Yahya Ould Menkouss – Un parcours mouvementé
éd. Lignes de repères
109 pages
préface d’Ahmed Ould
Sidi Baba
Ce livre, de format modeste et de titre sincère :
« vie et carrière d’un administrateur civil mauritanien », est
exceptionnel à deux titres. D’expérience, une personnalité témoigne d’une
carrière, des affaires que le service de l’Etat lui a fait régler, d’une
intimité assez grande avec le fondateur du pays pour que le portrait qui en Mohamed Ali Ould Sidi Mohamed est donné par de multiples retours, répétitions,
amendements, nuances, regrets soit plausible et utile. A ma connaissance, cela
n’a pas de précédent pour une période aussi longue et des responsabilités aussi
variées [1] et
devrait inciter beaucoup d’administrateurs et de politiques mauritaniens à
prendre eux aussi la plume et livrer leurs archives. Yahya Ould Menkouss donne
d’ailleurs deux belles lettres manuscrites du Président (pp. 35 et 38 des 8 et 30 Mai 1960). Et d’autre part, il est montré que l’histoire
contemporaine de la Mauritanie se prête à plusieurs interprétations et que les
Mauritaniens gagneraient à connaître les faits et à confronter ouvertement
leurs mémoires respectives. Ce que les régimes autoritaires depuis 1978 ont
systématiquement empêché.
Le livre pèche par modestie ou par insouciance de
toute méthode. Au premier rang du Congrès de l’Unité à la fin de la période de
Mohamed Khouna Ould Haïdalla, le co-fondateur de la Jeunesse et de la Nahda,
ministre et membre du Bureau politique avec Moktar Ould Daddah, ambassadeur à Paris,
gouverneur des régions les plus diverses, civil éminent parmi ceux qui créèrent
l’ambiance « libérant » certains des militaires d’éventuels
scrupules, directeur de la sûreté puis ministre de leur régime, ne propose pas
de sytnhèse sur la construction nationale et ses problèmes. Il ne rapporte que
des immédiatetés successives, alors qu’il est d’une grande finesse
d’observation, ainsi à propos de l’audience du général de Gaulle (pp. 49 & 50) : « nous avons eu une
conversation relativement courte dans laquelle chacun devinait ce que pensait
l’autre… A toutes ces occasions, j’ai observé chez le Général les faits et
gestes d’un grand seigneur qui inspire beaucoup de respect ». Il n’est pas fiable en chronologie [2] : le
congrès d’Aleg, opérant déjà une première fusion des partis existant et faisant
surtout référence explicite à la vocation mauritanienne à l’indépendance, est daté
d’un an plus tôt alors qu’il est de Mai 1958, et la mise en minorité de Moktar
Ould Daddah au Bureau politique national en Octobre 1963 n’est pas expliquée
(elle est aussi celle d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et de Mohamed Ould Cheikh)
et, pire, elle est datée de Janvier 1964, comme à la veille d’un congrès
prévu : celui de Kaédi qui fut en réalité une conférence des cadres,
anticipant le cycle des séminaires du Parti à partir de 1969 et se transformant
d’autorité en instance suprême, ce qui violait les statuts mais dénouait tout. L’ancien
et futur ministre d’alors est en revanche exact et informé sur le putsch,
notamment l’imprudente réunion de toute la hiérarchie militaire le 5 Juillet
1978 et le bilan calamiteux des finances de guerre. Il a d’ailleurs lu les
mémoires du Président avec bonne foi.
Yahya Ould Menkouss est perspicace, les messages
personnels à des chefs d’Etat voisins : Léopold Sedar Senghor, Hassan II
du Maroc, Sekou Touré, lui sont confiés, et il sait tenir sa langue. Il relève
le précédent décisif qu’a constitué le renversement de Modibo Keïta, le très
grand voisin, mais il ne comprend pas du tout la dialectique de la question
puis de la guerre du Sahara, et encore moins le total désintérêt du Président
pour un retour au pouvoir (évocation
d’une mission auprès de Léopold Sédar Senghor, p. 94) [3]. Administrateur de trempe et de talent du fait de ses
belles origines et d’une formation bien suivie à ce qui avait l’Ecole nationale
de la France d’outre-mer (l’I.H.E.O.M.), le montrant par les études de cas
qu’il produit en plusieurs matières et régions, il ne sait pas en tirer un
enseignement global et transmissible. C’est au lecteur de travailler.
Mais Yahya Ould Menkouss qui réussit à ne mentionner
Ahmed Baba Ould Ahmed Miské qu’une seule fois et relativement à sa propre
ambassade de Paris, et ne se prononce pas davantage sur la psychologie des
putschistes auto-proclamés à la tête de l’Etat (sauf celle d’Ahmed Ould
Bousseif qui précisément ne l’était pas, au contraire), donne en revanche des
portraits et même un bilan pour la période fondatrice, qui sont exceptionnels.
Celui de l’émir Fall Ould Oumeïr, celui plus développé de Mohamed Ould Cheikh [4] et
fin, heurté, laudatif, blessant celui de Moktar Ould Daddah. Le Président est
en effet présent à presque toutes les pages, sauf celles disant l’ambiance d’enfance
et de famille de l’auteur, particulièrement réussies : il est le véritable
compagnon de mémoire de l’auteur mais tantôt en accusé [5]
tantôt en ange gardien tutélaire [6],
tandis que son système personnel ou celui du Parti – eux – sont caractérisés
presque avec de l’acharnement. Au point qu’acceptant des militaires un rôle de
quasi-procureur du régime déchu, l’ancien nahdiste avoue un plaisir pas bien
beau [7].
Alors qu’il en avait ocupé tous les postes loisibles. Au point même de
revendiquer qu’il était nécessaire de mettre fin à la période fondatrice, et
d’abord de renverser son chef… sans fard, Yahya Ould Menkouss dit sa conviction
et raconte même – tout à l’honneur du colonel Bousseif – sa propre tentative de
l’amener au coup [8]…
« Il
convient de remarquer ici que le Président Moktar et notre pays ont
profité des services d’une pléiade d’hommes politiques sortis des écoles de
fils de chefs ou de grandes familles guerrières ou maraboutiques, imbus de nos
valeurs traditionnelles les meilleures et non encore corrompus par la grande
variété des besoins modernes. Ils se contentaient de peu et ils servaient leur
pays sans penser à détourner ses ressources qui étaient du reste très maigres.
Par contre, les ayant sagement gérées, ils ne furent jamais en cessation de
paiement. Non seulement cela, mais encore par excès de fierté et afin de se
payer plus de liberté, le Président
Moktar a renoncé à la subvention d’équilibre budgétaire que dionnaient les
Français et ce malgré les charges élevées de son combat contre les prétentions
marocaines. Depuis le Président Moktar et son époque, beaucoup d’eau a coulé
sous les ponts comme on dit, et ce cap est loin d’avoir été gardé. » (pp. 79 & 80).
Ould Kaïge
[1] - les
mémoires du ministre de l’Energie du Conseil militaire pour la justice et la
démocratie, ou du ministre des Affaires étrangères du président Sidi Mohamed
Ould Cheikh Abdallahi, sont – par construction – beaucoup plus étroitement
datés : Mohamed Ali Ould Sidi Mohamed et Mohamed
Saleck Ahmed Ethmane
[2] - sa
confusion (p. 28) entre deux Georges Poulet, pas même apparentés, l’un
ethnologue au début du XXème siècle, et le secrétaire général du Territoire,
inamovible de 1946 à 1958, et ayant d’ailleurs épousé une Mauritanienne
[3] - à
l’évènement de François Mitterrand, l’été de 1981, soit juste après la tentative
héroïque mais sanglante des regrettés colonels Ould Sidi et Abdel Kader, Moktar
Ould Daddah se voit proposer carrément l’appui de la France, et – reçu par le roi Hassan II dans sa résidence
française – le soutien du Maroc s’il « souhaite » retrouver le
pouvoir. La réponse est catégorique : pas de retour entre les baïonnettes
françaises. Pour le Président, l’irrémédiable n’était pas la perte du Sahara
mauritanien, mais bien la destruction de l’outil d’unité et de fondation
qu’était le Parti
[4]
- Cet
homme a énormément servi ce pays et, ce faisant, il a spécialement servi le
Président Moktar. C’est lui qui a fait adopter toutes les mesures prises au
congrès de Kaédi qui avaient pour effet non seulement de prévenir tous les
désordres mais en même temps de concentrer tous les pouvoirs entre les mains du
président Moktar. C’est lui qui avait les idées les plus originales et les
plus autoritaires pour enserrer tout le monde dans l’état du parti unique afin
de ne laisser aucune issue susceptible de troubler l’ordre établi. Avec tout
cela, il était hautement désintéressé, mais je pense qu’il avait à cette époque
une confiance illimitée en Moktar. Celui-ci l’a mal payé en retour mais
peut-être faut-il lui accorder les circonstances atténuantes de la Raison d’Etat
qu’il était seul à pouvoir apprécier même si elle ne nous a pas paru
évidente. pp. 45 & 46 – Aujourd’hui encore, je continue à rester
très lié à cet homme qui a servi son pays avec une très grande intelligence et
beaucoup d’autorité tout en restant plus que désintéressé. C’est pour cela
qu’étant aujourd’hui oublié il est resté pauvre parmi les pauvres. Il est vrai
que dans ses excès de vérité, il s’est créé pas mal d’ennemis surtout parmi
ceux qui voulaient exploiter leur position dans le pays.. Son départ du
gouvernement avec ses amis aura été une grande pour la Mauritanie et pour le
Président Moktar lui-même. p. 48
[5] - Je savais que cette manière de faire
existait depuis l’époque du Président Moktar Ould Ddadah, mais celui-ci en
profitait pour renouveler son équipe en faisant politiquement plaisir à une
tribu ou à un parti donné. p. 101 -
[6] - Aimable
et sérieux dans ses engagements p. 49…
l’homme qui, en réalité, a été l’artisan infatigable et intraitable de
l’édification de la Mauritanie en tant qu’Etat indépendant et souverain. J’ai donc eu le privilège de servir aux côtés
de cet homme pendant quatre années. J’étais jeune (la trentaine) et je ne
voyais et ne comprenais pas tout. Avec le recul j’ai pensé que j’aurais aimé
éviter de le contrer pendant une quinzaine d’années et d’avoir poussé à le
renverser. Il est vrai que j’ai eu à lui reprocher des actes injustes à mon
égard ainsi que des erreurs politiques assez peu acceptables. Mais à considérer
la valeur globale de l’action de l’homme, je devais peut-être être plus indulgent à son égard p. 44. – Cet homme qui avait tout centralisé et avec
lequel j’ai connu des problèmes, pratiquait intelligemment une sorte de
démocratie à l’intérieur des institutions, car il acceptait la contradiction
sans histoire et cherchait à convaincre au lieu de dicter p. 107 – Ceux qui ont travaillé avec le Président
Moktar Ould Daddah (et j’en suis un) savent qu’il était fidèle à son pays et
qu’il avait une très haute idée de sa mission. Parti en 1960 avec un pays sans
ressources, sans cadres et objet de toutes les convoitises extérieures, il
allait imposer un pays incontesté sur le plan international. Chemin faisant, il
a su garder la tête haute malgré toutes les contingences qui faisaient pression
sur lui et qui auraient fait plier plus d’un. Cela, les Mauritaniens ne doivent
jamais l’oublier. C’est pour tout cela que j’ai toujours servi loyalement mon
pays en me sentant honoré de servir à ses côtés. Quel besoin aurai-je de mentir
aujourd’hui ? Pourtant, me rétorquera-t-on, vous avez participé au
renversement du Président Moktar ! C’est vrai, mais ceci est une autre
histoire (…) jamais cette idée ne m‘a effleuré tant qu’il était resté égal à
lui-même. p. 79 – Il y avait aussi le
fait qu’il avait assez duré au pouvoir et que son entourage, à part de rares
personnes, n’était pas très apprécié. p. 91
[7]
- la
mission ne m’était pas désagréable car je n’avais pas que des amis comme on
sait dans ce gouvernement du Président Moktar. p. 96
[8] - je l’ai invité à diriger le mouvement qui me
semblait inévitable. Je lui ai exposé la situation du pays et les avantages
qu’il y avait à mener l’affaire en force et proprement au lieu que des
désordres ne viennent éventuellement compliquer les choses et rendre ce
changement coûteux pour tous. p. 92
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