dimanche 3 mai 2015

journal d'il y a cinquante ans ... ma première sortie de Nouakchott


+                                                                Lundi 3 Mai 1965  .  14 heures 25 



Week-end merveilleux à Mederdra (Trarza), vendredi, samedi, dimanche, avec Francis et Ahmed Ould Ely El Kory. Coucher à Rosso, chez le Résident. Piste Rosso-Mederdra, sable, séances de poussage, arrivée à Mederdra vers 11 heures. Thé. Repas. Re-thé. Re-repas (le premier repas ayant été baptisé casse-croûte). Sieste jusqu’à 16 heures 30. Petite excursion sur la dûne.

Mederdra écrasée de chaleur. Quelques constructions en banco ou en dur, sur du sable rouge. Gris noir, blanc, vert poussiéreux des arbres au feuillage très gracile, sable rouge des « cours » que délimitent des murs de un mètre de haut. Dûne qui paraît barrer l’horizon, au loin, un peu comme les Pré-Alpes dans le Sillon rhôdanien, mais qui n’est qu’à cinq cent mètres de nous, et que l’on escalade en cinq minutes. Manque de points de repère. Habitude de voir toute éminence comme lointaine et élevée. Alors que celle-ci est basse et proche. Curieux effet du sable, gondolé, ciselé, découpé, massé, assoupli, érodé par le vent. Cram-cram dans les sandales. Une vingtaine d’enfants autour de nous. Beaucoup de naïve découverte.

Coucher au campement de l’émir qui était absent (membre du B.P.N., député, en tournée dans le Hodh). Arrivée au crépuscule à El Mahsar. Thé à la tente émirale. Les enfants. Le fils : Ahmed Salem, de l’émir. Beau et intelligent, occupant d’instinct la première place que les autres enfants ne lui contestent pas. Il les bouscule d’ailleurs et arbitre leurs petites batailles. Rôle des femmes, dans la conversation. Peu d’hommes. Troupeaux qui reviennent le soir et repartent le matin. D’ailleurs, troupeaux réduits aux chamelles laitières. Il semble que le reste ne revienne que pour l’hivernage.

Coucher à la belle étoile. Il y avait longtemps que je ne l’avais fait. Guère de dépaysement, grâce à la jovialité familière et « française » de Ahmed, et au fait que nous ne passions que peu de temps. Formalisme fantastique de la prière. Et cependant imprégnation aussi des esprits : « Rien de grave n’arrive » . Mektoub. Abdul Allah . Dieu soit loué !

Avec Francis, nous avons un peu bavardé, avant de nous endormir. Comme la nuit passée à Rosso. Combien il faut être sûr de sa civilisation, pour admirer celle des autres. Ne pas se mauritaniser. Ils attendent de nous qu’on les fasse évoluer. Ne pas donc décevoir leur attente. Je crois qu’ils attendent que nous soyions français à 100% car ils savent que les Français les comprennent.

Le lendemain matin, lait de chamelle à foison. Pas mauvais, mais il faut s’y habituer. Promenade à travers le campement guidé par Ahmed Salem et ses petits compagnons. Assez grande platitude des lieux mais beauté des visages, et unité des couleurs. Silence relatif. Tente des cordonnières, qui se sont complaisamment laissées prendre en photos. Ecole coranique, avec les filles qui annonnaient le Coran, dont quelques versets étaient écrits sur des planchettes rondes. J’ai eu l’impression qu’elles se fichaient de nous, tant la scène était jacassante et « cinéma ». Autour du puits, la poulie et la margelle de bois, sculptées par la corde, merveilleusement polies. Beaucoup de folie.

Jaune doré du bois. Le sable. Quelques vache et ânes. Et encore plus beau, en revenant à Mederdra. Quantité de bovins. Trois petits ânes tirant la corde, et revenant au petit trot. Guère de poussière. Chant étrange, mélodieux et aigu de la poulie et de la corde. Je n’aurai jamais cru que ce peut faire un tel chant, et croyais qu’il s’agissait d’un instrument de musique, jusqu’au moment où je me suis approché. Les Maures se détachant sur le ciel et versant les seaux de caoutouchouc dans l’auge, où les bovins alignent leur tête. Le fond : dûne de Mederdra. Le sol, gris, jonché de crotin noir. Et le chant du puits.

Et l’impression d’un rassemblement possible. Chacun faisant son travail, suivant de très vieilles habitudes : les hommes versant l’eau et faisant s’approcher, boire ou s’éloignerles bêtes, les ânes circulant le long de la même ligne, et tirant la corde, tirant le seau, et faisant chanter le puits, et le cœur de tous, et mon cœur. Et les bêtes attendant, sans avoir l’air d’attendre, et buvant longuement ; Guère de précipitation, on a le temps. Lumière venant de partout. Singulière harmonie des couleurs : auprès des puits de Mederdra : rouge, orange, rose. Rouge du sable, orange des animaux, rose de la dûne avec des reflets orange, tache brune des visages, blanche ou noire ou bleue des vêtements.

Symphonie encore sur la piste qui retourne à Rosso. Tout est brun ou beige, et la végétation est sans feuille, que l’incendie a noircie. Série de dessins au fusain et chaque détour de la piste cahotante, nous fait tourner la page d’un merveilleux album. Toutes les pages se ressemblent, car les détails qui changent, veulent dire la même chose : lumière, chaleur, le temps qui passe et qui ne compte pas, toute une harmonie, des couleurs, et des sons qui s’égaillent dans l’espace chaud et sans limite, constituent le silence.

Retour en cinq heures de Mederdra à Nouakchott. Un arrêt pour boire et crever, et donc changer la roue. Nouvel arrêt cinquante kilomètres avant Nouakchott, pour remettre de l’essence. Piste droite jusqu’à l’horizon où elle n’est plus qu’un point. Ego sum via.

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