mercredi 2 mai 2012

déraciner la françafrique et lui substituer une relation Afrique-Europe voulue par la France

note pour Monsieur François HOLLANDE



déraciner la « françafrique » et lui substituer une relation Afrique-Europe voulue par la France



Un crescendo : chaque année et maintenant de mois en mois, une grave crise dans notre ancienne Afrique qu’elle soit celle du nord (d’où sont parties les rébellions des années 1950 et le « printemps arabe » de 2011) ou celle du Sahara et au sud (l’assassinat de la démocratie mauritanienne, la partition de fait du Mali).

Une certitude : le cœur africain reste aimant, tolérant, compréhensif pour la France, celle de 89, de 44, de 58. Et selon de multiples et très chaleureuses, ingénieuses, inventives initiatives de beaucoup de Français, les Africains savent qu’ils sont estimés de nous.

Un grand espoir de changement milite en Afrique pour la victoire de François Hollande. La corruption et le discours de Dakar ont – heureusement ? – attaché nos erreurs et nos mauvaises pratiques qui ne datent pourtant pas de 2007 au nom et à l’exrecice du pouvoir en France par votre adversaire. Le moment est certainement historique pour la relation franco-africaine, eurafricaine. Manifestement, l’Afrique continue, au sud comme au nord du Sahara a vouloir vivre et faire avec nous. C’est un tropisme pour nos amis africains, c’est une chance et une responsabilité pour nous.

La clé est d’élargir cette intimité à l’ensemble de nos partenaires européennes, à l’ensemble de nos ressources pas seulement financières mais humaines, à nos jeunesses. Il en est temps. La corruption de part et d’autrea beaucoup vérolé. Des puissances tierces sont maintenant arrivées, manifestement intéressées sinon cupides.



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Un dossier à multiples entrées : les financements occultes de notre vie politique nationale et de la vie politique d’Etats proches de nous mais tout de même étrangers et souverains, les réseaux terroristes et anti-terroristes, la géostratégie des matières premières nous mettant avec l’Europe en risque de dépassement par les Etats-Unis et par la Chine, des flux migratoires déplorés ou mal ordonnés de part et d’autre, voire des trafics. Une relation avec un passé franco-africain et franco-maghrébin que nous avons longtemps cru aisée et à notre discrétion financière et médiatique. Des institutions influencées par les évcolutions mondiales : partenariat avec l’Afrique, les Caraïbes et le Pacifique, processus de Barcelone, commencement mort-né d’une Union pour la Méditerranée. Printemps arabes, dictatures et coups militaires, transitions vers la démocratie. Secret du roi comme autrefois.

Paradoxalement (sauf erreur ou lacune de suivi des médias), le dossier n’a pas été ouvert jusqu’au point où nous sommes de la campagne présidentielle.

En France, beaucoup d’intervenants, des experts de plus en plus intéressés, des organigrammes concurrents, un discours et des pratiques se contredisant. Un risque : l’hinterland de notre ancienne Afrique d’expression française peut devenir pour nous un poids pire que la question de décolonisation il y a cinquante-soixante ans, notre image dans le monde et le regard de nos concitoyens sur la politique extérieure menée en leur nom dépendent de ce que nous faisons d’un acquis mais aussi de recels et d’abus.

Le président de la République doit en répondre d’une part parce qu’il est le seul à même d’arbitrer et de connaître l’ensemble, d’autre part parce que ses homologues africains et maghrébins font de lui le responsable de l’ensemble de nos actions publiques, privées, occultes ou proclamées au sud de la Méditerranée et plus particulièrement au sud du Sahara.


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Entre l’Afrique subsaharienne et nous, se cumulent aujourd’hui les vices de plusieurs avatars de la décolonisation : le paternalisme aveuglant certains nostalgiques (explicites ou inconscients) du colonialisme, la corruption empêchant la démocratie là-bas et contribuant honteusement à notre propre vie politique, l’action des « services » qui, sous prétexte de mettre à leurs normes et usages nos anciennes colonies avant d’y réprimer le terrorisme ou  créer des réflexes antiterroristes aujourd’hui, favorisent l’installation de régimes dictatoriaux et corrompus dans des pays dont l’affaiblissement nuit à nos intérêts. Nous « mercenarisont » ainsi leurs armées, lançons leurs troupes plus encore que nos propres moyens dans des équipées aventureuses qui mettent la vie de nos ressortissants travaillant dans la région en danger. Rien qu’au Sahel, nous avons, ces trois dernières années, accepté en très peu de jours, malgré un premier bon réflexe, un putsch militaire en Mauritanie, encouragé un autocrate à manipuler la Constitution de son pays au Niger, aidé à l’assassinat du tyran libyen mais pour y substituer nolens volens une théocratie aux irradiations imprévisibles et, plus grave encore, joué un rôle indéniable dans la déstabilisation de la démocratie malienne, livrant ainsi une partie de son territoire au terrorisme – que nous étions censément venus combattre – et aux trafiquants de tout acabit auxquels nos manœuvres ont servi de couverture. Nous avons perdu, ce faisant,  plusieurs compatriotes : les assassinés de la route de l’Espoir, Michel Germaneau, deux jeunes otages du Niger morts semble-t-il sous les balles de nos forces spéciales venues les délivrer…, plus ceux qu’on ignore ou oublie, otages actuellement d’Aqmi ! Cela n’empêche pas des puissances étrangères au continent et ayant encore moins de rapports avec les populations et de légitimité historique que nous, de prospérer désormais dans ce que nous revendiquions comme notre zone d’influence et d’œuvrer, profitant de nos erreurs, à instaurer un ordre nouveau où nous serons rétrogradés au rôle de commensal, si nous ne sommes pas tout simplement exclus de la table.

Est-ce irréversible ? est-ce remédiable ?

Notre époque, faute d’inventer, excelle dans le travesti et dans la dégradation. Le néologisme « françafrique » a de la vérité, sonne comme l’ambition de l’Eurafrique proposée à notre Outre-Mer en 1957 en même qu’à nos partenaires du traité de Rome : la Loi-Cadre et le texte fondateur de la Communauté européenne sont contemporains de négociations et le point de liaison fut le Fonds européen de développement et la manière, dont avec l’aide logique de la Belgique, nous sûmes associer nos voisins à notre effort. Cette ligne a été suivie jusqu’à présent. La succession des traités d’association de Yaoundé à Cotonou et l’évidente exemplarité des institutions européennes pour forger des institutions panafricaines sont d’inspiration française en majeure partie. Il est vrai que cette capacité d’entraînement et notre revendication d’une expérience atavique et intime de l’Afrique subsaharienne – même en comparaison de la britannique ou de la portugaise et de l’espagnole, chacune plus parcellaire soit en concept soit en territoires d’application – a malheureusement incliné l’ensemble vers des pentes moins heureuses que celles de la fondation. Le traité de Cotonou met en œuvre avec les accords européens régionaux en Afrique ce libéralisme et ce mondialisme maintenant refusé en Europe mais décrié par chacun des sommets de chefs d’Etat africains depuis 2005 : les précédents régimes fondés sur des préférences dissymétriques et des fonds de stabilisation fonctionnaient à la satisfaction de nos partenaires du sud. Les clauses de conditionnalité politique des concours européens, calquées depuis Cotonou sur le discours de François Mitterrand à La Baule (Juin 1990), ont été appliquées de façon partiale quand nous avions la présidence. Dans l’espèce exemplaire des tentatives de démocratie en Mauritanie, nous avons soutenu l’inverse et avons été – tristement – décisifs au sein de l’Union européenne et vis-à-vis de l’Union africaine, aussi bien pour la pérennisation du régime autoritaire de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya (12 Décembre 1984 au 3 Août 2005) parvenu au pouvoir par un piège que nous avions tendu à son prédécesseur que pour la légitimation de celui de Mohamed Ould Abdel Aziz, qui, n’admettant pas d’être remplacé à son poste de chef de l’état-major particulier du président de la République, a renversé celui-ci et étranglé une démocratie unanimement saluée comme un exemple africain et arabe (6 Août 2008) ! Nous avions pourtant su – dans l’émergence puis l’organisation de la francophonie – organiser des solidarités, pas seulement économiques, entre continents et selon notre esprit et notre langue, sans être trop impériaux. Un cadre se créait, souvent utilisé par les organisations africaines ou arabes mais dont nous enrayons le fonctionnement et les effets.

Ce bilan mitigé recèle les voies par lesquelles nous dégager de très graves parasites qui rongent un ensemble géo-stratégiquement nécessaire et humainement, spirituellement bien plus homogène que le commun des Français et certains dirigeants ou commentateurs superficiels le croient.

De Gaulle, décolonisateur résolu pour réorienter la France vers le vaste monde au lieu d’un repli sur l’Outre-Mer commencé en 1918-1919, tentation qui atteint son paroxysme avec l’idéal ou l’ambition d’une Algérie française envisagée bien trop tard, avait accentué l’ouverture par le débat sur le rapport Jeanneney (1964). L’intervention militaire, malgré les accords de défense, n’était pas une ingérence dans les affaires intérieures, du moins à son niveau qui fut certainement contourné à propos du Gabon puis du Tchad. Les scandales de l’époque étaient – selon les chroniques de Raymond Cartier – le gaspillage des aides. Les réussites étaient pratiques, les unions monétaires, les comptes d’opération avec le Trésor français, Air Afrique, les osmoses universitaires et équivalences de diplômes. Sans que nous l’ayons provoquée, mais nous l’acceptions, la contribution politique et imaginative des Africains importait beaucoup. La Mauritanie – à partir de laquelle je vous propose ces réflexions et suggestions – a ainsi innové dans deux directions décisives : une révision des accords de coopération dépouillées de leurs aspects monétaires et militaires, une introduction du monde arabe dans le monde subsaharien. Cette dernière fut facilitée par notre position sur la guerre des Six Jours.

L’harmonie de cette décolonisation progressive – juridique, mentale – fut une tentation aussi bien en Europe : une exploitation discrète d’un droit émollient et de coûtumes personnalisantes, la corruption permissive et camarade… qu’en Afrique : les coups militaires n’ont jusqu’à présent épargné que le Sénégal et le Cameroun (aux évolutions pourtant très différentes, la rébellion bamileké noyée dans le sang par nous au moment de l’indépendance et une dictature peu exubérante mais pesante depuis plus de trente ans tandis que le séparatisme de Casamance n’a jamais dégénéré et que les présidents Senghor, Diouf et Wade ont quitté le pouvoir à leur initiative ou selon les urnes). D’initiative autant européenne, et particulièrement française, mais gangrenant jusqu’aux représentations locales des institutions ingternationales, qu’africaine, le point commun est le mépris de l’homme, la préférence pour le réseau, la connivence, la prétention des corrupteurs et des militaires, eux-mêmes scandalisés par la corruption puis la pratiquant quand les prérogatives qu’ils se sont octroyées, deviennent valeur marchande, que le commun n’est pas dans le coup : les peuples africains incapables du discernement démocratique, et les légalistes, légitimistes ou honnêtes gens hors du sens pratique. Nos ambassades savent parfaitement ces circuits et ces mentalités, mais ne sont pas – manifestement – encouragées à s’y opposer, à les dénoncer.

Ces deux plaies – alors que les instruments juridiques, financiers et militaires existent pour les réduire, sur place puisque chacun de nos anciens territoires d’Outre-Mer, à une époque ou à une autre de leur histoire contemporaine ont su mettre en place un Etat de droit, et dans la concertation précisément eurafricaine – caractérisent aujourd’hui la relation de la France avec l’Afrique subsaharienne.

Deux causes principales sont à identifier et donc à pallier.

Nous n’avons plus depuis une vingtaine d’années l’expérience dont nous nous targuons vis-à-vis de nos partenaires européens pour garder la maîtrise du sujet, ou à peu près. Relève des anciens administrateurs de la France d’Outre-Mer ? assèchement de la fibre de curiosité et d’empathie chez les diplomates de carrière ? apathie. L’exemple est bien la Côte d’Ivoire, trois ambassadeurs en quelques mois pour un échec de dix ans et une guerre civile qui ne s’éteint sans doute que superficiellement. Un autre exemple, également sanglant est donné par le Mali où pourtant la paix intérieure avait pu être refaite par un des nôtres, également adoubé par l’Union européenne, Edgard Pisani, en double avec Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, sans doute aventurier mais ataviquement connaisseur d’un ensemble maure de la Seguiet-el-Hamra en façade atlantique à l’Azawad maintenant épicentre d’une déstabilisation durable et d’une installation en souveraineté de fait des ces terroristes que nous devions éradiquer. L’embarras pour définir ligne et moyens dans l’ensemble du Sahel et du Sahara méridional du Darfour à qui ne s’éteint sans doute que superficiellement. Embarras pour définir ligne et moyens dans l’ensemble du Sahel et du Sahara méridional du Darfour à l’Atlantique. Malgré beaucoup de curiosité et de travaux de jeunes universitaires, malgré des expertises telles que celle de Jean-Pierre Filiu ou d’Hacen Ould Lebatt (un Mauritanien vivant chez nous), nous n’avons pas prévu ni encore moins pénétré les terrorismes ni les « printemps » et nous n’avons pas su comprendre les atavismes sub-sahariennes pour encourager à fond tout ce qui pouvait conforter les outils de bien davantage que la « modernité » : l’Etat de droit, la justice, l’égalité, le développement, l’équipement… oui, la démocratie que nous avons séparée dans nos analyses et nos options de la sécurité. Nous nous sommes trouvés sans prise sur des entrées en scènes, désormais massives, celles des Etats-Unis et de la Chine sur un continent que nous pensions autonome ou regardant vers nous et vers l’Europe.

Commerce extérieur, complexe de chasse gardée, financements occultes encore plus choquants que ceux recherchés par nos politiques dans des pays « riches » comme l’Irak, l’Arabie séoudite et la Libye, parce qu’ils sont venus d’une exploitation de peuples spoliés par leurs dirigeants… l’administration française a su jusqu’au niveau du président de la République : du Carrefour du développement aux largesses gabonaises, et n’a pas voulu sévir. L’Afrique est devenue une rente pour certains anciens ministres de la Coopération. Des coups militaires – la Mauritanie encore, par exemple – ont obtenu notre compréhension puis notre soutien par corruption africaine de décideurs politiques français.

Ces deux causes produisent plusieurs effets.

La France devient un facteur d’immaturité pour les opinions publiques, un bouc émissaire peut-être à terme tant on lui prête d’influence sur les régimes quand ceux-ci insupportent leurs ressortissants.

Nous sommes tentés par une réactivité sans projet ni perspective. Le traitement, coup par coup, des attentats ou des enlèvements au Sahel depuis 2007, est affaire d’aveugle. Nous renforçons les causes d’insécurité, d’échec et de mal-être en nous appuyant sur des pratiques et sur des personnages contestables.

Naturellement, les deux sujets qui hantent Européens et Africains : l’immigration vers nous et le développement sur place ne sont plus sous contrôle. Les grands investissements pour les ressources du sous-sol subsaharien échappent à l’Europe, beaucoup d’infrastructures exemplaires aussi. Le partenariat eurafricain, d’inspiration française ne produit plus ni repères, ni projection d’avenir, ni sécurité.

Paradoxalement ? les opinions africaines (et les dirigeants en place) sont davantage qu’il y a cinquante ans, convaincus qu’un changement de cours en France peut signifier des changements dans chacun des Etats locaux et que Paris reste la porte de Bruxelles.

Les premiers remèdes dont il faut disposer sont simples. La préférence doit aller vers ceux qui engendreront d’autres remèdes plus profonds, des diagnostics et des filières de développement démocratique.

1° un audit de notre influence et de notre relation, de nos réseaux officiels et plus encore occultes dans chacun des pays. Sans doute par écrit de la part des « services » et de chacun de nos ambassadeurs, mais plus encore par oral et par des sources contradictoires : nous avons toute une anthropologie, une géopolitique et même, dans certains cas, une géographie à reconstruire. Une enquête intense, une interrogation partout en Afrique et en France, à Bruxelles pour parvenir à des cahiers de doléances et à des gisements d’illégalité et de recel de procédures ou de ressources. Le tout sanctionné par les mains libres laissées à la justice. Probablement, l’invention d’un pendant de la Cour pénale internationale pour les détournements de fonds, les blanchiements d’argent, les investissements somptuaires au détriment des peuples : une justice inter-étatique, supranationale, d’emprise eurafricaine avec ses instances à plusieurs degrés depuis les Etats jusqu’au haut de l’ensemble. Probablement aussi, l’expertise européenne et française, celle de l’O.I.F. excellemment, en matière électorale devrait s’étendre à la coopération juridique et policière (textes et répression) pour les fraudes en douanes, en passations de marchés, en double comptabilité des banques centrales et des budgets publics ;

2° la mise en œuvre d’une part importante du gisement de jeunesse, d’enthousiasme et de compétence que peut représenter l’invention d’un nouveau service national en France, pour les garçons et pour les filles, universel et obligatoire. Enseignement, formation, actions de développements, participations aux administrations et aux entreprises africaines. Osmose entre les deux continents, à laquelle concourraient autant que nous, en effectifs et en imaginations, s’ils le veulent bien, chacun de nos partenaires de l’Union européenne. Réciproquement, cette présence intense en Afrique de nos jeunes gens aurait sa correspondance dans nos universités, dans nos compagnes, dans nos quartiers par des séjours de durée égale de jeunes africains. L’Eglise catholique donne cet exemple : elle pallie de plus en plus son manque d’effectif, notamment en France, par l’appel au jeune clergé africain qui est chargé de paroisse ou qui fait de l’appoint, de façon très efficace et édifiante, bien acceptée aussi par les fidèles, en même temps qu’il poursuit des formations théologiques et pastorales. Les Etats-Unis de l’époque Kennedy ont rayonné avec ces arrivées de jeunes et autres peace corps. Il y en avait encore beaucoup de « restes » dans l’entrée en relation de l’Amérique avec l’Asie centrale quand j’ouvris une de nos ambassades là-bas.

3° la relation personnelle du président de la République française avec ses pairs africains doit changer. Aujourd’hui fait exclusif des « services » qui l’informent suivant des clichés, des a priori et des filières facilement de grandes subjectivité, cette relation gagnerait à s’ouvrir de nouvelles voies d’établissement, d’évaluation,… et d’objectivation. Le premier des Français doit nécessairement, en recevant un de ses homologues africains, être au fait de sa personnalité réelle, de ce qu’il fait chez lui et de ce que son peuple pense de lui : les Africains, eux, le savent de chacun de nos présidents successifs. Le président de la République française, s’agissant de l’Afrique, ne doit ni être trop immédiatement spontané et empathique, ni dépendre d’écrits diplomatiques souvent fondés sur des relations peu fiables ou trop partielles, pas assez désintéressées, perdues dans le dédale de spécificités culturelles dont nous n’avons plus les moyens de saisir toutes les nuances. Il ne doit plus dépendre, pour avoir l’idée de son visiteur, de comptes-rendus de  missionnaires-éclairs s’émerveilleant de tout et perdant parfois même leur discernement dans une ambiance d’égards pour eux inhabituels, flatteurs quand ce n’est pas le verre de trop ou le plaisir d’un méchoui. L’Afrique a changé, ses hommes aussi. Changeons l’image que nous nous en faisons. Dans la relation franco-afrique, le président de la République, pour le meilleur ou pour le pire, détermine par sa propre façon d’être avec ses homologues d’outre-Méditerranée et Sahara, toutes les attitudes de nos administrations, de nos ambassadeurs et ouvre ou ferme les voies obliques des intermédiaires et des corrupteurs.

C’est presque un canevas nouveau ou une « grille de lecture » que systématiquement, à l’Elysée ou en Afrique, nous devons pratiquer : longévité et origines du pouvoir détenu au moment de la conversation, état concret des libertés publiques, transparence des gestions et des sanctions. Les coopérations multilatérales, les relations entre barreaux, chambres de commerce, instituts d’émission, universités ou écoles d’enfance jumelées sont des gisements pour étalonner les mœurs politiques et financiers, pour changer les ambiances.
 

4° le droit de regard doit être mutuel. Nous pouvons soutenir les efforts de démocratisation pas seulement des pouvoirs en place, mais de ceux qui les contestent comme il est possible. Les Africains ont le droit de savoir comment nous administrons les immigrés chez nous, en France et en Europe, les « régularisons » ou les enfermons, les expulsons. Il y a un travail commun de mœurs, de droit, de transparence financière : une bonne partie de notre société n’est conviviale ni égalitaire. Nous avons des conseils, des leçons à recevoir, autant qu’à en donner.


si la France réclame et impose – dans l’immédiat – la réécriture du traité de discipline budgétaire, puis fait en sorte que le prochain Parlement européen soit constituant, il faut – à ces deux occasions – réécrire les traités de partenariat européen avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, travailler dans le détail, avec réalisme, les accords économiques régionaux : une expérience de quarante ans, des émergences, des extinctions, des vulnérabilités nouvelles… en procédure, en financements, en formation et insister particulièrement sur la relation eurafricaine. De celle-ci tirer invention et expérience en s’accordant entre Européens et Africains sur la réorganisation de la « gouvernance » et l’invention de la démocratie mondiales. En particulier, il est temps pour nous d’admettre que le modèle de gouvernance politique – la démocratie – que nous avons développé n’est pas transférable, tel quel, dans toutes les contrées que nous avons administrées par le passé et qu’un réexamen de l’adaptabilité de ce modèle, au cas par cas, est urgente. L’alternance au pouvoir, le consensus, l’ouverture, le contrôle ne peuvent s’appliquer de la même façon que chez nous. Les élections varient de sens pas seulement de nous à ces pays, mais entre ces pays. La vie parlementaire, l’organisation des partis sont entravées autant par de l’inexpérience que par des expériences antagonistes. Il nous faut ensemble trouver ce que doivent approfondir des expertises allant à la racine des relations humaines dans une communauté nationale donnée. Nous pouvons valider, soutenir non des régimes mais des manières d’être et de faire. Nous devons soutenir surtout l’état de droit quel qu’il soit quand il se caractérise par le soutien populaire, le respect des libertés individuelles et publiques. Les textes existent, nationaux et panafricains. L’aspiration est réelle. Nos idéaux, nos textes, nos lacunes chez nous sont connus. Quand nous scandalisons, nous blessons en profondeur, le recours et la référence sont travestis. Nous ne pouvons plus être ainsi. L’Afrique n’est jamais dupe. Nous, nous le sommes souvent.

6° encourager des unions d’ensemble, mutualiser avec les Etats membres de l’Union européenne notre relation franco-africaine, cautionner les efforts de certains Etats subsahariens et méditerranéens pour rendre solidaires monde arabe et Afrique noire tout en poursuivant selon deux modèles des entreprises techniques spécialisées : les concours européens aux organes de paix et de justice panafricains (ce que nous avons déjà au Darfour), les relations directes entre hauts-fonctionnaires, compétences par compétences, comme le processus de Barcelone en a fait prendre l’habitude depuis 1995.

A la charnière eurafricaine, et peu compris jusqu’à présent par nous alors qu’il lie les deux rives du Sahara, un ensemble qui nous est frontalier et partage avec nous, et avec l’Espagne et le Portugal, histoire, peuplement, culture et enjeux géostratégiques, devrait être particulièrement zélé : l’Union du Maghreb Arabe. Les facteurs de viabilité sont de loin plus nombreux que les faiblesses congénitales (concurrence traditionnelle entre le Maroc et l’Algérie, conflit de l’ancien Sahara espagnol et nos responsabilités dans des tracés frontaliers avantageant notre souveraineté directe au détriment des deux protectorats). Matières premières, marché de près de cent millions de consommateurs, quasi-continuité territoriale, facilités linguistiques, osmose possible des populations comme l’histoire de notre ancien empire et les actuelles immigrations le montrent ! Notre intelligence politique et nos investissements dans le nord-ouest africain peuvent équilibrer, dans le système continental et dans le monde arabe les influences anglo-saxonnes d’Afrique méridionale et des monarchies pétrolières. Le projet d’Union pour la Méditerranée n’a su ni profiter de l’expérience européenne du processus de Barcelone ni de l’ambition arabo-africaine de cette Union du Maghreb Arabe : malgré son « sommet » constitutif, contemporain de la révision constitutionnelle de Juillet 2008, il se cherche encore, s’oublie même. C’est aussi de ce côté-là que des chemins pour une ré-invention de l’avenir palestinien peuvent venir. La diaspora juive y fut longtemps féconde et acceptée comme en Espagne almoravide et almohade.

L’intelligence peut renouer avec la fidélité. Malgré nos erreurs et nos défauts, nos partenaires africains n’en ont généralement pas douté. Mais pour nous garder à l’avenir de nos démons toujours proches et insistants, la mutualisation avec nos partenaires européens de nos capillarités et de nos acquis en Afrique septentrionale et subsaharienne est indispensable. Dans la négociation européenne et l’approche d’une démocratie directe avec obligation de croissance économique, de mieux-être social, la question d’Afrique, bien posée par nous et concertée avec nos amis du sud, peut faire bras de levier sur ce à quoi nous tenons, au lendemain de l’élection présidentielle de François Hollande. C’est l’intérêt de tous.

La droite a gaspillé et faussé l’acquis du général de Gaulle : une décolonisation que la gauche avait commencée par le discours de Carthage et la Loi-Cadre pour l’Afrique sub-saharienne mais que l’homme de Londres et de Brazzaville sut consacrer, parfois au péril de sa vie. Avec François Mitterrand, la gauche a su mettre la France à jour et lui faire parrainer la démocratisation. Avant que ce soit acquis, Jacques Chirac laissa faire le retour en arrière et la gauche même après avoir reconquis la majorité à l’Assemblée nationale, laissa faire aussi : encore l’exemple mauritanien, soutenir un putschiste d’origine par une visite officielle à trois mois d’une élection présidentielle anticipée par le pouvoir et boycottée par toutes les oppositions ainsi que par le président-fondateur exilé chez nous. Le président français, le ministre des Affaires étrangères de la gauche, Hubert Védrine, et l’ancien ministre des Armées du général de Gaulle, ancien gouverneur surtout de ce territoire d’Outre-Mer. Je fis l’impossible à l’Elysée et à Matignon pour faire prendre conscience de la contre-vérité qu’on répandait en se faisant applaudir ainsi à Atar en Septembre 1997.

Il y a eu Nucci, Roussin, Joyandet certes : ministres corrompus… mais il y a eu Jean-Pierre Cot et même Jean-Marie Bockel qui tentèrent la rupture. Ils ont témoigné du souhaitable et du sincère. Pourquoi ont-ils échoué ?

Symbolique d’une velléité mal éteinte d’empire, les sommets France-Afrique ne devraient plus être. La Communauté et son Conseil exécutif disparu avec les indépendances en 1960, de Gaulle se garda d’en faire organiser. Il ne souhaita pas non plus que s’organisa formellement la francophonie.

Le nouveau président de la République doit répondre à l’interrogation : si nos erreurs ont été si continues et se sont tellement accentuées de décennies en décennies, que la droite ou la gauche soit nommément au pouvoir, est-ce par manque de vision de ses prédécesseurs et de leurs Premiers ministres respectifs ? ou par manque d’autorité vis-à-vis de « services » et de gens d’affaires incontrôlés ?

.                                                          Bertrand Fessard de Foucault
n° 5 – dimanche 29 Avril . mercredi 2 Mai 2012

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