La Mauritanie – République Islamique de Mauritanie – vient de vivre une nouvelle année de pustch.
Le 6 Août 2008, apprenant qu’il est limogé en compagnie de trois autres hiérarques militaires, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, jusques-là chef de l’état-major particulier du président de la République, régulièrement élu le 25 Mars 2007, s’empare du pouvoir et se donne la présidence d’un Haut Conseil d’Etat censé exercer les fonctions de celui qu’il renverse. Il a aussitôt des contestataires qui manifestent – ce qui ne s’était pas vu lors des précédents coups militaires : 10 Juillet 1978, 12 Décembre 1984, 3 Août 2005 – mais il a des partisans bien avant d’ailleurs sa prise de pouvoir. Ce qu’il est convenu d’appeler « la communauté internationale » condamne aussitôt et unanimement. Il s’ensuit plusieurs dialectiques se commandant l’une l’autre, des consultations au nom des traités panafricains et euro-africains, des visites diverses, des appels nationaux à cette communauté, des discours putschistes récusant l’intervention de celle-ci. Une première séquence de quatre mois, sans que le sang coule sauf celui d’une patrouille tombée dans un guet-apens, au grand nord du pays, des manifestants sont tabassés mais la presse à capitaux privés n’est pas censurée, le président renversé est libre de choisir sa résidence mais interdit de parole publique. Une consultation de quelques quinze cent personnes, boycottée par les légalistes mais fréquentée par les opportunistes partisans déclarés ou seulement critiques du pouvoir de fait, fait entrer le pays dans un cycle d’élections présidentielles – extra-constitutionnel puisque le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ne démissionne pas. Les trois partis mauritaniens que sont les soutiens du pustch, les contestataires du putsch et le tiers mouvement qui souhaite l’anticipation de l’élection présidentielle à condition que les militaires n’y soient pas candidats, se rencontrent à Dakar tandis que s’organise à Nouakchott le scrutin présidentiel pour la date du 6 Juin, c’est-à-dire un plébiscite que boycotte les principaux partis. L’accord se fait sous l’égide apparente du président sénégalais, Abdoulaye Wade, aux frais du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi dont la démission est présumée. A son avant-veille, le scrutin présidentiel est reporté au 18 Juillet : le putschiste s’y présente avec l’aval, précieux, de ses opposants. Ceux-ci participent à la course, s’entendant pour la morale de la campagne et un gouvernement de concertation au cas où l’un d’eux – quel qu’il soit - l’emporte, et bien entendu s’accordent à l’avance pour les désistements du second tour. Le président de la République renversé consent à abdiquer et donc à tourner un tour légal à la formation d’un gouvernement d’union nationale et à l’élection elle-même. Le déroulement de la campagne, veillé par des observateurs de diverses organisations internationales, à l’exception de l’Union européenne qui refuse de bâcler en moins des trois mois qui lui sont nécessaires techniquement, n’est marqué que par deux événements : un accident d’hélicoptère dont l’homme fort se tire, la probabilité qu’il ne soit pas présent au second tour. Et il est élu au premier avec 52% des suffrages exprimés, tandis que Messaoud Ould Boulkheïr, le président de l’Assemblée nationale, d’origine servile et légaliste militant soutenu par l’ancien président de la République, se classe second devant Ahmed Ould Daddah, « opposant historique » à la précédente dictature depuis son score du 24 Janvier 1992. Les contestations des perdants, dont le chef nominal du putsch de 2005, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, ne sont soutenus ni par les juridictions nationales compétentes ni par les observateurs étrangers. La « communauté internationale » peut donc reconnaître le fait accompli puisqu’il a été légalisé par la démission formelle du président renversé et par un scrutin pluraliste estimé régulier.
Donc, une crise résolue dans un pays – parmi d’autres, censément pauvre malgré des ressources minérales et halieutiques, sans passé démocratique, sans originalité ni universalité sauf les clichés sur une organisation sociale pittoresque. Pays qui n’a de vouloir propre que vis-à-vis de lui-même et pas pour le meilleur avenir, qui dépend de « bailleurs de fonds » et n’est évalué que selon la corruption produisant quelques marchés ou adjudications dont l’étranger profite ou selon des statistiques et des consultations d’institutions financières internationales.
Je m’inscris catégoriquement en faux contre cette banalisation.
J’ai pris parti contre le coup militaire – sans avoir aucun élément d’appréciation sur le régime, le président et le gouvernement qui en ont fait les frais. Les arguments du bien commun, du salut public ou l’observation que les déchus étaient incapables, stériles et corrompus – continuent de me paraître irrecevables. La Mauritanie était et est capable d’une vie politique adulte, même si les cadres institutionnels en sont encore à trouver, sinon à formuler textuellement. Administrée avec une compétence, dont elle a depuis longtemps les ressources humaines – elle est économiquement viable. Sa constitution pluri-ethnique et la porosité de ses frontières fluviales, sahariennes et maritimes n’ont – malgré une instabilité politique avérée – jamais induit les sécessions et partitions qui lui furent prédites avant même qu’elle proclamât son indépendance, ni un désordre social durable. Tout a parfois menacé, rien finalement ne s’est produit. Le pays, ses élites, son Etat sont solides. Sa faiblesse réside dans le peu de légitimité de ses dirigeants successifs depuis que fut renversé – par raccroc, me semble-t-il de plus en plus avec le recul de l’Histoire – le fondateur, Moktar Ould Daddah, figure exceptionnelle par sa vision, sa sobriété, son équilibre personnel et l’autorité morale qu’il acquit vite, moins par défaut de concurrence que par des qualités précises d’homme d’Etat et sa manière de vivre et d’exprimer le vœu de ses compatriotes.
Une légitimité qu’allait installer en Mauritanie l’élection pluraliste des 18 et 25 Mars 2007, si les élites politiques modernes avaient patiemment appris à vivre un consensus qu’à mon sens, il eût fallu construire avant le scrutin et non en conséquence du scrutin. Consensus qui avait été le ressort autant que l’objectif du régime politique fondateur du 20 Mai 1957 au 10 Juillet 1978. C’est cette possibilité qu’a ruinée le coup du 6 Août 2008, en même temps qu’a avorté un débat politique n’ayant pour cadre que la lettre du droit public national (la Constitution du 20 Juillet 1991 adoptée par referendum le 12 Juillet précédent et amendée par referendum du 25 Juin 2006). Légitimité et légalité ont été détruites le 6 Août 2008, en milieu de matinée, à Nouakchott par une partie de la hiérarchie militaire se fondant, comme celle de 1978, sur une soi-disant détention de la souveraineté nationale par les forces armées.
La question d’avenir est de savoir si les Mauritaniens peuvent se gouverner, développer leurs potentiels économiques et adapter leurs diverses organisations sociales – traditionnelles ou transformées par les modernités venues du dehors – selon un régime d’homme fort et providentiel, se légitimant par des résultats et/ou par la contrainte. La réponse n’est assurée ni négativement ni positivement, et aucun délai ne peut être donné pour la recevoir.
En regard, examiner le cours des événements, les mettre en regard avec les textes en vigueur et évaluer les responsabilités des uns et des autres – personnes physiques, personnes morales, institutions, organisations internationales, pays étranger – pour autant que les comportements, les agendas des uns et les débats internes aux autres puissent déjà se connaître en partie, paraît sans doute ressortir d’un débat théorique et sans incidence pour l’avenir. C’est faire fi du for intérieur des Mauritaniens. De leur mémoire personnelle et collective – que j’ai souvent expérimentée depuis mon premier atterrissage à Nouakchott, à l’aube encore noire du 15 Février 1965. De leur appétit de savoir – positivement et factuellement – ce que d’instinct ou en bonne logique, ils comprennent et souvent, pour l’étranger, expliquent de manière convaincante. Me sentant très lié aec eux – avec vous, mes amis mauritaniens – depuis ces premiers moments de vie, à proximité souvent intime du fondateur, Moktar Ould Daddah, j’essaye donc de donner l’outil qui m’a été mis en main pendant toute cette année putschiste. De même que j’ai le devoir de produire ce que la collation d’archives de la période française puis du parti unique de l’Etat – collation voulue et facilitée par Moktar Ould Daddah – permet de présenter pour l’histoire de la Mauritanie contemporaine. En revanche, prolonger l’exposé de celle-ci à partir de 1978, restera longtemps malaisé pour quiconque : tout simplement parce que les dictatures n’autorisent pas l’étude de leurs archives, à supposer qu’elles en aient. Celle qui s’est établie le 6 Août 2008 – sans préjuger de la qualification du régime conforté ou établi par le scrutin du 18 Juillet 2009 – ne permet même pas la consultation des éphémérides officiels du premier semestre de 2008… selon l’Agence mauritanienne d’information.
Un abrégé d’une histoire réconciliée de la Mauritanie, depuis Xavier Coppolani jusqu’à Sidi Ould Cheikh Abdallahi et à Mohamed Ould Abdel Aziz (pour ne poser qu’un cadre chronologique), n’est donc possible à écrire qu’en esquisse et propositions, d’autant qu’aux documents écrits, originaux ou accessibles en français, doivent – devraient s’ajouter, en poids égal pour l’observateur, des archives et des mémoires en arabe et dans les autres langues nationales, et plus encore des témoignages et des traditions à recueillir oralement.
L’objet de cette compilation est donc modeste et immédiat : produire et de commenter ce qui est disponible – plus exactement ce dont j’ai pu disposer ou ce qui m’a été communiqué depuis le 6 Août 2008 – et de recueillir à leur date les opinions et analyses qui me furent données ou que je tentais de proposer à ceux qui étaient position de décider ou d’influer, tout en les soumettant, pour leur dispositif et leurs pièces annexes à l’appui, à des correspondants mauritaniens.
Dans ces éléments d’analyse, – non exhaustifs, certainement – des actes de naissance d’un régime dont on ne sait encore s’il s’effondrera dans quelques semaines ou années, par un coup du même genre que celui qui l’a fait commencer, ou s’il s’établira dans la durée et finalement dans la reconstitution d’une légalité et d’une légitimité par consensus, voire par reconnaissance des services rendus – comme un peu vite il fut proclamé au début de Janvier 2009 par des congressistes de convenance pour ceux dont les opinions furent retenues – faut-il ou non ne retenir que la date proprement du putsch comme point de départ de la documentation et de la réflexion ?
Je ne le crois pas. Pour deux raisons. D’abord, les Mauritaniens eux-mêmes analysent leur situation de longue date même si pour une grande part d’entre eux, les nécessités quotidiennes imposent l’examen de l’existant et non du passé. Inconnu de l’étranger, sauf spécialiste dans les médias ou dans les enceintes diplomatiques, le général Mohamed Ould Abdel Aziz avait, à l’instant où il se proclame au pouvoir… du fait de son limogeage…, une biographie, précise et même paradoxalement élogieuse puisque lui a été attribué aussitôt les coups ou contre-coups précédents : ceux de 2003 et de 2005. L’étude de ceux-ci – les deux tentatives de mettre fin à la dictature du colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, manquée les 8-9 Juin 2003, réussie le 3 Juin 2005 – amène à examiner la dictature puis la démocratie de façade de ce dernier qui durèrent ensemble plus de vingt ans. Les révolutions de palais depuis le putsch, générateur il y a trente ans des prises ou reprises de pouvoir par des militaires, jusqu’à la plus récente, ont chacune improvisé leur exposé des motifs. En regard, oublier le régime initial – quoique formellement très évolutif, mais fondamentalement de dialectique consensuelle – ce qui a été l’effort de tous les détenteurs de fait du pouvoir de 1978 à 2008 équivaudrait dans l’analyse du présent à décider a priori l’incapacité des Mauritaniens à inventer leurs institutions politiques et économiques par eux-mêmes, et à se conduire légalement et démocratiquement, autant sinon plus que bien d’autres pays de constitution publique différente – pas seulement en Afrique… Ce serait aussi laisser le candidat élu le 18 Juillet 2009 affirmer sans contradiction l’analogie de son pouvoir avec celui que ses compatriotes accordèrent à Moktar Ould Daddah : sans que la filiation ou la continuité aient été explicitement revendiquées par le général Mohamed Ould Abdel Aziz en personne, le tracé d’une future avenue dans la capitale a reçu le 5 Novembre 2008 le nom du président-fondateur en présence de sa veuve, et le portrait des deux présidents – le fondateur et le candidat – a été affiché en campagne électorale : 1960 = 2009.
L’autre raison de documenter ce qu’est la dialectique historique de la Mauritanie – depuis que les Français ont, nominalement, accepté de passer la main – tient à la difficulté pour l’étranger d’avoir une vue d’ensemble, pas trop dominée par la seule actualité, ou ce qui est encore plus réducteur, par une approche pseudo-sociologique expliquant tout ou presque par les ressorts d’une société dite traditionnelle et forcément connue de seconde main, car les Mauritaniens écrivent plus sur les personnes et sur les événements, que sur eux-mêmes.
Mais à traiter tout par la présentation de tout ce qui est disponible, je risque d’être bien lourd. Je compte donc produire davantage sur l’année pustchiste que sur tout ce qui l’a précédé en choisissant pour le passé immédiat ou plus ancien, quoiqu’encore de mémoire d’homme, quelques textes ou analyses chaque fois d’époque et des témoignages contemporains sur ce passé qui est pluriel, parce que l’histoire mauritanienne a été fragmentée – les militaires l’ont déterminée ainsi – et parce que les parcours des témoins et les événements qu’ils exposent selon eux, correspondent à des points de vue très différents.
Je voudrais qu’en conclusion, avec moi, le lecteur, mauritanien ou étranger, perçoive avec admiration ce paradoxe : un tel pays, une telle nation avec autant de facteurs de division, de sécession, de dispersion, et subissant autant de coups militaires depuis trente ans, restent cohérents et unis. Là s’entend la promesse d’avenir pour la République Islamique de Mauritanie.
samedi 10 . dimanche 11 Octobre 2009
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