lundi 11 mai 2015

un livre très parlant : Yahya Ould Menkouss reste habité du président Moktar Ould Daddah


Yahya Ould Menkouss – Un parcours mouvementé
éd. Lignes de repères 109 pages
préface d’Ahmed Ould Sidi Baba


Ce livre, de format modeste et de titre sincère : « vie et carrière d’un administrateur civil mauritanien », est exceptionnel à deux titres. D’expérience, une personnalité témoigne d’une carrière, des affaires que le service de l’Etat lui a fait régler, d’une intimité assez grande avec le fondateur du pays pour que le portrait qui en Mohamed Ali Ould Sidi Mohamed est donné par de multiples retours, répétitions, amendements, nuances, regrets soit plausible et utile. A ma connaissance, cela n’a pas de précédent pour une période aussi longue et des responsabilités aussi variées [1] et devrait inciter beaucoup d’administrateurs et de politiques mauritaniens à prendre eux aussi la plume et livrer leurs archives. Yahya Ould Menkouss donne d’ailleurs deux belles lettres manuscrites du Président (pp. 35 et 38 des 8 et 30 Mai 1960). Et d’autre part, il est montré que l’histoire contemporaine de la Mauritanie se prête à plusieurs interprétations et que les Mauritaniens gagneraient à connaître les faits et à confronter ouvertement leurs mémoires respectives. Ce que les régimes autoritaires depuis 1978 ont systématiquement empêché.

Le livre pèche par modestie ou par insouciance de toute méthode. Au premier rang du Congrès de l’Unité à la fin de la période de Mohamed Khouna Ould Haïdalla, le co-fondateur de la Jeunesse et de la Nahda, ministre et membre du Bureau politique avec Moktar Ould Daddah, ambassadeur à Paris, gouverneur des régions les plus diverses, civil éminent parmi ceux qui créèrent l’ambiance « libérant » certains des militaires d’éventuels scrupules, directeur de la sûreté puis ministre de leur régime, ne propose pas de sytnhèse sur la construction nationale et ses problèmes. Il ne rapporte que des immédiatetés successives, alors qu’il est d’une grande finesse d’observation, ainsi à propos de l’audience du général de Gaulle (pp. 49 & 50) : « nous avons eu une conversation relativement courte dans laquelle chacun devinait ce que pensait l’autre… A toutes ces occasions, j’ai observé chez le Général les faits et gestes d’un grand seigneur qui inspire beaucoup de respect ». Il n’est pas fiable en chronologie [2] : le congrès d’Aleg, opérant déjà une première fusion des partis existant et faisant surtout référence explicite à la vocation mauritanienne à l’indépendance, est daté d’un an plus tôt alors qu’il est de Mai 1958, et la mise en minorité de Moktar Ould Daddah au Bureau politique national en Octobre 1963 n’est pas expliquée (elle est aussi celle d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et de Mohamed Ould Cheikh) et, pire, elle est datée de Janvier 1964, comme à la veille d’un congrès prévu : celui de Kaédi qui fut en réalité une conférence des cadres, anticipant le cycle des séminaires du Parti à partir de 1969 et se transformant d’autorité en instance suprême, ce qui violait les statuts mais dénouait tout. L’ancien et futur ministre d’alors est en revanche exact et informé sur le putsch, notamment l’imprudente réunion de toute la hiérarchie militaire le 5 Juillet 1978 et le bilan calamiteux des finances de guerre. Il a d’ailleurs lu les mémoires du Président avec bonne foi.

Yahya Ould Menkouss est perspicace, les messages personnels à des chefs d’Etat voisins : Léopold Sedar Senghor, Hassan II du Maroc, Sekou Touré, lui sont confiés, et il sait tenir sa langue. Il relève le précédent décisif qu’a constitué le renversement de Modibo Keïta, le très grand voisin, mais il ne comprend pas du tout la dialectique de la question puis de la guerre du Sahara, et encore moins le total désintérêt du Président pour un retour au pouvoir (évocation d’une mission auprès de Léopold Sédar Senghor, p. 94) [3]. Administrateur de trempe et de talent du fait de ses belles origines et d’une formation bien suivie à ce qui avait l’Ecole nationale de la France d’outre-mer (l’I.H.E.O.M.), le montrant par les études de cas qu’il produit en plusieurs matières et régions, il ne sait pas en tirer un enseignement global et transmissible. C’est au lecteur de travailler.

Mais Yahya Ould Menkouss qui réussit à ne mentionner Ahmed Baba Ould Ahmed Miské qu’une seule fois et relativement à sa propre ambassade de Paris, et ne se prononce pas davantage sur la psychologie des putschistes auto-proclamés à la tête de l’Etat (sauf celle d’Ahmed Ould Bousseif qui précisément ne l’était pas, au contraire), donne en revanche des portraits et même un bilan pour la période fondatrice, qui sont exceptionnels. Celui de l’émir Fall Ould Oumeïr, celui plus développé de Mohamed Ould Cheikh [4] et fin, heurté, laudatif, blessant celui de Moktar Ould Daddah. Le Président est en effet présent à presque toutes les pages, sauf celles disant l’ambiance d’enfance et de famille de l’auteur, particulièrement réussies : il est le véritable compagnon de mémoire de l’auteur mais tantôt en accusé [5] tantôt en ange gardien tutélaire [6], tandis que son système personnel ou celui du Parti – eux – sont caractérisés presque avec de l’acharnement. Au point qu’acceptant des militaires un rôle de quasi-procureur du régime déchu, l’ancien nahdiste avoue un plaisir pas bien beau [7]. Alors qu’il en avait ocupé tous les postes loisibles. Au point même de revendiquer qu’il était nécessaire de mettre fin à la période fondatrice, et d’abord de renverser son chef… sans fard, Yahya Ould Menkouss dit sa conviction et raconte même – tout à l’honneur du colonel Bousseif – sa propre tentative de l’amener au coup [8]

« Il convient  de remarquer ici que le Président Moktar et notre pays ont profité des services d’une pléiade d’hommes politiques sortis des écoles de fils de chefs ou de grandes familles guerrières ou maraboutiques, imbus de nos valeurs traditionnelles les meilleures et non encore corrompus par la grande variété des besoins modernes. Ils se contentaient de peu et ils servaient leur pays sans penser à détourner ses ressources qui étaient du reste très maigres. Par contre, les ayant sagement gérées, ils ne furent jamais en cessation de paiement. Non seulement cela, mais encore par excès de fierté et afin de se payer plus de liberté,  le Président Moktar a renoncé à la subvention d’équilibre budgétaire que dionnaient les Français et ce malgré les charges élevées de son combat contre les prétentions marocaines. Depuis le Président Moktar et son époque, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts comme on dit, et ce cap est loin d’avoir été gardé. »  (pp. 79 & 80).

Ould Kaïge




[1] - les mémoires du ministre de l’Energie du Conseil militaire pour la justice et la démocratie, ou du ministre des Affaires étrangères du président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, sont – par construction – beaucoup plus étroitement datés : Mohamed Ali Ould Sidi Mohamed et Mohamed Saleck Ahmed Ethmane

[2] - sa confusion (p. 28) entre deux Georges Poulet, pas même apparentés, l’un ethnologue au début du XXème siècle, et le secrétaire général du Territoire, inamovible de 1946 à 1958, et ayant d’ailleurs épousé une Mauritanienne

[3] - à l’évènement de François Mitterrand, l’été de 1981, soit juste après la tentative héroïque mais sanglante des regrettés colonels Ould Sidi et Abdel Kader, Moktar Ould Daddah se voit proposer carrément l’appui de la France, et – reçu  par le roi Hassan II dans sa résidence française – le soutien du Maroc s’il « souhaite » retrouver le pouvoir. La réponse est catégorique : pas de retour entre les baïonnettes françaises. Pour le Président, l’irrémédiable n’était pas la perte du Sahara mauritanien, mais bien la destruction de l’outil d’unité et de fondation qu’était le Parti

[4] -  Cet homme a énormément servi ce pays et, ce faisant, il a spécialement servi le Président Moktar. C’est lui qui a fait adopter toutes les mesures prises au congrès de Kaédi qui avaient pour effet non seulement de prévenir tous les désordres mais en même temps de concentrer tous les pouvoirs entre les mains du président Moktar. C’est lui qui avait les idées les plus originales et les plus autoritaires pour enserrer tout le monde dans l’état du parti unique afin de ne laisser aucune issue susceptible de troubler l’ordre établi. Avec tout cela, il était hautement désintéressé, mais je pense qu’il avait à cette époque une confiance illimitée en Moktar. Celui-ci l’a mal payé en retour mais peut-être faut-il lui accorder les circonstances atténuantes de la Raison d’Etat qu’il était seul à pouvoir apprécier même si elle ne nous a pas paru évidente.   pp. 45 & 46 – Aujourd’hui encore, je continue à rester très lié à cet homme qui a servi son pays avec une très grande intelligence et beaucoup d’autorité tout en restant plus que désintéressé. C’est pour cela qu’étant aujourd’hui oublié il est resté pauvre parmi les pauvres. Il est vrai que dans ses excès de vérité, il s’est créé pas mal d’ennemis surtout parmi ceux qui voulaient exploiter leur position dans le pays.. Son départ du gouvernement avec ses amis aura été une grande pour la Mauritanie et pour le Président Moktar lui-même. p. 48

[5] - Je savais que cette manière de faire existait depuis l’époque du Président Moktar Ould Ddadah, mais celui-ci en profitait pour renouveler son équipe en faisant politiquement plaisir à une tribu ou à un parti donné. p. 101 -

[6] -  Aimable et sérieux dans ses engagements p. 49… l’homme qui, en réalité, a été l’artisan infatigable et intraitable de l’édification de la Mauritanie en tant qu’Etat indépendant et souverain.  J’ai donc eu le privilège de servir aux côtés de cet homme pendant quatre années. J’étais jeune (la trentaine) et je ne voyais et ne comprenais pas tout. Avec le recul j’ai pensé que j’aurais aimé éviter de le contrer pendant une quinzaine d’années et d’avoir poussé à le renverser. Il est vrai que j’ai eu à lui reprocher des actes injustes à mon égard ainsi que des erreurs politiques assez peu acceptables. Mais à considérer la valeur globale de l’action de l’homme, je devais peut-être  être plus indulgent à son égard p. 44. – Cet homme qui avait tout centralisé et avec lequel j’ai connu des problèmes, pratiquait intelligemment une sorte de démocratie à l’intérieur des institutions, car il acceptait la contradiction sans histoire et cherchait à convaincre au lieu de dicter p. 107 – Ceux qui ont travaillé avec le Président Moktar Ould Daddah (et j’en suis un) savent qu’il était fidèle à son pays et qu’il avait une très haute idée de sa mission. Parti en 1960 avec un pays sans ressources, sans cadres et objet de toutes les convoitises extérieures, il allait imposer un pays incontesté sur le plan international. Chemin faisant, il a su garder la tête haute malgré toutes les contingences qui faisaient pression sur lui et qui auraient fait plier plus d’un. Cela, les Mauritaniens ne doivent jamais l’oublier. C’est pour tout cela que j’ai toujours servi loyalement mon pays en me sentant honoré de servir à ses côtés. Quel besoin aurai-je de mentir aujourd’hui ? Pourtant, me rétorquera-t-on, vous avez participé au renversement du Président Moktar ! C’est vrai, mais ceci est une autre histoire (…) jamais cette idée ne m‘a effleuré tant qu’il était resté égal à lui-même. p. 79 – Il y avait aussi le fait qu’il avait assez duré au pouvoir et que son entourage, à part de rares personnes, n’était pas très apprécié. p. 91

[7] -  la mission ne m’était pas désagréable car je n’avais pas que des amis comme on sait dans ce gouvernement du Président Moktar. p. 96

[8] - je l’ai invité à diriger le mouvement qui me semblait inévitable. Je lui ai exposé la situation du pays et les avantages qu’il y avait à mener l’affaire en force et proprement au lieu que des désordres ne viennent éventuellement compliquer les choses et rendre ce changement coûteux pour tous. p. 92

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