lundi 13 avril 2015

Mohamed Ould Cheikh et Moktar Ould Daddah - bilan comparatif en réponse à Abdel Wedoud Ould Cheikh



 
http://www.noorinfo.com/Mohamed-Ould-Cheikh-Lettre-ouverte-a-Abdel-Weddoud-Ould-Cheikh_a15274.html
 
Noorinfo - Tribunes
Jeudi 12 Mars 2015 - 20:35
Marc KUJAWSKI
    


Mohamed Ould Cheikh: 

Lettre ouverte à Abdel Weddoud Ould Cheikh



              

Mon propos est de revenir sur la disparition de MOHAMED OULD CHEIKH, en 2013, et la brève notice biographie rédigée par Wedoud Ould Cheikh, publiée, au cours de l’été 2014, dans plusieurs news du Web mauritanien.


Mohamed Ould Cheikh (au centre)
Mohamed Ould Cheikh (au centre)
Il m’est apparu que cette notice nécrologique présentait de sérieuses lacunes et qu’une mise au point me semblait nécessaire  ne serait-ce que pour rétablir certains faits et contre-vérités énoncés dans ce texte. Par ailleurs,  la stature de feu Mohamed Ould Cheikh, ce qu’il a représenté pour le pays, le symbole de résistance qu’il a incarné, son message politique  et son implication humanitaire,  méritaient un traitement  moins désinvolte que celui que lui a réservé Wedoud  dans cette notice. Je souhaite lui redonner la place  prépondérante que cet homme a occupée dans l’histoire récente de la Mauritanie et rappeler au passage le conflit politique qui l’a opposé à Mokhtar Ould Daddah – conflit que l’on retrouve en écho dans le contexte politique d’aujourd’hui, dans le pays -  lequel fait l’objet d’un certain culte ici ou là dont on retrouve des relents dans la notice que j’incrimine.  

 (par simplification je désignerai l’auteur de la biographie par « rédacteur » ou Wedoud » et Mohamed ould Cheikh par « Mohamed », de même lorsque je citerai « Mokhtar » il s’agira de Mokhtar Ould Daddah)

 En effet, On perçoit non seulement une certaine condescendance de Wedoud à l'égard de Mohamed tandis qu’il a bien du mal à masquer son intérêt  pour  Ould Daddah; dans le même temps alors qu’il s’agit bien ici d’une biographie, même succincte, de Mohamed Ould Cheikh, Wedoud fait  l’impasse sur l’ouvrage publié par ce dernier en 1974 , l’indépendance néocoloniale, lequel  met en pièce la politique d’abandon de souveraineté menée  par Ould Daddah, comme il s’agit d’un document de première main écrit par un acteur privilégié de la période d'accession à "l'indépendance" de la Mauritanie et par n'importe lequel, le leader de l'opposition progressiste de l’époque  c'est une voix qu'on ne peut ignorer et encore moins réfuter de la façon dédaigneuse que l’on observe ici. Le contexte politique, la nature des engagements et des accords pris avec l’ex-colonisateur, les divergences profondes entre la tendance libérale et la tendance « progressiste » se sont révélées à cette époque et deux hommes politiques les incarnent : Mohamed et Mokhtar. La notice ne nous dit pour ainsi dire rien de substantiel de ce contexte. 
 
  • la biographie  de Mohamed est complètement tronquée, on n’apprend peu de choses sur l’homme politique et le contenu de son combat alors qu’en réalité il occupe bel et bien le devant de la scène et devient l’opposant numéro 1 du régime de Mokhtar, on n’apprend  rien non plus sur la nature et le contenu  des engagements qui ont été pris  au nom de la Mauritanie de 1958 à 1965, engagements qui sont au cœur de la ligne de fracture politique entre  Mohamed ould Cheikh et Mokhtar ould Daddah (voir ci-après),  il en résulte que l’on  ignore à la lecture de cette notice,  les enjeux politiques de l’époque qui retentissent encore largement sur le présent. Un demi-siècle plus tard ce sont les mêmes conflits non réglés, la même orientations et situation politique verrouillées par les pouvoirs successifs. 

  • De même, on ne situe pas dans cette notice  le pouvoir respectif des deux fondateurs de la nation mauritanienne,  ne serait-ce que pour situer les responsabilités de l’un et l’autre, après un recul de 50 années cette question n’est pas anodine. Elle lève le voile sur les liens avec l’ex colonisateur, liens qui perdurent encore dans leur forme et leur contenu aujourd’hui avec la France.

  • Ici ou là notre rédacteur manipule les faits visiblement dans le sens de ses inclinaisons politiques un exemple entre autres : il en vient à évoquer un pseudo ralliement final de  Mohamed à Mokhtar, thèse proprement délirante  inventées de toute pièce (on le verra).

Le parcours  politique de Mohamed se scinde schématiquement en deux volets;  l’un va de 1958 à 1965 : il participe alors  de près à la futur gouvernance du pays puis directement en tant que titulaire simultanément de deux portefeuilles ministériels, ce long chapitre de près de 8 années prend fin brutalement lors de son limogeage en 65.

 Le second  volet court de 1966 à 1978 durant  son exil  qui ne signifie nullement son effacement politique, en dépit de son isolement en brtousse il reste un opposant déterminé et redouté du régime (on va le voir), il  porte sans cesse témoignage de son refus critique de l’action gouvernementale et  publie en 1974 son pamphlet politique, l’indépendance néocoloniale.  Il est  le recours, l’alternative politique ;  le régime cherche à le faire taire,  et prend des mesures de coercition contre lui.  Cette période est bien un combat politique de deux tendances qui s’affrontent dans le pays, Mohamed le mène avec les moyens qui lui restent – la parole et l’écrit –  qu’il est mal venue de passer sous silence comme c’est le cas dans cette notice de Wedoud. 
Enfin, on note qu’à partir de 1974 Mohamed se met progressivement en retrait  de plus en plus investi désormais par une implication humanitaire  et médicale (voir ci-après)  au secours de la population,  qui va perdurer des décades. 

 Etrangement, l’auteur de la biographie que j’incrimine, ici,  interrompt  l’existence de feu Mohamed en 1966, son éviction définitive du gouvernement ;  le reste du parcours de Mohamed  est escamoté. C’est-à-dire que de 1966 à 2013, 47 années d’existence de notre homme sont passées à la trappe dans cette biographie. Grotesque !  Pour notre rédacteur  la vie de Mohamed s’arrête lorsqu’il a 38 ans alors qu’il s’est éteint à 85 ans.

 Il doit y avoir de bonnes raisons pour tirer un trait sur  plus de la moitié de la vie d’un homme politique de l’envergure de Mohamed dont on rédige une biographie nécrologique. Je ne trouve qu’une seule explication,  la charge que  l’indépendance néocoloniale de Mohamed,  envoie au régime d’Ould Daddah, lorsqu’il publie en 1974 son pamphlet. « Le père de la nation », le « fondateur de la Mauritanie » en prend pour son grade dans ce livre. Comme Ould Daddah  nous est montré sous un jour clément dans la présente notice, on s’explique la réticence du rédacteur à évoquer la virulente mise en cause de ce dernier par Mohamed ;   De même cette omission évite de relater l’aspect  coercitif, voire sordide de la répression que ce régime inflige à son opposant  en exil, cela ternirait l’image bienveillante d’un Mokhtar « sage » et « démocrate » qu’on veut lui  donner, dans le même ordre d’idée l’engagement humain de Mohamed, durant sa relégation dans sa brousse,  qu’on ne peut que saluer humblement ferait de l’ombre à l’image dudit Mokhtar qui lui dans son exil de  24 années, jusqu’à son décès,  n’a guère partager ou donner quoique ce soit à son peuple puisqu’il a fui à l’étranger et vécu dans le luxe, protégé par la France. 

Mais avant de reprendre sur le fond je m'interroge donc sur le motif de la démarche de Wedoud Ould Cheikh : de quoi s'agit-il ici, d'un panégyrique de Daddah qu’on a voulu  glisser tout du long de cette notice biographique de Mohamed Ould Cheikh? Alors que le seul sujet qui nous intéresse vivement à propos des rapports entre ces deux personnages ce serait de comprendre leur différend  politique, ce sur quoi ils se sont opposés, pourquoi en est-on venu à l’exclusion violente qui s’est produite en 1965 en fait.  

 Par ailleurs,  il y a dans cette notice une approche académique, lisse, neutre, dépourvue de toute empathie pour l’homme que l’on évoque. Ce qui fait qu’après avoir lu cette biographie  on ne sait rien de la personnalité  de cet homme. Cette distance laisse perplexe, car le style, le caractère de l’homme qui nous a quittés, c’est aussi  le propre d’une notice de ce genre de  nous le révéler quelque peu ; la question qui se pose serait :   quel fût l’homme qui a disparu ?  De  qui on parle  en somme et quelle est l’imagerie et le souvenir que l’on peut garder de lui sur le plan émotionnel, dans son cœur,  pour dire les choses simplement ? Nonobstant le fait que cette approche  peut aussi éclairer ses choix, ses engagements et surtout sa manière d’agir.

C’est un manque dommageable.  D’autant que Mohamed Ould Cheikh était justement un homme qui avait du "cœur" ; sa personnalité  a bien des égards a frappé unanimement tous ceux qui l’ont approché, on percevait immédiatement sa stature son autorité naturelle, son charisme, sa perspicacité, sa culture mais tout autant était-on  frappé par son  écoute bienveillante et  une humanité en éveil, ce qui retentissait fortement c’était sa générosité masquée sous un quant à soi et un humour décapant. 

Alors  que la  description incidente du personnage que l’on découvre chez Wedoud est  impersonnelle à souhait, sauf que les seuls traits de caractère que  lui sont attribués on les trouve curieusement   au détour d’une phrase où le rédacteur compare  les deux personnalités, l’un, Ould Daddah  pour le louer, - ainsi nous dit-on  à son propos qu’il avait le sens de « la mesure »  du  « discernement, du « réalisme » ou encore du  « gradualisme » (on se demande ce que peut  signifier au juste ce dernier terme) c’est flatteur comme d’habitude - , alors que l’autre, Mohamed Ould Cheikh  présente des lacunes – c’est un « impétueux »,  un  « passionnel » nous dit le rédacteur. La comparaison n’est guère subjective n’est-ce pas et peu à l’avantage du second ? Autrement dit, si l’on traduit en clair,  l’un était un sage (le mythe du père de la nation) alors que l’autre est un homme dépourvu de discernement, c’est un impulsif, dont l’action peut être virile à souhait voire  devenir dangereuse.  

Dans ce même registre sommaire et subjectif j’aurais pu écrire,  moi,  qui ait  connu et opbserver  - sur le plan officiel, mais tout de même, Ould Daddah -   et fréquenté de très près  Mohamed (ce qui me paraît très improbable, tant pour l’un que pour l’autre,  pour ce qui est de notre rédacteur)  je dirais que l’un, Ould Daddah fut une personnalité introvertie,  masquée,  usant à souhait du double langage (j’y reviendrai), en fait, on ne savait jamais ce que pensait l’individu et à quoi on pouvait s’attendre, certes un vrai politicard, tandis que l’autre, Mohamed Ould Cheikh, était à l’inverse une personnalité  extraverti, un esprit vif, réactif et énergique de tempérament, un homme de conviction,  respectueux de sa parole, scrupuleux et incorruptible toutes qualités dont le premier était dépourvues ;  certes il est vrai qu’il était  courageux jusqu’à la témérité parfois,  c’était un homme d’action né qui s’engageait avec passion, dévoués jusqu’à son dernier souffle aux siens, je veux dire à son peuple. Il avait cependant un  travers sérieux dirons certains,  c’est que pour un dirigeant politique,  il était dépourvu du sens du compromis, son manque de diplomatie en a heurté plus d’un.  

Pour oser  brosser  un portrait d’un homme, il faut prendre le risque d’afficher son sentiment personnel ; il n’existe pas du reste de portrait « vrai ». Je viens de laisser parler ma subjectivité, mais une chose est objective dans mon propos, c’est que j’ai approché les deux hommes, de ce fait je puis m’autoriser à livrer mon sentiment.

 Une remarque préalable : en décrivant le parcours de Mohamed je serais amené à m’appesantir sur cette période de construction nationale qui va de 1958 à 1966  et ce faisant d’évoquer l’adversaire que s’était donné Mohamed, à savoir  Mokhtar ould Daddah.  Nous sommes au plus près de  l’(H) istoire  relativement récente de la Mauritanie,  Il est évident que tout ce qui a trait à cette époque passe par une évocation  de l’un et l’autre  des  deux personnages politiques  marquants dans l’accession à « l’indépendance » du pays. Ainsi, parler de Mohamed Ould Cheikh c’est nécessairement parler de l’Histoire (majuscule) de l’accession de la Mauritanie à son statut de nation, tant sa présence politique au cours de cette période fut forte mais en miroir, mais en creux, on ne peut éviter de parler d’ Ould Daddah, pour comprendre les enjeux qui se sont joués dans les années 60, enjeux d’une brulante actualité dans la Mauritanie d’aujourd’hui. C’est ce qui fait tout l’intérêt de relire l’Histoire, les hommes qui l’ont incarnée, pour tenter d’éclairer le présent et sortir de l’impasse actuelle. 
  
Toutefois évoquer cette Histoire et nos protagonistes oblige à entrer dans le dur sinon on n’en dit rien ! En effet, comment le pays accède-t-il à cette « indépendance » que l’on vente tant ? Cette naissance est une accumulation d’évènements, d’engagements contractuels, bref, de choix politiques. On est tout de même en droit d’attendre, un demi-siècle plus tard,  un coup de projecteur sur la nature et le contexte  réel dans lesquels le pays est advenu, et s’il est un lieu pour en parler c’est bien  ici puisque l’un des deux protagoniste de cette période a disparu il y a longtemps, et que le second, Mohamed Ould Cheikh,  vient à son tour de disparaître récemment ;  on aimerait donc comprendre et évaluer les conditions concrètes qui ont précédé et immédiatement accompagné cet accouchement de la Mauritanie auquel ces deux hommes semblent être mêlés. Car, il ne faudrait pas croire,  cinquante années plus tard,  que cette naissance se produisit sous les meilleurs hospices, que l’ex colonisateur a offert gratuitement « l’indépendance » du pays, et un président en prime. Cette légende de la décolonisation heureuse c’est le marketing des années 60 que le colonisateur à afficher pour vendre son produit à l’époque en changeant l’emballage. On aimerait donc lever le voile ; et puis il y a aussi cette légende qui court ici ou là depuis des décades sur le « père de la nation », est-ce vrai ou faux ? Mohamed se serait-il opposé sans fondement à Ould Daddah ?
 
 Ceci nous conduit à regarder de plus près et non superficiellement, comme c’est le cas ici chez Wedoud, le bilan de cette phase politique qui pèse tant sur la suite de l’histoire du pays. Si l’on se met à  feuilleter  les orientations et engagements pris  au cours de cette  naissance du pays,  période limitée à 8 années (58/65) durant laquelle  Mohamed Ould Cheikh est un allié politique  d’Ould Daddah, on est  obligé de déciller, on ne peut que constater que ce dernier a mené  le pays dans des impasses et des scénarios stupéfiants.  C’est la douche froide, les faits parlent d’eux-mêmes, c’est le négatif de l’indépendance qui se révèle à chaque pas,  on a là un catalogue des allégeances et des spoliations que la Mauritanie va subir. 

Mohamed détaille et met en cause dans son livre ces choix, ces contrats et ces  liens que Daddah a consentis en faveur de la France notamment, il y a là une telle abondance,  si j’ose dire,  que j’ai de mon côté pu en commenter  quelques autres assez spectaculaires par leur impact et/ou leur caractère ubuesque (voir l’annexe) : ils traduisent tous un abandon de souveraineté, une spoliation, un endettement sans cause et livrent le pays au Far West du marché ; cet inventaire minutieux occupe une large place de l’exposé critique contenu dans l’indépendance néocoloniale, l’auteur de la notice  n'en fait aucune mention cependant. 
 
Là on croit rêver, je ne me trompe pas de biographie, on est bien dans celle de Mohamed Ould Cheikh, lequel a écrit un pamphlet politique, c’est aussi  un livre d’Histoire politique de son  pays , le rédacteur  le désigne comme un « brouillon », bien ou mal rédigé  ce qui est une autre affaire (j’y reviendrai plus loin) , la forme est une chose non négligeable mais c’est avant tout le contenu qui nous importe en dernier ressort. Pourquoi nous censure-t-on ce document ?  Evacuer ce texte, l’enchaînement des faits, les choix politiques, les différends et les conflits de lignes politique qui y sont décrits, c’est vider cette biographie de son objet,  c’est somme toute lui ôter à Mohamed tout crédit et liberté d’expression si son livre est considéré comme nul et non avenu. Mais alors ce message qu’il nous adresse, ce testament politique en quelque sorte, n’aurions-nous pas le droit d’en découvrir au moins la sujet, ici dans sa notice biographique ? N’est-ce pas le lieu où nous pourrions nous faire une certaine opinion  librement sur ce que cet homme souhaitait nous transmettre ? Avons-nous besoin d’un censeur ? 
 
Par ailleurs, peut-on ignorer que Mokhtar -  une évidence qu’on ne peut plus dissimuler aujourd’hui -  disposait à ses côtés de conseillers français, ces derniers  ne manquaient pas d’intervenir en amont de toutes les décisions et certains siégeaient même  au conseil des ministres notamment l’un d’eux comme ministre des finances.  En fait, tout était ficelé à l’avance par ces éminences grises. Tous les contrats étaient préparés  par les équipes de Foccart et ses conseillers sur place  étaient chargés de  les mettre en musique. En fait, Mokhtar disposait d’un cabinet noir qui opérait en toute sérénité et le confortait. Ça aide. Pourquoi ne nous parle-t-on pas de cette collaboration de Mokhtar avec son « maître » ? 

C’est précisément en ce lieu du drame politique qui se jouait que s’explique la place et la résistance de Mohamed.

 Pour en revenir aux rapports de ces deux hommes politiques. En réalité, les batailles internes furent rudes et les désaccords patents, mais l'homme politique roué que fut Daddah a finement manœuvré – il avait de la bouteille et un savoir-faire dans ce sens plus le concours de ses « assistants »...Daddah usait et abusait son entourage  par des discours destinés à  les rassurer sur des promesses de virage socialiste à venir qu’il préparait en coulisse, un leurre, et il a continué dans la même veine à berner son monde par la suite.

 Dans son application à peindre ce monde dadaïste en rose, avec un Mohamed en retrait semble-t-il et un Mokhtar agissant notre rédacteur  va même nous dire à propos du jugement peu amène que l’on peut lire dans l’ouvrage de  Mohamed sur l'action politique de Daddah, que Mohamed reviendra plus tard sur ce jugement. C’est proprement stupéfiant !  On fait parler un mort pour lui faire dire le contraire de toutes ses prises de position, de ses engagements, de ses écrits et témoignages, outre  le mien, ici.

 Voyons un peu ce que l’on découvre dans cette notice à ce propos, je cite : "Il (Mohamed) aurait certainement ultérieurement été plus nuancé, s'agissant tout spécialement du jugement brutal et essentiellement négatif qu'il portait alors sur la personne de Mokhtar Ould Daddah". Cette extrapolation n’est pas autre chose qu’une manipulation ! Tout du long de son livre, Mohamed met en cause  l'homme politique Daddah et la malfaisance de l'action politique qu'il a menée. Ce jugement est  de notoriété publique, Mohamed a distillé durant des décades, dans son exil,  des « bons mots » sur la gestion du pays du président Mokhtar. La rumeur colportait ces traits d’humour dans tout le pays. Et, notre auteur, ici, cherche à nous faire croire que ce jugement s’est amendé dans le temps ! C’est proprement une offense à sa mémoire. Cette homme se serait exilé en vain, aurait combattu en vain le régime ? On est ici dans l’affabulation. 
Cela commence à bien faire cette intox que les  thuriféraires de Daddah ne cessent de nous servir depuis un demi-siècle. 
 
Au final, à la lecture de cette biographie on apprend peu de chose sur les deux hommes qui ont fondé ce »semblant d’Etat », j’use de cette restriction car j’adhère au diagnostic de Mohamed qui parle « d’indépendance bidon » ;  on sort de cette lecture sans connaître les  lignes politiques des uns et des autres, c’est un peu comme si on évoquait la Révolution  française sans faire le distinguo entre les girondins,  les jacobins et les monarchistes. On n’en apprend guère plus sur la nature des liens historiques de la Mauritanie avec son ex-colonisateur, combien celui-ci a dicté et pesé sur le sort du pays et combien cela perdure aujourd’hui. Il se trouve que ces liens sont l’arrière-plan du différend qui travaille le couple Daddah/Mohamed. Or, je me répète, les actions menées par Daddah, particulièrement au cours de cette période de "régence", et ses orientations politiques ont fixé le cadre de survie politique du pays, quels que soient les successeurs qui se sont glissés dans le moule de Daddah, avec des nuances de détail. 
 
 Je vais donc  repeindre la façade aux vraies couleurs des faits, ceux-là même que Mohamed met en lumière et qu'il évoque dans son ouvrage. En annexe,  je me suis permis d’en sélectionner en détail quelques-uns de mon cru si j’ose dire, qui viennent compléter ceux de Mohamed, cette cuvée est un inventaire de quelques  réalisations significatives de l’époque,  des engagements particulièrement édifiants et révélateurs, voire   spectaculaires,  à mettre sur le compte de ce président éclairé. 

Mais m’objectera-t-on sommes-nous ici pour évoquer Ould Daddah et sa politique économique  notamment? C’est hors sujet. Il s’agit de feu Mohamed Ould Cheikh, rien à voir.  Eh ! bien si justement. Parler de l’un c’est parler de l’autre, car il se trouve que les orientations politiques oh ! Combien dissemblables des deux personnages sont le terrain où ils se confronteront, tout d’abord durant 7/8 années au sein de la gouvernance et par la suite un combat à distance se livre entre eux et  jusqu’à la chute de Daddah, on va le voir, pour toutes ces raisons historiques donc on ne peut éviter :

- d’une part, de  parler de Mokhtar, du reste l’auteur de cette notice n’a pas manqué de le faire à juste raison. Ces deux hommes politique ont dominé cette période historique,  leur conflit  fait partie inhérente de la naissance de cet « Etat ».  

- d’autre part, il convient de  rappeler que Mohamed a combattu ce régime bien après son éviction. En retrait,  il y avait un censeur,  isolé mais bien présent, sa parole bien que réprimée était malgré tout diffusée par ses proches, il lui arrivait aussi de recevoir des journalistes étrangers de façon clandestine, je lui en ai moi-même adressé quelques-uns (Afrique-Asie et Jeune Afrique etc…), il  écrivait parfois des articles qui passaient sous le boisseau, bref, un adversaire portait témoignage,  on ne peut taire cette forme d’action politique, sinon on trahit la mémoire de l’homme et on falsifie la réalité des tensions politiques de cette période.      

Au préalable, je souhaite annoncer la couleur. La mienne. Il me paraît  indispensable de savoir où se situe et d'où vient celui qui parle. Ca change tout quant à l'appréciation de l'authenticité et la sincérité de son propos et de la liberté dont il dispose pour s’exprimer  entre autres et aussi de connaître à quel camps il appartient, son orientation quoi !

 Celui qui intervient et se fâche un peu ici et s'autorise la contradiction, votre serviteur, un étranger et français de surcroît,  un vieux monsieur aujourd'hui qui a vécu et s’est impliqué dans ce pays, la Mauritanie. Il se trouve en effet que j'ai sévi en RIM dans une période charnière 1965-1972. Ingénieur Conseil, j’ai été chargé de structurer et organiser des entreprises publiques.
J'ai pu apprécier au plus près durant ce long séjour les "bienfaits" de  Daddah et de sa gouvernance. Il se trouve également que j'ai fréquenté  Mohamed alors qu'il était encore au pouvoir, juste avant la chute,  et plus intimement dans les années qui ont suivi son exil  où j’ai été un des rares à le recevoir chez moi et à lui rendre visite  régulièrement dans sa retraite désertique ;  c’est moi qui l’ai incité à écrire et me suis occupé de l’édition de son ouvrage, nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois, chez moi, à Paris dans les années 80 ; par la suite, nos relations furent épistolaires et indirectes – via des amis communs -  par la force des choses.

Il me semble que  cette proximité m'a permis de connaître et de vivre  les enjeux et le contenu de la bataille politique entre les deux hommes et qu'il m'est permis d'en parler en témoin direct d’autant que nous avions des échanges fréquents à ce propos  Mohamed et moi. En revanche,  je n'avais aucune affinité humaine et, je le reconnais, aucune sympathie pour Ould Daddah, que j'ai approché, toujours en gardant mes distances, mais je pouvais constater au jour le jour son mode de gouvernement, ses liens, les retombées de ses choix, les interventions de l’Ambassade de France sur le cours de choses – j’ai moi-même subi des pressions directes de l’Ambassade pour contrecarrer des choix qui heurtaient les intérêts de la France -   le prix que le pays devait endosser pour des pseudo-réalisations qui ne fonctionneraient  jamais ou encore des projets ubuesques et/ou inadaptés à la situation réelle et aux urgences et priorités ;  j’ai pu vivre  aussi de près comment fonctionnait la clique de valets et de courtisans que Mokhtar intronisait au gré des circonstances pour que chacun de ces serviteurs émarge et profite de la corruption ambiante; de fait, mon job m'amenait à fréquenter  la sphère du pouvoir et l'ombre de Daddah qui courait sous le masque de ses créatures inféodées (ministres, directeurs, hauts fonctionnaires, cadres divers et variés) dont je devais parer les coups, les malfaisances, les rapines,  pour sauvegarder les engagements et les responsabilités professionnelles qui étaient les miennes tels que je les concevais. 

J'étais un sympathisant  de la ligne politique de Mohamed, militant anticolonial, tiers-mondistes comme on disait à l'époque, ancien militant d’extrême gauche,  donc proche du positionnement de Mohamed Ould Cheikh, bref un "progressiste" (je le suis toujours, même si cela est passé de mode), comme on le disait à cette époque. 
 
Tout ceci pour dire que mon regard et ma lecture des événements qui se sont produits dans le pays ne sont pas ceux d'une tête d’œuf technocratique venu "coopérer" et émarger ou encore ceux d’un petit fonctionnaire provincial français dont le souci primordial est d’arrondir ses fins de mois grassement payé par la Coopération,  mais ceux d'un homme engagé politiquement et particulièrement  concerné et impliqué par le mouvement d'émancipation colonial.  Je n’étais pas sous le régime de la Coopération, c’est le gouvernement mauritanien qui m’appointait.  J'étais aux premières loges, d’une part par mon job sur place (je gérais dans mon secteur un budget double de celui du budget général du pays, cela attire des convoitises et des interventions…), d’autre part,  par mes préoccupations humaines et politiques, ce qui m'a rapproché tout naturellement de Mohamed, devenu avec le temps un homme qui m'a honoré de son amitié. S’ajoute à ce profil le fait que mon épouse était d’origine berbère, et pour elle notre présence en Mauritanie évoquait un retour aux sources dont elle était coupée depuis son plus jeune âge. 

 J’ajoute, que je suis arrivé en Mauritanie, au départ,  pour une mission d’expertise très courte de quelques semaines, qui s’est transformée par des circonstances imprévues en un séjour de 8 années… j’étais de longue date engagé sur un autre projet  dans un autre pays, contre toute attente, précisément en raison de mes antécédents politiques, ce projet a capoté inopinément. J’étais libre de choisir de partir ou de demeurer. J’ai choisi.
 
Aujourd’hui, je m’exprime librement sur cette Histoire vécue de la Mauritanie. Aucune pression,  aucun intérêt personnel ne peuvent brider mon propos. J’exprime ce que j’ai vécu en témoin  dans ce pays ;   ce qui motive ma démarche  c’est une  colère et la déception de découvrir une biographie qui trahit la mémoire de Mohamed Ould Cheikh à qui selon moi et beaucoup d’autres,  on doit rendre un  hommage appuyé, vu la justesse de son combat politique, l’exemple de résistance et d’incorruptibilité qu’il a payé chèrement outre l’action humanitaire exceptionnelle qu’il a menée auprès de son peuple. 

C’est un homme qui m’a inspiré  une profonde estime. Par fidélité à sa mémoire, j’ai souhaité faire cette mise au point, de sorte que son souvenir perdure ici ou là dans l’esprit de quelques lecteurs mauritaniens. Je lui devais bien cela, moi, qui ne fus que de passage dans ce pays, la Mauritanie, où j’ai rencontré un homme d’exception et un pays dur  et exigeant à reconnaître mais aussi un pays où l’humanité se rencontre au détour des sables.
 
 J’ai scindé mon propos en deux parties distinctes :

-D’une part, voir de près le contenu du conflit politique  entre les deux forces politiques qui se sont affrontées notamment entre 1961 et 1965, puis j’évoquerai  le contexte réel de la répartition du pouvoir dans le diptyque  Mokhtar/Mohamed,  ainsi qu’un commentaire de l’ouvrage, l’indépendance néocoloniale  et enfin pour dissiper le silence inacceptable sur  l’activité humanitaire de Mohamed, j’expliquerai dans quelle condition il en est venu à son activité de médecin et combien cette  implication fut bénéfique pour les populations qu’il prit en charge bénévolement durant quelques décades.  
 
-D’autre part, on trouvera en annexe, un inventaire succinct mais spectaculaire  de quelques faits et engagements  de Mokhtar Ould Daddah qui m’ont paru illustrer de façon significative la notion abstraite de  « politique néocoloniale » que combattait Mohamed, une dizaine de cas de figure sont évoqués. Je n’ai aucunement grossi le trait, bien au contraire.


I -  LE CONFLIT POLITIQUE OULD DADDAH/MOH. OULD CHEIKH- – LE LIMOGEAGE.

Deux courants  politiques se confrontent depuis 1957 et leur cohabitation va exploser en 1965. Voyons un peu quelle est la ligne politique de chacun des protagonistes 
Un lourd contentieux  politiques s’était accumulé, à la veille de l'éviction de Mohamed.  A commencer entre autre par la persistance d’une collaboration étroite de l'un, Daddah, avec la France, collaboration à sens unique qui n’avait de cesse de fleurir (voir des exemples en annexe ainsi que le catalogue évoqué dans l’ouvrage de Mohamed)  sans que l’on perçoive un quelconque infléchissement social...iste de la politique  menée  dans le pays ; toutes les promesses de Daddah d’inflexion de cette politique dans ce sens s’étaient évaporées, Mohamed et les siens, en avaient assez de contester en interne et  mettre en cause en vain les engagements léonins, les réalisations censées offrir des opportunités au pays  qui s’écroulaient sitôt mise à l’épreuve, les choix d’hommes notoirement défaillants et/ou corrompus, bref, les orientations  prises par Daddah ne passaient plus aux yeux de l’aile progressiste au sein du gouvernement. Ils se percevaient trahis. 

Il se trouve qu'en coulisse, Mokhtar tenait des propos qui éclairaient sa démarche censée être uniquement tactique de sa part vis-à-vis de la France (tout serait remis en cause pour peu que l'on fasse preuve d'habileté et de patience).  Il n'a cessé de prodiguer ce genre de discours auprès des siens, depuis 57. C’est sans doute pourquoi notre rédacteur parle du « réalisme » et de « gradualisme » de Mokhtar. Moi, je dirais  plutôt qu’il s’agit d’une mystification, d’un double jeu, auquel les progressistes se sont laissé prendre comme des agneaux.   Depuis l'origine, Daddah bernait son monde sur ce plan en avançant sa conviction socialiste (on ne rit pas !) qu'il masquait, en attendant son heure, prétendait-il. (les nationalisation, la rupture avec la zone francs, la naissance d’une monnaie, etc…qui surviendront en 72, n’ont de fait pas modifier les rapports avec la France, quasiment sur aucun plan, et surtout le pays n’a rien gagné dans cette opération « socialiste » de façade, l’appauvrissement s’est accentué, l’endettement idem, l’exode rural, la famine, bref, une autre mascarade d’un politicien roué : Mokhtar. Ce n’est pas l’objet ici de s’étendre sur cette manœuvre politicienne de 1972) Le conflit larvé entre les deux hommes traduisait en fait  une  divergences fondamentale sur l'orientation, la ligne politique, la vision de l’avenir du pays : 
  • l'un orienté vers la pseudo-modernité à l'occidentale – la Mauritanie devait franchir un pas de géant à marche forcée pour entrer dans la civilisation moderne dont les bienfaits sont évident, selon Mokhtar -  on appellerait cela de nos jours une ligne libérale, qui avait pour conséquence, selon Mohamed de livrer le pays pieds et poings liés au marché et aux puissances qui le contrôlent, dont la France, donc de subir dans tous nos rapports la tutelle et l’emprise des intérêts du puissant à notre détriment :  un rapport de force déséquilibré, le pot de terre contre le pot de fer. 

  • L'autre, une ligne socialiste (Mohamed) appuyant toute sa philosophie politique sur l'indépendance nationale à conquérir, une socialisation souple de l'économie et, ce qui lui paraissait être l'atout essentiel du pays : protéger l'économie de l'élevage en toute priorité pour commencer (donc résoudre la question de l'eau dans tout le pays, là où les éleveurs nomadisaient), réduire la dépendance au marché occidental pour tout ce qui n’est pas lié au développement des conditions concrètes d’existence de la population ; pourquoi ? Parce que toute technologie, produit, concept dits« modernes » induisait  selon lui, au contraire, une dépendance immédiate à ce marché et une confrontation défavorable, perdue d’avance, une concurrence faussée, une dépendance (pièces détachées, maintenance, savoir-faire technique, objets et usages culturels, produits divers à prix bas de la production de masse,  etc…) et son corolaire la destruction et la paupérisation de l’artisanat traditionnel et du savoir-faire local, il fallait donc y regarder à deux fois avant d’acquérir ces biens et services de consommation occidentale  ; Exemple :   les milliers de produits de l’usine occidentale qui ne participent en rien au développement réel et à l’amélioration du niveau de vie d’une population pauvre qui manque en priorité de l’essentiel : la santé, la nourriture de base, l’éducation, l’eau,  etc…  qui sont le socle de tout développement futur ;  revoir  radicalement les conditions d'exploitation  des ressources minières et halieutiques, mettre fin à la spoliation en cours. Consacrer toutes les ressources du pays à ces objectifs et enfin, politiser et mobiliser le peuple.

Ce sont donc bien deux lignes politiques qui cohabitaient depuis 7 années au sein du régime, aux antipodes  l’une de l’autre, mais la ligne libérale appliquait son programme tandis que la gauche nationaliste voyait passer le train. En 1965, l’opposition devenue irréductible refusait de cautionner plus avant Mokhtar, l’exigence de changement de cap de l’aile gauche  mené par Mohamed en tête menait à la confrontation.  Le désaccord devenait public.   Mokhtar tenait le manche du pouvoir, il était soutenu par la France, il avait opté , de fait, pour  le  marché, sous couvert d’un socialisme proclamé mais jamais appliqué en réalité ;  il finit par reprocher à son opposition interne son manque de réalisme et son archaïsme – c’est l’argument éculé depuis toujours et en tous lieux que  toute droite libérale, qui se proclame « réaliste » et « gestionnaire » assène à la gauche censée, elle,  être «  idéaliste et utopiste ». Ce refrain perdure depuis plus de  deux siècles. 
 
Mais cette option libérale ne donnait pas à l’évidence les fruits espérés, depuis 7 années. Tandis que la gauche s’était compromise en s’associant à Daddah, alors que l’on constatait une  gabegie des ressources financières,  toute une politique d’infrastructures  et de projets couteux et d’un intérêt nul ont épuisé le pays. La population se paupérisait, on commençait à percevoir le début d’un exode rural inquiétant vers les villes, notamment NKC qui présageait un bouleversement de tous les équilibres traditionnels ; effectivement cette tendance ne fera que s’amplifier de 70 à 80 dans des proportions catastrophiques suite à l’abandon de l'économie de l'élevage qui sera rayée de  la carte, un exode  massif de population réduite à la misère en quête d’eau et de moyen de subsistance se déclenchera  vers les villes. La « modernité » a fait et continue à faire ses ravages.
Ces divergences politiques tournent donc à l’affrontement. La coalition se fissure.  L’opposition donne de la voix, la France inquiète pour la Miferma exige des assurances, Mokhtar doit trancher : éliminer la gauche.  Ses conseillers (ceux de Foccart) font le choix de « mouiller «  l’opposition pour s’en débarrasser ; un complot politique sera conçu, c’est son point fort à Mokhtar la manipulation ;  Il faut  trouver un scénario plausible pour exclure  du gouvernement l’aile gauche dite nationaliste et donc Mohamed et ses proches. Comme toujours dans ces cas-là, la communication politique est une des clefs de la réussite. Mohamed numéro 2  du gouvernement est très populaire, il faut légitimer cette exclusion. Le but de la manœuvre projetée va consister à masquer les divergences de fond, de sorte que l’opposition ne puisse en venir à porter sur la place publique un débat qui focalise sur ces divergences, le risque de mise en cause du bienfondé de la politique du régime deviendrait public. A éviter à tout prix. Il faut rechercher une couverture apparente, un affichage,  que l’on donnera en pâture à la population.  Pour se débarrasser d’un opposant populaire la meilleure méthode est celle du discrédit, démolir son image. Comme Daddah détiens  les reines du pouvoir et de l’information, que les équipes de Foccart veillent  au grain,   il peut diffuser sa bonne parole sans être publiquement  contredit. Foccart de son côté va s’occuper des médias français ; Des manifestations violentes (les émeutes raciales…voir ci-après)  se produisent à Nouakchott,  dans les jours qui suivent un article retentissant est publié à Paris, le journal Le Monde brosse un portrait de  Mohamed présenté comme l’homme providentiel, l’homme fort du pays,  ex vainqueur  hier du complot marocain, aujourd’hui maître de l’armée, le seul à même de mettre fin à l’anarchie et aux émeutes et manifestations  qui se déroulent dans la capitale notamment (en fait, Daddah a délibérément laissé faire et s’est gardé de toute intervention policière, les émeutes prennent une tournure de bataille rangée entre ethnies noires et maures)  ainsi   le correspondant du « Monde » (Philippe Decraenne) suggère que le détenteur du pouvoir réel à NKC est Mohamed, qu’il s’apprête a renversé Mokhtar (donc le pouvoir légitime), bref,   un coup d’Etat se prépare sous son instigation. Une énorme manipulation des services de Foccart. 

La presse française et internationale reprennent cette information  du Monde, bien entendu.
Voilà Mohamed qui passe pour l’homme du putsch,  responsable des tensions ethniques qui plus est dans le seul  le but  de  renverser Mokhtar. Les divergences politiques passent à la trappe, le scénario fonctionne parfaitement.

50 années plus tard, pour expliquer le limogeage de Mohamed, Abdel Wedoud, nous sert aujourd’hui le même boniment,  la version officielle de l’époque : le scénario Mokhtar/Foccart, décrit ci-dessus,  celui qu’ils ont  mis en œuvre. 

 Depuis longtemps, on sait que Daddah a utilisé le conflit ethnique pour éliminer son opposition interne, il est notoire qu'il a attisé ce conflit  larvé ; dans un pays où les maures détiennent l'essentiel du pouvoir et répugnent pour certains d’entre-eux à le partager avec les ethnies noires et autres qui sont majoritaires, le feu du conflit ethnique peut prendre à tout moment; jusque-là Mokhtar s’était toujours montré très réservé sur ce plan. Mais cette fois, il déclenche les hostilités contre le mouvement de revendication des populations noires du sud, alors que Mohamed, lui,  approuve leurs revendications  (notamment une lettre ouverte dit l’appel des 19 publiées par leurs représentants) il a du reste depuis toujours la même attitude à cet égard : un pays de mixité ou deux ethnies cohabitent et fondent la Mauritanie. La gauche et les nationalistes du gouvernement ont toujours proclamé que la Mauritanie est un pays de maures et de noires. Daddah n’ignore pas la position constante de Mohamed à cet égard, il sait que ce dernier ne se déjugera pas. Il suffit donc d’une provocation sur ce thème pour déclencher un clash gouvernemental…et le pousser à la faute.

Pour allumer La mèche,  le Mokhtar a décrète soudain que la langue arabe sera désormais la langue de l’enseignement…un casus belli pour les populations noires!  Des émeutes raciales explosent.  Elles s’amplifient, il n’est pas exclu que des provocateurs ne s’y mêlent,  cela dégénère notamment à NKC et s’étend en tâche d’huile dans le pays.

 Une fois que le conflit  a atteint un palier critique, Daddah intervient en sauveur et pacificateur en éliminant au passage les éléments progressistes de son équipe, dont le principal d'entre eux qu’il incrimine et prétend qu’il a attisé le conflit à des fins personnels ; Mohamed dans son ouvrage aborde cet épisode dramatique,  démonte le mécano du scénario, révèle le dessous des enjeux, une divergence fondamentale : une lutte intestine qui oppose deux conception de l’indépendance nationale et l’élimination de la gauche et des siens grâce à un coup monté que celle-ci n’a pas su déjouer. On est loin de la mystification que nous a servie, ici, notre rédacteur.
 

 II -  POUVOIR RESPECTIF DES DEUX HOMMES. 

Rappel  des  faits : Bien avant  l'indépendance formelle de 1961, le pouvoir était distribué.   Mokhtar avait été coopté en coulisse, pour présider aux destinées du pays.
 Il bon de se souvenir  que Mokhtar était étudiant  et vivait en France depuis 1948, il va se  révéler, 8 années plus tard en 1956, comme acteur politique majeur de la Mauritanie, après avoir exercé dans un cabinet d’avocat à Dakar. Il est donc sorti de la boite du Colonisateur, couvé par l'administration coloniale, en réserve en quelque sorte ; au Sénégal se situait le quartier général de l’administration coloniale qui pilotait l’AOF. Tout naturellement c'est donc lui  que l'on est venu chercher, dès 1956, on l’avait sous la main, si j’ose dire,   lorsque la stratégie gaullienne d'octroi de l'indépendance en procédant par palier  s'est mise en place. Pour la France,  fallait bien sauver les apparences et qu'un personnage du cru adhère et mette en œuvre docilement cette indépendance octroyée. Partout en AOF, chaque pays,  (le cas de la Guinée Conakry est une exception) a eu ainsi son "père de l'indépendance" élu par la générosité de l'ex colonisateur. Il fallait y croire à l'époque. Un demi-siècle plus tard cela laisse rêveur. 

Donc Ould Daddah, c'est patent, ne fut nullement au départ choisit et mis en place, par son  peuple, pas plus que par les rares représentants de ce peuple, de quelle représentation parlerait-t-on ? La réponse est évidente.....Pourquoi ce personnage fut-il l'élu de la France? Autre évidence... on peut en déduire qu'il devait présenter des garanties tout de même pour que l'ex colonisateur, dès 56,  le coopte pour  le fauteuil de la future présidence, non ?  Comment se sont déroulées en réalité les premières élections dites libres et populaires ?  Un beau montage électoral...bidon ;  d'entrée de jeu cela s'est passé en Mauritanie  comme dans tous les états de l'ex AOF....la France s'est assurée du concours d'un collaborateur local qui respectera à la lettre les instructions  et qui ne posera aucun problème pour la remise en cause des intérêts français présents et à venir. Moyennant quoi, l'heureux élu conduira son pays à "l'indépendance" (sans rire, svp)  et présidera aux destinées de celui-ci, protégé, soutenu, conseillé et " financé" par la France, cela va de soi... C'est bien ce qui s'est déroulé durant les 21 années de pouvoir "dadaïste». Si j’ose dire (dès 57, Mokhtar engage la future RIM dans des contrats multiples ; je prends donc cette année-là comme point de départ de  sa prise de pouvoir, et non 1961, année de l’indépendance formelle). 

La Mauritanie n'a rien à envier aux autres entités de l’ex AOF à cet égard...Et tout cela a été accompli par des serviteurs zélés qui ont tous opté  pour la même politique d'allégeance et de "modernisation"... comme un certain Daddah. Ici comme ailleurs on  a assisté à une "décolonisation décorative ». Le chaos explosif que nous voyons  aujourd’hui partout dans ce monde africain francophone et ailleurs,  moyen oriental, c'est le fruit de ce montage des ex puissances coloniales.  C'est ainsi que l'on retrouve 50/60 années plus tard les mêmes potentats au pouvoir... ou leur dynastie, voire des créatures nouvelles mais clonées,   maintenues grâce au soutien constant de l'ex colonisateur et des impérialismes de toute couleur... Les Bongo, les Obiane, bien d’autres, les putschistes inclus,  la liste est longue,  sévissent encore de nos jours, ils sont venus dans les mêmes conditions et partout ils ont fleuri et continuent de faire fructifier ces « indépendances néocoloniales » dont nous parle Mohamed. Ces régimes ont  partout épuisé et appauvri leur population, livré leur pays au marché occidental et tué  l'économie locale, en se  goinfrant  au passage,  et en   sauvegardant de fait  le système de domination repeint aux couleurs de "l'indépendance".... facteur aggravant ils  ont  éliminé partout  l'élite politique d'opposition ...dixit Mohamed en Mauritanie et celle montante des nouvelles générations.

Ce qu’il aurait fallu faut mettre en évidence  dans une telle biographie, selon moi, c'est qu'à partir du moment où on relates la proximité, la collaboration, des deux hommes politiques qui nous occupent ici  - fait incontestable historiquement -  il semblerait aller de soi de regarder de plus près « qui fait quoi » au juste dans cette phase de transition politique et de passage à l'indépendance formelle de 1957 à 1961 puis de 61 à 65.  

Car évoquer les deux personnages comme  le fait Wedoud sans situer la place de chacun dans cette phase politique déterminante  et leur pouvoir respectif, notamment vis-à-vis de l'ex colonisateur, lequel détient et distribue les cartes,  me semble masquer l'essentiel. On est là dans un flou qui dissimule des réalités encombrantes, notamment  la responsabilité politique de l'un des protagonistes à savoir Daddah, qui  était le seul  à la manœuvre car seul  à même de prendre toutes décisions puisqu'il était l'élu de l'ex colonisateur qui lui avait délégué le pouvoir pour ce faire,  5 années avant "l'indépendance" formelle ;  C'est lui, Daddah, qui fut l'exécuteur du scénario conçu par l'ex colonisateur.  Il n'a pas manqué du reste d'exercer cette prérogative. C'est lui, Daddah,  qui paraphe, c'est lui qui ordonne, c'est lui qui  oriente et détient donc le pouvoir réel.

Tous les engagements majeurs, de 1958 à 1965,  sans exception,  qui vont "cadrer" la Mauritanie durant des décennies et la soumettre au diktat de la France sont actés et consentis par Ould Daddah, seul et nul autre. Ce fait est incontestable (voir ci-après en annexe, quelques illustrations). Par conséquent, Mohamed Ould Cheikh ne pèse guère dans les orientations qui seront prises d'emblée par le principal metteur en scène de la partition  écrite par la colonisateur.  Daddah fut un habile manœuvrier,  il a roulé dans la farine son opposition durant 7 années.

Alors que Mohamed Ould Cheikh est  le dirigeant politique qui  compte certes dans le paysage de l'époque, c’est le leadeur de l’aile gauche nationaliste du paysage politique du pays,  mais il n'a aucun pouvoir réel de négociation avec le décideur, la France ; or tous les contrats et les « accords » se négocient entre la France et Mokhtar via un cabinet noir.  

Mohamed, lui, après avoir travaillé à rassembler toutes les tendances politiques pour les rallier au futur gouvernement, tâche qui ne fut pas aisée, notamment ramener la gauche nationaliste et  fusionner toutes ces tendances en un partie unique, jugeant que la dispersion serait nuisible pour affronter les défis que le pays devaient résoudre, il a eu par ailleurs à faire face au  complot fomentés par le Maroc y compris l’aspect répression et judiciaire qui ne fut pas une mince affaire,  ou encore fut-il en charge d’ introniser  et représenter la Mauritanie à l’ONU à New-York, ou aussi de  lancer le programme de mise sur pied  de l’embryon de l’armée nationale et de la gendarmerie, bref, il administre, voyage dans le monde,  mais ne participe en rien aux négociations, aux engagements financiers de toutes  sortes qui relèvent exclusivement du pré carré du  Président Mokhtar. 

Donc, il faut être clair : le responsable de cette phase historique qui engage l’avenir du pays,  c’est Ould Daddah. Ce que notre rédacteur a  omit de nous dire lorsqu’il effleure  le parcours de ces  deux hommes politiques.  S’il faut des preuves, de ce que j’avance,  les voici : suffit de consulter les quelques exemples que j’ai extirpés du bilan de notre « père de la nation »  et ceux évoqués dans l’indépendance néocoloniales par Mohamed. 
 
 Nous y sommes,  c’est là la pierre d’achoppement de cette histoire : qui est le décideur (la France) et qui y consent (Mokhtar Ould Daddah) !   Par conséquent, Mohamed Ould Cheikh ne peut pas infléchir les orientations qui seront prises. On va le voir. Il peut bien s’opposer en interne, au sein du gouvernement, il ne peut rien en sortir, puisque c’est  Daddah qui opère au final. L’aile progressiste du gouvernement n’a qu’un seul choix : rester et fermer sa g…(comme le disait un célèbre ministre français), ou se démettre. Elle a mis 7 années pour clarifier et rompre. Cette jeune garde qui a rejoint Mokhtar avait la trentaine en 58, aucune expérience de gouvernement et encore moins sur le terrain des magouilles politiques, alors que Mokhtar avait derrière lui près d’une décade de plus et était  rompu de longue date aux négociations de coulisse avec le cabinet de Foccart et ses agents, c’est formateur ; d’autant que ses options politiques étaient les mêmes que celle du décideur, la France. Il lui fut aisé de piéger ces jeunes naïfs nationalistes aux idées socialistes.    
 
On est ici au cœur de l'opposition politique qui explosera entre les protagonistes, en 65. Car l'un, Daddah,  a coopté à l'origine l'autre, Mohamed, par une manœuvre politicienne classique et ainsi  annihilé l'opposition et le clan radical progressiste dont Mohamed est la figure de proue et pu  asseoir ainsi son pouvoir par une opération banale de phagocytage de cette  opposition potentielle,  et ainsi les mains libres mener la politique qu’il souhaitait,  sans qu’il ait eut  jamais  l'intention de  prendre en compte les options politiques de cette dernière, contrairement à ce qu'il affirmait. La France n’eût qu’à se féliciter de son choix, Mokhtar mena la barque dans le sens voulu.

Laisser dans l’ombre  ce contexte de pouvoir et la place prépondérante de Daddah dans ce diptyque qu’il formait avec Mohamed,  confine à  éviter également de se pencher sur son bilan ;   on ne fait ainsi  qu'accréditer la légende "du père de la nation" en dissimulant la réalité de sa politique, c'est bien ce qui transparait dans la notice de Wedoud ; par ailleurs,  ce parti pris,  ce silence,  laisserait  penser que Mohamed au cours de ce compagnonnage politique avec Mokhtar a pesé et joué un rôle dans  les  engagements et orientations conduites par Daddah entre 58 et 61 notamment, et donc en partage la responsabilité, ce qui serait une falsification vu ce que je viens de rappeler ci-dessus sur le pouvoir respectif réel des deux protagonistes. 
 
III - LE LIVRE DE MOHAMED OULD CHEIKH : « L’indépendance… néocoloniale », « Combattre pour l’indépendance et le socialisme »

Donc nous aurions ici à faire à  un  "brouillon" (!!!) selon Weddoud Ould Cheikh. Ici ou là il nous fait l’aumône d’extraire  quelques citations, hors contexte,  rien de plus. Quant au contenu de l'ouvrage, aucun commentaire. Aucun argument, pas la moindre critique sur le fond, tout a été dit  en parlant de "brouillon".

 C'est une insulte à la mémoire de Mohamed Ould Cheikh.
 
Il faut un certain aplomb pour occulter un testament politique de cette façon en mettant en cause le formalisme plutôt que son contenu, c’est-à-dire le sens de la démarche et le message que cherchait à nous transmettre Mohamed ; Soit.  

C’est donc une critique formelle – nous verrons qu’il n’en n’est rien, il se dissimule bien autre chose qui dérange notre rédacteur.   Mais, quand bien même cette forme serait discutable (j’y reviens plus loin),  le contenu précisément de ce  livre est  parfaitement limpide , c’est entre autres  un inventaire clinique, un diagnostic  d’un ensemble de  faits et d’engagements qui se sont déroulés durant le règne de Mokhtar, notamment dans la phase de ‘construction’ du pays : ces faits mis en question  ont un nom, ils correspondent à un programme, ils sont parfaitement identifiés, ils ont un objectif affiché, un  contenu, souvent une implantation physique dans le territoire, ce sont parfois des structures dont certaines perdurent brinquebalantes depuis un demi-siècle, des personnages publics les dirigent ou les ont dirigées par délégation,  nombre de ces projets furent de tels fiascos, de tels scandales,  qu’ils alimentèrent les sarcasmes de la rumeur populaire,  ils sont connus de tous, on est bien plongé ici dans   l’Histoire concrète de la Mauritanie vue sous un angle factuel justement – on peut en vain tenter de  détourner et manipuler ces faits dans tous les sens  pour leur faire dire autre chose que ce qu’ils contiennent et ce à quoi ils ont abouti ; de même, ne peut-on  réfuter   la conclusion que Mohamed nous livre  après avoir situé les responsabilités, les errances et démystifié la notion même « d’indépendance » qualifiée de « bidon » il lance un appel, une espérance de sortir de là par une autre voie - un demi-siècle plus tard cette voix socialiste qu’il prône nous paraît aujourd’hui encore  une utopie peut-être – on ne peut jurer de rien en vérité. L’avenir est fait du temps long en politique. 
  
Donc, ce livre  n’a pas retenu l’attention  du rédacteur ou contrecarre son opinion peut-être, il le censure. Chacun a parfaitement le droit d'exprimer son opinion, cela va de soi (du moins ici-bas), mais nul n'est  habilité à énoncer n'importe quoi  (« un brouillon » ! ), a fortiori dans une notice biographique d'un homme politique décédé, sans  expliciter et étayer l’ opinion négative que l’on professe à partir du moment où on exprime un jugement sur son action (un livre politique  d’un homme politique est un acte politique, faut-il le rappeler ?). Je ne crois pas qu’un titre universitaire quelconque autorise qui que ce soit à critiquer sans argumenter le travail intellectuel d’autrui. De plus un intello en chambre devrait prendre quelques précautions, faire preuve d’une certaine humilité par exemple s’agissant de rendre compte   de  l’œuvre d’un homme de terrain,  notamment si ce dernier laisse un témoignage et à payer de sa chair l’implication à laquelle il s’est donnée.

Tout ce que Wedoud trouve à dire  par ailleurs c’est que  l’ouvrage manque de références, c’est la seule mention critique objective mais dérisoire. Mais en matière de références, il ne s’agit pas ici d’une thèse universitaire, notre rédacteur se trompe d’objet,  il s’agit du témoignage d’un des acteurs majeurs de l’Histoire du pays, la référence c’est lui. C’est l’homme qui parle, qui ouvre le livre de l’inventaire et le commente. Il n’a aucun document à présenter pour être crédible, il était dedans,  dans le four, personne n’ignore ou n’ignorait que cet homme était au sommet du pouvoir, sa rigueur et son honnêteté sont de notoriété publique, son témoignage l’est tout autant,  de plus ce dont il parle est visible et criant de réalité, les exemples abondent, au vu et au sus de tout le monde…
 
Au-delà du diagnostic que ce livre nous expose,  il s’agit d'un des rares écrits d'un homme politique acteur et témoin de cette phase de transition politique d'un pays du tiers-monde auparavant soumis à la domination directe ;  son auteur autopsie le mécanisme de mystification d’octroi de l'indépendance d'un état en AOF et nous livre une analyse éclairante et relativement inédite de la période coloniale et postcoloniale, nous éclairant sur les modalités implicites du passage de la domination directe à la domination masquée et nous rappelant notamment le rôle majeur de ces acteurs autochtones  "retournés" qui se sont mis au service de leur ancien maître, en l'occurrence ici Mokhtar Ould Daddah...
     
Peu de récits politiques pertinents et aussi riches d'informations, surtout à l'époque, existent sur ce sujet, en langue française, et encore moins en provenance d'acteurs historiques. Cet ouvrage, par la pertinence de l’analyse historique et celle de l'inventaire auquel il procède, nous parle aujourd'hui encore, vu de ce qui se passe dans ces pays de la Françafrique et plus particulièrement de l'état dans lequel se trouve la RIM 60 années plus tard. 

 Découvrir cette analyse est un enrichissement pour la conscience politique de tout lecteur qui voudra bien s’y plonger, il y a aussi une énergie et une mise en perspective qui est salutaire, l’humour et l’ironie jette sur cet univers de bouffonnerie et de soumission un regard décapant ; Mohamed nous décrit une imposture, et celle-ci perdure un demi-siècle plus tard avec une bande de  dirigeants interchangeables à coup de putsch qui monopolisent le pouvoir exclusivement dans leur intérêt et ceux de leur clique de courtisans et profiteurs, tandis que la population ne fait que se paupériser sous l’œil bienveillant de la France. 
 
C’est au nom de ces Etats fantômes que l’on a trahi et continue de le faire les peuples et singulièrement le sien. Voilà ce que nous dit Mohamed Ould Cheikh en 1974.
Pour mémoire rappelons que Mohamed Ould Cheikh a conçu son pamphlet dans des conditions matérielles limites et précaires : aucune documentation, aucun interlocuteur pour un échange, une pression et une menace policière constante, et dans des conditions de vie sur place plutôt limites, isolé sous sa tente,  enfin aucun moyen  matériel de le relire, de le corriger bref, revenir sur l’ouvrage vu que celui-ci a été conçu sous forme enregistrée, sous le manteau et envoyé en France clandestinement  par fraction vers votre serviteur( celui qui prend la plume ,ici) pour l’éditer en urgence vu le complot qui se tramait contre sa personne (voir ci-après). Je n’ai donc pas pu communiquer en retour les épreuves à Mohamed, ni me donner l’autorisation de corriger le texte le cas échéant, faute de liens avec lui, car j’avais quitté définitivement la Mauritanie.

De même l’avons-nous édité à l’économie, en France, à la hâte - une maquette compressée et dense qui ne facilite pas la lecture -   et fait parvenir clandestinement en Mauritanie dans des conditions difficiles. Pire contexte pour écrire et réaliser ce livre est difficilement  concevable. L’écueil principal étant qu’il n’a pu revoir le texte avant publication. De ce fait, la forme est effectivement  lourde et ce canevas impliquait une révision à laquelle tout auteur se doit d’intervenir avant le « bon à tirer ». Rien de tel n’a pu se produire en raison du contexte répressif qui régnait. Nous pouvions recevoir à Paris, avec difficulté, les chapitres enregistrés, mais retourner leur composition vers Mohamed avant impression, pour révision, s’est avéré impossible, entre autre  le risque était trop grand ne serait-ce que pour l’intégrité physique de Mohamed en cas de saisie. 
 
 IV - LA REPRESSION contre Mohamed - LE COUP D'ETAT SANS ETAT !

La manière dont un régime traite avec son opposition est un bon indicateur du degré d’évolution d’une société. En Mauritanie depuis l’origine on parle beaucoup d’élection, de démocratie, de représentativité, la réalité est tout autre.  Celui qui fut l’initiateur de ce discours d’imposture – la démocratie et la libre expression - le champion dans ce domaine, contrairement à l’image qu’il a voulu se donner et à rebours de celle que lui donne ses thuriféraires, c’est bien Mokhtar Ould Daddah. Voyons un peu comment il s’est comporté avec son opposant numéro 1. Mokhtar a donné le pli pour ses successeurs.

 La stature de Mohamed, sa popularité en fait un adversaire potentiel dangereux, hors du contrôle direct au sein du Gouvernement il devient une source de paranoïa pour Mokhtar. La coercition va s’amplifier au fur et à mesure ou les mois passent.  Le régime espère par cette pression faire revenir Mohamed à de meilleurs sentiments.

Mohamed se retrouve  relégué et isolé, il vit une sorte d’assignation à résidence au fond de la brousse, à 5 h de piste de NKC. Certes il est devenu un paria pour le régime, exilé dans son propre pays pour délit d’opinion, frappé d’exclusion en quelque sorte, puni de ne pas se soumettre et d’oser contester vigoureusement le régime. Mokhtar  commence par  lui couper les vivres, il est expulsé de la fonction publique,  peu après on tente une approche pour l’acheter, cela ne marche pas,  il est alors quasiment interdit de séjour dans la capitale, son existence bascule (on va le voir en détail).  Toute l’opposition a subi  une  coercition implacable et des tentatives incessantes  de complot pour la discréditer ;  Mohamed, un des rares opposant  à ne pas fuir  à l’étranger, s’est vu interdire de fait de trouver un travail  dans son propre pays et donc de se procurer des ressources même dans le secteur privé à NKC, des consignes dans ce sens ont été données, aucune entreprise n’ose les enfreindre ; Son statut de haut fonctionnaire lui est supprimé ; Ne disposant d’aucun bien personnel on le réduit  ce faisant à la misère ; toute sa famille et ses proches dépendent de lui depuis toujours, ils survivent  en brousse.  Il n’a aucun moyen de subsistance, ne dispose d’aucun bien, un ancien ministre sans le sous c’est assez  inédit en Mauritanie. 

Mokhtar connaît parfaitement cette situation et accentue la pression. Il sait que Mohamed fut un ministre intègre, il n’a jamais pu le corrompre, Il cherche à l’acculer.   C’est dans ce contexte que Mohamed rejoint son clan près de Boutilimit,  isolé en plein désert, à 200 km de NKC,  il y demeurera jusqu’à la fin de sa vie, sans moyens autres que le soutient amical :  47 années durant. Il est entré en résistance contre le régime. Il est dans l’ombre, en veille, sa présence à distance est inquiétante,  ce censeur gêne considérablement Mokhtar  justement par sa seule présence. Il endosse  la statue du Commandeur.  

Quant au danger et à l'urgence. Dès qu'il fut éjecté du gouvernement, Mohamed tombe  sous la pression policière. Sur place dans son campement, à une centaine de mètres de sa tente : des équipes de la Sûreté se relayaient en permanence pour surveiller et ficher jour et nuit les allées et venues des visiteurs. L’étau n’a fait que se resserrer, tant et si bien que chacun de ses amis était suivi depuis NKC – ce fut mon cas lorsque je me rendais auprès de lui.  Comme nombre de sympathisants de Mohamed, mon domicile fut surveillé et "insonorisé". 

Tous ses proches craignaient une manœuvre de Daddah pour attenter à sa vie, en finir avec lui, faute de n’avoir pu le faire céder. Lui-même n'ignorait pas ce qui était susceptible de se tramer contre lui (on évoquait un coup tordu). Nous étions tous très inquiets, des fuites nous avaient alertés. Nous avions même songé à multiplier notre présence auprès de lui, en se relayant sur place à tour de rôle, pour être témoin d’un éventuel accident, ainsi ménagé  une protection illusoire par témoignage du fait de notre seul présence. Ce ne fut pas toujours réalisable, vu l’éloignement et la disponibilité de chacun. Il fallait à l’époque 10h de piste AR pour lui rendre visite. La réaction violente du pouvoir traduit bien le combat qui se livre ; tous les rouages de l’administration sont également touchés, d’où l’épuration qui va suivre l’éviction de Mohamed. Tant et si bien que l’on peut dire que le pouvoir a peur. Peur de la possible réaction de Mohamed et des siens. 

 Ce conflit avait pris une telle proportion, bien qu’il se déroula hors du cénacle du gouvernement -  il va durer jusqu’à la chute de Mokhtar en 1978, 13 années de menaces et de pression policière– qu’il serait malhonnête de ne pas évoquer cette trajectoire politique et le combat de Mohamed Ould Cheikh qui témoignera jusqu’au bout contre le régime quel qu’en soit le prix qu’il a payé pour cela.
 
Cette intimidation que le régime de Daddah a fait peser sur Mohamed, pendant tant d’années, est allée très loin, aucun des siens pas plus qu’aucun de ses sympathisants ne pouvait trouver du travail, la Sureté veillait au grain.  J’ai moi-même tenté de recruter dans mon département des employés proches de la famille de Cheikh, on me fit comprendre que c’était exclu.  Je passe sur les menaces personnelles  graduelles que La Sureté m’a réservées personnellement, le régime était persuadé que je détenais des documents compromettants, d’où la prudence avec laquelle ils ont ficelé des scénarios contre moi. J’ai finalement quitté clandestinement la Mauritanie en 1972, avant que l’on me mette à l’ombre ;  
Ce régime fantoche devenu par nature une dictature, un modèle pour les successeurs à cet égard, a initié  et pratiqué une répression de plus en plus violente, c‘est sous son règne que l’on a torturé pour la première fois en Mauritanie, c’est sous ce régime aussi  que la troupe a tiré et tué des grévistes. 

Venons-en à la boutade évoquée par Mohamed dans son livre : "Pour qu'il y ait un coup d'Etat, encore faut-il qu'il y ait un Etat". Effectivement, lorsqu'on lui demanda pourquoi il acceptait son exil au lieu de prendre le pouvoir et renverser Daddah (en 66/70 notamment) – je me souviens très bien l’avoir évoqué avec lui,  il  répondit par cette pirouette.  A cette époque, Mohamed était très populaire, son emprise sur l'armée et la gendarmerie  ainsi que son prestige étaient intactes. Il lui aurait été relativement possible d'aller dans ce sens et il  détenait toutes les cartes. D'autant que Daddah était fragilisé et devenu impopulaire. 

Avec le recul, voici ce que je me souviens de ce propos  : cette décision de ne rien entreprendre de l’ordre du complot, d’un coup de force,  tenait à de multiples  facteurs.
 
En premier lieu, Mohamed n’était pas du tout un homme susceptible d’opérer dans l’ombre ; il n’était pas assez « politique » pour cela. Il attaquait et se défendait de face, toujours.  Le complot n’entrait pas dans son style de comportement et encore moins dans sa posture politique ; prendre le pouvoir de cette façon, par le haut, non porté et soutenu par un mouvement de revendication populaire, ne correspondait en rien à sa pensée politique, de plus il était isolé, ses déplacements restreints, il ne disposait même pas d’un véhicule sur place dans son campement,  s’il recevait des compagnons de route et des amis 2 ou 3 fois par mois c’était là le seul lien dont il disposait avec l’extérieur.  Cet isolement se prêtait bien mal à une quelconque action politique d’envergure et encore moins à un putsch.  

D’autre part, Mohamed répugnait à verser du sang, il craignait à juste titre l'intervention directe ou indirecte de la France, la Miferma représentait un Etat dans l'Etat, si j'ose dire, que la France ne pouvait consentir à abandonner à une nationalisation. Il était évident qu'une intervention militaire française se serait produite si un renversement politique à orientation socialiste se produisait.

C'est ce rapport de force trop défavorable auquel il songeait par cette boutade sur l'absence d'Etat mauritanien. Effectivement, Mokhtar n'avait rien bâti côté souveraineté d'un Etat en une dizaine d'années de pouvoir. Non seulement aucun rouage de souveraineté ne fonctionnait mais les concessions incessantes faites à la France avait créé un climat de soumission peu propice à une quelconque contestation et rébellion. Tout l’édifice de l’Etat fantoche relevait d’un décor d’opérette, on l’a vu. Par ailleurs, Mokhtar ne s'était ni appuyé sur le peuple ni n’avait travaillé pour le peuple, dont les représentants avaient été éloignés ou corrompus. La population et l’Etat fantoche vivaient dans des mondes parallèles, sans jamais se trouver. Dans ces conditions, l'état n'était qu'une illusion, on ne pouvait compter sur aucune structure publique ou administrative ; La confrontation  inévitable avec la France en cas de prise de pouvoir par Mohamed était par trop défavorable,  le pays n'y était guère préparé politiquement et ne disposait  d’aucun moyen pour résister à la puissance de l'ex-colonisateur. Déclencher un coup d'état dans ce contexte eût été sacrificiel et vain. 

Ce contexte de conflit potentiel avec la France dans l’hypothèse d’une prise de pouvoir par  un courant nationaliste de gauche  ne ressemble en rien aux différents putschs qui se sont succédés en Mauritanie par la suite qui eux n’ont guère rencontré d’hostilité avec la France, justement. C’est dire s’ils ne représentaient pas une remise en cause des intérêts en place pour les deux partenaires, la RIM et la France. 

Mohamed était un homme investi par l’ambition de servir son peuple. Il estimait comme un devoir, appartenant à l’élite, de délivrer son peuple de la misère ; en lui ce sacerdoce n’était pas en discours électoral.  C'était par ailleurs un  homme d'action qui ne s’en laissait pas compter une fois immerger dans un projet.  Face à l’urgence quotidienne du drame social et humain dont il était témoin, il ne tergiversait  pas tant que cela était en son pouvoir il agissait avec passion. C’est ce qu’un intello  ne peut pas comprendre, que l’on s’implique corps et âme et jusqu’à prendre le risque de se tromper. Un dirigeant du tiers monde doit mener une guerre sociale quotidienne s’il veut être  à la hauteur de  la responsabilité qui lui a été confiée. Pour le coup c’est vraiment une question de moral et de dignité, de devoir.  Bien peu l’ont envisagé de cette manière. La grande perte du pays, c'est qu'il n'a pu donner sa mesure alors qu’il était l’homme de la situation.

V – MOHAMED, MEDECIN DE BROUSSE.
 
Quant à son activité de "médecin", notre Wedoud  fabrique purement et simplement une autre  fable. Je le  cite : "Les soins de base aux membres de sa famille eurent tôt fait de le transformer en thérapeute en quelque sorte malgré lui".

Cette notation  prouve que notre rédacteur ignore ce qui s’est réellement passé, comment Mohamed en est venu effectivement à l’exercice de la médecine et combien il s’est impliqué  bénévolement de longues années au service de la population. 

Tout d’abord  Il s'est agi d'une démarche délibérée de sa part. Voici comment cela est advenu.  Mohamed, dans sa retraite en plein désert, s’exaspérait de demeurer le témoin passif face à une population  démunie de façon criante de tout secours sanitaire, il fallait rejoindre NKC, à 5h de piste pour trouver des soins – encore fallait-il disposer d’un véhicule -  une situation d’abandon révoltante ;  le moindre bobo, une banale blessure, voire une infection bénigne  ou une maladie infantile classique,  prenait des proportions vitales ; il m'a alors demandé un jour, ce devait être en 68, si je pouvais lors d'un déplacement professionnel que je devais faire sur Paris,  lui procurer le maximum de documentation médicale couvrant le cursus complet de médecin généraliste. Surpris par cette demande et de surcroît incompétent, je me suis fait conseiller et accompagner,  sur place à Paris,  pour cet achat.

 A mon retour, j’ai débarqué  à Boutilimit avec des cantines  (je dis bien des cantines) d'ouvrages médicaux, encyclopédies, ainsi que des manuels pharmaceutiques, bref ce qui se faisait  de mieux et de plus complet à l'époque, en langues française et anglaise... de quoi constituer une base de connaissance théorique et de recherche fournie. Mohamed était un homme qui assimilait très vite. Tous ceux qui l'ont approché ont noté l'extraordinaire machine intellectuelle et le talent prodigieux du bonhomme. Une année après environ, à sa demande, j’ai commencé à l’alimenter en médicaments et aussi lui ai procuré quelques  instruments médicaux basiques, puis peu à peu ses besoins se sont accentués et à partir de 1970,  j’ai dû lui faire parvenir régulièrement  des stocks de médicaments et accessoires  en quantité  (en conditionnement hospitalier, à l'unité, en vrac), grâce à la complicité de médecins hospitaliers  en France.

Dès 1970, et de façon plus fréquente  dans les années qui ont suivies,  les visiteurs de retour de son campement,  le téléphone arabe, la rumeur populaire nous confirment qu'un médecin sévit en brousse, près de Boutilimit, et donne des consultations et aussi des soins - à l’époque ce devait être sur place, la seule présence  médicale à quelques centaines de kilomètres à la ronde. Tout ce petit monde relatait ses prouesses médicales. Tous ceux qui l’ont approché nous apprennent qu'il avait acquis une connaissance et une pratique médicale proprement stupéfiante  au point que  Ahmed Ould Cheikh, son propre frère médecin (diplômé, lui) un de mes amis personnel proche,  me dira un jour (je le cite) : « que Mohamed avait un diagnostic plus pertinent que le sien ». Cela  laisse rêveur ;  il fut témoin me disait-il des interventions de Mohamed sur place et lui rendra un hommage appuyé et ce durant des années. A la différence de Wedoud également parent de Mohamed, qui lui, relativise sournoisement la compétence de ce dernier, alors qu’il ne possède a priori aucune connaissance dans le domaine de la médecine pour exprimer un avis d’autant qu’on ne la guère vu sur place pour témoigner de l’engouement des populations envers Mohamed, pas plus qu’il n’a jamais pu observer les consultations que ce dernier prodiguait. Ce qui semble  chagriner notre rédacteur c’est l’absence de diplôme pour exercer la médecine. Certes le Mohamed médecin n’entrait pas dans la norme. Les nomades souffrant eux non plus n’entrent pas dans la norme, n’est-ce pas ?

Bien sûr, un tel défi paraît inconcevable. Le savoir d’un médecin ne s’improvise pas uniquement dans les ouvrages médicaux, et puis, c’est par ailleurs  un cursus d’acquisition long, qui exige une pratique, une immersion hospitalière,  etc… Et cependant, les faits parlent. Un flux régional permanent accourait vers ce « médecin ». Comment expliquer une telle réussite dans un domaine de spécialiste formé pour cet exercice ?  Après tout Mohamed ne disposait d’aucun bagage scientifique, aucune expérience préalable sur le plan médical, même pas celui d’infirmier. Ce n’était qu’un modeste  autodidacte, un simple "breveté" (nanti d'un BEPC ! Rien de plus), devenu bel et bien un médecin des pauvres qui sauva des vies.  Il exerça cependant longtemps, voire au moins  deux  décades.

Manifestement notre rédacteur méconnait la réalité de l’existence nomade ou celle des populations sédentaires installées autour d’un puit dans le désert ;  comme la plupart des individus  et encore plus les intellos de sa génération qui ont vécu en ville, devenus étrangers à leur culture en fait, ignorant des conditions d’existence traditionnelle de la vie dans la brousse, ils ont parfois une connaissance livresque de l’état des choses locales, mais ne l’ont jamais vécu réellement. Pour une raison toute simple, l’existence précaire et spartiate du nomade/sédentaire en brousse  implique tout un façonnement de l’être, qu’ils n’ont jamais approchée et qu’ils ne pourraient pas assumer physiquement et psychologiquement, ils sont devenus des  citadins.  
Lorsqu'on fréquente ce peuple qui vit cette précarité de la brousse - ici encore je me permets d’en parler en connaissance de cause, sinon je me tairais…j’ai vécu longuement en brousse -  lorsqu'en étranger, un voyageur, arrive dans un campement isolé de tout, immédiatement les mères accourent avec leurs enfants, puis les adultes suivent, ils demandent de l’aide, de l’aide médical !  Le visiteur est donc censé par principe détenir un certain savoir. Le moindre mal, blessure, foulure,  - voire fracture, infection bénigne, problème ophtalmologique ou dentaire etc… prend des proportions graves ; cependant, cette population démunie de toute médicalisation, et pour cause, est d'une sensibilité aux médicaments proprement stupéfiante. Un antalgique quelconque a fortiori les antiseptiques et antibiotiques, que sais-je..., sont d'une efficacité quasi immédiate. Si de surcroît l'intervenant dispose de connaissances médicales réelles, alors des miracles s’opèrent sans coup férir. 

C'est dans ce contexte dans lequel Mohamed consultait et intervenait,  en "médecin de brousse", en médecin de l’urgence,  sauf que lui, il s'était immergé dans l'univers du savoir médical et se perfectionnait sans cesse, comme pour tout ce qu'il entreprenait, il en avait  tiré une connaissance approfondie  et par nécessité une  pratique qui allait donner des résultats spectaculaires, il accomplissait même des petites interventions chirurgicales (orthopédiques, plaies profondes, etc...) Il soignait donc, c'est évident ;  les protocoles qu’il appliquait devaient être  très typés car il rencontrait presque toujours les symptômes, les infections, les maux typiques de l’existence en brousse ; avec l’expérience acquise dans le temps, son perfectionnisme et l’exigence de connaissance qui était la sienne, on peut comprendre qu’il obtenait ces résultats probants.  Il était en quelque sorte devenu un « spécialiste » des maladies de cet échantillon de population.  Je me souviens qu’Ahmed Ould Cheikh, le frère de Mohamed,  médecin,  me rapporta des échanges « techniques » en quelque sorte, dont il débattait avec Mohamed concernant des traitements que ce dernier avait administré dans tel ou tel cas à un/des malades, traitements qu’Ahmed approuvait avec enthousiasme.  

Je le dis comme je le pense, Wedoud n’a  jamais perçu et compris à qui il  avait à faire. Il n’a pas connu Mohamed, tout simplement, ne l’a pas approché vraiment, peu nous importe pourquoi et dans quelles bonnes  intentions il s’est proposé pour rédiger une notice biographique du défunt ! Il nous  parle de quelqu'un qu’il  ignore, il en méconnait la stature et n’a jamais de près ou de loin  participé à ses combats. C'est le sentiment que j'éprouve lorsque je lis sa notice.

Je ne vois pas ce qui autorise Wedoud ould Cheikh  à  traiter avec une telle négligence l’implication d'un homme, ce don de soi au service de son peuple, au point de nous dissimuler cette part significative de son existence et l’exemple moral qu’il comporte. Un peu d'humilité, mon cher Wedoud ! Voici un homme, éminemment cultivé, doué et singulièrement intelligent, investi de longues années  sur le plan politique, ayant voyagé à travers le monde, connaissant admirablement son pays,  le  mode de vie de son peuple,  qui se trouve un jour relégué au fond du désert, exilé,  partageant avec les siens des conditions d'existence précaire. Il s'interroge et cherche comment il peut se rendre utile, lui, l'intellectuel, l'ex brillant ministre, l’homme de pouvoir, il cherche à secourir ces gens  qui vivent alentour dans une telle vulnérabilité, il cherche comment il peut se mettre à leur service. Il s'immerge alors dans un parcours scientifique aux antipodes de ses connaissances personnelles, sans aucune inhibition, sans a priori,  et fort de son expérience vécue, il relève ce défi parce qu’il y a urgence, urgence quotidienne, des vies sont en jeu, et que son devoir est de porter secours ; il se doit de faire face, c’est sa dette d’homme et d’intellectuel. Il balaye le  doute, s’immerge et  aborde cette connaissance à conquérir en guerrier, motivé et missionné par l’extrême nécessité, il balaye toute hiérarchie de pouvoir par la connaissance,  et bientôt  il  acquiert un savoir qui lui permet d'être opérationnel pour soigner une population en détresse médicale qui vient à lui, car "on sait qu'il sait".  On est loin du portrait malveillant, du soi-disant  « thérapeute familial malgré lui » que Wedoud a évoqué avec suffisance.

Revenons à la brousse, revenons à la misère. Ce médecin de fortune à pratiqué longtemps, en 1995 - 25 ans après avoir débuté il exerçait encore -  les besoins étaient immenses, sans fin,  la population venue à lui n’a cessé de grossir. Il avait accumulé une longue pratique sur le terrain que l'on désigne par "clinique" dans le jargon médical et son perfectionnisme a fait le reste outre un  talent et des aptitudes personnelles d’exception ; il n'a du reste jamais cessé d'approfondir cette connaissance médicale ;  en continu son frère Ahmed, le médecin officiel,  lui faisait parvenir les revues et études auxquels il était lui-même abonnés pour sa formation permanente, comme tout médecin qui se respecte.

Nul ne peut contester cette implication sociale et humaine. Diplôme ou pas, les faits parlent d’eux-mêmes. Ce chapitre de l’existence singulière de notre ami m’amène à m’interroger et la tentation de comparer le parcours d’exil que les deux protagonistes  dont nous parlons ont vécu l’un comme l’autre successivement. 

J’en appelle aux  lecteurs : nous venons de fréquenter si j’ose dire ces deux hommes politiques. Quel furent leur comportement lors de leur exil post-politique ? Voyons cela de plus près. Nous venons d’observer Mohamed Ould Cheikh  impliqué au service des siens.  
Qu’en-est-il de Mokhtar Ould Daddah  durant son propre exil ?

Daddah perd le pouvoir en 1978, il est libéré en 1979, il se réfugie alors à l’étranger jusqu’à sa mort 24 ans plus tard.  Retrouve-t-on chez ce "père de la nation"   de près ou de loin durant cette longue période un engagement, une action quelconque, bref, une aide réelle, même à distance, en faveur de son pays, de son peuple ?
 Où étaient-ils, du reste, durant cet exil ? Eh ! Bien, voici ce que tout un chacun peut constater à ce propos : 

Mokhtar et les siens ont vécu en France à partir de 1979, planqués, modestes, vivant chichement peut-être? Nenni ! Ils étaient pénards dans le plus  beau coin de l'hexagone : la Côte d'Azur. Et l’on ne se refusait rien... voiture, domesticité, etc.

 Logés par qui ? En sous-main par la France, pardi (dans une superbe propriété privée, celle d'un collègue de l'AOF : Houphouët-Boigny ! Lequel soit dit en passant collectionnait les propriétés dans tout l’hexagone et a offert celle-ci à son ami Mokhtar…24 années durant…en toute gratuité, on est prié d’y croire. 

Comment et de quoi ont-ils vécu durant ces 24 années ? Une femme, trois enfants : tout de même, il faut pouvoir faire face ! Or, que je sache, il n'a repris aucune activité professionnelle, pas plus que son épouse, ex-magistrate. Les subsides du Trésor français devaient résoudre cette intendance, je suppose, ben voyons !  Peut-être il y avait-il d'autres ressources occultes, mais comment savoir si la rumeur est vraie ou fausse ?  En tout état de cause, quelle sollicitude et quelle fidélité de l'ex-colonisateur pour son protégé !  

Au final, a-t-il combattu pour la cause de son pays, s'est-il employé, a-t-il "donné" quelque chose à son pays durant cet exil  de 24 années? NADA ! Aucune trace.
On pourrait conclure par cette boutade : l’un a soigné les siens tandis que l’autre s’est soigné. Deux exilés…et pourtant deux destins, deux trajectoires aux antipodes. Chacun peut comprendre. La comparaison de ces parcours est assez édifiante.

En conclusion,  pour le dire comme je le pense, cette biographie tronquée de Mohamed Ould Cheikh dessert sa mémoire, par ailleurs la complaisance avec laquelle est traitée Mokhtar Ould Daddah, ici, relève de la manipulation de l’Histoire. L'un fut un politique  roublard,  au service de l'ex-colonisateur, l'autre fut depuis son plus jeune âge un militant "progressiste" vrai, engagé, intègre, qui n'a jamais renoncé à défendre et conquérir l'indépendance de son pays et en a payé le prix fort. L’un s’est mis à l’abri, en France, en menant une existence somme toute protégée par son mandant l’autre  a vécu et partagé jusqu’au bout  le sort de son peuple.   Ce n'est pas la même chose ! Ils n'avaient rien de commun. Les associer implicitement comme le fait Wedoud sans distinguer le grain de l’ivraie, sans  lever le voile sur ce qui les opposait au contraire me paraît outrageant pour Mohamed.

Il s’agit en l’occurrence d’un homme d'état, militant et engagé,  fidèle aux idées et au combat de libération du tiers-monde, qui fut une des rares voix à parler "vrai" en Mauritanie à cette époque. 
Comme dans tous les autres  pays « indépendants » sous contrôle de l'ex-colonisateur, il a fait partie de ceux qu'il fallait éloigner, voire éliminer définitivement puisque la corruption n’avait pas fonctionné avec lui. C'est cela aussi qu'il aurait fallu rappeler dans cette notice, la tutelle de l’ex colonisateur, sans quoi on nous donne à lire une chimère. L'ordre  d'éloigner Mohamed venait d'où ? Oublier que Foccart veillait au grain. Daddah a attendu son heure pour évacuer "l'autre" et obéir aux ordres. Faire l’impasse sur cette réalité néocoloniale et accréditer les politiques menées en les qualifiant 60 ans plus tard encore "d'indépendantes" relève d'une imposture. Les acteurs autochtones de cette période tels que Daddah en RIM et d'autres ailleurs doivent être désignés comme tels, des  imposteurs. Les historiens et autres  qui colportent encore de nos jours un discours comme celui de notre rédacteur sont au service des mêmes intérêts que ceux qui ont fabriqué ces indépendances « bidon ».

Il faut être clair, il y a ceux qui ont "collaboré" et les autres. Les amalgamer et les confondre, on appelle cela : le révisionnisme.

Les faits sont têtus. Il faudra bien un jour déchirer le voile de ces "indépendances" frelatées et filtrer  le rôle des hommes politiques qui ont contribué à ce désastre. Qui peut faire croire, un demi-siècle après, que tous ces états coloniaux ont accédé à leur souveraineté pleine et entière grâce aux libéralités de leur colonisateur ? Où a-t-on vu qu’un exploiteur offre de libérer son exploité ? Cela ne s’est jamais produit, nulle part…sinon par la force. Ce qui ne fut guère le cas en AOF.
   
 

 
 
 

 

ANNEXE : INVENTAIRE, non exhaustif, DU DADDAISME.

- 1 - L'ADHESION A LA ZONE FRANC - LE CFA.

La Mauritanie adhère à cet ensemble. Cela signifie que son déficit éventuel, les affectations budgétaires donc les choix politiques et, enfin et ce n'est pas le moins, le contrôle de la dette et donc des emprunts lui sont ôtés, ainsi que les recettes provenant de  la fiscalité et des douanes. Tous les flux monétaires sont gérés par la Banque de France, via sa filiale africaine. Bref, aucune autonomie de gestion financière du pays. Cerise sur le gâteau, c'est le Trésor français qui administre les finances du pays ses recettes et devises (notamment celle des mines). C'est un abandon pur et simple de souveraineté élémentaire. Qui a souscrit à cette allégeance ? OULD DADDAH. L'accord date de 1958, avant même l'accession à " l'indépendance" formelle.

Certes, Daddah a fait semblant de   revenir sur cette braderie, 11 ans après sa prise de pouvoir officielle : il est sorti de la zone francs, a inventé une monnaie nationale, nationalisé de façon fictive la Miferma, etc…,  mais toute cette gesticulation nationaliste était un leurre. Pourquoi ? Primo, aucun désaccord politique de fond n’a surgi par la suite entre la Mauritanie et la France, secundo, tout est resté en place  en fait du côté des liens acquis, après cette gesticulation nationaliste il n’y a eu aucune remise en cause réelle des engagements réciproques. 
Qu'est-ce que l'indépendance réelle du pays a gagné dans cette histoire  de virage « socialiste »? RIEN. Qu’on me prouve le contraire.

Au bout du bout, 37 ans après Daddah, on a la Charia (voir les événements récents) des groupes d'ultra se réclamant du Djihad implantés sur le territoire et, en prime, une base militaire française dans  le pays à Atar. Le peuple, lui, est contrôlé, parqué, guidé par les mêmes figures politiques interchangeables et la même politique d'abandon. L'esclavage (30% de la population) perdure, le clivage ethnique,  demeurent une poudrière. Quant aux structures politiques et sociales du pays, c'est une mascarade sans fin qui se perpétue – Quid pour le mauritanien de base, pour le peuple ? Quid pour les conditions de vie de tous ces "immigrés" de l'intérieur ? RIEN.


- 2 - LA MIFERMA : une concession minière bradée.

Voyons un peu de quoi il s’agit au juste : une montagne de fer sur le sol mauritanien, à l’extrême nord du pays, exploitable à ciel ouvert qui plus est, d'une teneur en minerai de plus de 60% (unique au monde : à la même époque, les mines de fer de Lorraine titraient alors 10 à 15 %), dont la durée d’exploitation prévue pour araser cette montagne était estimée à 50 années, dans une période euphorique de demande de fer de l'Occident (la deuxième moitié du XXe siècle, "les trois glorieuses" en France...). La cadence d'exploitation prévue était cependant extraordinaire d'intensité : les plus longs et les plus lourds trains du monde, doivent chaque jour quitter  la mine vers le port minéralier construit de toute pièce 600 km plus au sud, et ce minerai est acheminé ensuite sur la France, Dunkerque, où un complexe industriel de traitement avec un port spécialisé et les laminoirs vient d’être  mis en route spécialement.

 Peut-on imaginer ce que cette richesse aurait pu apporter au pays pour son décollage, pour peu qu'un accord équitable eût été négocié et les ressources générées judicieusement réparties en fonction de priorités sociales (la santé, l'éducation, l'EAU !) ? Que s’est-il passé contractuellement ?

En 1958, près de 4 ans avant l'indépendance, un événement stupéfiant :   Daddah part aux USA pour engager la Mauritanie  auprès de la BIRD ; ainsi  Ould Dadah  signe, 4 ans avant l’indépendance formelle,  un  cautionnement  conjointement avec la France,  pour  financer le consortium  de la MIFERMA (quelques milliards de dollars, tout de même !). D'un côté, un pays encore en gestation qui ne dispose de rien, encore moins d'argent, qui est parmi les plus pauvres de la planète et, de l'autre, une des grandes puissances, la France, signent sur un pied d'égalité  auprès de la Bird un contrat d'endettement qui n'est pas du tout léonin, non !

Dans le même élan, le futur président a acté, entériné, le contrat de concession  d’exploitation  de la mine concédée à la Miferma, dans des conditions qui vont léser la Mauritanie durant un demi-siècle. La Mauritanie est réputée être actionnaire à 50 %, donc émargera sur les bénéfices à 50%. Hélas, de bénéfices on ne verra guère la couleur, ou si peu. Les manipulations comptables et juridiques, « les optimisations » comme on dit de nos jours  auront tôt fait de les absorber pour les transférer ailleurs.

C'est un conseiller français, au départ, qui exerce auprès de Daddah les fonctions de ministre des finances durant cette période de transition  58/61–  c’est ce dernier qui conçoit l’ensemble de ce  scénario (piloté en coulisse par Foccart).  De longue date, les conditions contractuelles d'exploitation de la mine et ses clauses abusives avaient donc  été préparées, dans un seul but : démarrer l’installation minière et son exploitation au plus vite, peu importait si nous étions à 4 années du miracle de l'indépendance à venir ;  il est vrai que l’objectif essentiel de la France dans cette affaire d'indépendance, c'était le gisement de fer... faut-il l'occulter ? Mohamed évoque d’ailleurs cette affaire désastreuse de la Miferma dans son ouvrage. 

Qui a  souscrit ces engagements financiers et le contrat de la MIFERMA ? OULD DADDAH, seul,  – la France lui a offert la plume et un scribe pour rédiger les actes.


- 3 - L'USINE DE DESALINISATION D'EAU DE MER.

 C'est encore lui, Daddah, qui a initié et endetté le pays sur ce projet : fabriquer de l'eau douce à partir de l'eau de mer ! Magnifique projet avant-gardiste, un prototype, une innovation unique au monde à l’époque.  A l’arrivée  un fiasco total sur le plan technique (l’usine n’a même pas fonctionné quelques minutes). Je ne peux m’empêcher de décrire la scène d’inauguration, dont j’ai été témoin : Daddah coupe le cordon, on lui tend un seau et il s'approche du robinet ; à ce moment-là, on voit couler quelques larmes d'eau douce, à peine un verre,  et tout s'arrête. Plus une goutte d'eau n'est sortie de ce gouffre technologique... digne de Charlot.

Bien entendu la CGE, compagnie française spécialisée, s'est fait ici la main sur cette technologie. La Mauritanie a servi en l’occurrence de cobaye, de labo. L'usine n'a jamais fonctionné, mais la firme a pu tester ses erreurs de conception et les corriger puis vendre, par la suite, cette innovation aux pays du Golfe notamment. La Mauritanie, elle, reste avec un bloc de béton face à la mer, sur son littoral, et rien de plus. Si, des emprunts.
 

- 4 -  LES ABATTOIRS DE KAEDI.

 Une réalisation spectaculaire, exemple achevé de « modernité ».
 Un exploit de ce même président. Il  lance le projet de construction  des abattoirs de Kaédi ; une fois construits ils n'ont jamais été mis en exploitation et pour cause... D'une part, l’implantation retenue était situé complètement en dehors des axes traditionnels de passage des troupeaux en migration annuelle vers le sud-ouest (jamais, de mémoire de nomades, un éleveur et son bétail  ne sont passé dans le coin en question). Cette idée  d’abattre le bétail et le vendre « traité » en quelque sorte avait tout d’un projet absurde dans le contexte africain. . On avait simplement méconnu que les éleveurs nomades exportaient leur bétail sur pied depuis des lustres et qu’ils empruntaient  de toute façon des pistes très éloignées du site en question.

 Un abattoir signifie une chaîne frigorifique, des moyens de transport ad hoc – surtout dans un pays à canicule... Totalement incongru et prohibitif  économiquement dans le cas présent. L’offre de viande mauritanienne sur pied correspondait parfaitement aux moyens dont disposait la demande du marché  africain; vendre des carcasses augmentées du coût de transport en camion et de celui de sa conservation frigorifique  était une absurdité en termes de marché local. Cette réalisation était grossièrement  inadaptée et non viable  dans ce contexte. C’est le type même de projet que l’on plaque sur une réalité que l’on ignore. Il est vrai que c’est une grosse firme française qui a « vendu » ce scénario et que notre président l’a accueilli avec enthousiasme. C’était un « moderne » ce président.

Cette aberration  ne sera jamais mise en route. Aucun animal, jamais ne fut traité dans cet édifice.  Qui a payé cette sinistre plaisanterie ? 

Daddah et ses exécutants ignoraient leur pays, n'ont peut-être jamais fréquenté le monde d’éleveurs nomades  (principale activité et  richesse du pays à la veille de " l'Indépendance") ou, pire, ils n'en avaient rien à faire. Comment expliquer un tel projet ubuesque, sinon que l'intéressé avait d'autres vues, d'autres intérêts, ou plus simplement qu'il était "ignorant" et "étranger" à son pays ? Toujours est-il que ce scénario aberrant est venu engrosser la poubelle de la modernisation du pays sous l'impulsion de Daddah. Qui a payer ?
 

- 5 - LE SCANDALE DU PROJET HALIEUTIQUE.

Mokhtar  lance en le claironnant très fort un programme d'exploitation des richesses halieutiques du pays. Un escroc français connu comme tel est coopté comme associé par le ministre du développement du gouvernement,  pour impulser ce projet ; ainsi deux escrocs vont mener la barque.  Des emprunts colossaux sont souscrits par la RIM.  Les fonds qui se chiffrent en milliards de CFA  disparaissent en deux années. L’entreprise n’a jamais vu le jour. En prime, la Mauritanie doit endosser le passif  résultant de la  faillite de la sté et prendre en charge des bateaux commandés et non payés. Bien entendu, le pillage des côtes est laissé par la suite  aux plus offrants. Un scandale financier, un scandale économique (une source de richesse et de nourriture de surcroît  est abandonnée). 

C'est encore DADDAH qui fut l’inspirateur de ce fiasco, cette faillite ne peut que lui être attribuée, aucun contrôle, aucun suivi digne de ce nom n’a été mis en œuvre durant le montage, face à un investissement considérable on  n’a pas cru nécessaire d’exiger des comptes.  Du reste,  les responsables connus de tous ont-ils été poursuivis et condamnés au final ? Non ! Cependant on était là devant une escroquerie caractérisée dont les auteurs étaient identifiés. Qui a payé ce gâchis ? 
 
 
- 6 - LA REPRESSION SOCIALE ET POLITIQUE.

 C'est bien ce président "bienveillant" qui a ordonné l'écrasement sanglant de la grève des ouvriers mauritaniens de la Miferma en 1968. Que réclamaient-ils ? Une amélioration de leur condition salariale misérable. Il faut savoir que la Miferma est un état dans l'Etat, avec sa cité gérée exclusivement pas la firme, ses infrastructures propres dans tous les domaines, y compris la sécurité (hôpital, restaurants, bars, hôtellerie, épiceries, librairie et même bordel, piste d’atterrissage etc…), tandis qu'un avion hebdomadaire venant directement de France approvisionnait en victuailles fraîches les cadres européens de la mine. Dans cette ville autonome, excroissance étrangère dans l'extrême nord du pays, vivaient environ 5000 travailleurs mauritaniens dont l'exploitation n'avait rien à envier aux mineurs d'Afrique du sud à la même époque, apartheid inclus. Le nombre de morts et de blessés n’a jamais été révélé suite à cette répression. De même quelques années plus tard,  les arrestations arbitraires de personnalités politiques opposantes et les tortures qui leur ont été infligées à partir de 1970/72. 
Ce "bienveillant" président « débonnaire »  est devenu un gendarme zélé pour le compte du capital. Il faut rappeler que la RIM était censée être copropriétaire de la Miferma, donc partie prenante de l’exploitation des travailleurs mauritaniens…donc l’Etat patron est  ici en première ligne pour châtier ses employés grévistes.
 

- 6 - LE PROBLEME DE L'EAU, LES ELEVEURS.

 Il n'a rien vu venir, Ould Daddah, ou n'a pas voulu voir, ou ne s’est guère inquiété de la sécheresse dont les signes avant-coureurs annonçaient la probable survenue cyclique et dont les conséquences furent la destruction de la filière de l'élevage, donc la fin de l'économie pastorale et, par suite, de la civilisation nomade. D'autant qu'il s'est ajouté à cette sécheresse exceptionnelle par sa durée la marée des produits industriels occidentaux "bon marché", qui sont venus assécher et détruire l'artisanat traditionnel œuvrant dans l'environnement de cette filière.

 Or, depuis des lustres, la Mauritanie reposait sur cette économie. L'essentiel de la richesse du pays lui est toujours venue de l'élevage, qui assurait une distribution équitable des revenus. Dans un pays disposant du plus important cheptel d'Afrique de l'Ouest et un tel savoir-faire (on estimait que près de la moitié de la population vivait directement ou indirectement de l'élevage dans les années 50), la priorité des priorités pour pérenniser cette richesse, c'était l'EAU ! Se prémunir des pénuries par toutes les techniques possibles existantes et les implanter sur le territoire à proximité des puits ; bref une véritable stratégie prioritaire de développement de la ressource en eau semblait déterminante pour le pays, dans un réel souci de "modernité"(des solutions techniques  étaient disponibles et existaient  pour des implantations locales sans passer par des projets monstrueux d’usine de désalinisation fantomatique) ou en s'appuyant sur l'existant en le sauvegardant. La Mauritanie était le garde-manger de l'AOF pour ce qui est de la viande. Les éleveurs mauritaniens exportaient, sur pied, jusqu'à 4000 km au sud, leur production locale.  On peut imaginer les emplois, les divers apports artisanaux liés à cette activité, bref les revenus distribués par cette forme d’élevage et de commercialisation.  

Rien  de ce genre n'a effleuré la pensée de ce grand président, pas même la moindre tentative d'anticiper ce problème de sécheresse, qui était loin d'être une donnée inconnue des éleveurs. Ils connaissaient et avaient vécu dans le passé des cycles de sécheresse. Une Mauritanie « indépendante »aurait dû s’occuper immédiatement de voir venir ces cycles de sécheresse. Des voix se sont élevées à l’époque, dont celle de Mohamed. En vain.

Ce n'est nullement une question de manque de moyens financiers qui serait en cause ici. C'est tout simple : on veut "moderniser" le pays, le livrer bien ficelé au marché occidental, remplir le contrat initial avec la France parce qu’on y croit, aux vertus et aux valeurs de cet Occident. On ne connaît d’ailleurs rien d’autre dans son horizon moral, éthique et philosophique. On est étranger au pays radicalement, on mange avec des fourchettes, on porte cravate, on pense, on discourt, on duplique des procédures et  des mœurs d'ailleurs. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on a été élevé par la coloniale et hors du pays pour l'essentiel ? Bref, on est "retourné" ! Cette élite occidentalisée, dont Daddah est un modèle typique, comme toute la clique qui l'entourait, n'a jamais ici ou ailleurs œuvré pour son peuple... mais contre !

Cet enjeu de l'eau, cette priorité à laquelle il eut fallu se donner, la sauvegarde l'économie nomade, Mohamed n'a cessé de l'évoquer. C'est sur ces choix déterminants que les deux hommes politiques se sont aussi fortement opposés.  Mais l'un était un "moderne" et l'autre, un "archaïque"…


- 7 - DES REMANIEMENTS A REPETITION : un gouvernement d’opérette, Le clientélisme. 

 Rappelons la méthode  de gouvernance  d’Ould Dadah, elle en dit long sur la nature du pouvoir, son objectif réel,  et révèle également  le dessein de celui qui préside aux destinées du pays et sur la supercherie que l’on impose à ce même pays.  Que voit-t-on en effet : l’administration gouvernementale subit  un  ballet incessant de remaniements ministériels : grosso modo le rythme sur  21 ans de règne est quasiment annuel. De même, toutes les structures publiques ou assimilées font l’objet d’une valse périodique de leur encadrement, au gré des circonstances.   En conséquence de quoi les ministères,  l'administration, le moindre service collectif ne sont que des coquilles vides. Daddah a organisé une administration fantôme, un pur décorum gouvernemental, dans un seul but : garder toutes les ficelles du pouvoir. Peut-on imaginer ce que signifie pour un pays des ministères  et une administration générale (l’eau, les transports, l’énergie, la distribution de vivre, le fisc, les caisses sociales, etc…)  qui changent  de titulaire et d'encadrement à cette fréquence ? C’est proprement grotesque et infère une faillite totale de toute l’institution gouvernementale. 

Nous sommes en présence d’une véritable dictature, qui fonctionne au clientélisme, un gouvernement féodal qui n'a aucune emprise sur le pays réel, de fait, sinon au seul profit de l'ex-colonisateur qui y implante son "extraction" (dixit Mohamed) grâce aux contrats ficelés en tête à tête avec l’homme qui préside aux destinées du pays.. Dans un tel « Etat »  sans gouvernement réel, il y a une dilution totale des responsabilités, aucun interlocuteur fiable, aucun engagement n’est tenu, aucune parole politique n’a de valeur, tout remonte à un seul : le Président omniscient (on a vu ce qu’il en est) .Comme celui-ci dirige seul dans le secret, on est à la merci et dans l’attente de ce qu’il veut bien dévoiler de ses intentions….Aucun débat réel, aucune étude substantielle n’est réalisée avant lancement d’un projet quelconque, tout est soumis aux aléas des sollicitations et des impulsions présidentielles.  Une imposture de gouvernement. 
Quelle sens donnée à un tel phénomène : il faut faire émarger toute une cour de courtisans et apaiser des convoitises, il faut ici ou là éloigner des velléitaires qui pourraient prendre leur office au sérieux, il faut satisfaire des ambitions, s’en faire des alliés, monter des clans les-uns contre les autres. Cette méthode de gouvernement monarchique  correspond bien au personnage en question. Quant aux intérêts du pays, quant aux problèmes concrets et tous urgents à résoudre dans un pays où l’indigence et la précarité règne partout, Qui s'en est occupé ?  Qui avait même le souci de s'en occuper ?  Dans une telle pagaille organisationnelle et structurelle délibérément  conçue pour que nul ne puisse se prévaloir le cas échéant de son attribution…provisoire, tout revient et tout est suspendu au bon vouloir du prince.

Il n'existe même pas le souci de sauver les apparences car, enfin, une distribution et une affiche qui changent à cette fréquence, cela ne fait pas très sérieux pour crédibiliser un spectacle. Pourtant, c'est ici à l'échelle d'un pays "indépendant" que cela se  produit : un gouvernement fantoche  joue en permanence aux yeux de son public».
 
 
- 8 -  NOUACKCHOTT : un marché exclusif, une braderie. Une urbanisation et un type d’habitat catastrophique. Un bidonville express.

- un marché bradé :
S’il est un projet que Mokhtar affectionnait tout particulièrement ce fut bien celui de la capitale.  Dès 56/58,  il obtient l’accord de l’administration coloniale pour bâtir à l’emplacement arbitraire qu’il a choisi la future cité, symbolique de la nation. Peu soucieux d’urbanisme, et encore moins  de la culture d’habitat traditionnelle, obsédé par la « modernité », dépourvu de toute  compétence dans le domaine, il va finir par donner toute latitude aux promoteurs.  Toutefois  Il en décide seul, il négocie seul, dans la foulée il lance ce programme  non sans en avoir octroyé au préalable l’exclusivité aux seule firmes françaises :   les travaux publics, les routes, les infrastructures et  l’habitat administratif et gouvernemental sont donc un marché verrouillé en faveur de la France. Du jamais vu, pour un marché de cette ampleur où la règle est une mise en concurrence du projet architectural et un appel d’offre international. 

Qui a signé et accordé ces privilèges à l'ex-colonisateur ? Ould Daddah. A quel coût ? En l'absence de tout appel d'offre international ? C'est encore secret, 60 années plus tard ! Ces mêmes firmes françaises ont été cooptées dans tous les projets réalisés par la suite, dont certains aberrants nous en avons relevés déjà quelques-uns.  On verra que ce chantier de NKC sera mené rondement par les entreprises concernées qui n’ont eu qu’un seul objectif : construire à bas prix pour un bénéfice maximal.  Le résultat, une catastrophe inédite  du type d’habitat.

- Un urbanisme bâclé, un habitat inadapté.
L'impulsion donnée par DADDAH – fut une catastrophe urbanistique et un désastre quant à la conception de l'habitat et la nature des matériaux mis en œuvre. Les promoteurs avaient d’autres préoccupations que veiller au bien-être des futurs habitants. On est venu inscrire sur une page blanche une cité que l'on a implantée en retrait de 4 km du littoral (sans doute pour la priver de la brise marine, dans un pays où les pointes de canicule atteignent 40° cinq mois par an). Qui plus est, l'implantation retenue est au-dessous du niveau de l'océan, donc inondable et  livrée en plus aux aléas des dunes qui avancent sur la ville, de surcroît on a supprimé toute  perspective sur le large vu que le cordon dunaire ferme radicalement l'horizon. C'est assez inédit, sinon unique dans le genre, pour l'édification d'une cité en bord de mer ! Les urbanistes architectes qui ont eu connaissance de cette réalisation, sont unanimes à dénoncer cette ineptie. 
Dans cet espace, on a édifié des bâtiments à l'emporte-pièce, en utilisant essentiellement comme matériaux du « parpaing » le pire choix qu’on puisse faire sous un climat caniculaire (ce matériau absorbe la chaleur et la restitue intégralement, très bon marché et facile à mettre en œuvre…). Cet habitat ainsi que les bureaux de l’administration sont conçus typiquement pour un climat tempéré, des murs de faible épaisseur, une conception architecturale (ce dernier terme est d’un emploi abusif vu le contexte) qui ne tient aucunement compte de la température ambiante : aucune isolation, aucune ventilation,  des baies vitrées, des toitures classique à l’européenne dans un pays où la pluie sévit quelques jours à peine par an et tout est à l’avenant. On a enfermés les gens dans des caisses à savon non aérées pour y travailler et/ou y vivre sous une canicule accentuée par le je-m’en-foutisme de la réalisation et la conception de l’ensemble.  

 Les entreprises françaises qui ont réalisé ce chef-d’œuvre n’étaient manifestement pas concernées par les conditions de vie des habitants du lieu, n’en n’avait rien à fiche, mais Ould Daddah, le promoteur... en avait-il un quelconque souci ?

 Un exemple anecdotique du scrupule de ces bâtisseurs : des immeubles à étages ont été construits notamment pour loger les futurs fonctionnaires ou pour leur lieu de travail, leur conception prévoyait des cages d’ascenseurs qui ont belle et bien été réalisées ; dans la hâte et la fébrilité sans doute d’en finir avec ces chantiers, ces immeubles ont reçu une toiture…mais on a oublié de  remplir au préalable les cages avec les cabines et leur mécanisme élévateur. Et les firmes ont plié bagage. Un canular dont tout NKC s’est gaussé à l’époque.

Ce modèle initial a été reproduit en pire par la suite lors de l'extension échevelée de la ville,  due à l'exode rural massif. Comment a-t-on pu  concevoir et accepter de bâtir une cité nouvelle, et  aboutir à une telle calamité urbanistique et fonctionnelle, d'une laideur sinistre qui plus est, sans lien aucun avec la culture du pays – une insulte à la vie de ses habitants !   

Qui a impulsé et suivi de près l'édification de cette cité  fantôme avec un tel mépris ? OULD DADDAH.

 - Le bidonville : 
Un tour de force : En 20 ans, Nouakchott, un hameau de quelques dizaines d'habitants, passe à  un million d’habitants. Un record absolu et inédit !  Là où la domination coloniale notamment a mis plus d’un siècle pour générer des monstruosités urbaines, là où partout dans le tiers monde on assiste à un exode rural massif comparable – les mêmes causes produisant les mêmes effets -  cette croissance échevelée  n’a pris nulle part  une cadence aussi explosive. C’est ici la conséquence d’un brutal effondrement  quasiment du jour au lendemain (deux décades) de la société traditionnelle et de son équilibre économique détruit ; on a assisté à NKC à une chute à tombeau ouvert,  une course effrénée générée par  la misère, résultat  : une ségrégation effroyable, dès les années 80,   la ville comporte 100.000 nantis ceinturés d’un bidonville de 900 000 habitants... les infrastructures n’ont évidemment pas été conçues pour absorber un tel flux, de même est-il impossible de faire face aux demandes de ressources, d’emplois, de terre, d’habitat, etc. …la paupérisation de la population des nouveaux citadins s’accompagne évidemment de tous les maux qui sont liés :  la spéculation immobilière, la pollution galopante, l’insécurité sanitaire, l’omniprésence policière,  la drogue, la prostitution, etc… Toutes choses inconnues quelques années auparavant.  Les choix de modernité de Daddah ont payé. 

C'est cela, l’œuvre de Daddah, bâtisseur de la nation : une "capitale" fantasmé devenue une poubelle humaine,  terreau de la misère et des intégrismes à venir. Cette "capitale" monstrueuse a drainé toutes les ressources du pays durant les deux décades  du   règne, et ce choix initial a été poursuivi par ses successeurs. 
 
Etc…Etc…
Marc KUJAWSKI

    


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