14 Septembre 1978 . 26 Septembre 1988 . 28 Septembre 1991
Ce qu’il se passait quand les militaires étaient déjà au pouvoir
Le 14 Septembre 1978, selon Jeune Afrique, le lieutenant Moulay Hachem Ould Moulay Ahmed serait placé en résidence surveillée. Il est pourtant membre du « Comité militaire de redressement national » (C.M.R.N.) qui a pris le pouvoir le 10 Juillet précédent et inauguré ainsi les trente années de régimes putschistes ou sous influence des forces armées. Mieux, c’est lui, aide de camp du Président de la République qui a signifié sa déposition à Moktar Ould Daddah : l’armée vous retire sa confiance. Première parole de la genèse d’une autre « légitimité » nationale, prévalant sur les services rendus, sur la Constitution, sur l’élection. L’officier – repentir tardif ? – aurait voulu organiser un nouveau mouvement de troupes…
Le 29 Septembre 1988, Radio Dakar annonce le décès du lieutenant Abdoul Khoudouss Ba – décès intervenu le 15 Septembre à Oualata, selon les F.L.A.M. (« Forces de libération africaine de Mauritanie »). Fort désaffecté transformé en prison et inauguré par le président Moktar Ould Daddah – à son corps défendant – de Juillet 1978 à Octobre 1979. La veille, il a été démenti : aucun dècès depuis ceux de Tène Youssouf Guèye et Ba Alassane Oumar, ce qui est admettre ces deux morts suspectes. C’est le début d’une série si sinistre de décès suspects de cadres mauritaniens, tous originaires de la vallée du Fleuve et détenus à Oualata [1], que le 27 Octobre, le pouvoir de l’époque : le « Comité militaire de saliut national » (C.M.S.N.) présidé depuis près de quatre ans par le colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, fait transféré trente-et-un détenusde Oualata à Aïoun-el-Atrous. Une mission officielle conduite par l’adjoint du chef d’état-major de la garde nationale avait mis en garde le Comité. Le 6 Novembre, l’A.F.P. annonce la mort de l’ancien ministre de la Santé, Djigo Tafsikrou. Le surlendemain, le jury du « prix de l’Afrique noire » (dont font partie Maurice Schumann, ancien ministre du général de Gaulle et Emmanuel Robles, écrivain français de premier plan) attribue le prix hors concours à Tène Youssouf Guèye, ancien de l’école William Ponty [2].
A la fin du mois, éclate une polémique publique. Le 23 Novembre, Amnesty international, citant des « sources officieuses, révèle d’autres décès sans pouvoir les dater autrement que dans les trois mois. Un journaliste Ibrahima Sarr (gendre de Tène Youssouf Guèye), l’ingénieur Moktar Sow, l’ancien ministre de l’Intérieur Mamadou Bocar. Ce que dément, après une visite de plusieurs de ses membres à Oualata, au début de Décembre, la Ligue mauritanienne des droits de l’homme. Le ministre de l’Information, Mohamed Haibtena Ould Sidi Haïba assure au contraire que la Ligue « ne ménage aucun effort pour le respect scrupuleux des droits de l’homme ». La réalité est autre (cf. Le Calame des 31 Octobre 2007, 28 Novembre 2007 et 2 Septembre 2008 – chroniques anniversaire du 28 Octobre 1987, du 28 Novembre 1990 et des 4.5 Septembre 1986 & 2.3 Septembre 1987), sous prétexte d’un soi-disant complot militaire découvert à l’automne de 1987 ayant donné lieu à parodie de procès et exécutions capitales, en écho à des agitations et quelques dépradations, le pouvoir militaire – ému de la circulation depuis Avril 1986 du manifeste du négro-mauritanien opprimé – redouble de violence contre les origines de la vallée du Fleuve et a opéré ce que, dans d’autres pays et à d’autres époques, également sinistres, on a appelé des rafles. Oualata devint un mouroir : il peut constituer un lieu de mémoire honorant ensemble le père-fondateur et ses compatriotes de la Vallée. Ce qui sera d’ailleurs une lecture réconciliée de l’histoire contemporaine de la Mauritanie, car une partie des protestataires, et le manifeste lui-même, amalgament – à tort, je crois – en un même « racisme d’Etat » dont ils ont été certainement victimes, la période du président Moktar Ould Daddah avec celle des usurpateurs militaires qui a suivi.
A dix ans de distance, les deux événements, l’un stigmatisant l’inconséquence de certains officiers s’il est avéré, l’autre – une telle série de morts de personnalités civiles, emprisonnées sans procès – ont comme point commun l’absence d’informations fiables et continues en régime militaire. Tout au plus, le 3 Octobre 1988, le président de l’association des juristes africains M° Benoît Ngom avait pu annoncer l’imminence d’un droit de visite aux détenus de Oualata : il venait de s’entretenir avec le président du Comité militaire, le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya. Les sources sont presque toujours étrangères.
Difficulté analogue, mais d’apparence moins tragique, l’apparition et le fonctionnement des partis politiques sous un régime militaire.
Selon la Constitution adoptée par referendum le 12 Juillet 1991, les partis politiques peuvent se former et fonctionner librement. Le 24 Août, le Rassemblement pour la démocratie et l’union nationale (R.D.U.N.) est autorisé officiellement. C’est le premier parti à l’être, il est dirigé par le maire d’Atar, Ahmed Ould Sidi Baba, ancien ministre (Le Monde qui donne, seul, la nouvelle ne précise pas que, ministre, il l’a été de Moktar Ould Daddah, ni qu’il est cousin de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya). Il se prononce aussitôt (Fraternité-Matin à Dakar) contre une conférence nationale en Mauritanie – procédure qui est devenue de mode, ou de nécessité politique, dans l’ancienne Afrique d’expression française depuis le discours prononcé par François Mitterrand, devant ses pairs, à La Baule, l’année précédente – et contre toute commission d’enquête indépendante sur les compatriotes originaires de la vallée du Fleuve qui ont été exécutés sans jugement en Décembre 1990. Exactement ce que peuvent souhaiter les militaires, au pouvoir depuis treize ans, sans autre mandat que celui qu’ils se sont attribué. Ahmed Ould Sidi Baba précise qu’il ne se présentera pas à la prochaine élection présidentielle, la première depuis celle qui avait eu lieu en Août 1976. Il préfère soutenir son contribule le président du Comité militaire. Celui-ci se donne, par prudence, une machine en propre : c’est le Parti républicain démocratique et social (P.R.D.S.), dirigé par l’ancien ministre de l’Intérieur, Cheikh Sid’Ahmed Ould Baba. Revendiquant de trois à cinq cent mille adhérents – il est présenté par Jeune Afrique (19 Novembre 1991) comme le « parti du pouvoir, des grosses fortunes, de l’administration mais aussi de la Mauritanie profonde, le PRDS rassemble une impressionnantes collection d’atouts. Il est le seul à diposer directement d’un journal Al Joumhouriya … ». Or, l’ordonnance organique pour les élections présidentielles prévoyant une présentation des candidats par au moins 30 des 208 maires que compte le pays, 200 maires ont aussitôt adhéré au P.R.D.S… ou 400 conseillers municipaux.
C’est le 28 Septembre 1991 que l’autorisation d’un quatrième parti politique : l’Union populaire socialiste et démocratique, dirigé par Mohamed Mahmoud Ould Mah, économiste, ancien maire de Nouakchott et secrétaire général de l’Union des économistes maghrébins, fait apparaître un mouvement authentique. L’autorisation est donnée quatre jours plus tard à l’Union des forces démocratiques (U.F.D.), précédent maintenant lointain du Rassemblement des forces démocratiques (R.F.D.). Le nouveau parti compte quatre anciens ministres : son président Hadrami Ould Khattri, qui a travaillé avec Moktar Ould Daddah, son secrétaire général Messaoud Ould Boulkheir et deux coordinateurs : Mohameden Ould Babah, champion de l’arabisation au lycée français de Nouakchott et entré comme tel dans les gouvernements du président Moktar Ould Daddah jusqu’à devenir ministre de la Défense peu avant le premier putsch, celui de 1978, et Amadou Mamadou Diop, également ministre du père-fondateur et très en vue parmi les originaires de la vallée du Fleuve. L’U.F.D. – c’est ce qui fait son authenticité et fonde son indépendance mentale vis-à-vis des militaires – succède au F.D.U.C. « Front démocratique uni des forces du changement » qui regroupait depuis le printemps – sans autorisation – six mouvements politiques dont le « Mouvement national démocratique » (M.N.D.), conduit par Ladji Traoré et Mustapha Ould Badreddine, et « El Hor » dont Messaoud Ould Boulkheir avait été au printemps de 1978 un des fondateurs. Ce Front s’était constitué par protestation contre l’arrestation – le 5 Juin – de la plupart des personnalités politiques non alliées au pouvoir militaire. Les anciens ministres avaient fait partie de la fournée, qu’ils l’aient été de Moktar Ould Daddah ou de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya…
Après que le secrétaire permanent du Comité militaire, le lieutenant-colonel Mohamed Lemine Ould Ndiayane, ait indiqué que les candidats à l’élection présidentielle n’auront finalement à justifier de la signature que de 50 conseillers municipaux, dont 1/5ème au maximum provenant de la même région – ce qui facilite les candidatures – l’U.F.D. enregistre « favorablement », mais réclame un gouvernement de transition pour une concertation politique préalable entre les partis, réviser consensuellement les réglements électoraux et les listes, fixer enfin le calendrier des scrutins. Le principal parti d’opposition réclame aussi la dissolution des conseils municipaux élus sous le régime militaire ainsi que des « structures d’éducation de masse » qui ont tenu lieu de tout mouvement politique depuis dix ans. Enfin, il s’agit de l’ouverture des médias publics aux partis sur une base égalitaire et – au total – de « baliser ensemble le chemin susceptible de garantir une transition démocratique sereine et transparente ».
On est à l’automne de 1991 qu’on croit l’aube d’une ère nouvelle pour la Mauritanie… et l’on parle déjà la langue de l’automne de 2008.
Ould Kaïge
preneur de tous documents ou informations relatifs à ces événements
– et heureux de rencontrer à l’occasion les personnes évoquées
[1] - lieutenant en 1981, Alassane Harouna Boye qui fut détenu là-bas d’Octobre 1987 à Mars 1991, en donne un témoignage saisissant : J’étais à Oualata . Le racisme d’Etat en Mauritanie (L’Harmattan . Août 1999 . 166 pages) ; il fournit notamment trois listes accablantes pour le pouvoir militaire, celle des détenus torturés le 22 Mars 1988, celle des prisonniers civils de Oualata et celle des prisonniers militaires
[2] - il est notamment l’auteur de L’orée du Sahel nouvelles, Sahéliennes poèmes, Les exilés de Gourmel théâtre, Rella ou le chemin de l’honneur roman 1985
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