sur la force, la propagande et les réponses suscitée dans la population n’y pourront rien.
Troisième mode : l’élection. Sous le régime consensuel de 1961 à 1978, l’élection n’était qu’une forme de la participation au consensus, elle n’était pas une option entre des alternatives. Dans le système constitutionnel du 20 Juillet 1991 – modèle importé de France via l’adaptation algérienne (qui a aujourd’hui fait long feu à Alger) – le pouvoir est reçu ou confirmé par élection. Dans les pays aux racines démocratiques anciennes (un siècle ou deux, ce qui de mémoire humaine et surtout d’instinct collectif est peu…), l’élection va de soi, sa transparence moyennant discussion qui n’aboutit pas (les recomptages de bulletins de vote en 2000 pour Bush junior voire la confidence que me fit François Mitterrand en 1979 qu’il avait gagné l’élection de 1974 contre Valéry Giscard d’Estaing, mais grâce à l’outre-mer, ce qui ne lui donnait que moins de 40.000 voix d’avance, insuffisant pour appliquer un vrai programme de gauche et de rupture). Au contraire en Mauritanie, la discussion est telle en 1992, en 1997, en 2003 et de façon plus feutrée en 2007-2008 que la légitimité, décidément, ne sort pas des urnes. Le légalisme affirme que oui, mais la fraude était avérée sous Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya et si elle ne le fut pas à l’automne de 2006 et au printemps de 2007 (fonctionnement consensuel de la CENI), la rumeur a été que le vainqueur avait été choisi et soutenu par les militaires. Le putsch de 2008 n’étant somme toute qu’un retrait de la confiance initialement accordée. Doctrine militaire de la souveraineté nationale en Mauritanie : les forces armées sont les dépositaires, en dernier resoort, de la légitimité et de la souveraineté. Thèse qui peut valoir à condition qu’elle soit acceptée par l’ensemble des Mauritaniens et que soient réglées les formes d’avancement dans l’armée, l’accès-même à la fonction militaire (comme en Union soviétique, on était ou pas admis dans le Parti communiste au sein duquel se faisait toute carrière), et qu’enfin le système fonctionne sans que quelques officiers s’attribuent tout en intimidant leurs pairs ou en appelant à leur solidarité passive jusqu’à ce que quelques autres se rebellent, cf. 1984 et 2003.
Ce qui prévaut depuis trois mois est une dévolution du pouvoir par la force que ratifiera un plébiscite. Rien ne pourra l’empêcher qu’une force opposée. Il n’y a pas à y réfléchir, sauf à constater que le défaut de légitimité – et donc de consensus pour la dévolution du pouvoir – finit à terme (mais ce terme peut être long à venir) par toujours renverser l’état de fait. L’appel populaire à une mémoire qui fait consensus – celle de Moktar Ould Daddah, pour la première fois, honorée de quelque symbole, le 5 Novembre dernier, a de multiples interprétations possibles. Une seule semble retenue : personne d’autre ne fait consensus.
La preuve a été faite que le système importé en 1991 – et dont la rédaction fut bâclée autant alors que dans la révision adoptée par referendum du 25 Juin 2006 – n’est pas viable, car ses deux propositions principales ne tiennent pas en Mauritanie. La dévolution du pouvoir par élection est et restera discutée tant que les élections seront suspectées et les candidatures manipulées par une force antérieure à l’élection. L’alternance au pouvoir – critère de la démocratie en Europe occidentale, en Amérique du nord et au Japon (ou – là-bas – c’est plutôt successivité du pouvoir) – n’a pas été vêcue comme telle pendant les quinze mois d’exercice des fonctions présidentielles par Sidi Ould Cheikh Abdallahi : impatience autant du R.F.D. que des militaires, incapacité de la plupart des protagonistes du jeu constitutionnel de laisser au temps la mise en œuvre de toutes les procédures parlementaires. Dès l’automne de 2007, on ne se voyait plus attendre encore quatre ans et demi, dès le printemps 2008 on ne voulait plus attendre même l’automne de 2008. Qu’y faire ? pour l’avenir, sinon inventer – à la mauritanienne – d’autres institutions que l’étranger aura du mal à comprendre, mais c’est le propre de l’étranger de ne comprendre qu’à partir de lui-même ou d’imposer un modèle. Le génie de l’administration française en Mauritanie avait été d’importer un modèle « colonial » uniforme, mais en pratique de laisser fonctionner la chefferie traditionnelle, même pour le recrutement et le fonctionnement de l’assemblée terrioriale, et ce fut un génie – supérieur – que celui de Moktar Ould Daddah sous les apparences du modèle constitutionnel importé (la Constitution parlementaire du 22 Mars 1959 puis présidentielle du 20 Mai 1961, toutes deux adoptées par consensus, sauf l’opposition de Sidi el Moktar N’Diaye, pour a seconde) de faire fonctionner, en réalité, un tout autre système.
Celui-ci – tel que je l’ai compris en l’observant et en le discutant autant avec le Président qu’avec ses jeunes opposants, dans les années 1970 – fonctionnait suivant quelques principes :
1° la discussion jamais interrompue tant que l’on n’aboutissait pas au consensus valait sans vote mais par l’acquiescement de chacun aux compromis et aux perspectives sur lesquels on s’était accordé [1];
2° les questions d’application se tranchaient selon des rapports et de nouvelles discussions en commission, reprenant s’il le fallait tous les principes et acquis à leur racine (cf. Le Calame 3 Octobre 2008 . chronique anniversaire des 1er-4 Octobre 1963) ;
3° les instances délibératives et plus encore exécutives : Bureau politique national, Conseil des ministres ne votaient pas ou seulement pour la forme (à main levée), en sorte que personne n’était mis en minorité et qu’il n’y avait pas, au sein du système, d’opposition formelle et déclarée. Il y avait accord sur une discipline consistant à appliquer ce qui avait été unanimement décidé ;
4° la participation la plus générale était systématiquement souhaitée, recherchée et organisée : conseil des ministres, bureau politique national, groupe parlementaire du Parti furent à partir de 1966 et plus encore 1971 et 1975 fusionnés dans les grandes circonstances. La prise de parole était sollicitée par le président [2]. Chef-d’œuvre : les séminaires de 1969 à 1971 racine (cf. Le Calame 3 Octobre 2008 . chronique anniversaire des 6-13 Octobre 1969).
Le système était volontairement, constamment maintenu en étant d’ouverture et d’intégration des nouveaux éléments ou des « repentis ». C’était le génie propre de Moktar Ould Daddah, ne posant guère la question de confiance que dans trois hypothèses, vérifiées historiquement :
1° la formation du gouvernement en 1957 ;
2° l’application des décisions du congrès par le Bureau politique en 1963 ;
3° les élargissements aux « jeunes », à de multiples reprises entre 1969 et 1975.
Comment écrire et surtout pratiquer ce système aujourd’hui et demain ?
car à l’évidence le putsch de 2008 – contrairement à celui de 2005 dans ses premiers mois (il y eut ensuite le procès d’intention fait à Ely Ould Mohamed Vall de se maintenir au pouvoir par divers artifices, dont l’abstention ou le vote blanc aux premières consultations) – ne fabrique qu’un clivage opposition/majorité. La minorité hostile au nouveau cours des choses représente au moins les 2/5ème du Parlement, et les membres de la junte se répandant à l’intérieur du pays n’ont pas toujours pour les accueillir l’ensemble des élus municipaux, loin s’en faut. Le plébiscite en cours – préparé par une pétition contre l’ingérence de l’étranger et l’embargo, tous les deux peut-être redoutés mais absolument pas vérifiés, jusqu’à présent – ne réduira pas l’opposition intérieure.
Il me semble que quels que soient les textes constitutionnels, la pratique du pouvoir – étant réglé, de fait ou à la longue, le mode de dévolution du pouvoir, affaire de participation et non de résignation populaires – doit reproduire les modes de discussion et de consentement traditionnels, millénaires en Mauritanie. Le bicaméralisme est coûteux, il a été inventé pour que Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya ne soit pas prisonnier d’élections à l’Assemblée nationale qu’il n’aurait pas contrôlées. Les instances du genre Conseil consitutionnel ou Haute Cour de justice n’ont pas de sens quand les élections sont truquées ou quand on veut ratifier une déposition du président déjà effectuée par la force. L’exercice du pouvoir doit être collégial, ce que ne prévoit pas l’ « ordonannce constitutionnelle » du 11 Août racine (cf. Le Calame 19 Août 2008 . analyse comparée des chartes militaires avec l’actuelle) , laquelle n’a d’ailleurs pas davantage prévu le titre de chef de l’Etat pour le président du Haut Conseil d’Etat.
Quels que soient les intitulés des institutions à venir, et même quelles que soient celles-ci qui n’ont pas forcément à être écrites – les politologue sauront décrire les fonctionnement sans qu’il y ait des appellations – les Mauritaniens consentiront au pouvoir dominant s’ils ont la sensation vêcue qu’ils y participent. Pas seulement lors d’élections jusqu’à présent jugées peu significatives dès leur résultat…, mais surtout à longueur de temps. Accessoirement, mais c’est décisif, il faut des chefs dont l’autorité s’impose davantage par rayonnement personnel et moral que par l’élection ou la force. Chacun le sait.
Quant à la démagogie, les « copiers-collers » depuis trente ans du discours de l’homme fort du moment (c’est sous Mohamed Khouna Ould Haïdalla que les militaires inventèrent le slogan de la « rectification »… quant aux bienfaits : électrification, routes et autre prix du gaz, c’était le thème de la campagne de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya en Octobre 2003 pour faire oublier les combats du mois de Juin précédent) montrent que celle-ci s’effondre dès que la force ne les soutient plus, renversée qu’elle est par une autre force.
Bertrand Fessard de Foucault . 8 XI 08
[1] - L’arbitraire se définit comme des actes sans base légale ni règlementaire, je prétends que nous avons toujours agi dans le cadre de nos lois et de nos règlements.
Comment ceux-ci étaient-ils confectionnés et adoptés ? Nous entreprîmes d’abord qu’ils soient vraiment les nôtres, pas seulement pour qu’ils répondent à nos réalités, mais pour que vraiment chaque Mauritanie et chaque Mauritanienne puissent être sûrs que c’étaient bien la loi mauritanienne et non pas des lois étrangères, qui étaient appliqués. Le Parti les inspirait et qui à l’époque a pu ne pas observer cette façon de prendre nos décisions d’orientation les plus fondamentales ? Certes, beaucoup venaient de ma conviction, mais cette conviction je la formais dans mon esprit en écoûtant dans les instances du Parti et en dehors, chez les jeunes autant que chez les vieux. Beauoup d’idées me sont toujours venues des autres, et mon opinion est faite d’après mes infiormations recueillies des uns et des autres. Des réunions du B.P.N. ou du conseil des liniustrres, dont chacun se souvient qu’elles pouvaient durer la journée, voire plusieurs jours, je ne saurais dire lesquelles étaient les plus stimulantes et informatives pour moi. Chacune avait son domaine, très probablement les ordres du jour n’étaient jamais les mêmes bien que parfois les questions se recoupaient. Le rapport moral du secrétaire général du Parti était soumis au Bureau politique national, débattu, adopté avec des modifications selon les cas ; il était ensuite présenté à la base, région par région où se rendaient un ou plusieurs membres du Bureau politique ; le Congrès, c’est-à-dire le peuple souverain réuni en Congrès l’entendait, le discutait, le disséquait en commisions spécialisées ou de synthèse en même temps qu’étaient présentés,, le plus souvent des rapports sectoriels par les secrétaires compétents, domaine par domaine, au B.P.N. sortant ; puis des résolutions étaient proposées, débattues à leur tour et adoptées en commissions puis en séance plénière ; l’ensemble était, dans les jours et mois qui suivaient, expliqués à la base vers laquelle revenaient les responsables nationaux, nouvellement élus par le Congrès ou, dans nos dernières années, par le Conseil national. A l’occasion de chacune de ces rencontres et réunions, chacun s’exprimait librement, parfois longuement et le reproche me fut souvent fait de ne pas discipliner davantage temps de parole et de débat ; les responsables, moi le premier, prenaient note des cririques, des observations, des suggestions. Nous n’avions pas réponse à tout mais mon obsession était que, même si le processus était long, les décisions soient acceptées poar le plus grand nombre, par la plus grande majorité dans l’instance considérée, soit du Parti soit du gouvernement, en fait dans tout le pays. Bien souvent, j’annonçais ces thèmes et les soumettais donc au débat national lors de mes tournées de prise de contact ou à des rassemblements populaires tels que celui tenu au Ksar de Nouakchott, le 15 Février 1966, à la suite des regrettables événements de 1966 ou en commentaire de la nationalisation de MIFERMA, le 29 Novembre 1974. Je ne manquais pas une occasion pour répéter : « Quand bien même, il n’existe pas de parti d’opposition, votre militantisme doit être actif. Nous sommes tous responsables ». – Termes littéraux d’une conversation en tête-à-tête avec le Président, le soir du mercredi 1er Janvier 2003, insérés le lendemain dans le projet de ses mémoires : Moktar Ould Daddah La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 573.574
[2] - Ma tâche était d’autant plus difficile que, pour ne parler que des moyens humains dont le rôle - il est vrai - est primordial, déterminant dans toute entreprise du genre - nous manquions cruellement de cadres valables. Et que, circonstance aggravante, je n’étais pas moi-même particulièrement qualifié pour orchestrer et dominer valablement tous les aspects de la construction nationale. En effet, ma formation générale, avec ses grandes lacunes et mon inexpérience d’homme d’Etat me qualifiaient peu pour être l’homme-orchestre idéal dans notre contexte d’alors. Mais, quoi qu’il en fût, j’étais, par la volonté de Dieu d’abord, du peuple mauritanien ensuite, à la tête de l’Etat-Nation à créer, puis à consolider pour le mieux être du peuple mauritanien. Très lourde responsabilité que j’ai, néanmoins, acceptée devant Dieu, devant l’Histoire et devant le peuple mauritanien. Pour l’assumer au mieux, à défaut de compétence technique et d’expérience, j’avais par contre une foi inébranlable et ardente en l’avenir de mon pays et de son peuple pour lesquels j’avais – et j’ai toujours - un amour incommensurable. Foi et amour qui me servaient de stimulants dans l’action quotidienne, qui furent mon meilleur bouclier contre le découragement dans les moments difficiles, qui me permirent, avec l’aide de Dieu, celle des équipes dirigeantes successives et celle du peuple mauritanien, mobilisé au sein de son Parti, de jeter les jalons de la Patrie Mauritanienne, envers et contre tout.
L’essentiel de mon action théorique, avait donc pour cadre le Conseil des Ministres hebdomadaire, Conseil dont j’ai essayé de faire “une école civique” : au niveau du Parti, j’agissais de même lors des réunions du B.P.N. et des autres instances du P.P.M. que je présidais. Ainsi, je profitais souvent des réunions du Conseil des Ministres pour donner des explications et faire des commentaires sur telle ou telle question importante de l’ordre du jour ou d’actualité, pour faire des recommandations ou donner des conseils se rapportant aux devoirs des hauts responsables. J’en profitais toujours - je ne sais si je l’ai déjà dit - pour provoquer les débats les plus ouverts et les plus libres possibles. En particulier, j’incitais les Ministres à intervenir : manière de les initier aux débats démocratiques, de les faire participer activement à la prise des décisions, à les responsabiliser, en un mot. D’où des Conseils toujours plus ou moins longs.
En outre, je faisais grand usage des circulaires adressées aux Ministres. Circulaires de portée générale ou de principe et circulaires relatives à telle ou telle question particulière. De la sorte, j’utilisais à la fois l’oralité et l’écriture. Au Conseil des Ministres, il n’y avait pas de vote formel. Mais, les décisions étaient toujours prises à la majorité qui se dégageait des discussions, même quand je faisais partie de la minorité d’opinions exprimées pendant les débats.
En plus des Conseils des Ministres hebdomadaires, je présidais souvent des réunions interministérielles consacrées à l’étude de tel ou tel dossier important. A ces réunions participaient, presque toujours, des hauts fonctionnaires du secteur - ou des secteurs - considéré. Parfois même y prenaient part des particuliers : hommes d’affaires, hommes de culture traditionnelle islamo-arabe ou de culture moderne. Ces réunions me permettaient, non seulement d’approfondir l’étude d’un problème donné, mais aussi de prendre des contacts directs avec des responsables autres que les Ministres et avec des citoyens n’exerçant pas de responsabilité étatique, mais qui participaient, d’une manière ou d’une autre, à l’oeuvre de construction nationale. Ainsi, j’avais des échos relatifs aux préoccupations populaires, échos moins déformés que ceux qui me parvenaient par les filières officielles.
Comment ceux-ci étaient-ils confectionnés et adoptés ? Nous entreprîmes d’abord qu’ils soient vraiment les nôtres, pas seulement pour qu’ils répondent à nos réalités, mais pour que vraiment chaque Mauritanie et chaque Mauritanienne puissent être sûrs que c’étaient bien la loi mauritanienne et non pas des lois étrangères, qui étaient appliqués. Le Parti les inspirait et qui à l’époque a pu ne pas observer cette façon de prendre nos décisions d’orientation les plus fondamentales ? Certes, beaucoup venaient de ma conviction, mais cette conviction je la formais dans mon esprit en écoûtant dans les instances du Parti et en dehors, chez les jeunes autant que chez les vieux. Beauoup d’idées me sont toujours venues des autres, et mon opinion est faite d’après mes infiormations recueillies des uns et des autres. Des réunions du B.P.N. ou du conseil des liniustrres, dont chacun se souvient qu’elles pouvaient durer la journée, voire plusieurs jours, je ne saurais dire lesquelles étaient les plus stimulantes et informatives pour moi. Chacune avait son domaine, très probablement les ordres du jour n’étaient jamais les mêmes bien que parfois les questions se recoupaient. Le rapport moral du secrétaire général du Parti était soumis au Bureau politique national, débattu, adopté avec des modifications selon les cas ; il était ensuite présenté à la base, région par région où se rendaient un ou plusieurs membres du Bureau politique ; le Congrès, c’est-à-dire le peuple souverain réuni en Congrès l’entendait, le discutait, le disséquait en commisions spécialisées ou de synthèse en même temps qu’étaient présentés,, le plus souvent des rapports sectoriels par les secrétaires compétents, domaine par domaine, au B.P.N. sortant ; puis des résolutions étaient proposées, débattues à leur tour et adoptées en commissions puis en séance plénière ; l’ensemble était, dans les jours et mois qui suivaient, expliqués à la base vers laquelle revenaient les responsables nationaux, nouvellement élus par le Congrès ou, dans nos dernières années, par le Conseil national. A l’occasion de chacune de ces rencontres et réunions, chacun s’exprimait librement, parfois longuement et le reproche me fut souvent fait de ne pas discipliner davantage temps de parole et de débat ; les responsables, moi le premier, prenaient note des cririques, des observations, des suggestions. Nous n’avions pas réponse à tout mais mon obsession était que, même si le processus était long, les décisions soient acceptées poar le plus grand nombre, par la plus grande majorité dans l’instance considérée, soit du Parti soit du gouvernement, en fait dans tout le pays. Bien souvent, j’annonçais ces thèmes et les soumettais donc au débat national lors de mes tournées de prise de contact ou à des rassemblements populaires tels que celui tenu au Ksar de Nouakchott, le 15 Février 1966, à la suite des regrettables événements de 1966 ou en commentaire de la nationalisation de MIFERMA, le 29 Novembre 1974. Je ne manquais pas une occasion pour répéter : « Quand bien même, il n’existe pas de parti d’opposition, votre militantisme doit être actif. Nous sommes tous responsables ». – Termes littéraux d’une conversation en tête-à-tête avec le Président, le soir du mercredi 1er Janvier 2003, insérés le lendemain dans le projet de ses mémoires : Moktar Ould Daddah La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 573.574
[2] - Ma tâche était d’autant plus difficile que, pour ne parler que des moyens humains dont le rôle - il est vrai - est primordial, déterminant dans toute entreprise du genre - nous manquions cruellement de cadres valables. Et que, circonstance aggravante, je n’étais pas moi-même particulièrement qualifié pour orchestrer et dominer valablement tous les aspects de la construction nationale. En effet, ma formation générale, avec ses grandes lacunes et mon inexpérience d’homme d’Etat me qualifiaient peu pour être l’homme-orchestre idéal dans notre contexte d’alors. Mais, quoi qu’il en fût, j’étais, par la volonté de Dieu d’abord, du peuple mauritanien ensuite, à la tête de l’Etat-Nation à créer, puis à consolider pour le mieux être du peuple mauritanien. Très lourde responsabilité que j’ai, néanmoins, acceptée devant Dieu, devant l’Histoire et devant le peuple mauritanien. Pour l’assumer au mieux, à défaut de compétence technique et d’expérience, j’avais par contre une foi inébranlable et ardente en l’avenir de mon pays et de son peuple pour lesquels j’avais – et j’ai toujours - un amour incommensurable. Foi et amour qui me servaient de stimulants dans l’action quotidienne, qui furent mon meilleur bouclier contre le découragement dans les moments difficiles, qui me permirent, avec l’aide de Dieu, celle des équipes dirigeantes successives et celle du peuple mauritanien, mobilisé au sein de son Parti, de jeter les jalons de la Patrie Mauritanienne, envers et contre tout.
L’essentiel de mon action théorique, avait donc pour cadre le Conseil des Ministres hebdomadaire, Conseil dont j’ai essayé de faire “une école civique” : au niveau du Parti, j’agissais de même lors des réunions du B.P.N. et des autres instances du P.P.M. que je présidais. Ainsi, je profitais souvent des réunions du Conseil des Ministres pour donner des explications et faire des commentaires sur telle ou telle question importante de l’ordre du jour ou d’actualité, pour faire des recommandations ou donner des conseils se rapportant aux devoirs des hauts responsables. J’en profitais toujours - je ne sais si je l’ai déjà dit - pour provoquer les débats les plus ouverts et les plus libres possibles. En particulier, j’incitais les Ministres à intervenir : manière de les initier aux débats démocratiques, de les faire participer activement à la prise des décisions, à les responsabiliser, en un mot. D’où des Conseils toujours plus ou moins longs.
En outre, je faisais grand usage des circulaires adressées aux Ministres. Circulaires de portée générale ou de principe et circulaires relatives à telle ou telle question particulière. De la sorte, j’utilisais à la fois l’oralité et l’écriture. Au Conseil des Ministres, il n’y avait pas de vote formel. Mais, les décisions étaient toujours prises à la majorité qui se dégageait des discussions, même quand je faisais partie de la minorité d’opinions exprimées pendant les débats.
En plus des Conseils des Ministres hebdomadaires, je présidais souvent des réunions interministérielles consacrées à l’étude de tel ou tel dossier important. A ces réunions participaient, presque toujours, des hauts fonctionnaires du secteur - ou des secteurs - considéré. Parfois même y prenaient part des particuliers : hommes d’affaires, hommes de culture traditionnelle islamo-arabe ou de culture moderne. Ces réunions me permettaient, non seulement d’approfondir l’étude d’un problème donné, mais aussi de prendre des contacts directs avec des responsables autres que les Ministres et avec des citoyens n’exerçant pas de responsabilité étatique, mais qui participaient, d’une manière ou d’une autre, à l’oeuvre de construction nationale. Ainsi, j’avais des échos relatifs aux préoccupations populaires, échos moins déformés que ceux qui me parvenaient par les filières officielles.
Moktar Ould Daddah op. cit. ibid., pp. 400.401
Des institutions proprement mauritaniennes
Tribus, ethnies, statut social ancien, mode de vie, urbanisation, sédentarisation, corruption – tout pouvait diviser les Mauritaniens entre eux, durablement, dangereusement, et cela ne s’est finalement pas produit depuis bientôt cinquante ans que la République Islamique de Mauritanie a été proclamée.
En revanche, depuis le 6 Août, un clivage – fort mais légitime, et signe de maturité – est apparu.
Les uns jugeant sévèrement, quelles que soient les circonstances et l’héritage, l’exercice du pouvoir par Sidi Ould Cheikh Abdallahi, applaudissent à la prise de pouvoir des généraux Mohamed Ould Abdel Aziz et El Ghazaouani ; ils constatent la baisse des prix des produits de première nécessité, ils entendent le discours de rupture face à la gabegie, la corruption, l’insécurité. Les questions de droit, les représentations internationales leur paraissent totalement décalées par rapport à la réalité ; le nouveau pouvoir leur paraît bénéfique et une dictature bien intentionnée, la forme de gouvernement dont la Mauritanie a besoin, pour une période qu’il est trop tôt de définir. Ces Mauritaniens sont prêts à plébisciter le général Mohamed Ould Abdel Aziz par quelque procédure que ce soit. Les autres défendent bien plus une conception démocratique de la dévolution et de l’exercice du pouvoir que le bilan du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, que celui-ci ait été ou non empêché de gouverner par ceux qui l’ont renversé quand il a voulu s’en libérer.
Pour que le conflit soit tranché dans les urnes – la démocratie – il faudrait que les élections soient transparentes et libres, que le pouvoir en place, comme depuis l’administration coloniale, ne pèse pas sur le scrutin. Il faudrait au préalable que l’actuel président de la République – empêché par les militaires d’exercer le pouvoir – ait librement ouvert la consultation en démissionnant ou qu’il ait été, en tant que tel : ce qui suppose son rétablissement, condamné en Cour de justice. Il faudrait, une fois l’élection acquise, que le processus du 6 Août – une évaluation par les militaires de la manière dont le nouvel élu, si ce n’est pas le général Mohamed Ould Abdel Aziz, exerce le pouvoir – ne se renouvelle pas tous les ans et demi. On en est d’autant plus loin que les militaires assurent que l’on ne reviendra en aucun cas à la situation d’avant le 6 Août, et que le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a affirmé publiquement n’avoir pas négocié avec eux, et assuré aux ambassadeurs européens qu’il se considérait toujours comme le président démocratiquement élu et n’avait nulle intention de remettre son mandat en jeu.
Ailleurs, les militaires putschistes sont contraints d’abandonner la place ou empêchés de la prendre : exception, la Birmanie malgré un prix Nobel de la paix, et la révolte des religieux, et des catastrophes naturelles. La Constitution portugaise, à la suite du renversement de la dictature salazariste en 1974, a disposé que « Les forces armées obéissent aux organes de souveraineté compétents, conformément à la Constitution et à la loi. Les forces armées sont au service du peuple portugais. Elles sont rigoureusement non partisanes et leurs éléments ne peuvent profiter de leur arme, de leur poste ou de leurs fonctions pour toute intervention politique. » (article 275 de la Constitution du 2 Avril 1976). Les colonels grecs payent de l’emprisonnement à perpétuité depuis qu’en Juillet 1974, ils ont été renversés par une marée humaine, la dictature qu’ils avaient imposé au pays en 1967. Les généraux français, du putsch d’Alger en 1961, n’ont été grâciés par de Gaulle qu’en 1968. Idéalement, la sortie de crise est celle-ci : procès et condamnation de la junte auto-proclamée Haut Conseil d’Etat. C’est un schéma évidemment importé. Plus probable, si une élection présidentielle plébiscite le général Mohamed Ould Abdel Aziz, est la réédition de ce qu’a vêcu le pays avec le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya : complots, tentatives de coup d’Etat, élections truquées et tout régime autoritaire engendre la corruption car les intérêts privés ou étrangers veulent des décisions rapides et simples, donc payantes. La gabegie ne date pas de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, mais du putsch de Juillet 1978 : Moktar Ould Daddah est tombé, à l’époque, bien plus pour la chasse aux voleurs et fraudeurs que pour la guerre du Sahara. Les vingt ans de dictature puis de « démocratie de façade » du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya avaient commencé par un préjugé favorable de beaucoup de Mauritaniens, dont d’anciens ministres de Moktar Ould Daddah. Le régime qui s’élabore et que devraient dessiner des « états-généraux de la démocratie » dont l’idée remonte au printemps de 1991 quand commença la première « transition démocratique », mais ne fut pas mise à exécution, manquera d’originalité. Sauf sur un point, sa légalité, sa constitutionnalité, sa légitimité sont et resteront contestés – pas tant par l’étranger – que par une partie des Mauritaniens, qui ne cesseront de s’exprimer. C’est nouveau, ce peut-être décisif.
La cause de ce gâchis et du temps perdu pour le développement, pour l’éducation, pour une participation exemplaire aux groupements régionaux dont fait partie le pays –, me paraît être dans les institutions que les journées de concertation d’Octobre 2005 et le Conseil militaire pour la justice et la démocratie entre Avril et Juin 2006, n’ont pas osé ou pensé modifier.
La Constitution de Juillet 1991 a été bâclée en tout petit comité, recopiant les institutions françaises, via leur transposition algérienne de l’époque. Deux modes de dissolution, bicaméralisme, parlementarisme, dualisme de l’exécutif. Ces complexités, sans aucun terreau traditionnel, n’avaient aucune incidence entre 1992 et 2005 puisque les élections étaient truquées et que le pouvoir était dictatorial : le Parlement enregistrait, la Cour des comptes ne décelait pas la double comptabilité de la Banque centrale permettant au régime d’être en règle avec les instances financières internationales tout en crevant le plafond des avances au Trésor, les redevances de pêches étaient hors budget. Apparence d’état de droit ! Les mêmes complexités ont été désastreuses quand le régime est devenu démocratique, que le nouveau président de la République a été sincèrement légaliste et moral. Tout simplement parce que le principal supposé des institutions est l’alternance au pouvoir par les élections, mais donc à terme légal, et que ces institutions supposent aussi que le chef de l’Etat ne soit pas sous influence d’un pouvoir extra-constitutionnel : l’armée. Il est apparu que le président de la République a été contesté dans son droit de changer le Premier ministre et que ses opposants – originellement ses soutiens – n’ont pas eu la patience d’attendre la prochaine élection présidentielle. Les discussions sur les procédures parlementaires – initiative et formes d’une session extraordinaire, elle-même destinée selon les opposants, à renverser le gouvernement et à conduire le président de la République en Haute-Cour – étaient sans force parce que n’ayant aucun fondement ni dans une expérience nationale assez longue, ni dans la tradition antérieure aux institutions écrites. Il n’y a que du texte ! pour certains Mauritaniens dont Messaoud Ould Boulkheir, président de l’AsSsemblée nationale, ou pour l’étranger que je suis, c’est décisif, pour bien d’autres, c’est discutable ou inutile. Faire obéir le texte plutôt que lui obéir.
Le régime parlementaire ne s’improvise pas, la dictature, si.
Ni l’un ni l’autre ne correspondent au tempérament et au savoir-vivre mauritaniens.
*
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L’expérience de la période fondatrice de la Mauritanie moderne montre qu’un autre mode d’exercice du pouvoir est possible, à condition de l’imaginer librement à partir de soi, à partir de l’identité et de la vie nationale et sociale.
Pour l’étranger que je suis, mais aussi l’observateur de quarante ans, il me semble qu’il faut :
. un régime présidentiel, laissant à une seule pesonnalité pour l’histoire, pour le dehors, pour l’ensemble des forces politiques, pour les gens la charge de tout incarner : les voies de recours, les moyens du consensus, l’expression de la décision faite en équipe. Il est le garant. Moktar Ould Daddah l’a parfaitement incarné, il a été renversé parce qu’il n’opérait pas assez vite le miracle : résoudre la quadrature du cercle saharien, la Mauritanie gardant l’argent du beurre et le beurre, la paix et la réunification.
. le Premier ministre est de trop, soit qu’il empêche le président de gouverner, soit qu’il ne reflète que le président. Le Parlement est un organe formel que comprend l’étranger mais que ne comprennent pas les gens, plus sensibles au rôle d’intermédiaire ou de protecteur que peuvent jouer individuellement les élus. Trop d’élus nationaux et deux chambres rendent flou tout le système que la liberté de former des partis sans élus ni militants (« partis-cartables », dit-on) rend artificiel. La réalité mauritanienne peut – plus efficacement – se gérer avec quelques ministres forts et visibles et, pour la discussion politique, par des associations thématiques ou des familles d’idées, précisément ces « initiatives » qui se sont multipliées ces temps-ci.
. la Chambre de commerce, le Conseil économique et social répondent à peu près au même besoin : une représentation au niveau national et pour accueillir l’étranger, qui soit composée légalement par l’élection et par nomination. Une seule institution socio-économique. Avec l’Assemblée nationale – institution politique –, cela peut suffire.
. l’essentiel doit être l’institutionnalisation de ce que ne fut pas assez périodiquement le Conseil national du Parti du Peuple, et de ce qui s’est cherché avec les « journées de concertation » d’Octobre 2005 et se cherche avec les « états-généraux de la démocratie » : une instance, probablement annuelle, et convocable entretemps exceptionnellement, où tout peut se débattre et où le président de la République, les ministres, les responsables des grandes entreprises nationales, des juridictions suprêmes s’expriment et sont mis à la question en commissions, en ateliers, ou de tout autre manière, en allant au fond des choses. Il en sort des décisions. Celles-ci comme naguère sont exposées – dans tout l’intérieur du pays – à travers des forums locaux ou régionaux, lesquels font remonter les doléances, critiques vers cette instance – quel nom, quel statut ? c’est secondaire, sa réunion et la liberté du débat, tout le temps qu’il faut pour aboutir à la décision consentie par tous ou à peu près, sont l’essentiel.
Ce à quoi il faut ambitionner d’arriver, n’est pas que telle personnalité ou tel parti ait un jour sa chance d’arriver au pouvoir après le retrait ou la défaite de l’équipe régnante, c’est que quotidiennement toutes les forces vives du pays – et l’armée, aussi – soient associées à la décision et à l’exécution de la décision.
Faut-il l’écrire en forme de Constitution ? sans doute pour le régime présidentiel et le monocaméralisme. En profiter au passage pour que le contrôle de constitutionnalité des textes, et éventuellement des abus de l’exécutif, soit possible et effectif, pour que ne soient pas lettres mortes les références dans le préambule de l’actuelle loi fondamentale, à tant de textes fondateurs des droits, des libertés, de l’éthique et des valeurs religieuses bien comprises. Mais l’instance décisive, il faut la laisser apparaître, se roder et devenir le grand rendez-vous national annuel. C’est la participation à cette instance – pratiquement souveraine – qu’il faut régler à partir d’une connaissance approfondie de la société mauritanienne, que je n’ai pas, mais qui est à la portée des collectivités traditionnelles et de toutes formes associatives modernes : partis, syndicats, initiatives, associations de jeunesse, des femmes, de la vie locale, groupements d’intérêts, etc… désignations consensuelles de délégués, auxquelles pouvoir et opposants, tels qu’ils s’identifieraient au Parlement ou au Conseil économique, social et commercial, pourraient ajouter.
La responsabilité et le talent du président de la République sont de susciter et incarner un consensus, ils ne sont ni la dictature qui se termine toujours mal, ni la négociation de couloirs qui impatiente et déçoit tout le monde. Du pluralisme des institutions constitutionnelles et parallèles naissent le contrôle politique et la discussion des alternatives. Quant à la gabegie ou à la corruption, leurs racines sont dans une incompréhension des mécanismes du pouvoir – quand celui-ci n’est pas conforme au tréfonds de l’expérience nationale et traditionnelle : alors l’étranger ou l’intérêt privé corrompent le décideur à leur portée, alors les gens cherchent à se servir et dissimuler au plus vite.
La Mauritanie me semble assez méditative ataviquement, et – hélas – assez proche de redoubler les quelques trente ans de dictature ou de démocratie de façade qu’elle a déjà subis, pour inventer ces institutions-là. Il n’est pas exclu qu’alors, elle apprenne beaucoup aux pays riches où augmente le « déficit démocratique » sur leur propre authenticité, et aux Africains comme aux Arabes que la réalité locale appelle et inspire des institutions locales.
Bertrand Fessard de Foucault . 21 XI 08
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