Sur le fond, plusieurs choses :
- bonheur et satisfaction d'être en phase avec cet homme déjà libre sur la sensation que donne le climat de liberté et de libération dans cette campagne, et sur l'impossibilité de refaire un pustch qui soit durable
- gravité et justesse de son ton, dans les deux entretiens
- éléments d'une magnifique élévation sur la préférence affichée pour l'intérêt mauritanien au regard du souci d'occuper ou de conserver des fauteuils, sur sa sérénité depuis le pustch, sur cet entourement dont la légitimité et sa personne avaient bénéficié
- cohérence depuis le bilan signé en Octobre 2008 de son analyse des quinze mois où il a exercé le pouvoir.
entretien accordé par le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi
à Al Jazeera.net
traduction de l’arabe
Al Jazeera.net : La Mauritanie a connu une crise politique due au coup d’Etat du 6 août 2008. Est-ce du fait d’une carence de la Constitution ou d’un manque d’expérience politique ?
Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi : Je ne pense pas que cela tienne à une quelconque carence des instruments constitutionnels, ni d’un manque d’expérience, mais plutôt aux circonstances nées du changement intervenu en Mauritanie, à la suite des élections de 2007. Le résultats des urnes, à l’époque, n’avait pas plu, semble-t-il, à certains hommes politiques. De même, le nouveau style de gouvernement n’était pas du goût de ceux qui s’étaient habitués à des pratiques qui tiennent plus du clientélisme que de l’exercice du pouvoir et de la gestion des Etats.
Le style que nous avons adopté, s’appuyait sur le fait que les Mauritaniens sont égaux en droits et en devoirs, et que l’Etat ne doit pas distribuer des privilèges et des postes à certains d’entre eux, dans le but de consolider leur influence au niveau local ou de leur permettre de continuer à servir d’intermédiaires entre les citoyens et l’Etat.
Je pense que certains ont participé aux élections de 2007, avec l’idée qu’ils s’associaient à une entreprise qui devait leur permettre de conserver d’importants privilèges.
D’aucuns ont peut-être pensé que j’étais un vieux monsieur traditionnel, et que je n’étais pas capable de faire changer du tout au tout la nature des rapports et des méthodes ayant marqué la conduite des affaires de l’Etat au cours d’une certaine période.
Quand j’ai pris mes fonctions, en tant que Président de la République, ceux qui réfléchissaient ainsi, se sont vite rendus compte qu’ils s’étaient trompés, et que le style de gouvernance de l’Etat, pendant plus de deux décennies, et la distribution des privilèges aux gens pour consolider leur influence locale, ne seraient plus acceptables.
Lorsqu’ils ont compris que le clientélisme politique n’avait plus cours, ils ont commencé prendre à prendre leur distance vis-à-vis du nouveau régime.
En même temps, certains officiers supérieurs se sont inquiétés de ce nouveau cours et de ce qu’ils n’en mesuraient pas les conséquences sur leurs intérêts individuels. En réalité, ils n’étaient aucunement visés par la nouvelle manière de faire qui, du reste, n’était pas dirigée contre eux. Au contraire, nous nous employions à renforcer l’armée, à la doter des équipements les plus modernes et à lui donner les moyens nécessaires. En revanche, nous étions décidés à la tenir éloignée de la politique et de ses tiraillements, afin qu’elle puisse se consacrer, entièrement, à sa mission sacrée de défense du pays et de préservation de l’intégrité territoriale.
De même que ce nouveau style a déplu à certains politiques, de même la tenue de l’armée à l’écart de la scène politique, a déplu à certains officiers qui ont sans doute trouvé que ce n’était pas là le régime dont ils voulaient.
En plus de tout cela, certains pans de l’opposition, et en particulier le Rassemblement des Forces Démocratiques et son leader Monsieur Ahmed Ould Daddah, souhaitaient que le régime connaisse des crises et des problèmes, qui conduisent à des élections anticipées, susceptibles de leur ouvrir l’accession au fauteuil présidentiel.
Al Jazeera.net : Pouvait-on éviter la crise par des moyens politiques ? Pensez-vous avoir, pour ce faire, fourni tous les efforts nécessaires avant le coup d’Etat ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Je voudrais d’abord préciser que faire face à l’éventualité d’un coup d’Etat ne constituait pas une de mes priorités. Pour moi, le fauteuil présidentiel n’est pas une fin en soi, mais un moyen pour mettre en œuvre un programme approuvé par la majorité du peuple mauritanien et dont le but est d’assurer l’essor et la prospérité du pays. Aussi, mon attention s’est-elle portée sur la mise en œuvre de ce programme, et non sur les intrigues politiciennes et les menées visant à créer des difficultés au régime.
Je tenais toujours à ce que les différentes institutions et structures étatiques marchent dans ce sens et qu’elles fonctionnent conformément à leurs missions respectives.
Je pense qu’il y a lieu ici de rectifier des propos souvent tenus, selon lesquels le Président Sidi Mohamed Ould Cheikh était un objet entre les mains des militaires et qu’il ne gérait les affaires que suivant la volonté de certains officiers. C’est complètement faux !
Jusqu’en avril 2008, je n’ai pas senti que ces officiers avaient des préoccupations politiques et ils ne sont jamais intervenus dans les questions du pouvoir, sauf celles qui relevaient de leur spécialité militaire et sécuritaire.
Cependant, après le changement de gouvernement, le départ du Premier ministre d’alors et la formation d’une nouvelle équipe, les généraux Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Ghazouani ont pris contact avec moi, et ont exprimé leur insatisfaction de la nouvelle formation. J’ai senti une certaine inquiétude dans leurs propos.
Naturellement, et en vertu de mes prérogatives de Président de la République, j’ai essayé de traiter le problème afin d’éviter de prendre la décision de les limoger ; la plus difficile que j’ai eue à prendre.
J’ai tenté de dissiper leur inquiétude, dûe à l’entrée au gouvernement de certains partis politiques mais, malgré cela, ces officiers ont commencé à approcher des parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat, pour œuvrer à ce qui nous a conduit au 6 août 2008.
Al Jazeera.net : Vous êtes le premier Président mauritanien qui refuse de se soumettre à ceux qui l’ont déposé et s’accroche à sa légitimité constitutionnelle. Est-ce du à votre conviction que les coups d’Etat n’étaient plus acceptables au niveau international ou plutôt parce vous misiez sur le peuple mauritanien auquel vous faisiez confiance ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Il s’agit en premier lieu d’une certaine idée que j’avais de mes responsabilités. En tant que Président élu, il était de mon devoir de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour préserver le mandat que j’avais reçu, d’autant que le programme sur la base duquel j’ai été élu, était axé sur la consolidation de l’unité nationale, sur la réalisation de la justice et du développement, le tout dans un climat démocratique véritable.
Lorsque le coup d’Etat a eu lieu, j’ai eu à l’esprit mes responsabilités constitutionnelles à propos desquelles j’avais prêté un serment, et aussi mes responsabilités politiques et morales : je devais préserver l’expérience démocratique et en empêcher la régression.
C’est dans ce cadre que s’inscrivent ma résistance au coup d’Etat et mon refus de me soumettre à la volonté des putschistes. J’ai eu à mes côtés des Mauritaniens dignes qui croient à la justice et à la démocratie, qui se sont organisés au sein de ce qu’on appellera plus tard le Front National pour la Défense de la Démocratie. D’autres, à l’intérieur, comme à l’extérieur, ont appuyé cette orientation et œuvré pour mettre le coup d’Etat en échec.
Al Jazeera.net : Beaucoup de Mauritaniens trouvent que l’Accord de Dakar est une « victoire du peuple mauritanien tout entier » et que la classe politique a fait des sacrifices pour l’intérêt national. Etes-vous satisfaits des sacrifices que vous avez consentis à ce sujet ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : L’Accord de Dakar est venu en réponse à une demande réelle du peuple mauritanien qui a senti le risque de dérapage de la Mauritanie vers l’inconnu et d’avortement d’une expérience démocratique qui fut pionnière dans son contexte.
L’Accord comportait certains aspects qui me concernaient en tant que Président élu ayant fait serment de préserver la Constitution et ayant droit à conserver son poste jusqu’au terme de son mandat de cinq ans, dont seulement quinze mois mois s’étaient alors écoulés.
Tout au long des négociations, j’ai tenu à la séparation de ces deux situations. J’ai dit de façon claire que la période restante du mandat n’était pas fondamentale et que si les politiques mauritaniens aboutissaient à une solution consensuelle pour dépasser la crise, je ne serais jamais un obstacle à cet accord pourvu que celui-ci respecte les voies constitutionnelles. J’ai considéré que le respect de ces voies était fondamental et j’y ai tenu, non pas parce que je voulais bloquer la solution, mais parce que j’ai juré de préserver la Constitution et que je ne voulais pas trahir mon serment.
C’est de là que provient ma décision de lier ma démission à la dissolution du Haut Conseil d’Etat qui était une structure non constitutionnelle. Finalement, nous sommes parvenus à une formule de dissolution au terme de laquelle cette structure change de nom et se soumet à l’autorité du gouvernement. J’ai refusé de signer les décrets de nomination du Gouvernement d’Union Nationale Transitoire et de démission volontaire tant que la dissolution du HCE n’avait pas effectivement eu lieu. Dès que celle-ci est intervenue, le Président Abdoulaye Wade m’en a fait parvenir, à mon domicile, la décision par les soins de la représentante des Nations Unies à Nouakchott. J’ai alors signé les décrets et présenté ma démission.
J’ai présenté ma démission dans l’intérêt du pays. Je ne pense pas qu’il s’agit d’un très grand sacrifice car, pour moi, la Mauritanie mérite beaucoup plus et l’intérêt du peuple mauritanien est de loin plus important que tout poste.
Je souhaite que les Mauritaniens réussissent dans cette nouvelle voie, et j’espère que nous avons pu, grâce à ce que nous avons accompli, éloigner l’armée de la politique, après que les chefs de celle-ci se soient pris, depuis 1978, pour les tuteurs de la chose publique dans le pays et qu’ils se soient crus seuls investis de garantir l’intérêt de la Mauritanie, justifiant ainsi l’immixtion dans le jeu politique et l’accaparement du pouvoir par la force.
Il est temps pour nous de dépasser cette ère et d’admettre que le peuple mauritanien est responsable de ses intérêts, qu’il a défini les instruments constitutionnels permettant d’analyser et de résoudre tous les problèmes que rencontrent les institutions constitutionnelles dans leur fonctionnement, et qu’il n’a donc besoin de la tutelle d’aucun appareil.
Al Jazeera.net : L’Accord de Dakar constitue-t-il une solution définitive à la crise ou ne s’agit-il que d’un remède provisoire pour un problème qui risque de resurgir chaque fois que des militaires aspirent au pouvoir ou que des civiles veulent se débarrasser de leurs rivaux ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Je crois qu’il est désormais difficile de faire un coup d’Etat militaire en Mauritanie. L’expérience que nous avons vêcue ces dix derniers mois a prouvé que le peuple mauritanien n’est plus disposé à accepter les coups de force militaires. La seule crainte que j’ai, à ce propos, est qu’en cas de défaite, le général Mohamed Ould Abdel Aziz tente, sous le coup de la déception, quelque chose dont je ne vois pas vraiment les contours. Mais, même dans ce cas, ce sera, en définitive, un échec ; ce qui rendra les coups d’Etat dans ce pays encore moins probables.
Al Jazeera.net : Est-ce à dire que l’Accord de Dakar constitue un échec du coup d’Etat de 2008 ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : C’est, effectivement, un échec du coup d’Etat. Le pouvoir militaire a tenté au début de se prévaloir, à l’intérieur comme à l’extérieur, de l’assentiment du peuple mauritanien pour se donner une légitimité. Il a essayé ensuite d’organiser des élections dont il a fixé la date, toujours pour se donner une certaine légitimité. Mais la lutte du peuple mauritanien qui rejetait le coup d’Etat et les positions de la Communauté internationale ont rendu impossible la mise en œuvre de ce plan. Tout ce qu’il reste maintenant aux militaires, c’est la candidature du général Mohamed Ould Abdel Aziz à la présidence, dans des élections dont la date a été fixée par un consensus des Mauritaniens, des élections auxquelles se présentent des personnalités politiques et qui se tiennent sous la supervision d’un gouvernement de coalition gérant les affaires publiques dans le pays. Tout cela démontre l’échec du coup d’Etat.
En dépit de l’exploitation de l’autorité de l’Etat et du recours à l’incitation et à l’intimidation, nous vivons aujourd’hui dans un climat tel que tout Mauritanien sent qu’il est libre de choisir celui qui va gouverner et qu’il peut voter pour qui il veut. C’est là le plus grand revers pour le coup d’Etat.
Al Jazeera.net : À la lumière de l’expérience de cette crise, comment voyez-vous le rôle de l’armée dans le jeu politique, aujourd’hui et dans l’avenir ? Existe-t-il une méthode pour empêcher les coups d’Etat ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Le rôle de l’armée est clair ; il est défini par la Constitution : elle doit être, comme je l’ai dit plus haut, une armée républicaine qui assure la sécurité et défend l’intégrité territoriale du pays. Elle peut être sollicitée, dans certains cas précis, pour participer à des programmes d’intérêt public. Ces cas sont définis par le Président de la République en sa qualité de chef de l’Etat.
Pour ce qui est de la manière d’empêcher les coups d’Etat, il me semble que la volonté et la conscience du peuple sont seuls capables de faire face aux coups de force militaires et d’empêcher qu’ils aient lieu. D’ailleurs, l’histoire du monde montre que, dans les pays démocrates, l’armée n’ose pas faire un coup d’Etat, car elle sait que le peuple ne l’admettra jamais et que, toutes composantes confondues, il se dressera contre lui. C’est, heureusement, ce qui commence à se passer en Mauritanie à voir ce que nous vivons ces derniers mois.
Al Jazeera.net : Les militaires qui ont fait le coup d’Etat vous ont accusé d’avoir « tourné le dos à votre majorité parlementaire et bloqué le fonctionnement des institutions constitutionnelles. » Que répondez-vous à ces accusations ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Vous avez sans doute pris connaissance du discours que j’ai prononcé et dans lequel j’ai présenté ma démission. J’ai brièvement évoqué certaines questions, j’ai dit que je ne voulais pas beaucoup m’étendre sur ce sujet et que je laissais l’appréciation de cette période à l’histoire.
Les militaires – et non l’armée, car je suis certain qu’en tant qu’institution, l’armée est loin d’avoir planifié pour le coup d’Etat du 6 août 2008 – les militaires donc, avaient besoin de justifier leur coup d’Etat en ternissant l’image du Président aux yeux des populations. Il fallait qu’ils recourent à tous les moyens, légaux ou illégaux, pour atteindre cet objectif.
Aussi, ont-ils brandi au début le slogan de la défense de la démocratie, slogan dont on n’a plus entendu parler quelques mois après. Ensuite ils ont sorti celui de la lutte contre la gabegie et d’autres slogans qui sont, en réalité, des moyens de propagande fallacieuse.
En ce qui concerne le problème du blocage du Parlement, j’ai précisé, dans mon discours de démission, que les sessions parlementaires ont duré plus de la moitié des quinze mois qui ont précédé le coup d’Etat. L’action du Parlement était efficace et concrète. Il a adopté de textes de lois d’une extrême importance, dont la loi criminalisant la pratique de l’esclavage. Il a adopté aussi une convention avec l’Union Européenne dans le domaine de la pêche qui nous apporté 90 millions d’Euro, dont la junte militaire a eu grand besoin ces derniers mois.
Bien que je préfère toujours ne pas parler de ces problèmes, je voudrais quand même préciser que s’il y a quelque chose qui a marqué la période où j’ai gouverné, c’est bien l’absence d’immixtion du Président de la République dans le fonctionnement des autres institutions et pouvoirs constitutionnelles. Le pouvoir législatif, à l’instar des autres pouvoirs et instances, a exercé ses prérogatives loin de toute influence ou immixtion de l’exécutif. Lorsque le général Mohamed Ould Abdel Aziz a senti que l’orientation du régime ne correspondait plus à ses ambitions, il a pris contact avec certains parlementaires pour leur faire déposer une motion de censure contre le gouvernement. Ma riposte, à l’époque, se limita à dire que si je devais juger que le fonctionnement normal des institutions était compromis et que j’avais perdu la majorité me permettant d’appliquer mon programme, je pourrais alors et éventuellement en appeler à des élections législatives anticipées.
On a dit, à l’époque, que j’avais déclaré la guerre au Parlement, que je me dressais contre l’exercice de ses missions constitutionnelles et que j’entravais le pouvoir législatif ; toutes accusations non fondées, dont le but était de mobiliser certains groupes pour soutenir la tendance qui a conduit au coup d’Etat.
Al Jazeera.net : Les militaires accusent les piliers de votre régime de « prévarication », ils ont mise le Premier ministre en accusation dans ce qu’on appelé « le marché du riz avarié ». Etiez-vous informé de l’existence de gabegie au sein du pouvoir ou ne s’agit-il que d’accusations sans fondement dans la réalité ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : La gestion était globalement transparente et honnête. Tout le monde savait d’ailleurs que je n’étais pas susceptible de mauvaise gestion. S’il y avait eu des preuves du contraire, les putschistes n’auraient pas hésité à s’en servir pour conforter leur position et étayer leurs accusations. Mais puisqu’ils n’ont aucune preuve, leurs accusations sont restées de simples paroles vagues.
Lorsque j’étais en résidence surveillée à Nouakchott, et tout au long de mon séjour ici, à Lemden, j’ai suivi tout ce qui s’est dit et se dit encore sur la gabegie et la mauvaise gestion, mais je n’ai jamais entendu un seul chiffre. On n’a jamais dit que le taux de croissance a baissé, ni que la situation s’est dégradée. L’objectif était, dès le départ, la désinformation. La preuve en est que certains ont fait de la pénurie d’eau à Nouakchott un problème, alors qu’elle s’est révélée dans le mois de ma prise de fonction comme Président. Ils ont considéré que j’en étais responsable !
Lorsque nous avons résolu le problème, évitant aux habitants de Nouakchott les affres de la soif durant l’été 2008, ils n’en ont pas parlé, car l’objectif était la désinformation.
Pour ce qui est du Programme Spécial d’Intervention (PSI) que nous avons mis en œuvre et dont on a beaucoup parlé, c’était un excellent programme, en terme de planification, de suivi et d’exécution. Il a atteint beaucoup de ses objectifs et atténué l’impact de la crise alimentaire mondiale sur les populations en Mauritanie. Il s’est appuyé sur la participation et la concertation. Nous avons prié tout le monde, y compris l’opposition, à participer à son suivi et à son contrôle.
Pour ce qui est du riz, on m’a communiqué un dossier sur certaines quantités de riz offertes, en 2005 ou avant, par les Etats-Unis d’Amérique comme aide à la Mauritanie et qui auraient été vendues aux hommes d’affaires. Il y avait des doutes sur le caractère consommable de ce riz. Le dossier a suivi son chemin normal, comme tout autre dossier, pour l’examen de ses différents aspects et la prise des décisions qui s’imposent, s’il s’avère qu’il y a négligence ou malversation. Mais ce dossier a été dévié de son parcours normal et a été instrumentalisé politiquement, de façon malhonnête. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz en a parlé de manière contraire aux moeurs des Mauritaniens.
Cette affaire et d’autres soulevées [par les militaires, ndt] ne signifient pas l’existence de gabegie au sein du régime. La période, pendant laquelle j’ai été au pouvoir, a été marquée par une importante réforme dans ce domaine. Ceux qui ont suivi les choses de près peuvent le constater.
Al Jazeera.net : L’esclavage en Mauritanie et ses séquelles, ainsi que le retour des réfugiés mauritaniens au Sénégal et au Mali sont des problèmes dont vous avez œuvré à la solution. Les décisions prises étaient-elles efficaces ou n’avaient servi qu’à transformer des réfugiés à l’extérieur en réfugiés dans leur propre pays comme le disent les militaires ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Les grands problèmes ne se résolvent pas d’un seul coup, mais l’important est que nous avons pris des décisions essentielles et claires, en ce qui concerne ces deux questions. Pour ce qui est du retour des réfugiés, nous avons exprimé notre volonté et celle de l’Etat de réunir les conditions de rapatriement chez eux des mauritaniens exilés. Nous l’avons bel et bien fait. Nous avons mis en oeuvre un programme ambitieux qui profite à 600 000 personnes dont les rapatriés et les populations qui se trouvent dans l’environnement de leur retour, sans compter ceux qui venant du Sénégal, suite aux événements de 1989 avaient regagné le pays.
Les études relatives à cette question avaient beaucoup progressé, l’instance chargée du rapatriement de ces réfugiés avait effectivement commencé ses activités de manière excellente et honnête. On avait vraiment avancé. Après le coup d’Etat, l’instance en question s’est trouvée accusée de gabegie par les militaires et des contrôleurs ont été dépêchés chez elle. Ils n’ont trouvé aucune preuve.
Ce qui m’a le plus ému, c’est que, ayant trouvé que le traitement de la question [le rapatriement des réfugiés, ndt] avait déjà atteint un point de non retour, ceux qui ont usurpé le pouvoir n’ont eu d’autre moyen que de prétendre que les choses étaient mal faites ! C’est ademettre que nous avons mené une entreprise qui bénéficie du consensus des Mauritaniens et constitue donc un bon choix pour le présent et l’avenir de ce pays.
A propos des séquelles de l’esclavage, nous avons tenu, dès le départ, à mettre fin à cette pratique par les moyens juridiques et économiques. Nous avons soumis un texte criminalisant toute forme d’esclavage et d’exploitation de l’homme au Parlement qui l’a adopté. Nous avons donné, en termes de programme économique, la priorité aux zones à forte concentration de populations ayant souffert de ce phénomène.
Aujourd’hui, je suis immensément heureux de constater l’évolution sociale que connaît le pays en cette étape de son histoire et je vis avec les Mauritaniens une atmosphère d’unité et d’absence de disparités de caste ou d’ethnie.
Vous connaissez bien la Mauritanie et la nature de l’organisation et des relations traditionnelles qui y prévalent. Vous suivez certainement la scène politique. En observant ceux qui entourent le Président Messaoud Ould Boulkheir, ses soutiens, ses collaborateurs et les responsables de sa campagne, vous découvrirez l’évolution qu’a connue le pays sur ce plan, et constaterez que la Mauritanie vit une situation qui en fait véritablement la Patrie de tous les Mauritaniens. Le mérite en revient, sans doute en grande partie, aux décisions prises dans ce domaine, décisions qui ont provoqué une vraie dynamique sociale, très importante pour le pays, de mon point de vue.
Al Jazeera.net : Le rôle des Arabes dans la solution de la crise mauritanienne était, dans une grande mesure, quasi inexistant. Et quand il s’est manifesté, on l’a considéré comme un soutien au coup d’Etat et à l’agenda de celui-ci. Pourquoi, à votre avis ? En avez-vous été déçu ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : Je ne suis pas d’accord quand vous dites que le rôle joué par les Arabes a été partial. Je sais que les pays arabes ne veulent que du bien à la Mauritanie. La plupart d’entre eux ont octroyé des aides considérables au peuple mauritanien. Mais les pays arabes ne disposent pas, séparément ou dans le cadre de la Ligue Arabe, d’instruments règlementaires pour faire face aux coups d’Etat.
Il est vrai que les Mauritaniens ont espéré que les Arabes auraient un rôle plus important dans la solution de la crise. La connaissance que je crois avoir des réalités de la nation arabe, fait que je ne considère pas négative la position arabe, ni qu’elle ait été favorable au coup d’Etat. Il s’est agi d’une situation où les paramètres ont fait que chaque pays arabe a envisagé la question en partant de sa propre considération de l’intérêt de la Mauritanie, sans ingérence dans les affaires intérieures de celle-ci, tant le système arabe est sensible en la matière.
Al Jazeera.net : Monsieur le Président, permettez-moi une question en dehors du champ de la politique : Vous avez vécu, au cours des dix derniers mois, une expérience particulière dans l’histoire des Présidents mauritaniens. Quelle a été cette expérience, humainement humain ?
Sidi Ould Cheikh Abdallahi : On peut dire que j’ai éprouvé, au cours de ces dix derniers mois, une sorte de bonheur et que j’ai eu la conscience tranquille, chose que je n’éprouvais pas lorsque j’exerçais mes responsabilités au Palais présidentiel.
J’ai travaillé, tout au long de cette période, conformément à mes responsabilités constitutionnelles et je faisais ce que je croyais être mon devoir vis-à-vis de mon pays et de mon peuple. J’avais l’appui des populations mauritaniennes et de certains frères et amis à l’étranger. Je me suis employé, avec conviction et avec le soutien de tous ceux que j’ai cités, à mettre le coup d’Etat en échec pour l’intérêt de la Mauritanie.
Si je regarde le résultat, je peux dire que cette période a été meilleure que celle que j’ai passée au Palais.
Propos recueillis par Cheikhna Ould Cheikh Ahmed Lemine
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Interview exclusive de Sidi Ould Cheikh Abdallahi,
ancien président de la République.
publié par Le Calame n° 697 - 12 Juillet 2009
‘’Mes propos sur Al Jazeera Net ne sont pas une attaque contre Ould Daddah, mais une description de la réalité politique qui prévalait, à l’époque, sur laquelle on m’a posé une question’’
Au moment où la campagne, en vue de l’élection présidentielle du 18 juillet, bat son plein, le Calame a jugé utile de recueillir le point de vue de monsieur Sidi Ould Cheikh Abdallahi, ancien président de la République dont l’acte, patriotique, de démission, a permis à la nation mauritanienne de sortir de la crise politique, consécutive au putsch du 6 août 2008, et de s’engager dans une élection présidentielle, constitutionnellement acceptable. Les propos de celui qui a dirigé notre pays, pendant quinze mois, contribueront à éclairer l’opinion publique. A l’heure où la tension monte, cet homme, qui vient de sortir par la grande porte de l’Histoire, malgré le lynchage que sa famille et lui ont subi, cet homme sage ne s’est jamais inscrit dans une logique de confrontation, encore moins de surenchères. Jamais l’idée de vengeance n’a effleuré son esprit. Loin des bruits de campagne, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, qui a choisi de se réinstaller dans la Mauritanie profonde, la vraie celle-là, observe les choses de loin et pose un regard, lucide, sur l’évolution de la Mauritanie qu’il aime tant. A Lemden, où nous nous sommes rendus, l’homme nous a reçus avec courtoisie. Toujours jovial, Sidioca frappe par son humilité et sa retenue. En plus de la télévision, l’homme est relié au Monde par l’Internet et le téléphone. Il est aussi bien sollicité par ses compatriotes que par des étrangers en quête de conseils. Depuis son exil volontaire chez lui, l’homme partage son temps entre la mosquée, la réception de ses hôtes et la lecture. Sur sa petite table de chevet, cohabitent un exemplaire du Saint Coran, un chapelet et des essais, récents, d’Obama et de Paul Baryl.
Dans cette interview, il revient sur les péripéties de la crise, ses rapports avec les généraux tombeurs, son soutien à Messaoud, ses rapports avec Ahmed Ould Daddah, ex-chef de file de l’opposition à son pouvoir et, enfin, sur la possibilité ou non de revenir, un jour, dans l’arène politique mauritanienne.
Le Calame : Après moult tractations, suivies de votre démission, l’accord de Dakar est enfin mis en œuvre. Comment avez-vous vécu tout cela?
Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi : Je suis très heureux que l’accord de Dakar ait pu être signé et mis en œuvre. Je crois, très franchement, que ceux qui s’intéressent aux désirs de leurs compatriotes ne peuvent pas rester insensibles à cet accord, parce qu’il y avait, en lui, une très forte demande des Mauritaniens. Par cet effort, ceux-ci ont prouvé qu’ils veulent la paix pour leur pays. Le sentiment le plus répandu était que, s’il n’y avait pas d’accord, le pays s’engageait dans l’inconnu. Je fus, donc, personnellement très heureux, en signant ce décret, conscient de ce qu’en présentant ma démission, je faisais quelque chose pour l’intérêt du pays.
Le Calame : Dans votre discours d’adieu, vous avez relaté le bilan de votre passage à la tête de l’Etat. Mais, vous n’avez fait allusion, à aucun moment, aux points faibles de votre action. Où avez-vous péché, pour susciter l’ire des généraux qui vous ont déposé?
Dans mon discours, j’ai précisé que je ne m’inscrivais dans une logique de surenchère; comme j’ai eu à le dire, ce genre d’attitude, ça recule plus que ça n’avance. L’histoire retiendra de cette période ce qu’elle voudra. Si celle-ci n’a pas correspondu à ce que les Mauritaniens attendaient, elle sera vite oubliée; si, par contre, il y a eu des choses importantes pour l’avancement du pays, elle les retiendra. Je pense, après réflexion, que je n’étais pas, sur un certain plan, en harmonie avec mon pays. Je ne me suis pas soucié, pendant cette période, de certains aspects relatifs à ma popularité, ni aux actions pour l’améliorer et, très franchement, je ne m’étais pas préparé à cela. Et puis, il y avait des gens, dans mon entourage, je l’ai déjà évoqué dans mon adresse à la Nation, des gens qui se rendaient à l’évidence que ce que j’étais en train de faire n’était pas bien perçu, par mes compatriotes. Ils me disaient : «Ecoutez, la Mauritanie ne doit pas être gérée de cette façon, il faut tenir compte des aspirations du peuple, il faut tenir compte de leurs habitudes, vous ne pouvez pas changer les choses, d’un seul coup». Mais je me rendais compte qu’en suivant ces observations, bienveillantes, du reste, je cautionnais les pratiques d’antan, je m’y incrustais, et cela n’était pas ma vision de ma mission envers la Mauritanie. Je pouvais réaliser, à cette période, beaucoup de choses, qui devaient être accomplies, et, quoique bien de gens m’aient dit, vous auriez dû faire ceci, éviter cela, et que cela fût, certainement vrai, je portais une vision, je le répète, et je ne voyais pas les choses comme eux. La stabilité du pouvoir ne m’intéressait que pour autant qu’elle serve à quelque chose, qu’elle corresponde à la vision que j’avais pour mon pays. Si c’était juste la stabilité pour la stabilité, je ne m’y retrouvais point.
Le Calame : La campagne électorale bat son plein. Comment la vivez-vous, depuis Lemden? Pensez-vous que l’opposition a de réelles chances de gagner? Par ailleurs, dans une sortie, récente, sur Al Jazeera Net, vous n’avez pas manqué de jeter quelques piques à Ahmed Ould Daddah. En cette période de campagne, ne pensez–vous qu’il soit plus sage d’enterrer la hâche de guerre, pour combattre votre ennemi commun?
D’abord, en ce qui concerne la campagne électorale, vous le savez, j’ai apporté mon soutien au président Messaoud Ould Boulkheir ; je l’ai fait à travers une lettre que je lui ai adressée et qui a été lue, lors de son investiture par le FNDD. Pour le reste, je voudrais vous dire que j’ai été très heureux de son choix et que j’ai fait tout ce que j’ai pu, afin que le FNDD et le RFD puissent travailler, ensemble, pour mettre, en échec, le coup d’Etat. Lorsque le RFD a fait l’objet d’attaques, j’ai, tout de suite, pris sa défense. Si vous avez bonne mémoire, vous aurez remarqué, sans aucun doute, qu’au court de cette période de crise, je n’ai jamais attaqué ou répondu à des attaques qui m’ont été adressées. Je constate, aujourd’hui, qu’on veut faire croire que je m’en suis pris à Ahmed. Allons, donc, je n’ai aucune raison de l’attaquer, il n’y a aucun enjeu, entre lui et moi. J’ai démissionné et je soutiens un candidat, pour la victoire duquel je ne ménagerais aucun effort. Mes propos, concernant Ahmed, sont à entendre, simplement, dans une explication du contexte politique qui prévalait, il y a un an – la fronde des députés, en l’occurrence, qui a conduit au coup d’Etat du 6 août. Une majorité de députés ne se reconnaissaient plus en moi, ai-je dit en substance, et pensaient qu’il y avait une autre manière de gérer le pays. L’opposition, quant à elle, et en particulier, comme je l’ai dit, le RFD, me semblaient, par certains de leurs comportements, souhaiter l’organisation d’élections anticipées et le coup d’Etat offrait, apparemment, une telle occasion. Tout le monde sait, par ailleurs, quelle fut l’attitude du président Ahmed Ould Daddah et du RFD vis-à-vis de ce qui fut appelé une «rectification». C’est tout. Il ne s’agit pas d’une attaque, mais d’une description de la réalité politique qui prévalait, à l’époque, sur laquelle on m’a posé une question, et j’en ai dit ce que je pensais.
Le Calame : La fronde parlementaire, suscitée par les généraux, aura été l’une des étapes de votre chute. Qu’est-ce qui vous a retenu de dissoudre l’Assemblée nationale?
Je crois l’avoir, déjà, expliqué: réellement, je ne voulais pas que nous perdions du temps et de l’argent. L’organisation d’élections avait un coût et nous embarquerait dans une période «morte» que je considérais comme une perte de temps, dans le programme à mettre en œuvre. J’ai, cependant, évoqué cette question, à l’époque, en des termes auxquels personne n’a beaucoup prêté attention. J’ai dit que, si je constatais que je ne disposais plus de majorité au Parlement, j’envisagerais, à ce moment-là, la dissolution de l’Assemblée nationale afin de m’en remettre au peuple, pour confirmer, ou non, la situation, auquel cas, soit j’accepterais la cohabitation, soit je partirais, l’alternative, en définitive, m’appartenant en propre. Mais dans mon adresse à la Nation, j’ai précisé que cela n’était que l’ultime solution et je ne préférais pas m’y résoudre précipitamment, pour les raisons que j’ai évoquées tantôt.
Le Calame : La situation devenait pourtant ingérable
Vous savez, tout cela s’est passé en une période très courte, c’était une situation artificielle, elle ne reposait sur aucune base ou opposition réelle; la preuve en est que, lorsque je me suis résolu à contacter les parlementaires, les invitant à trouver des solutions, à travers le parti ADIL, le nombre de frondeurs a, aussitôt, baissé. Les meneurs, constatant que le vent tournait en leur défaveur, ont, alors, décidé de précipiter l’échéance. Vous dites que la situation était ingérable, mais on aurait pu retrouver une majorité, stable, à même de trouver des solutions, internes, à la crise, plutôt que d’aller vers ce qui, en vérité, n’intéressait que deux généraux, décidés, depuis un certain temps, je le crois, à ce que je ne demeure plus à mon poste.
Le Calame : On vous accuse d’avoir tenté d’acheter des parlementaires
(Rires). Vous savez, il n’y a pas de chose qu’on n’ait pas dites, comment puis-je acheter des parlementaires? Je pense que le mieux, c’est d’interroger mon directeur de cabinet, d’ailleurs toujours en poste, et que vous interrogiez, en même temps, son prédécesseur. Cela dit, je m’en vais vous confier une simple chose. Qu’est-ce que j’ai connu, à titre personnel, de mon traitement financier, depuis que je suis devenu président de la République? Quand on m’a amené mes émoluments, je les ai trouvés disproportionnés, par rapport à la réalité et à l’idée que je me faisais du pays. J’ai, alors, décidé de renoncer à 25% de ceux-ci, au profit du Trésor public, j’en ai parlé au Premier ministre, qui m’a dit que lui et les autres membres de son gouvernement en feraient autant, je dois dire que c’est tout à leur honneur, parce que je ne le leur ai pas demandé. Pour le reste, j’en ai donné un certain pourcentage, à la fondation de mon épouse, qui le recevait mensuellement. Il y avait également un fonds, qu’on appelle communément caisse noire, géré par le directeur de cabinet, dont on a tiré des dons à de gens qui sollicitaient de l’aide. A un certain moment, j’ai voulu avoir une idée des montants que je donnais, s’ils étaient significatifs ou non, j’ai demandé, à mon directeur de cabinet adjoint, de me procurer, sur le marché, des carnets à souches. Depuis lors, j’ai répertorié tous les dons distribués. J’en gardais une souche, pour suivre l’évolution des dépenses effectuées sur ces fonds, à toute fins utiles. Je serais, d’ailleurs, disposé, aujourd’hui, à vous les remettre pour publication. Les accusations d’achat de députés ne reposent sur rien, il s’agit de pures inventions. Je n’ai, jamais, acheté personne.
Le Calame : Le limogeage des généraux vous aurait été dicté, affirment les militaires, par votre entourage. Qu’en est-il? Dans le cas contraire, n’avez-vous pas sous-estimé les risques d’une telle décision? Notamment celui de confrontation entre les chefs de corps, comme le soutiennent les militaires et leurs partisans?
Je constate, d’abord, que mes compatriotes s’obstinent à croire qu’on m’ait dicté mes décisions, pendant très longtemps. C’est, probablement, très commode, très pratique : j’aurais été un petit jouet, entre les mains des militaires; qui faisaient de moi ce qu’ils voulaient, après m’avoir, pratiquement, amené sur leur char… C’est, évidemment, caricatural, excessif et cela ne permet pas de cerner et d’analyser, correctement, les problèmes. Quand un candidat a obtenu 25%, au premier tour, qu’il lui a fallu négocier des accords, avec des candidats qui ont eu 15 et 10%, on ne peut pas dire qu’il a été amené sur un char. Que les militaires aient aidé, qu’ils aient pensé que ce candidat leur convenait, pour des raisons qui sont les leurs, je veux bien. Mais de là à tout caricaturer, ça n’avance, en rien, dans la recherche et la compréhension des problèmes du pays. Cela aurait, toujours, été comme cela, toujours mon entourage qui me commanderait de faire ceci ou de me débarrasser de celui-là, c’est trop facile. Hier, sous les ordres des généraux, subitement, sous le joug de son entourage : de grâce, accordez-moi, tout de même, un peu de moi-même… Tout cela est, de fait, bien loin de la réalité. Vous savez, la décision la plus douloureuse, peut-être, que j’ai été amenée à prendre, fut le limogeage des généraux, parce que, réellement – et je crois que je l’ai écrit, dans un document que vous avez, déjà, publié – je les prenais pour des officiers très patriotes, soucieux du devenir de leur pays, et je n’avais jamais eu le moindre reproche à leur faire, contrairement à ce qu’on a dit, par la suite. Durant toute la période du premier gouvernement, nous discutions, ensemble, mais jamais de politique. La première fois que ce sujet est venu sur le tapis, c’est au lendemain de la constitution du gouvernement de Yahya Ould Ahmed El Waghf. Là, ils m’ont dit, ouvertement, que ce gouvernement ne leur convenait pas. C’est à partir de là que les problèmes ont commencé entre nous et que s’est développée la crise. Ni plus simple, ni plus compliqué que cela. Quant à la décision du limogeage, je l’ai fait, non pas en pesant les risques, je l’ai prise parce que mon devoir me le commandait. J’ai estimé que j’en étais arrivé à ne plus pouvoir respecter mes engagements, vis-à-vis du peuple, qu’il fallait, donc, mettre fin à la situation et la seule manière résidait en ce que je me sépare des généraux. Ou ils acceptaient de partir ou ils optaient pour un coup d’Etat, et, certes, la probabilité la plus forte était pour le coup d’Etat. Quant à dire que le décret a été pris nuitamment, c’est faire preuve de mauvaise foi. Il existe un décret, signé de ma main, numéroté, qui se trouve dans les archives de la Présidence, s’il n’a pas été détruit par ceux qui sont venus, après moi. La question qui mérite d’être posée est de savoir pourquoi on accuse un président de la République, chef des forces armées, décidant de limoger des généraux, soit accusé de vouloir faire couler le sang. Pourquoi compliquer le simple? Pourquoi ne pas reconnaître que c’est celui qui refuse d’exécuter les ordres de son chef, du président de la Nation entière, qui prend les risques du bain de sang?
Le Calame : Avec le recul, n’aurait-il pas été plus stratégique de procéder par étape ?
Je viens de vous exposer les raisons qui m’ont poussé à prendre cette décision. J’ai estimé qu’à ce moment-là, un certain nombre d’officiers travaillaient, à des degrés divers, d’ailleurs, à ma déstabilisation, qui a, finalement, fini par intervenir, le 6 août. Peut-être l’envisageaient-ils autrement, sous forme de manifestations de rue, de prise de décisions, au sein du Parlement, ou du recours à l’armée, après avoir constaté que le pays était devenu ingouvernable et pour répondre à l’appel du peuple… Mais tout cela ne change, en rien, la réalité des choses : le général Mohamed Ould Abdel Aziz et, dans une moindre mesure, le général Ghazwani, ne voulaient plus de moi, comme président de la République, considérant que leur conception des choses et leur propre situation exigeaient que je ne sois plus là.
Le Calame : Que vous reprochaient, exactement, ces généraux ?
Vous voyez quel président de la République, assis avec ses généraux, pour les entendre lui dire: on vous reproche ceci ou cela? Non, c’était, simplement, qu’ils ne se sentaient plus en sécurité, avec l’arrivée du gouvernement de Yahya Ould Ahmed El Waghf. J’ai appris, ça et là, qu’ils ne voulaient pas de certains partis entrés au gouvernement ; ils craignaient que ceux de leurs membres, devenus mes proches collaborateurs, m’influencent ; ils se sont, lourdement, trompés, parce qu’à ce moment-là, j’avais une entière confiance, en eux.
Le Calame : Vous avez exprimé votre soutien à la candidature de Messaoud Ould Boulkheir. Ce soutien est-il, simplement, verbal ou allez-vous vous impliquer, personnellement, dans sa campagne, en prenant part à l’un de ses meetings, par exemple?
D’abord, mon soutien au président Messaoud n’est pas que verbal, je vous signale que ma fille est son porte-parole, elle l’accompagne, partout, c’est un engagement qui use plus que le verbe. D’autre part, je déploie tout ce qui est en mon pouvoir, pour que ce candidat gagne, je le fais dans le cadre d’une attitude générale, que je prends par rapport à ce que je ferais ou ne ferais pas, à l’avenir, dans mon pays, en tant qu’ancien président de la République. Tout cela fera que je ne me présenterais, peut-être pas, dans des meetings de campagne, mais, une fois de plus, le président Messaoud bénéficie de mon entier soutien.
Le Calame : En Afrique, les anciens chefs d’Etat, ayant goûté aux délices du pouvoir, sont, souvent, tentés de revenir aux affaires. Pensez-vous redescendre, un jour, dans l’arène politique ?
C’est là une conclusion, hâtive, que vous tirez (rires)… Disons que je ne réponds pas à votre question.
Le Calame : Certains Mauritaniens commencent à s’inquiéter du lendemain du 18 juillet, pensant qu’en cas de défaite, l’ancien responsable de votre sécurité pourrait être tenté par un nouveau coup de force. Etes-vous de cet avis ?
Effectivement, j’entends ça, et je m’en vais vous dire que je ne n’exclus pas cette éventualité. Le coup d’Etat fomenté, il y a quelques mois, a bénéficié de beaucoup d’arguments pour convaincre les Mauritaniens : ça n’a pas marché et le coup a été mis en échec, grâce aux forces démocratiques. Si, aujourd’hui, le général Mohamed Ould Abdel Aziz se hasarde à un autre, il le fera pour des raisons qu’il expliquera, à nouveau, de mille et une manières aux Mauritaniens. Mais je ne doute, pas un seul instant, que ses raisons seront rejetées, avec encore plus de détermination, par les Mauritaniens, désormais avides de démocratie.
propos recueillis à Lemden par Ahmed Ould Cheikh, Dalay Lam et Sneiba El Kory
Présence médiatique avec du texte - excellent en cette " dernière ligne droite "
ille
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