samedi 14 novembre 2009

Moktar Ould Daddah + 15 Octobre 2009 - essai d'un portrait

Moktar Ould Daddah


essai d’un portrait . six ans après


à relire

multiples notes et précisions de noms et de dates à établir

= figurera dans mon livre en gestation sur l'année putschiste


esquisse qui aura des répondants bien plus brefs avec une présentation des autres personnalités ayant fait fonction de chef de l’Etat ou ayant été élus – le portrait ci-dessous est le plus étendu pour deux raisons : la première est que j’ai connu personnellement et sur longue durée le Président tant en fonction qu’en exil puis à l’occasion de l’aboutissement de ses mémoires, tandis que je n’ai pas approché (encore) le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya ni le général Mohamed Ould Abdel Aziz, et que la conversation que les colonels Mustapha Ould Mohamed Saleck et Mohamed Khouna Ould Haïdalla m’ont permis d’avoir, de confiance, avec eux, éclaire certes leurs intentions et le bilan de leur présence au pouvoir, mais ne me donne pas une expérience certaine de la manière dont ils l’ont exercé ; la seconde est que Moktar Ould Daddah est une référence positive presqu’unanimement reconnue, mais pas forcément connue au vrai, notamment en ce qui concerne l’arabisation et le parti unique de l’Etat, tandis que ses successeurs militaires n’apparaissent pas (encore) dans la mémoire collective mauritanienne, très positivement.

La relation que m’a donnée d’avoir avec lui le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi – initialement fondée sur des moments ensemble dans l’accompagnement de Moktar Ould Daddah en Conseil national du Parti ou en tournée dans l’intérieur du pays – est, concernant l’actualité et l’objet proprement dit de cette réflexion, à la fois intime, ce qui m’honore, et lacunaire, parce que je ne l’ai pas connu dans l’exercice de ses fonctions présidentielles. Il s’en est fallu de peu.



Alors, y a-t-il de quoi s’enorgueillir ? Absolument pas. Au nom de quoi le ferions-nous ? Est-ce au nom d’une loi que nous pratiquerions ? Pas du tout ! C’est au nom de la foi. [1]

C’est paradoxalement un apôtre fondateur du christianisme qui – en proposition de textes à l’anniversaire, le sixième de sa mort – donne l’épitaphe le plus approprié, et qui pourrait d’ailleurs être mis dans sa bouche. A rapprocher d’une boutade-appréciation qui lui faisait souvent conclure ce qu’il entendait rapporter sur tel ou tel de ses compatriotes et même co-équipiers : plus à plaindre qu’à blâmer.
Un homme aussi simple, et cependant pour le décrire, sinon pour l’expliquer, que de côtés pour l’aborder. Pourtant, pas plus facile d’accès physique que lui, surtout si l’on considère qu’il s’agissait d’un chef d’Etat, dont assurément la disparition – qui ne l’a d’ailleurs constaté dès le 10 Juillet 1978 – changerait le cours de l’histoire de son pays, et sans doute en bonne partie celle du continent africain, au moins. Pas plus aisé non plus à comprendre dès lors qu’avait été éprouvé sa constante : ses propos correspondaient à son action et s’il retardait souvent et longtemps l’énoncé d’une pensée, c’est qu’il attendait que ce devienne une décision possible d’exécution et souhaitable dans l’intérêt du pays. Donc, pas du tout un personnage double, au contraire de ce que beaucoup d’observateurs étrangers – et notamment la succession des ambassadeurs de France – ont éprouvé. Simplement, parce que le silence ou l’attention d’un interlocuteur ne correspondent à l’unilatéralisme francocentré des points de vue et des façons de Paris, et à la volubilité de la diplomatie française. Au contraire, les Mauritaniens l’ont toujours, avant comme pendant qu’il exerce le pouvoir, perçu avec justesse, au point que le silence qu’il gardât jusqu’en 1995, puis de son retour d’exil, le 17 Juillet 2001 jusqu’à sa mort, le 15 Octobre 2003, fut parfaitement compris, pas du tout comme une position, mais comme une parole fondamentale, éloquente.

Moktar Ould Daddah fut parfaitement adéquat à une mission et à son pays, aux circonstances. Celles-ci lui imposèrent le plus souvent leur ryhtme, mais ne contraignirent jamais ni sa vision ni – précisément – sa foi. Ni, non plus son comportement.

En rappeler la personnalité n’est pas redondant ni superflu. Au matin de sa mort, la veille de la parution de ses mémoires, la radio gouvernementale – Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya régnant, qui avait été membre fondateur du Comité militaire de salut national, le 10 Juillet 1978 – a pu attribuer à Moktar Ould Daddah la responsabilité des morts déplorées le 28 Mai 1968 à Zoueratte. Successeur, lui aussi putschiste – même si ce fut sans doute pour le bien commun – Ely Ould Mohamed Vall assimila à plusieurs reprises [2] le régime politique fondé évolutivement de 1957 à 1978, dans une ambiance de consensus toujours reconstitué en plus vaste, à mesure des crises ou des contestations, à celui ayant prévalu de 1992 à 2005. Successeur enfin dans la série des coups militaires, Mohamed Ould Abdel Aziz date la gabegie, thème et motif principaux de son renversement du président élu démocratiquement (selon les normes « occidentales ») de cinquante ans de date [3], soit du début des responsabilités de Moktar Ould Daddah !

La manière de faire et d’être de celui-ci correspond à une définition parfaite de la politique, et l’extraordinaire est que c’était d’application dans un pays ne manque de ressources humaines et financières, sans véritable tradition d’Etat et à la cohésion nationale et sociale problématique. A la fois une vision et une ténacité, l’une soutenant l’autre, les deux, très vite perçues pour telles par ses compatriotes, permettant à Moktar Ould Daddah de peser, par la question de confiance aux moments des hésitations et donc des choix, sur ceux-là mêmes qui le cooptaient pour le placer au pouvoir, puis sur ceux qui au contraire le critiquaient ou souhaitaient l’abandon de ses projets. Pendant plus de vingt ans, Moktar Ould Daddah lia sa personne et son exercice du pouvoir – très peu contestés, presque dès le début – à des décisions ou à l’évolution d’un régime qu’au contraire amis et adversaires admettaient mal ou contestaient ouvertement. Question de confiance au sein de réunions restreintes : groupe parlementaire du parti dominant puis unique, bureau politique national. Mais recherche constante d’un consensus très au-delà.

Cette dialectique d’une tension interne et d’une détente par les ralliements obtenus en dehors du cercle de la décision, a donné le rythme national de la période fondatrice.

Nominalement, Moktar Ould Daddah fait partie de cette élite trarza, proche de l’administration française, qui a contesté – dans l’intérêt et avec l’appui de cette administration – la manière dont le premier député élu par le Territoire à l’Assemblée nationale métropolitaine, exerce son mandat. Il est d’ailleurs l’un des membres fondateurs et dirigeants du premier parti politique à se fonder en Mauritanie : l’Union progressiste de Mauritanie, dont l’apparition et l’organisation force le parlementaire à créer son propre mouvement, dont l’assise tribale et territoriale sera différente. L’U.P.M. et son candidat – Sidi El Moktar N’Diaye – emportent toutes les élections et tous les sièges à partir de 1951. Dès ce moment, le pays choisit de vivre dans un système exclusif sur lequel les opposants n’ont pas de prise institutionnelle. C’est l’erreur – jusqu’à présent tragique – que de ne pas comprendre depuis 1991 qu’un régime politique, surtout à composante parlementaire, puisse fonctionner en Mauritanie selon la tolérance et la patience d’opposants en attente d’alternance. Moktar Ould Daddah, au contraire, a constamment jugé que seule la participation de toutes les personnalités et tendances à l’exercice présent du pouvoir est efficace et pacifiante. Il impose donc, dès qu’il est coopté par les vainqueurs de l’élection générale de Mars 1957 et par l’administration française, une manière de composer le premier gouvernement national tout à fait contraire au souhait de ses mandants : deux membres de l’Entente mauritanienne entrent au gouvernement, les dissidences neuf mois après, non seulement ne le découragent pas, mais imposent à son sens le congrès de fusion des deux partis, ce qui est consenti par le parti dominant au congrès tenu à Aleg. De la même manière, de l’été de 1960, présageant la proclamation de l’indépendance à l’hiver de 1961, Moktar Ould Daddah impose au Parti du regroupement mauritanien qui a remporté tous les sièges à l’élection de Mars 1959, l’unité avec les formations qui avaient vu le jour soit par contestation du oui au referendum proposé par la métropole française, soit par attachement au projet fédéral du Mali dans l’ex-Afrique occidentale française, soit tout simplement par manœuvres françaises pour couvrir dans le nord mauritanien le flanc sud-ouest de la guerre française en Algérie. Dès lors, la recherche consensuelle et l’extension toujours plus large des participations à la construction politique de la Mauritanie se font par l’ouverture du parti unique de l’Etat, incidemment au retour des contestataires, et principalement à l’accueil de la jeune génération de 1969 à 1971, puis des mouvements d’opposition actifs de 1973 à 1975.

Cette conduite a toujours eu deux scènes, l’une intérieure au parti dont personne au sein de celui-ci ne conteste qu’il soit dirigé par Moktar Ould Daddah, secrétaire général cumulativement avec la fonction de c chef suprême de l’exécutif d’Etat, l’autre extérieure. Moktar Ould Daddah s’appuie en fait sur l’extérieur pour contraindre l’intérieur à une mûe et à l’ouverture. Quoique d’habitudes françaises par leurs têtes de file, l’ancien député de 1951 à 1958 et l’ancien représentant du Territoire à l’Assemblée de l’Union française, les élus de Mars 1959 consentent majoritairement à la constitutionnalisation d’un parti unique de l’Etat et au monopole de celui-ci pour la présentation de tout candidat à toute élection politique. Cette génération est, pour l’essentiel, remplacée aux élections de Mars 1965 mais la nouvelle doit accepter les élargissements et ouvertures concrétisés aux congrès de Juillet 1971 et Août 1975, et à tel point qu’à partir de 1975, le fonctionnement même du parti unique change substantiellement. Gouverné de fait par le groupe parlementaire, le Parti qu’il soit d’abord du Regroupement mauritanien, puis du Peuple mauritanien, est dirigé de 1966 à 1975 par un comité permanent du bureau politique national, cinq ou six personnes dont le président de la République, secrétaire général, Moktar Ould Daddah. Le changement est total en 1975 quand se conclut le processus, qui, de 1969 à cet été-là, fut conduit parallèlement à la montée des oppositions. Elargissements et ralliements d’une part, obtenus par les longs et très approfondis débats en séminaires des cadres région par région, et d’autre part par des décisions effectivement révolutionnaires comme la renégociation de la coopération avec l’ancienne métropole, l’indépendance monétaire et la nationalisation de la principale entreprise du pays. Le parti est dès lors dirigé par une instance nombreuse, le bureau politique national où des membres de droit, membres du gouvernement ou représentants d’institutions de l’Etat ou de la société ou de l’économie, siègent à côté d’élus directs en congrès. Les orientations du parti sont débattues désormais, entre les congrès, en conseil national. Moktar Ould Daddah, du début à la fin de son exercice de la responsabilité suprême, privilégie la participation la plus large possible – à tous risques, dont celui, pendant la dernière période, de se priver d’une instance exécutive très restreinte pouvant faire office de cabinet de guerre quand le partage du Sahara dégénère en confrontation avec l’Algérie, après avoir été, pendant la première période, aux énoncés de la revendication marocaine, plusieurs fois trahi par ceux qu’il avait appelé à gouverner avec lui.

La démocratie, selon Moktar Ould Daddah, est dans les comportements, non dans les textes. Ceux-ci – centralisme démocratique dans le fonctionnement du Parti, vote à main levée, démission en blanc, désignation des candidats, animation locale des militants par les responsables de l’administration d’Etat – sont littéralement contraignants. Les dictatures militaires qui suivirent le renversement du fondateur, puis la démocratie de façade jusqu’en 2005 et même l’année putschiste ont disposé des lois de 1973 pour les interdictions et les répressions dont elles ne se sont pas privées. Le cadre-même de l’action ou du débat politique est, dès 1959, quand la Mauritanie acquiert sa pleine liberté de législation et de gestion, sévèrement contenu dans le cadre du parti gouvernemental. L’autorisation des mouvements contestataires est laborieuise, jusqu’à ce qu’elle soit systématiquement refusée à l’automne de 1964, ce qui amène à chercher un fondement à l’interdiction de fait : la constitutionnalisation du parti unique. Fermeté inattendue à l’origine du jeune avocat-stagiaire à la parole longtemps peu aisée : Moktar Ould Daddah synthétise les situations, surtout quand elles sont le fait de contradictions et d’antagonismes, et cherche des solutions qui seront soumises au consensus, mais actées par écrit pôur devenir des statuts, des institutions. C’est le processus de la conférence des cadres réunie à Kaédi, du au Janvier 1964, et se transformant en congrès extraordinaire. Mais, le cadre établi, deux pratiques sont constantes. La première est la liberté du débat en réunion, elle a pour corollaire ce qui, de l’extérieur, semble totalitaire : l’absence de vote ou le vote à main levée, mais reflète concrètement des aboutissements à force de discussion et surtout de temps. En conseil des ministres, pas de vote, encore moins au bureau politique national, une fois surmontée la crise de l’automne de 1963. C’est-à-dire que personne ne peut se sentir en minorité, donc contraint ou humilié. Moktar Ould Daddah peut entrer en réunion avec une opinion ou une certitude pour se ranger, non à un avis majoritaire, mais pour se rendre à un ou des arguments qui le convainquent. Il tient même, quoique la Constitution présidentielle de 1961 ne requiert pour les décisions de l’exécutif que sa signature, à ce que des décisions gouvernementales aient vraiment l’aval de l’ensemble des ministres, quitte à ne pas persévérer dans sa résolution initiale. La seconde pratique est l’écoûte dans des mises au débat informelles : les tournées dites de prise de contact où le discours en assemblée populaire, à l’arrivée sur les lieux, simple appel à l’union et à la militance, est toujours suivi de réunion de cadres, quand ce ne sont pas des séminaires où sont admis les opposants. Cette forme du débat n’est pas celle des débuts où le cercle est encore peu fourni, si peu que l’élargir n’est pas aller à la foule : les enceintes gouvernementales ou parlementaires y suffisent. Mais le retour au pays d’une génération nouvelle, ayant étudié en Europe occidentale surtout, en France notamment, dans une ambiance tant à l’université que selon les médias et la vie quotidienne fort différente de celle prévalant désormais à Nouakchott, fait imaginer de longues sessions dans l’intérieur du pays puis dans la capitale où les ministres doivent s’expliquer sur leurs gestions et le président de la République davantage sur les abus ou contradictions qu’il couvre plutôt que sur de grandes orientations économiques ou diplomatiques. Ces tournées, qui valent en fait inspection et examen direct par le chef de l’Etat et du Parti, inspirent souvent des changements dans l’organisation du pays ou du parti, et les formes de l’administation. Ces débats en séminaires furent conclus par l’ouverture du gouvernement et du bureau politique national à la nouvelle génération, et par une relance de discussions plus formelles, suivies de rédactions et de débats dans les institutions d’Etat sur les grands sujets culturels et économiques.

En somme, l’apparence de monisme que peut donner le système du parti unique de l’Etat ne décrit pas du tout la réalité. Les moments et les lieux de discussion sont, de 1957 à 1978, nombreux et très divers. Chaque vague ou génération ou thèmes d’opposition a donné lieu à une prise en compte par le régime, à son ouverture à des personnalités nouvelles, à l’adoption finalement de solutions longtemps éludées. Deux sujets notamment le montrent. L’option d’arabisation progressive – sur laquelle les successeurs après 1978 sont tous revenus – et la nationalisation de l’extraction et du commerce du fer. Réclamées ou discutées dans la rue et à chaque congrès du Parti, ces décisions ne furent que progressivement mises en œuvre, et tardivement. A partir de 1996 pour la réappropriation officielle de l’arabe, à partir de préparatifs institutionnels puis monétaires de 1971 et de 1973, pour Miferma. Moktar Ould Daddah, dans l’intervalle, écoûte, mûrit et médite, exactement comme il médita la relation entre sa patrie et la métropole coloniale française dans les années 1940 et 1950 à Atar, à Bir-Moghrein, à Nice, à Paris, sans trop dire ni faire sentir vers quoi il se sentait aller.

Démocratie et indépendance sont pour lui de même racine, une conception de la dignité de l’homme. L’homme dominé par un pays étranger, se voit refuser sa dignité. Le débat en réunion, l’écoûte parfois méritoire des exposants ou des demandeurs sont affaire de respect. Et ne pas obtempérer aux convenances françaises d’une signature des accords de coopération, y compris de solidarité militaire, préalablement à l’indépendance, ou la mise en demeure algérienne d’avoir à renoncer aux accords sahariens avec le Maroc, est – pour Moktar Ould Daddah, physiquement alors sur la ligne de front – défendre la dignité de chacun de ses compatriotes.

Souplesse de l’exécution, longue et profonde maturation des décisions – rien de spontané ni d’immédiat, sauf en relations extérieures (les ruptures avec la Grande-Bretagne quand la Rhodésie du sud proclame son indépendance, avec les Etats-Unis lors de la guerre des Six-Jours) – mais l’intransigeance dans deux domaines qui étaient décisifs pour que soit fondée la Mauritanie actuelle.

La revendication marocaine sur l’ensemble mauritanien et le projet français d’une exploitation des ressources sahariennes impliquant une réorganisation des territoires limitrophes pour en englober tout ou partie étaient inacepptables, ou alors la Mauritanie aurait disparu en tant que Terriroire puis Etat. Vis-à-vis de ces deux projets qui anéantiraient la personnalité nationale, juste au moment où enfin des institutions sont à portée de s’établir, le consensus mauritanien est à peu près total avant même que se forme le gouvernement d’application locale de la loi-cadre, mais le projet d’Etat qui résulte de celle-ci exacerbe la tension avec le Maroc et à peine moins avec Paris, du fait de la guerre d’Algérie qui redouble tandis qu’est mis en évidence le potentiel pétrolier. Pas de compromis possible. Les propositions, nombreuses en sous-main, du Maroc sont donc rejetées systématiquement jusqu’à une invitation à participer à la conférence islamique provoquée par l’incendie de la mosquée Al Aqsa à Jérusalem. Sans doute, le prétexte et la forme ne sont-ils pas strictement une déclaration de reconnaissance mais le fond y est. A de Gaulle en personne, venu à Nouakchott en bonne partie pour cela, la participation à l’O.C.R.S. est refusée. Il est vrai que l’indépendance algérienne soit que davantage contestée son corollaire saharien a eu, pour effet, d’empêcher jusqu’à présent une réelle exploitation commune entre une bonne dizaine d’Etats parce que ceux-ci sont indépendants, et qu’aujourd’hui les coopérations sécuritaires sont bien moins efficaces que les libertés de déplacement et d’action de mouvements incontrôlés. Moktar Ould Daddah, qui, pas plus que la Mauritanie elle-même, n’était en situation de suivre l’exemple de Sékou Touré pour refuser l’option référendaire du général de Gaulle, en a cependant toujours eu le réflexe : plutôt pauvre et en difficulté, que soumis. Donc, la Mauritanie indépendante en relations internationales.

Mais aussi la Mauritanie unie. Là encore, le consensus mauritanien est à peu près total dans l’idéal, mais les modalités diffèrent et sont d’application dangereuse. Faire partie d’une fédération dite primaire de l’Afrique occidentale française consacrant les liens d’administration commune établis à mesure de la conquête est d’autant plus discuté au moment où le territoire va bénéficier d’institutions le menant à l’autonomie de gestion que pour beaucoup, c’est une sécurité vis-à-vis du Maroc et une garantie contre une aliénation saharienne. La population sédentaire dans la vallée du Fleuve et dans nombre d’oasis est un des éléments pour la résistance mauritanienne à l’absorption par le nord, mais c’est aussi un tropisme vers une fédération du Mali dont la providence – pour la Mauritanie – voudra bien qu’elle échoue, peu avant l’indépendance de la jeune République Islamique. Si la Nahda était un parti de jeunesse nationaliste et contestataire, ne récusant pas trop la revendication marocaine, tactiquement valorisante, en revanche l’Union nationale mauritanienne adopte des thèses étrangères au pays et semble faire écho aux arrière-pensées et aux façons de voir sénégalaises, et même pis en pouvant correspondre à des tendances sécessionnistes au sud. L’indépendance proclamée déplace la revendication qui, devenue interne, tend à réclamer autrement la même identité, qu’on dirait aujourd’hui « négro-africaine », un adjectif que n’employa jamais Moktar Ould Daddah. Celui-ci accepta la mise à l’ordre du jour de garanties à la minorité au congrès de l’Unité, ce qui était en soi paradoxal. Les débats constitutionnels – en forme de réunions informelles à l’intérieur du pays en 1959 ou au sein du groupe parlementaire en 1961 – avaient déjà rejeté l’institutionnalisation de ces garanties. Le chef du gouvernement et du parti les pratiquait sans texte, mais selon les personnes. Il l’a expliqué dans ses mémoires et cela se voyait manifestement. La question d’une formalisation s’éluda d’elle-même devant des urgences telles que la mise en application de résolutions du congrès suivant sur l’indépendance financière du pays, donc l’austérité et le contrôle de la dépense publique et partant la soumission des comptes de l’Assemblée nationale à un examen administratif qui ne lui serait plus propre. Le bureau politique national chargé par le congrès d’étudier ces formalisations pour en proposer au congrès suivant ne se divisa pas là-dessus mais sur l’autonomie du Parlement, et donc sur la relation entre l’Etat et le parti, en fait sur le rôle des institutions dans un pays qui se construit, à tous points de vue : des modèles éprouvés et écrits ailleurs ou des outils. Débat qui est actuel, légalité ou salut public, mais l’analogie s’arrête là car le régime qu’en congrès et en réunions diverses Moktar Ould Daddah faisait constamment évoluer, écrivait son fonctionnement et respectait ses propres textes.

Le débat sur la manière de prendre en compte les diversités constitutives ethniquement de la Mauritanie, n’ayant pas eu lieu ni dans le cadre d’un congrès du Parti ni au fil des réunions de l’instance drigeante, s’ouvrit et se purgea par la réforme de l’enseignement. Et celle-ci changea complètement de termes quand une loi, d’ailleurs votée les mêmes jours que les réformes constitutionnelles consacrant le monopole du parti, fut contestée en milieu scolaire. De soutien en revendications, les arrière-pensées se firent jour en même temps que les impasses auxquelles elles menaient. La question des garanties à une minorité – mais laquelle ? – car la prise de conscience de la classe d’origine servile ouvre potentiellement une alternative totale dans le comptage, si l’on en veut un, des ressortissants de telle race, de telle culture, de telle caste en Mauritanie, fut ainsi réglée. Moktar Ould Daddah, sans prendre appui sur aucune force en dehors du parti : l’armée, le syndicat, ni aucune institution ou procédure spécifique au sein du parti, l’emporta, aussi bien en 1963 quand le bureau politique s’était divisé sur la lecture des institutions, qu’en 1966 quand gouvernement et groupe parlementaire se clivèrent, d’ailleurs pas selon la race ni la langue, à propos de la revendication linguistique des originaires de la vallée du Fleuve. Les débats très tendus, longs et diffus, sans qu’il en existe un compte-rendu verbatim, montrèrent simplement que, quel que soit son titre ou sa fonction en l’occurrence, Moktar Ould Daddah était en personne et pour l’indépendance des perspectives qu’il incarnait, le point commun minimum pour les élites mauritaniennes, et – donc, pour l’époque – aux yeux de l’ensemble de ses compatriotes. Ses adversaires comme ses alliés au bureau politique se rallièrent le 4 Novembre 1963 à la mission qui lui serait confiée de trouver les remèdes à l’ensemble d’une crise institutionnelle – celle du Parti et des relations de l’Etat avec lui – dont l’autonomie financière de l’Assemblée n’était qu’un épiphénomène. L’impuissance des députés et le face-à-face des dirigeants dans la crise scolaire et la pétition de quelques hauts-fonctionnaires donnèrent la main au président de la République qui put renvoyer dos-à-dos les poret-drapeaux, ce fut le changement de gouvernement opéré le 21 Février 1996, après motivation explicite devant les démissionnés.

Mais dès lors, Moktar Ould Daddah opposa une dialectique à une autre. Celle qui pouvait détruire la fondation commencée, en opposants « noirs » et « blancs », avait d’abord pris argument de la querelle linguistique. Elle recouvrait en fait une querelle identitaire exprimée seulement à partir d’Avril 1986 au terme de huit ans d’un régime sans aucune instance de débat ailleurs que dans le huis clos des comités militaires : ce fut le manifeste du négro-mauritanien opprimé, qui prétendit explicitement continuer le manifeste que dix-neuf fonctionnaires avaient signé au début des incidents scolaires vingt ans auparavant. Alors, la riposte maure n’avait été que celle d’élèves en tabassant d’autres. Sous la dictature de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, ce devint le soupçon de complôt et l’engrenage des répressions, puis des massacres donna à l’horreur les dimensions du drame et à l’époque l’appellation des « années de braise », ambiance absolument propice à la terreur raciste de part et d’autre du fleuve Sénégal entre deux Etats, qui ont autant de difficultés que d’arguments pour s’entendre. Cette dialectique avait été contenue par Moktar Ould Daddah dès sa première déclaration gouvernementale : une fondation unitaire, mais acceptable par les tenants des diverses alternatives d’identité parce qu’elle était exprimée en termes d’exemplarité mauritanienne, selon les imbrications millénaires de ses populations, et de vocation nationale à unir l’Afrique noire et l’Afrique blanche [4]. Cette dialectique de domination des uns ou de séparatisme des autres, au moins mentalement, était d’ailleurs ambivalente, puisque dès avant l’indépendance, la désaffiliation du syndicalisme mauritanien vis-à-vis des fédérations de l’A.O.F. commença par celle des enseignants d’arabe, ce qui permit la naissance l’Union des travailleurs de Mauritanie. Le processus entamé au congrès d’Aïoun-el-Atrouss et conclu, en commission nationale des affaires culturelles, par le rapport préparant la réforme de 1973 ayant résorbé la dispute linguistique, les clivages se reportèrent dans la la contestation politique du monopole du Parti, et ne pouvaient trouver leur développement que dans le champ syndical. Ainsi, tandis que Moktar Ould Daddah traitait le consensus et l’intégration dans le Parti en termes de générations successives à faire s’accorder entre elles, tandis que le passage d’une éducation traditionnelle et locale à une éducation occidentalisée et complétée dans les universités étrangères devait s’opérer dans le moule national arabisant désormais accepté par tous, au moins apparemment, les enjeux étaient devenus « modernes » : des partis clandestins se fondaient, les syndicats réclamaient la reconnaissance de leur indépendance. En cela, Moktar Ould Daddah avait gagné.

Ce qui agita le pays à partir de 1969 – selon deux lignes de difficultés, la première étant relative aux droits de l’homme avec ses dérives de solidarité, de répression mais en fait une question de personne [5] proprement inépuisable et à rebondissement encore aujourd’hui, quelles que soient les successions de régimes et de dirigeants en Mauritanie, la seconde étant la division syndicale – n’était soluble qu’en persévérant dans la recherche du consensus, et certainement pas dans le traitement direct de de ces difficultés et selon leur seul libellé. C’est alors qu’apparut la nouvelle manière du fondateur, obtenir le rassemblement sur des décisions emportant le pays vers l’avant, plutôt que de le chercher sur les problèmes qui faisaient opposition. Ce furent les trois étapes, en trois ans – de 1972 à 1974 – d’une nouvelle indépendance du pays : la relation avec l’ancienne métropole, la souveraineté monétaire, la souveraineté éconmique. Une dernière étape s’offrait avec le changement de la politique espagnole au Sahara occidental : l’entente raisonnable avec le Maroc pouvait conclure l’ensemble du cycle commencé en 1957. Le surcroît de territoire vers le nord n’était pas un accroissement substantiel de population et ne déséquilibrait pas le pays. L’adhésion à la Ligue arabe confirmait un élément identitaire symétrique du rôle décisif de la Mauritanie dans l’intégration économique et humaine de l’Afrique occidentale, d’abord en pays d’expression française, puis avec l’ensemble des Etats anglophones. Elu président en exercice de l’Organisation de l’Unité Africaine, Moktar Ould Daddah avait pu faire valoir aussi bien le rayonnement immémorial du pays de Chinguitt que sa propre personnalité à la fois intransigeante et accueillante. Deux missions lui avaient été confiées : sensibiliser l’Occident à l’insupportabilité des situations en Afrique australe du fait de l’apartheid et de l’obstination portugaise, tenter de trouver une solution au drame palestinien. Il s’en sortit lui-même et la Mauritanie avec lui en déléguant à Léopold Sedar Senghor les rencontres avec les dirigeants israëliens, que par principe il n’a jamais voulu approcher [6] et en organisant avec le secrétaire général des Nations Unies la première, et jusqu’ici la seule, réunion du Conseil de sécurité en Afrique. Mais il traita sur tout le fond en convainquant les monarchies pétriolières d’enfin s’intéresser – très concrètement par des investissements et des concours financiers – à l’avenir de leur hinterland, le continent africain. Lui seul, la Mauritanie d’alors, pouvaient le faire et le firent. Aux dialectiques de sécession vis-à-vis du parti unique de l’Etat et de sa dynamique d’intégration de toutes les forces et organisations du pays, et de séparatisme par affirmation d’une ou plusieurs ethnies contre une domination prétendue ou de fait d’une autre, Moktar Ould Daddah sans recourir à la force et sans substantielle révision des textes arrêtés de 1959 à 1965, avait pu opposer une dialectique unitaire et consensuelle. A tel point que l’intégration au Parti de la centrale syndicale et des forces armées se faisait en même temps que le ralliement de la plupart des militants des partis d’opposition apparus en coincidence avec la contestation syndicale et les manifestations pour les droits de l’homme.

Le traitement de la question saharienne pouvait se faire sur le même modèle. Intransigeance vis-à-vis de la revendication et des menées algériennes, d’autant plus méritoire que Moktar Ould Daddah avait sympathisé dès sa jeunesse estudiantine en France avec l’insurrection du F.L.N. et, en tant que chef de gouvernement, il avait été le seul en Conseil exécutif de la Communauté ou en tête-à-tête avec le général de Gaulle à désapprouver la poursuite de la guerre, de même qu’à grands risques il dénonça la thèse française dans les combats de Bizerte. Souplesse dans l’application d’une pétition d‘évidence énoncée dès le 1er Juillet 1957 : seule l’entente entre deux pays étrangers à l’Afrique avait pu partager l’ensemble mauritanien, bien plus vaste que le territoire administré par la France. La contradiction entre l’exigence de l’autodétermination pour la population sahraouie et le partage finalement conclu pour succéder immédiatement à la puissance administrante, a été rétrospectivement soulignée. Pour Moktar Ould Daddah, la totalité des élites mauritaniennes à l’époque et l’écrasante majorité du pays, il n’était pas douteux que le referendum accomplirait la réunification. D’ailleurs, le Front s’organisa en Mauritanie et non au Maroc ou en Algérie, et si – aujourd’hui – Tindouf est la capitale de fait d’une population de réfugiés et d’un gouvernement en exil, ce n’est pas du fait mauritanien mais bien parce que la puissance française ne sut pas, à temps, reconnaître que cette ville et sa région sont marocains, et pas du tout algérien. Le général de Gaulle revint trop tard au pouvoir pour le signifier, il eût fallu que ce le soit avant l’indépendance marocaine et l’insurrection algérienne.

Tout de même, la Mauritanie de Moktar Ould Daddah avait établi un front diplomatique en Afrique et dans le reste du monde tel que la position de 1975 pouvait tenir. Aussi bien le signataire de l’accord de rétrocession du territoire mauritanien au Polisario, le lieutenant-colonel Ahmed Ould Sidi, que l’homme du fort du comité militaire d’alors, le lieutenant-colonel Mohamed Khouna Ould Haïdalla en conviennent rétrospectivement puisqu’ils ont chacun regretté le processus et estimé qu’on les avait trompés. Pis, la Mauritanie ne fut pas pour autant émancipée des opérations de guerre entre Marocains et Sahraouis, et le conflit prétendûment de nationalités a transformé – pratiquement – une partie du Sahara en territoire de non-droit, prétexte à tout, coups montés ou réelles subversions.

Moktar Ould Daddah comptait ne pas briguer un nouveau mandat en Août 1981, si la guerre avait été résolue ; elle commençait de l’être sur le terrain au moment du coup du 10 Juillet 1978. La pluralité de candidatures, mais au sein du Parti, était le projet en gestation. C’est au sein d’un Parlement demeuré monocaméral que la diversité des tendances, selon les sujets à traiter, pourrait s’organiser. La succession et le multipartisme, à terme, s’envisageait sans que le Président ait encore des schémas précis : ouverture au mouvement mais méditation pour l’exécution comme toujours depuis 1957.

L’état actuel de l’analyse des causes de son renversement et les conséquences de l’événement ne ressortissent pas d’un portrait de Moktar Ould Daddah. Malgré la tentative d’un procès par contumace [7], tenu à Rosso, pour le vingtième anniversaire de la proclamation de l’indépendance, et malgré la tactique des hiérarchies militaires : le silence jusqu’en 2005, puis la mésintelligence ou le travesti depuis, il est certain que le fondateur n’est assimilé à aucun de ses successeurs.

Son œuvre – et la solidité de celle-ci, malgré vraiment tout – ne sont pas son seul titre d’exceptionnalité. L’homme travaillait sans fatigue apparente, régulier d’humeur, inépuisable d’écoûte et de patience, sobre de propos et exemplaire de mœurs dans sa vie familiale et dans ses finances personnelles. Son union avec une Française de naissance, militante de sensibilité catholique et à gauche – tout à fait acceptée par ses parents et par l’ensemble de ses compatriotes, marque de l’ouverture d’esprit et de tempérament d’une Mauritanie foncièrement musulmane mais pas du tout intégriste – eut deux fruits politiques décisifs. Les Unions féminines s’instituèrent à Nouakchott et dans le pays bien plus vite et bien plus solidement que le Parti lui-même et la participation des femmes à la politique locale et nationale avait manifestement pris de l’avance sur ce qui se constatait dans les pays comparables. Le Président qui voulait que les Mauritaniens ne se connaissent plus qu’une seule tribu : la Mauritanie elle-même, se trouva naturellement par son mariage, indépendant d’alliances et d’attaches qui, autrement, aurait pris sur son temps de travail et de réflexion, et peut-être sur la liberté et la sérénité de ses menues décisions.

Homme seul ? dont le silence et longtemps un premier abord marqué, croyait-on, par la timidité, auraient signifié la solitude ? Je ne le crois pas. A l’aise et heureux en compagnie, surtout en tournée dans l’intérieur du pays, pratiquement pas gardé physiquement, ne travaillant que dans des bureaux et n’habitant que dans des maisons modestes, sans grilles ni protection particulière, Moktar Ould Daddah gardait la personnalité de son éducation en collectivité traditionnelle de petits nomades du Trarza et de ses années d’études secondaires et supérieures en France. Son assurance en public – et même en privé – était totale quand il s’agissait de son pays, autrement il était d’une humilité, d’une écoûte et d’un accueil rare pour toute information hors sujet mauritanien. A la manière du général de Gaulle – c’est-à-dire en homme d’Etat – il ne faisait pas le tri dans ce que ses interlocuteurs ou ses investigations lui apportaient entre ce qui coincidait avec sa ligne ou son opinion, et ce qui s’en écartait. Sans dire, immédiatement ou pendant des années, le parti qu’il tirait de ce qu’il avait appris, il en faisait un élément de décision ou de proposition pas toujours attendue ni prévisible. Dans les vingt-et-un ans et six semaines où il eut la responsabilité de son pays, les décisions annoncées en solitaire ont été rarissimes : l’exemple est la nationalisation de Miferma pour d’évidentes raisons de discrétion. Mais les grandes options de politique extérieure et les pistes ouvertes par des entretiens à l’étranger ont toujours été l’objet de débats et de compte-rendus en instance dirigeante du parti gouvernemental puis celui de l’Etat, ce qui – notamment – étonna le roi du Maroc à propos du Sahara ; il en avait été de même pour tous les rapports avec la France. Quant aux réorientations de la vie politique nationale, elles ont toujours été l’objet de longs débats en groupe parlementaire, en congrès du parti gouvernemental ou de l’Etat, en commission ad hoc successives. D’ailleurs, cette mise en discussion collégiale a valu systématiquement pour des missions ou des objets qui, dans d’autres pays, notamment en France, sont confiées à une personnalité dont le nom est désormais attaché à un rapport ou à une initiative. Ce ne fut jamais le cas avec Moktar Ould Daddah : les commissions nationales d’études n’ont pas été d’entérinement d’une volonté personnelle.

Deux collaborateurs ont marqué, très différents l’un de l’autre. Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Ould Mohamed Salah, le premier en disgrâce à partir du printemps de 1996, le second en confiance jusqu’au dernier jour puisqu’il fut l’un des deux confidents des perspectives institutionnelles nouvelles que Moktar Ould Daddah commençait de méditer, et son intérimaire malgré un rang diminué dans la hiérarchie gouvernementale. Je comprends la disgrâce et la confiance.

Mohamed Ould Cheikh – à l’instar d’un autre des fondateurs du Parti du Peuple, le remuant initiateur de la Nahda, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske – est un homme d’idées et même de théorie. Il est au cœur du débat qui anime le Parti du Peuple Mauritanien à sa naissance : parti de cadres ou parti de masses. Au congrès de Kaédi, les points de vue ne se résolvent pas en commission et l’arbitrage est confié à Moktar Ould Daddah. C’est l’option pour un parti de masses. Mais à la différence d’Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Mohamed Ould Cheikh est la sobriété, le dépouillement incarnés – ce qui n’est pas pour déplaire à Moktar Ould Daddah – et le rend invulnérable aux séductions qui pouvaient s’exercer sur lui : de 1959 à 1966, sa responsabilité et son rôle sont décisifs pour la sécurité du pays et dans la constitution des forces armées mauritaniennnes (il en reste la référence même pour des générations de putschistes), puis à la tête des Affaires étrangères quand la diplomatie mauritanienne en quelques mois de l’été de 1965 s’émancipe de tout modèle. C’est un homme d’Etat, la comparaison fut faite avec Chou En Laï et avec Lin Piao. Sa loyauté, en tant que ministre de Moktar Ould Daddah, est totale, mais sa générosité, sa compréhension de points de vue antagonistes, sa liberté d’examen – qui l’avait fait noter par l’administration française comme un élément à observer – le rendent, dans la crise du début de 1966 sensible aux thèses fédéralistes et aux arguments des originaires de la vallée du Fleuve. Il est chaleureusement lié à Elimane Mamadou Kane, enseignant en histoire, syndicaliste, personnalité particulièrement attachante des débuts de la Mauritanie contemporaine. Cette possible tendance à l’abstraction et au raisonnement ingénieux mais de débouché incertain, cette prise de parti ont inquiété Moktar Ould Daddah. La distance s’accentue avec le soutien qu’il apporte plus tard à Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, accusé de malversations à plusieurs reprises (elles étaient, à l’époque, toutes mineures, au regard des filières avérées en Mauritanie et de la corruption institutionnalisée [8] depuis le milieu des années 1980, y compris la double comptabilité de la Banque centrale avec sans doute la complicité de représentants locaux d’institutions financières internationales). Des publications plus inspirées que de première main l’éloignent encore, et désormais, comme en 1996, beaucoup ont intérêt à ce qu’une telle personnalité ne soit pas réconciliée avec Moktar Ould Daddah. Je pense que Mohamed Ould Cheikh aurait eu l’expérience et le prestige pour décourager les futurs pustchistes de rompre le cours de l’histoire nationale, sans doute aussi pour animer un cabinet de guerre.

Ahmed Ould Mohamed Salah, souvent ministre de l’Inérieur, notamment dans trois moments névralgiques : l’implantation du Parti dans l’intérieur du pays, collectivité par collectivité, par l’administration ; les événements de Janvier-Février 1966 ; la période de divison syndicale et de fondation illégale de partis d’opposition – a été également le premier à être chargé de la « permanence » du Parti. Rouage décisif pendant dix ans dans la relation Parti-Etat pour la capitale et plus encore pour l’intérieur du pays, l’organe n’était que le secrétariat administratif peu étoffé du B.P.N. jusqu’au congrès d’Aioun-el-Atrouss dont l’ancien ministre assura d’ailleurs la préparation matérielle. Mohamed Ould Cheikh et lui avaient le choix de leur emploi en quittant le gouvernement, le premier préféra l’exil intérieur, le second fit la bonne option. Moins indépendant des clivages tribaux et de beaucoup d’amitiés, « bête noire » de la jeune génération universitaire dont il n’avait ni la formation ni la présentation, il avait par son passé d’intérprète de l’administration française puis par sa longévité au ministère de l’Intérieur une connaissance du pays et des personnes – en milieu traditionnel – avec laquelle seul le Président aurait pu rivaliser. Concret et se défiant des perspectives, il n’était cependant pas avant 1978 l’antithèse de Mohamed Ould Cheikh, d’autant que ce dernier n’était plus qu’un opposant intermittent et un solitaire résolu : tous deux furent les plus aptes à commander aux lieux et places des administrateurs de la France d’outre-mer.

Avec l’un et avec l’autre, Moktar Ould Daddah a beaucoup délibéré et partagé en tête-à-tête. D’autres, en représentant permanent à l’extérieur : le ministre des Affaires étrangères d’Avril 1970 au coup de Juillet 1978, Hamdi Ould Mouknass, ou directeur du cabinet présidentiel, longtemps Abdoul Aziz Sall, ou encore secrétaire général de la présidence, Mohamed Ali Cherif, seul titulaire d’une fonction tardivement apparue, ont compté – à mon sens – davantage comme exécutants ou superviseurs que comme co-équipiers au sens total du terme. Mais même si ces derniers contribuaient à la délibération du Président, ils ne se substituaient pas par leur conseil aux débats bien plus collégiaux qui caractérisèrent la manière dont fut gouvernée à ses débuts la Mauritanie moderne. Dont elle fut fondée.

à relire et à compléter.


[1] - Paul aux Romains III 27
[2] - rapporté notamment par Jeune Afrique, n° & n°

[3] - notamment le - le
[4] - ce dont le président du Conseil militaire pour la justice et la démocratie, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, de l’énième génération putschiste, manifesta ouvertement une complète incompréhension
[5] - l’itinéraire d’une personnalité brillante, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske qui peut se résumer ainsi :

[6] - le bureau, ouvert par l’OLP à Nouakchott le , fut le premier du genre en Afrique subsahélienne
[7] - après des interrogatoires infructueux
[8] - voir le rapport référence à préciser

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