jeudi 25 juillet 2013

l'homme d'une âme - Mohamed Ould Cheikh



pour le Calame


L’homme d’une âme



La silhouette jamais empesée, le visage émacié plus en saillants et en angles aigüs qu’en une moindre courbe, le regard acéré mais pas impérieux, Mohamed Ould Cheikh était d’abord le Mauritanien de tente, de moyen nomadisme et tout logiquement pour la plus longue partie de son existence – celle où le pouvoir politique l’avait quitté à qui il ne réclama jamais la plus minime partyie d’un dû qui était immense – il fut un homme de prière. Longtemps, il avait été un homme de réflexion, surtout quand de 1958 à 1966 il fut une personnalité politique de premier plan, quoiqu’insaisissable pour l’observateur, pour ses compatriotes, pour l’étranger. Affable, précis, bon vivant s’il le fallait, sobre de vocabulaire et de mœurs, Mohamed Ould Cheikh me paraît – encore aujourd’hui mais pas plus qu’au début des années 1960 – le type d’homme d’Etat que sait produire la Mauritanie et dont elle a besoin. Il me semble selon les échos reçus ces jours-ci que la conscience nationale mauritanienne sait parfaitement la place – plus que considérable – qu’a occupée dans l’histoire au jour le jour, dans la construction nationale que voulut Moktar Ould Daddah, et qu’occupera dans l’histoire exhaustive et encore à documenter, Mohamed Ould Cheikh. Lignée frères, fils, filles qui donne aussi au pays autant de personnalités, le structurant à ses époques tournantes : Yedali Ould Cheikh, Abdallahi Ould Cheikh, Abdel Wedoud Ould Cheikh… qu’ils veuillent bien ici, recevoir parmi des milliers d’autres, les condoléances et l’expression d’admiration et de communion dans la prière et la nostalgie, celle d’un compatriote d’adoption. Affectionné.

Evoquer Mohamed Ould Cheikh, lui rester reconnaissant et fidèle, c’est d’abord dire, parfois dans le détail des équipes et des faits, les dix premières années de la période moderne pour un « ancien et noble pays », selon le général de Gaulle. C’est aussi s’interroger, avec des points de suspension, sur ce qu’eût pu être pour la Mauritanie actuelle, une participation continue d’un jeune homme d’Etat, exceptionnellement sensitif de l’âme nationale. Son retrait volontaire est sans doute la manifestation la plus réfléchie de l’amour réaliste, lucide et exigeant qu’il avait pour la Mauritanie, sans doute aussi la considération éclairée, précise dans laquelle il tenait la société de ses compatriotes.

Décisivement, Mohamed Ould Cheikh est l’homme de la défense nationale, confiée à un type d’hommes, non politisés, tout dévoué au développement et à la sécurité d’un pays en gestation, revendiqué et à l’identité encore incertaine pour beaucoup des siens. Mohamed Ould Cheikh, secrétaire général de la Défense de 1961 à 1965 [1], concrètement ministre délégué par le président de la République pour tenir l’un des portefeuilles fondamentaux de l’Etat en commencement, est celui par qui les forces armées ne causent aucun souci au pouvoir politique. C’est lui qui reçoit les éléments transférés de l’armée coloniale à la République Islamique de Mauritanie, c’est lui qui les forme, les met en place. Il partage avec Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske, directeur de la sûreté, qui lui succèdera en Février 1966 pour dix-huit mois, comme ministre de la Défense, les responsabilités sécuritaires et anti-terroristes. C’est lui qui préside les formations successives de la Cour criminelle spéciale juge des attentats de 1961 et de 1962 quand du Mali, commandités ou non par le Maroc ou seulement par l’ancien député du Territoire à l’Assemblée nationale métropolitaine, Horma Ould Babana, des tueurs se répandent à Atar, à Nouakchott, à Néma. Il convainc le président de la République de ne pas faire grâce. Dans ces deux rôles, il incarne – presque plus que Moktar Ould Daddah – l’instrument étatique. Un outil, reçu des Français : « le projet d’Etat » ainsi Moktar Ould Daddah voyait-il la Mauritanie dans les dernières années de la période d’administraiton étrangère.

Mohamed Ould Cheikh, en équipe avec Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske et avec une même fidélité à l’homme quand leurs propres carrières tourneront, est au cabinet du jeune vice-président du Conseil de gouvernement. Très vite pris, tous deux, en grippe par le Gouverneur français du Territoire, auquel Moktar Ould Daddah doit fréquemment rappeler l’esprit des nouvelles institutions, celles de la Loi-Cadre, voulue par Gaston Defferre en Juin 1956. C’est en réalité l’Association de la Jeunesse de Mauritanie (A.J.M.) [2] qui constitue les éléments nationaux des nouveaux cabinets ministériels. Mohamed Ould Cheikh, Ahmed Baba Miske, son frère Ahmed Bazeid alternent ou siègent ensemble dans le bureau exécutif de cette organisation contestataire du parti dominant devenu la matrice du premier gouvernement mauritanien.. Il est donc d’abord politique, formation encore plus d’autodidacte, de penseur indépendant qu’instituteur rétribué et organisé par l’administration. Et parce qu’il est politique – et que son objectif n’est pas telle orientation nationale ou telle forme de gouvernement ou tel type de relation avec l’extérieur – il ne demeure pas à l’A.J.M. dont il n’a été secrétaire général, non fondateur, que six mois – avant de partir dans le commandement territorial à l’intérieur du pays : il est de la première promotion, en Janvier 1958, des adjoints mauritaniens [3] aux commandants de cercle, administrateurs de la France d’Outre-mer – et  ne fait pas non plus partie du système issu, au congrès d’Aleg en Mai 1958, de la fusion des deux partis qui se sont opposés pendant toute la dernière période coloniale, celle des élections locales ou métropolitaines depuis 1945. Contrairement à Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, co-créateur et animateur principalde la Nahda, indépendantiste et d’opposition. Est-ce sur la demande de Moktar Ould Daddah ? Il est en revanche décisif pour préorganiser le parti unique, dont la « table ronde » des formations existant au moment de l’indépendance, décide le principe à sa seconde réunion mais il n’en devient l’animateur principal [4] que lorsque l’orientation en est certaine, d’autant qu’il n’est membre d’aucune des quatre formations.

Le Congrès de l’Unité ne l’est que de façade, il y a tout à organiser et surtout il y a à régler les questions que la Mauritanie pour la première fois réunie en une sorte d’assemblée générale et en ambiance démocratique, s’est aussitôt découverte : les expressions en sont peu compatibles. Mohamed Ould Cheikh est avec Ahmed Baba Ould Ahmed Miske l’un des deux fondateurs du Parti du Peuple première version. Bureaux politiques nationaux successifs, tels qu’élu en Décembre 1961, puis profondément renouvelé en Mars 1963 sans souci de cohérence avec les objectifs initiaux du Parti, et finalement restreint en opérationnel en Janvier 1964 [5] iset commissions ad hoc diverses sont animés par eux [6] . Différents l’un de l’autre au possible, le premier reste l’homme lige du jeune président de la République dont il est – de fait – le ministre de la Défense et des Forces armées, encore embryonnaires, tandis que le second est l’agitateur, le propagandiste, le faiseur d’idées et d’idéologie qu’il sera toujours et est encore… intelligence du secret et intelligence de l’exubérance. Ils tirent dans le même sens depuis le printemps de 1961, mais ne font pas partie du gouvernement. Ahmed Baba n’est que directeur de l’Information et Mohamed Ould Cheikh traite en tête-à-tête avec Moktar Ould Daddah les questions de défense.

A la mise en minorité au B.P.N. du secrétaire général du Parti, Moktar Ould Daddah, en butte aux députés refusant que cesse l’autonoie financière de « leur » Assemblée, c’est Ahmed Baba qui organise le voyage d’études en Guinée, matrice en Octobre-Novembre 1963 des propositions de refonte du Parti du Peuple en conférence des cadres, puis concrèes extraordinaire réuni à Kaédi en Janvier 1964. Ce qui lui vaut – paraadoxalement – de quitter les instances supérieures de la politique intérieure mais d’animer supérieurement l’émergence de la Mauritanie aux Nations Unies. La suite ultime sera analogue pour Mohamed Ould Cheikh, quoique beaucoup plus spectaculaire. A la suite de la constitutionnalisation du Parti unique de l’Etat et du renouvellement l’Assemblée nationale un gouvernement – d’une exceptionnelle qualité relativement à tous ceux qui se sont succédés depuis l’indépendance – est formé par Moktar Ould Daddah. La Chine populaire est reconnue par une Mauritanie qui quitte le système politique de l’Afrique d’expression française [7]. Pour la première fois, le Chef de l’Etat abandonne tout portefeuille et ceux de la Défense qu’il n’avait que dékégué en secrétariat général et celui des Affaires Etrangères  confié puis repris, sont tous deux donnés à Mohamed Ould Cheikh, qui les cumule, comme les avait donc cumulés Moktar Ould Daddah. Il semble alors, sinon l’héritier déjà d’un fondateur qui n’est pas encore père [8], au moins le numéro deux. L’ambassadeur de France analyse alors le personnel politique mauritanien comme désormais formé par les « jeunes turcs » de 1957-1958 : A.J.M. et Nahda : Mohamed Ould Cheikh dirigeant armée et diplomatie à Nouakchott, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske mettant en œuvre le dessein saharien aux Nations Unies et la future admission de la Chine populaire. Quand surviennent, en conséquence d’une loi scolaire commençant d’arabiser l’enseignement secondaire, le manifeste des Dix-Neuf, puis les premières échauffourées de Janvier 1966, l’homme fort est donc Mohamed Ould Cheikh à qui – dans un dialogue resté secret (sauf avancée dans le dépouillement des archives diplomatiques françaises de l’époque) – Jean-François Deniau propose l’emploi des troupes de l’ancienne métropole, encore stationnées à Dakar mais que Moktar Ould Daddah a fait se retirer de leur base d’Atar. Assistant aux premières manœuvres de la jeune armée mauritanienne, autour d’Aleg, Mohamed Ould Cheikh est rappelé à Nouakchott, puis fait la navette [9]. Il préconise le 12, la réunion d’une commission mixte chargée d’étudier les problèmes fondamentaux de la coexistence des deux communautés, ce qui met fin à la grève des fonctionnaires originaires de la Vallée du Fleuve. Et le 31, la suggestion est mise en œuvre [10]Mohamed Ould Cheikh passe alors pour comprendre et même défendre le point de vue et les revendications de ceux-ci, pendantes et éludées depuis le Congrès de l’Unité. Reprendre les travaux de commission de cette époque ?

L’équipe n’est plus avec Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, peut-être encore son frère Ahmed Bazeid, au cabinet du président de la République, elle est surtout avec le syndicaliste, enseignant d’histoire, Elimane Mamadou Kane, ministre du Développement. Leur fait face Ahmed Ould Mohamed Salah, de formation également d’instituteur, mais d’expérience gouvernementale déjà aguerrie : entré dans le gouvernement formé à la suite de l’élection présidentielle, pour tenir un portefeuille secondaire d’abord [11], puis devenir ministre de l’Intérieur et de l’Information, avec l’intérim des Finances en Juillet 1963, et en cumulant l’administration territoriale et la Justice un an plus tard : le maître d’œuvre de l’interdiction des partis d’opposition malgré les hésitations de la Cour suprême à l’été et à l’automne de 1964, puis de la révision constitutionnelle de Janvier 1965, c’est Ahmed Ould Mohamed Salah. Celui-ci n’est entré au Bureau Politique national qu’au second congrès, en Mars 1963, et il y joue un rôle qui paraît alors mineur : assurer l’implantation du Parti dans l’intérieur du pays, grâce aux initiatives du personnel d’autorité de l’Etat. Il passe – lui – pour favorable aux points de vue des Maures. Quand, après un report de quinze jours, vu l’agitation scolaire et le trouble au Parlement, a lieu enfin le voyage officiel du président de la République au Mali, c’est lui qui fait l’intérim à Nouakchott.

Tour à tour, ces semaines-là, les deux ministres non seulement paraissent en rivalité mais peuvent être soupçonnés de préparer un coup d’Etat : c’est la rumeur. L’ambassadeur de France en a rendu compte dès Novembre 1965 après que e chef d’état-major national, premier mauritanien à en tenir les fonctions, lui en ait fait part : le commandant M’Bareck Ould Bouna Moktar. Entre Jean-François Deniau et Mohamed Ould Cheikh, la relation est d’une telle intimité et estime réciproques, qu’elle est notoire à Nouakchott et dans l’ambiance de Janvier 1966 peut tout laisser supposer. L’ambassadeur de France, contrairement à ses deux prédécesseurs, a une bien moindre compréhension de la personnalité du président de la République : il a d’ailleurs commencé sa mission au lendemain du voyage d’études guinéen du secrétaire général d’un parti unique qui n’est évidemment pas sa propre conception. Mais au début de Février, les positions changent. Mohamed Ould Cheikh accompagne Moktar Ould Daddah au Mali et Ahmed Ould Mohamed Salah a les rênes libres en Mauritanie. Mustapha Ould Mohamed Saleck fait l’intérim de M’Bareck. Quand l’avion présidentiel revient de Bamako, il est conseillé au président de la République d’aller se poser à Dakar… Moktar Ould Daddah atterrit le 10, Jean-François Deniau, doyen du corps diplomatique, a convoqué celui-ci, escortant et peut-être protégeant le chef de l’Etat. Le dénouement [12] est d’abord dans la rue et dans le milieu politique. Ni l’un ni l’autre des deux ministres supposés rivaux n’y prend part. C’est le lieutenant Soueïdate, le soldat d’élite, et le communiqué de total soutien à Moktar Ould Daddah que publie l’U.T.M. qui font la décision. Au ksar, le 15, le secrétaire général du Parti président de la République donne une version des événements et en tire surtout les conclusions : le racisme est mortel pour le pays. Ce à quoi n’avait pas abouti son appel, le 10 Janvier précédent, des bases fondatrices de la nation mauritanienne selon la proclamation de son indépendance le 28 Novembre 1960, est alors obtenu. Mais c’est surtout l’épilogue gouvernemental qui subjugue l’ambassadeur de France et l’étranger, et fait gagner au pays le temps de reprendre souffle. Le 21 Février, le Chef de l’Etat reçoit ensemble (ce qui est contraire à son habitude) cinq de ses ministres à qui il fait connaître sa décision de les libérer de leurs fonctions. Il forme un nouveau Gouvernement dont ne font plus partie ni Mohamed Ould Cheikh, responsable de la Défense depuis 1961, ni Ahmed Ould Mohamed Salah, membre du Gouvernement depuis 1961 et chargé de l’Intérieur depuis 1962. Aux Affaires Etrangères, honnête mais pâle, Maloum Ould Braham, et à la Défense, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske coéquipier de toujours, succèdent à Mohamed Ould Cheikh. A Ahmed Ould Mohamed Salah, succède un fidèle absolu de Moktar Ould Daddah : Mohamed Lemine Ould Hamoni, premier président mauritanien de la Cour suprême devient ministre de la Justice et de l’Intérieur. Aux ministres remerciés, le Chef de l’Etat a donné le choix de servir à Nouakchott ou dans l’administration tererirotiale, cela vaut aussi pour Mamadou Samboly Ba, compagnon de la première heure et président de l’Assemblée nationale : Ahmed Ould Mohamed Salah reste à Nouakchott, il est inspecteur des affaires administratives et va préparer le congrès du Parti qui, à Aioun-el-Atrouss, définira les options linguistiques transitoires pour le pays. Mohamed Ould Cheikh st nommé à Aleg, Bamba Ould Yezid au Hodh occidental et l’ancien ministre et grand parlementaire chef de subdivision à Chinguetti.

Epilogues… tandis qu’en Avril, Sidi El Moktar N’Diaye et Souleymane Ould Cheikh Sidiya, chacun compétiteur putatif ou avoué de Moktar Ould Daddah, sont réintégrés dans le Parti alors que leurs tentatives de créer des partis d’opposition, à la suite du Congrès de Kaédi avait déterminé la constitutionnalisation de l’exclusivité politique du Parti du Peuple, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske publie à Washington sa décision de démissionner de toutes fonctions diplomatiques [13]. Une arrestation pour prévarication suivra un an après pour cet autre fondateur du Parti du Peuple , et Mohamed Ould Cheikh, s’étant écarté volontairement de toute responsabilité politique, tandis qu’Ahmed Ould Mohamed Salah, chargé de la permanence du Parti puis de nouveau ministre, restera au pouvoir jusqu’au coup militaire faisant change d’ère politique la Mauritanie [14]. Revenu à Nouakchott et nommé petitement directeur des Transports, en Août 1966, Mohamed Ould Cheikh prendra le parti d’Ahmed Baba avec cinq autres hauts fonctionnaires [15] pour être suspendu, puis amnistié avec beaucoup d’autres et banalement [16] : le premier coéquipier de la fondation mauritanienne est devenu de « droit commun », et en 1975 à la suite d’une publication signée mais guère écrite par lui, d’inspiration marxisante, il est révoqué et privé de pension. Ses demandes de l’audience présidentielle sont interceptées, n’aboutissent pas, elles n’étaient pas des supplications. Vivant de la solidarité familiale, Mohamed Ould Cheikh va alors vivre quarante ans de silence. Dans la foule qui fait liesse pour le retour de Moktar Ould Daddah à Boutilimit en Décembre 2001, un quasi-anonyme : à celui et au pays qui lui doivent une part décisive de la construction nationale, il dit simplement « ne m’oubliez pas ». Peu avant le 15 Octobre 2003, le père fondateur qui en fut marqué, me le rappelait. Et maintenant, le 17 Juillet 2013, vient de les réunir dans la miséricorde divine, la reconnaissance mauritanienne et l’estime aussi instinctive que fondée de n’importe qui, depuis longtemps, maintenant et dans l’avenir, veut comprendre et évaluer un pays décisif. Exemplaire aussi des débats possibles et des débats éludés. Le civisme, le désintéressement personnels autant que le civisme de tout dirigeant et les mutuelles considérations entre origines sociales, ethniques, entre cultures, savoirs traditionels et acquisitions unibversitaires ou scolaires. Mohamed Ould Cheikh, implacable pour les ennemis de l’Etat, savait comprendre tous les points de vue, affronter toutes les vérités. Il n’a donné sa mesure qu’en trop peu de domaines et bien trop peu de temps. Sa fidélité aux valeurs fondatrices de la Mauritanie contemporaine et à celui qui les incarna l’empêcha de cautionner qui ou que ce soit ensuite. Ni après le 10 Juillet 1978 alors que tant de collaborateurs du régime renversé puis peu à peu travesti dans la mémoire collective, reprirent immédiatement ou ensuite du service, ni pendant les douze ans suivant son éloignement de Moktar Ould Daddah, soutenant les personnes mais jamais une opposition en tant que telle [17]. Ni en 1967, ni en 2003 ou en 2005, je ne l’entendis se plaindre. Jamais. Ni  non plus dénigrer aucun de ses adversaires ou successeurs. Il n’était pas l’homme des portraits d’autrui, mais celui qui savait caractériser les problèmes, les obstacles et analyser les paramètres du moment autant que ceux du long terme. Souverain, tranquille, réflexif, la hauteur de l’intelligence ? bien davantage, l’âme d’une entreprise, celle d’une nation.

L’histoire putative est impossible à écrire. Mais la disparition d’une personnalité telle que celle de Mohamed Ould Cheikh de la suite d’une histoire nationale qu’il avait tant contribué à faire commencer, permet trois interrogations.

La relation entre les forces armées et les institutions politiques, sans problème tandis qu’il fondait les premières et inspiraient en bonne partie la première version des secondes, aurait-elle évolué autrement s’il était resté chargé de la Défense. L’intégration nominale des forces armées dans le Parti unique de l’Etat et les nominations d’officiers supérieurs dans l’administration territoriale puis dans le gouvernement n’a, en rien (très malheureusement), empêché d’éclore l’esprit putschiste. La suite a même produit le contraire, c’est l’Etat et le parti de gouvernement qui a été intégré dans la logique et la hiérarchie militaire, et la légitimité nationale à raison d’un consensus et d’un dessein évidents dans les vingt premières années de la Mauritanie indépendante a été contrainte de laisser la place à un discours et surtout une pratique faisant de l’armée la détentrice en dernier recours de la souveraineté nationale. La Mauritanie politique subit cette logique depuis trente-cinq ans. Ce n’est certainement pas ce que fondaient Mohamed Ould Cheikh avec Moktar Ould Daddah.

Le parti unique selon Mohamed Ould Cheikh, encore plus que Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, devait être un creuset d’élites et de cadres, et non un parti de masses. Le débat avait été occulté au Congrès de l’Unité par les débats que suscitèrent les revendications à fondements ethniques, il reprit mais insuffisamment à Kaédi. Moktar Ould Daddah arbitra pour le parti de masses, qu’il pratiqua surtout comme un élargissement constant aux jeunes générations et aux oppositions, y compris en thèmes (la révision des accords avec l’ancienne métropole, la nationalisation des mines de fer, la charia) et même dans une composition si ouverte du Bureau politique national qu’au coup de 1978 une bonne partie de celui-ci faisait partie des conjurés et de ces civils sans l’inspiration et les encouragements desquels au moins Mustapha Ould Mohamed Saleck n’aurait pas sauté le pas, et sans celui-ci les putschistes auraient manqué de cohésion. Ce qui n’est pas accessoire, tous ont continué de rendre hommage au créateur de leurs unités : Mohamed Ould Cheikh.

La dernière considération est la plus actuelle. Mohamed Ould Cheikh était partisan de ne pas éluder la question ethnique ni donc celle des cultures et des langues. Sans prôner un schéma précis ni a fortiori la fédération, et pas du tout en opposition de fond avec Moktar Ould Daddah [18], Mohamed Ould Cheikh voulait vider les abscès et mettre tout au net. C’est certainement ce que continue de demander une partie du pays, et pas seulement les originaires de la Vallée du Fleuve. Moktar Ould Daddah, fondateur, donnait à la Mauritanie son souffle autant que son identité : le souffle d’une vocation à unir les Afriques, une identité arabe mais tolérante. Aucune des trajectoires institutionnelles et thématiques n’était achevé en 1978. Elles auraient gagné à la contribution de Mohamed Ould Cheikh.



Bertrand Fessard de Foucault, alias Ould Kaïge



[1] - le 27 Juin 1961, le Conseil des ministres approuve, en même temps qu’un  un projet de loi relatif à l'élection du Président de la République, la création d'un secrétariat général à la défense nationale. Le décret est pris le 30 et le nouve organisme placé sous l'autorité du ministre chargé de la Défense en l'occurrence Moktard Ould Daddah, alorsPremier Ministre. Le 7 Juillet 1961, Mohamed Ould Cheikh, est nommé secrétaire général de la Défense nationale, en même que  Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, commandant de cercle de l'Assaba cumulativement avec le Hodh occidental  et Mohamed Lemine Ould Hamoni, commandant de cerclede l'Adrar cumulativement avec la Baie du Lévrier

[2] - le 24 Novembre 1955, création de l’Association de la Jeunesse par des jeunes dissidents de l’U.P.M. en marge du Congrès de Rosso : bureau provisoire chargé de préparer un Congrès avec Yacoub Ould Boumediana, président et Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, secrétaire général
Puis du 15 au 17 Juillet 1957, à Rosso encore se tient le 2° Congrès ordinaire de l’Association de la Jeunesse de Mauritanie en présence de Dey Ould Didi Baba, membre d’honneur et représentant le Conseil de gouvernement : renouvellement du Bureau (haut comité d’action) composé de Mohamed Ould Taki, président - Kone Ali Bere, vice-président - Mohamed Ould Cheikh, secrétaire général - Ahmed Ould Mohamed brahim, secrétaire général adjoint - Yarba Ould Ely Beiba, secrétaire général adjoint - Mohamed Ould Bah, trésorier général - Yahya Ould Abdi, commissaire aux comptes & création d’une commission de presse composée de Gaye Silly Soumare, directeur de publication - Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske, rédacteur français - Ahmed Ould Abdallah, rédacteur arabe
Enfin, les 25 et 26 Décembre 1957    à Rosso toujours,  un congrès extraordinaire de l’Association de la Jeunesse de Mauritanie (en présence de Fall Ould Oumeir émir du Trarza, de Cheikhna Ould Mohamed Laghdaf et de Bouyagui Ould Abidine) rejette toute idée de fusion avec tout parti politique et renouvelle le bureau : Mohamed Ould Taki réélu président - Abdallahi Ould Cheikh secrétaire général (remplacé en Janvier par Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske) - Mohamed Ould Babah trésorier général - Seck Momar commissaire aux comptes - Ahmed Baba Ould Ahmed Miske directeur du journal - Ahmed Ould Abdillah rédacteur arabe - Bamba Ould Yezid rédacteur français (remplacé en Janvier par hamadou Ould Zein)

[3] - le 14 Janvier 1958, le Conseil de gouvernement nomme les adjoints mauritaniens aux commandants de cercle : Brakna : Mohamed Ould Cheikh - Inchiri : Samory Ould Biya - Hodh : Sidi Ahmed Ould Mohamed - Tagant : Nagi Ould Moustapha -               Assaba : Mohamed Saliou et Mohamed Sidya - Sélibaby : Sy Ismaelia - M’Bout : Diaga Calibou

[4] - les 20-22 Mai 1961 :  1° réunion de la "table ronde" des partis et tendances politiques,  "réalisation rapide de l'unité politique en Mauritanie" et "unité d'action entre les formations en présence" – le bureau permanent du Comité d'union est composé d’Abdoul Aziz Ba, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske et Dembele Tiecoura
du 2 au 4 Octobre 1961 :  5° réunion de la "table ronde" des partis et des tendances politique. Il rsst décidé que  le congrès de l'unité aura lieu le 25 Décembre et que la représentation y sera égale pour chaque formation qui enverra 80 délégués maximum ; il sera fait appel à des personnalités indépendantes ;  Mohamed Ould Cheikh, secrétaire permanent de la Table ronde

[5] - * Bureau  politique national provisoire élu par le Congrès de l’Unité en vue d'un congrès prévu pour le 25 Mai 1962 : Moktar Ould Daddah, secrétaire général - Ahmed Baba Ould Ahmed Miske - Mohamed Ould Cheikh - Souleymane ouls Cheikh Sidya - Bouyagui Ould Abidine - Youssouf Koita - Hamoud Ould Ahmedou - Bouna Ould Abeidallah - Mohamed Abdallahi Ould El Hassen - Doudou Ba - Hadrami Ould Khattri - Sakho Abdoulaye
Sidi Ould Abass - Ba Mamadou Samba Boly - Haiba Ould Hamody - Ahmedou Ould el Hadj Habib - Salem Ould Boubout -Touré Mamadou dit Racine - Mohameden Ould Babah - Yahya Ould Abdi - Dey Ould Brahim
* 2 Avril 1963 : le premier Congrès ordinaire renouvelle le Bureau  politique national ; les députés y ont la majorité et le président de l'Assemblée nationale en fait partie - Moktar Ould Daddah, secrétaire général - Souleymane Ould Cheikh Sidya - Hbib Ould Ahmed Saloum - Mohamed Ould Cheikh - Yahya Ould Abdi - Youssouf Koita - Dah Ould Sidi haiba - Abdoul Aziz Ba - Cheikh Mohamed Lemine Ould Sidi - Sidati Ould Moumouna - Cheikhna Ould Mohamed Laghdaf - Bouna Ould Abeidallah - Samory Ould Biya - Sidi Mohamed Ould Abderrahmane - Moktar Ould Ahmed Ethmane - Cherif Ould Mohamed Mahmoud - Haiba Ould Hamody - Ahmed Baba Ould Ahmed Miske - - Ahmed Ould Mohamed Salah -Yahya Kane - Doudou Ba
* à l’issue du Congrès extraordinaire de Kaédi, le 31 Janvier 1964, le Bureau Politique National, réduit de 21 à 13 membres, est renouvelé : il ne comprend plus que deux députés dont le Président de l’Assemblée – Me Moktar Ould Daddah, secrétaire général - Ba Ould Ne - Mohamed Ould Cheikh - Birane Mamadou Wane - Mohamed Salem Ould M’Khaittirat - Sidi Mohamed Diagana - Mamoudou Si dit Sy Seck - Samory Ould Biye - Hbib Ould Mohamed Saloum - Haiba Ould Hamody - Sidi Mohamed Ould Abderrahmane - Yahya Ould Menkouss - Ahmed Ould Mohamed Salah

[6] - le 1er  Janvier 1962, première réunion du Bureau  politique national (B.P.N.) :  ses membres se répartissent en cinq commissions * organisation et propagande, orientation : Mohamed Ould Cheikh - * politique générale et relations extérieures : Bouyagui Ould Abidine - * administration, information et documentation : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske - * finances et affaires économiques : Mamadou Samba Boly Ba - * affaires culturelles, sociales et jeunesse : Touré Mamadou dit Racine. Mais Mohamed Ould Cheikh ne fait pas partie de la commission pour préparer le règlement intérieur : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Touré Racine, Bouyagui Ould Abidine, Abdoulaye Sakho
Le 15 , le Bureau  politique national  désigne une "commission chargée d'étudier certains problèmes difficiles qui se sont posés au Congrès" (l’officialisation de la langue arabe et les garanties demandées en échange de la minorité) : Youssouf Koita, Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, Touré Racine, Mohamed Ould Cheikh
Le 8 Février 1964, mêmes rôles de mise en application, à la suite du congrès vraiment fondateur, celui de Kaédi : dès sa première réunion, le nouveau B.P.N. désigne ses commissions : politique : Mohamed Ould Cheikh (suppléant : Birane Mamadou Wane) - administrative : Ahmed Ould Mohamed Salah (suppléant O/Menkouss) - économique, sociale et culturelle : Ba Ould Ne (suppléant: Mamoudou Si) et décide de missions du B.P.N. pour étudier l’emplacement des comités ruraux du Parti, et d’élaborer un programme de formation civique et politique, enfin d’organiser un stage de formation des « animateurs du parti »

[7] - le 26 Juillet 1965, le Président de la République remanie le Gouvernement dans lequel entrent Mohamed Ould Cheikh, secrétaire général à la Défense, et Elimane Kane, secrétaire général adjoint de l’U.T.M. 
Président de la République,                                                                  Me Moktar Ould Daddah
Affaires Etrangères & Défense Nationale                                          Mohamed Ould Cheikh
Garde des Sceaux, Justice & Intérieur                                                Ahmed Ould Mohamed Salah
Finances, Plan & Fonction publique                                                  Bamba Ould Yezid
Développement                                                                                      Elimane Mamadou Kane
Construction, Travaux publics & Transports                                   Yahya Ould Menkouss
Education & Culture                                                                              Baham Ould Mohamed Laghdaf
Jeunesse, Information & Téléc.                                                           Sidi Mohamed Ould Abderrahmane
Santé, Travail & Affaires sociales                                                       Sidi Mohamed Diagana

[8] - le premier né du Président et de Mariem Daddah ne leur arrive qu’en Décembre 1066 et l’expression de « père de la nation » n’apparaît qu’en Décembre 1975

[9] - du 9 au 11 janvier 1966, à Aleg, Mohamed Ould Cheikh assiste aux premières manœuvres de l’armée mauritanienne tandis que le 11 reprend la grève des lycéens originaires de la Vallée du Fleuve - demande préventive de renforts par les chefs de circonscription administratives - « élargi » au groupe parlementaire et aux membres du Gouvernement, le Bureau Politique National voit s’affronter les deux communautés au sujet des sanctions à appliquer aux « 19 », le Président de la République pose la question de confiance et rappelle le ministre de la Défense

[10] - le Bureau Politique National « examine la situation politique dans son ensemble ainsi que les mesures à prendre pour le renforcement du Parti » et désigne une Commission nationale d’études chargée d’étudier tous les aspects des relations entre les deux communautés : Abdallahi Ould Daddah, Abdoulaye Baro, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske, Bakar Ould Sidi Haiba, Bocar Alpha Ba, Gaye Silly Soumare, Mohameden Babbah, Hamdi Ould Mouknass, Seck Mame Diack, Ibrahima Kane, sous la présidence du Chef de l’Etat


[11] -  le 29 Septembre 1961,  sept semaines après son élection, le Président de la République forme un nouveau gouvernement en se gardant les portefeuilles des Affaires étrangères et de

1 commentaire:

PinceOreille a dit…

Bonjour, et merci pour vos lumières sur ces événements. Est-ce normal que je n'arrive pas à lire les notes à partir de la n°12 ?
Cordialement,
CE