Toutes appréciations de personnes ne sont que d'époque et jusqu'à plus amplement vécu.
La réalité de ces dix-huit premiers mois en Mauritanie est d'une intense fraternité d'accueil, et de découverte de personnalités dont aucune ne fut banale ni indifférente.
Nuit du samedi au dimanche 3 – 4 Avril
1965
Dîner ce soir chez les
Ballèvre, dont je reviens juste, ramené par Francis. Chamberlain, Gadon,
Garnaud, Madame Dequecker, Francis. Bonne humeur, chacun étant lui-même, mais
en un peu forcé. Arrivée tardive et malheureuse de ma petite personne, tache
d’encre à mon pantalon clair.
Jean-Marie très pessimiste, vu le
« limogeage » de Ba Bocar Alpha, médecin qui avait sauvé la vie du
Président et est son ami personnel, ministre de l’Economie. Ce limogeage semble
indiquer la main-mise de plus en plus grande du Parti. Si Marouf ou Ba Mamadou
Samba prennent le portefeuille, cela montrera que le Président est encore
maître de ses mouvements. Si c’est un jeune inconditionnel… avec le Parti,
irresponsabilité totale. Responsabilité du Parti devant la nation ne veut rien
dire et constitue même un cercle vicieux. Indique aussi que l’on trouve que
l’assistance technique était trop écoutée. En général, succès international de
Moktar et échec intérieur depuis deux ans. Valse des ministres, des commandants
de cercle (trois mois en moyenne) : quatre sur trente cinq seulement
répondent aux circulaires. Manque de cadres d’exécution. On n’embraye plus sur
le pays. Echo sur Madame Moktar : la thèse de Garnaud serait aussi celle de
Marouf. Devrait être la femme du Président et non une sufragette engagée. Aider
le Président à prendre du recul, le ressourcer. Si l’on intervient dans un
meeting, en accepter les conséquences : contradictions et injures (Marouf
l’aurait souligné au séminaire). Marouf serait au fond de lui-même, hostile à
tout parti. Aristocrate jusqu’au bout des ongles. Pas simple. Confiance totale
de Marouf dans le Président.
Auparavant, Ahmed Ould Ely
El Kory était venu me prendre : thé sur les matelas et les tapis. Son bon
sourire de paysan. Mohameden Babah est venu. Madame Darde m’a recommandé
à lui. L’ai rencontré quand Abdallahi Ould Daddah est venu au centre vendredi.
Mohameden m’a raccompagné en voiture chez les Ballèvre. Grande chance de
l’indépendance : la table rose. Encadrer vraiment les structures
existantes. Actuellement, empirisme et pragmatisme. Pas de plan d’ensemble. Pas
de conscience des vrais problèmes : le manque de cadres qualifiés.
Improvisation partout. Rien à cacher : maison de verre où tout se sait. Il
est vrai que c’est unique, et qu’il est encore temps de profiter de cette
ouverture. J’ai dit à Mohameden qu’au fond, il manquait de grands hommes d’Etat
en Afrique. Il a répliqué en citant Nasser. Chez Ahmed, j’ai aussi appris la
fermeture de l’Institut d’Etudes islamiques de Boutilimit, qui serait peut-être
transplanté à Nouakchott. A propos de l’Islam, Mohameden me citait Massignon et
m’a parlé de mystique musulmane. Toute la mystique ayant une origine profonde
dans les religions indiennes (idée typiquement occidentale).
Vu Mohamed Marouf, à
l’Hôtel des Députés, vendredi 2 Avril 1965. Lui ai dit que j’étais frappé par
sa ressemblance de profil avec Bourguiba. M’a dit la déception des milieux
mauritaniens de la conférence de Monteil (ce qui corrobore Cheïbani et
Abdallahi Ould Daddah). Conférence préparée trop vite. Trop superficielle.
Alors que le problème de la sédentarisation est le problème très difficile et
très vital pour la R.I.M. A explicité ce qu’il disait mardi soir :
anarchie dans la sédentarisation actuelle. Se fait par tribus ou par fractions
autour des points d’eau habituels. On reste dans le cadre individualiste, et la
Nation ne se construit pas. Je lui ai parlé de Jean-Marie Ballèvre. Il a tout
de suite dit toute l’estime qu’il lui portait. Nécessité d’une assistance
technique qui propose diverses solutions, le ministre choisissant, en
connaissant les conséquences. Nécessité contrôle des ministères, d’où le Parti.
Bureau politique contrôlé par organismes d’exécution. Séparation entre administration
et Parti doit demeurer. Même si confusion des personnes, séparation absolue des
fonctions. Il faut des hommes purs
à la tête du Parti, à la fois honnêtes et compétents, qui donnent l’exemple.
Peut-être des saints. Chance de la Mauritanie : chefs traditionnels ont
envoyé les premiers leurs enfants à l’école, doiù au pouvoir actuellement, fils
des grandes familles et des chefs traditionnels. Pas de hyatus et continuité
profonde. Pas de problème d’autorité ( ?). Nous avons écouté la radio
rapporter le discours de l’ambassadeur américain et la réponse du ministre
mauritanien de la Santé. On devine qui parlait le mieux le français ;
Marouf n’a fait aucun commentaire (ce qui est déjà un commentaire).
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Je tombe de sommeil :
deux heures du matin. Il faut absolument que je prenne régulièrement des notes
pour ma thèse. Peut-être achèterai-je un magnétophone. Il faut aussi que je ne
m’enivre pas de cette vie pseudo-remplie, de ces « contacts ». ne pas
céder aux mirages. Prier beaucoup plus. Mener une vie plus calme, plus
réfléchie, plus humble, plus fondamentalement humble. Etre profondément
déséquilibré, dans le besoin de Dieu. Ouverture totale, si c’est possible.
Mais, avant tout le Christ et sa gloire. A travers toute chose que je sens ou
que je vis. A.M.D.G. Amen
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