Mauritanie – retour à l’exemplarité
Le pustch du 6 Août 2008 n’est pas ordinaire ni pour la Mauritanie ni pour l’Afrique : des militaires qui, proprio motu, « rectifient » leur propre « processus de transition démocratique » organisé, consensuellement pourtant, à la suite d’un précédent coup celui du 3 Août 2005, et le « rectifient » tellement qu’ils se bornent à remplacer celui qu’ils auraient voulu pour homme de paille : Sidi Ould Cheikh Abdallahi qu’ils renversent quand enfin il se rebiffe. A la place, un des leurs avérés qu’ils croient plus présentable qu’eux : Ely Ould Mohamed Vall, mais celui-ci ne bénéficie d’une certaine estime internationale que selon le faux semblant d’un engagement des militaires en 2005 de précisément ne plus intervenir. Compliqué !
En regard, la position arrêtée le 22 Septembre 2008, par le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, est limpide : les pustchistes, très peu d’officiers intimidant leurs pairs et leur imposant une solidarité de façade (pour combien de temps encore ?), sont appelés par leur nom de genre ; ils ont dix jours pour se rétracter.
Une telle décision – après des navettes du président de la Commission entre Nouakchott et Addis Abeba, et du Commissaire africain compétent – n’a été rendue possible que par la conjugaison de plusieurs éléments qui font aussi la singularité du coup militaire et de ses suites, jusqu’à présent. Il y a résistance intérieure avérée, ce qui ne s’était – malheureusement – pas produit en 1978, ni – heureusement – en 2005. Cette résistance se mesure en étudiant la chronologie des marches de soutien et des motions diverses telles que les pustchistes les ont fait publier ; elle se manifeste dans les mouvements internes du Rassemblement des forces démocratiques (R.F.D.) présidé par Ahmed Ould Daddah ; elle est surtout incarnée par la constitution d’un Front de la défense de la démocratie (F.D.D.) et par le président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, qui a eu le courage politique et l’habileté juridique de démontrer avant qu’elle ne s’ouvre, l’illégalité et donc la nullité ab initio de la session extraordinaire du Parlement. Des missions à titre personnel ou à titre collectif parcourent le monde et opposent à la thèse de la « rectification », la vérité d’un attachement des Mauritaniens à un cours régulier de leur vie politique, selon des institutions adoptées à deux reprises par referendum. Des parlementaires – français notamment, Noël Mamère et Thierry Mariani – ont accueilli entre autres ces missions et se sont désolidarisées d’une députée « vert » européenne un peu trop hâtive dans son indulgence (Marie-Anne Isler Beguin, durant ses voyages privés en Mauritanie). Il n’est pas jusqu’à la majorité parlementaire qui n’ait – par écrit – frémi en inscrivant dans la "feuille de route", adoptée le 14 Septembre, l’exigence d’une « rectification » essentielle au libellé de l’ordonnance du 11 Août : que soit maintenue la compétence législative pour les textes des futures élections…
Le scenario est donc simple. En principe. C’est celui dont Messaoud Ould Boulkheir et le Front de la défense de la démocratie, exigent qu’il soit appliqué sans aucun « correctif » et sans aucune concession. Sidi Ould Cheikh Abdallahi réintègre l’affreux palais présidentiel – hors norme et hors style pour Nouakchott – et choisit librement la suite : 1° une démission qu’il sera sans doute pressé par beaucoup de donner mais qui ne saurait lui être imposée, elle ouvrirait une élection présidentielle anticipée ; 2° une dissolution de l’Assemblée nationale lui permettant de retarder la possible constitution de la Haute Cour de justice et l’examen des comptes de la fondation « BK », mais surtout lui donnant enfin des partisans déclarés au lieu d’élus de paille manipulés par les militaires, selon le revers cynique du scenario promis en 2005. Dans cette perspective, le débat démocratique portera sans doute sur une appréciation de la politique menée depuis l’élection présidentielle de Mars 2007, elle opposera sans doute le président de la République, le Premier ministre qu’il avait nommé avant le coup, à Ahmed Ould Daddah. Leur entente – que je leur ai suggérée à chacun dès le second tour – n’aurait pas été de trop pour qu’un front des civils soit opposé aux velléités des militaires. Bien entendu – condition décisive que bien maladroitement les militaires ont refusée au Rassemblement des forces démocratiques et à Ahmed Ould Daddah qui autrement auraient participé à leur pseudo-gouvernement, en changeant beaucoup la posture au moins internationale, car à l’intérieur, les Mauritaniens n’étaient pas dupes – bien entendu, les militaires, en activité le 6 Août, sont inéligibles : Ely Ould Mohamed Vall est dans ce cas !
Les putschistes ont sans doute un autre scenario, le même depuis le changement du Premier ministre au printemps. Avec une majorité parlementaire numériquement constatée, ils traduisent en Haute Cour le président Sid Ould Cheikh Abdallahi – c’est ce qui ressort, le 19 Septembre, du point de presse (et de l’ignorance juridique) du « ministre » de la communication et des relations avec le Parlement – et celui-ci étant condamné, sa déchéance est confirmée et l’élection présidentielle de « rectification » de celle du 25 Mars 2007, peut s’ouvrir. Les compères de 2005 se passent la main, Ely Ould Mohamed Vall, nobélisable il y a trois ans ! devient le président de la République enfin acceptable. Manipulé ou pas par Mohamed Ould Abdel Aziz. Ou le manipulant. Ma grand-mère disait : « jeux de mains, jeux de vilains », ce qui doit avoir son équivalent sur le Fleuve et en hassanya…
Il se peut que ce scenario donne le change, à l’extérieur. Pas en Mauritanie-même, car la résistance intérieure – encouragée puissamment par la décision de l’Union africaine – ne cessera pas, et que deviendra probable un coup ou une tentative de coups de militaires restés silencieux mais légitimés pour agir si dans les dix jours les putschistes n’ont pas obtempéré. La guerre civile, prétendûment risquée par le « dégommage » de quelques chefs d’état-major occupés à préparer une manifestation de masse contre le président de la République, prévue pour le 10 Août, pourrait alors être effctive. Les putschistes en porteraient – totalement et exclusivement – la responsabilité.
Juridiquement, cette façade – apparentée à la « façade démocratique » peinte par Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya à partir de son discours du 15 Avril 1991 – ne tient pas. La procédure en Haute Cour suppose la constitution de la Cour, or la session qui la met en place est inconstitutionnelle, en l’état, le communiqué et la démonstration du président de l’Assemblée nationale sont imparables. A supposer que la Cour soit constituée légalement, elle n’a pas compétence pour juger une personnalité autre que le président de la République. Or, de deux choses l’une, ou bien Sidi Ould Cheikh Abdallahi est président de la République, donc justiciable de la Haute Cour – si le Parlement en décide à la majorité constitutionnelle – mais alors il ne peut être retenu prisonnier ni empêché d’exercer ses fonctions, dont celle de nommer le Premier ministre de son choix et éventuellement de dissoudre l’Assemblée nationale, s’il le juge bon. Il convient donc de le réintégrer dans ses fonctions avant de le traduire en Haute Cour. Ou bien, le président de la République a été déposé selon une décision d’un Haut Conseil d’Etat, auto-proclamé, et il est une personne physique de droit commun pour lequel la Haute Cour est incompétente.
Tôt ou tard – raisonnablement et volontairement, les putschistes abdiquent, ou ils y sont contraints par la force : celle de leurs pairs encouragés par l’ambiance de défiance internationale, celle de la rue, ou les deux conjugués. Deux institutions se seront particulièrement illustrées : la Ligue arabe si elle est vraiment représentée par son secrétaire général adjoint [1] et l’association des constitutionnalistes mauritaniens [2].
Alors pourra s’ouvrir le vrai débat mauritanien.
Ce qu’il s’est passé le 6 Août et qui a été tenté depuis – comme si de rien n’était (un flot de messages à ses « pairs » signés pompeusement par un chef d’Etat auto-proclamé même au regard de l’ordonnance du 11 Août sur les pouvoirs du Haut Conseil d’Etat, une session extraordinaire du Parlement, un vote d’investiture d’un nouveau gouvernement, la participation d’un ministre de la Justice à une réunion internationale sur les droits de l’homme alors même que des cas de torture s’avèrent et que le Sénat commence de ressembler à un commissariat de police) – montre que le 3 Août 2005 n’a pas été la rupture avec une histoire de trente ans. Celle d’une légitimité usurpée par les militaires.
Toutes les prises de pouvoir sont psychologiquement ou sociologiquement explicables – sinon, elles auraient été empêchées, celle du 10 Juillet 1978 comprise – mais il en est d’impardonnables. Celle du 10 Juillet 1978 d’abord. Car bien au-delà de la question saharienne, dont tout montre – le drame du 14 Septembre encore, par la mise en scène qu’il a permis – qu’elle n’est pas close, le problème de fond est de savoir ce qui fait la Mauritanie. En maintenant la continuité avec 1978 – que 2005 avait fait croire enfin rompue, 2008 aboutit à l’urgence et à la nécessité pour la Mauritanie de retrouver les repères qui l’avaient intimement et internationalement constituée. Le point de départ a été le discours d’investiture du président Moktar Ould Daddah, le 20 Mai 1957. La fondation s’est faite selon une détermination, un calme, un sens autant du possible que des perspectives, qui étaient le caractère d’une personnalité éminemment mauritanienne, celle du président Moktar Ould Daddah. Trait d’union entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche, ne donnant pas prise aux rapports tels que ceux qui traitent actuellement de la République Islamique de Mauritanie à la Banque mondiale sur l’état de la lutte contre la corruption [3], ou à Amnesty international sur les droits de l’homme relativement aux migrants, ou sur la torture.
Exemplaires par la manière dont ils auront su – enfin – ramener à leur juste devoir leurs militaires nationaux, les Mauritaniens auront à renouer avec le seul précédent, dans leur histoire contemporaine, d’une longue et fondatrice période d’entente, d’honnêteté qui leur valut un tel crédit international – faisant écho au rayonnement traditionnel du « pays de Chinguit ». Puisse le prochain débat démocratique – que permettra mais ouvrira aussi – le rétablissement du président de la République, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, avoir cette référence. Le passé, quand il a été beau et grand, qu’il a été évidemment national, permet l’avenir.
Mais Moktar Ould Daddah gêne encore. Même Sidi Ould Cheikh Abdallahi, faisant son éloge en privé et magnifiquement, n’a pu le faire en tant que président de la République : son hommage du 28 Novembre 2007 a porté davantage sur le Conseil militaire pour la justice et la démocratie [4]. La censure dans l’enseignement fait s’arrêter l’histoire nationale mauritanienne à 1960… tous les travestis de son leg et de son œuvre restent possibles, et les militaires ne s’en sont pas privés, ce fut même un de leurs alibis, notamment à propos des institutions initiales du pays. Il est probable que celles-ci, pourtant, répondent bien mieux à la nature de la Mauritanie et surtout à celle des Mauritaniens que des formes importées qui n’ont pas de vrais soubassements à Nouakchott et encore moins dans l’intérieur. Et Moktar Ould Daddah, en 1978, gênait probablement plus encore l’étranger que ses compatriotes : il n’y a eu aucun débat international pour accepter sa chute, son emprisonnement et ses successeurs. Alors qu’il y en a eu en 2005, et maintenant en 2008. D’ailleurs, c’est à Moktar Ould Daddah que se sont aussitôt référés ceux des officiers qui quittèrent le premier comité militaire : les lieutenants-colonels Ahmed Salem Ould Sidi et Mohamed Ould Ba Abdelkader, de glorieuse et courageuse mémoire.
Démocratie, institutions, histoire à relire, tout cela en préalable à une politique enfin efficace pour le développement. Vaste programme, aurait dit de Gaulle…
Propos d’un ami de la Mauritanien : Français, précisément nostalgique du général de Gaulle et de son legs, qui avant même d’adhérer pleinement à l’homme du 18 Juin 1940, avait eu l’honneur et la chance de rencontrer le président Moktar Ould Daddah et de voir en lui l’exemple que la sainteté en politique peut exister et qu’elle est efficace. Bien plus que moi, s’ils font retour en eux-même ou de mémoire, les Mauritaniens ont cet honneur et cette chance.
Début de réponse du pouvoir de fait à la position arrêtée par l’Union africaine et suivie par toute la « communauté internationale ». Réponse qui augure bien… selon la majorité parlementaire – selon une conférence de presse donnée au Sénat, ce qui a peu de consistance même politique et n’est pas une résolution d’hémicycle, les rangs vont-ils se clairsemer… – l’ingérence est inadmissible et mal informée : " Cette majorité est disposée à discuter de toutes les questions sauf le retour du président déchu " - " la Mauritanie ne tolérera pas la transgression de sa souveraineté " - " les résolutions du Conseil de paix et de sécurité de l'UA n'ont pas pris en compte la légalité du Parlement et la majorité écrasante des maires de communes et ont axé sur une seule composante de la légalité, en l'occurrence la présidence de la république, tout en outrepassant le reste des pouvoirs et des institutions constitutionnelles ". Symptomatique, le courage des putschistes qui font répondre par les parlementaires.
De fait aussi, si l’on admet la légalité de tout le processus en cours depuis le 6 Août, c’est le général Mohamed Ould Abdel Aziz qui est passible de la Haute Cour de Justice…
Quant à la la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance : la Mauritanie l’a ratifiée le 7 Juillet dernier, devenant ainsi le premier Etat membre à être partie à cet instrument.
Bertrand Fessard de Foucault
[1] - Mauritanie / Ligue Arabe / Rectification M. Ben Hilli: "il n'y a pas de coup d'Etat militaire en Mauritanie et l'expérience démocratique n'est pas menacée"
Le Caire, 13 août (AMI) - L'ambassadeur Ahmed Ben Hilli, secrétaire général adjoint de la Ligue Arabe pour les affaires politiques a indiqué que ses impressions après son retour de Mauritanie sont qu'"il n'y a pas de coup d'Etat militaire en Mauritanie, que la vie se déroule normalement" et que l'expérience démocratique n'est pas menacée".
Il a ajouté, dans des déclarations faites aujourd'hui, mercredi, au Caire, que "les conditions de la Mauritanie, sa stabilité et sa sécurité sont un facteur important que j'ai perçu de la part de toutes les parties prenantes". Et de relever que l'évaluation des mauritaniens des aspects sécuritaires reste un facteur important dans ces questions".L'ambassadeur Ben Hilli a souligné "l'intérêt que revêt la préservation du processus démocratique en Mauritanie notamment lorsque l'expérience émane de notre réalité".
[2] - Mauritanie / Mouvement rectificatif L'Association mauritanienne de droit constitutionnel satisfaite des engagements du Haut Conseil d'Etat
Nouakchott, 13 août (AMI)- L'Association mauritanienne de droit constitutionnel a, dans un communiqué rendu public mercredi et dont copie est parvenue à l'Agence Mauritanienne d'Information, a "enregistré avec satisfaction les engagements pris par le Haut Conseil d'Etat relatifs à la protection de la démocratie, à la préservation des institutions constitutionnelles existantes et à l'organisation des élections présidentielles dans les plus brefs délais possibles".
Cette position a été prise suite à plusieurs réunions du bureau de l'Association qui, après analyse approfondie de la situation, a débouché sur la conclusion que "les choses tendaient inéluctablement vers l'impasse en raison de l'incapacité du système à intégrer les données politiques renouvelables et son échec à pouvoir redresser ses déséquilibres".
L'Association estime également que "l'expérience démocratique mauritanienne peut produire et inventer des solutions originelles compatibles avec nos spécificités socio culturelles et le niveau de développement de notre société tout en tenant compte du rôle important de l'armée républicaine dans la pérennité des institutions de l'Etat".
[3] - PREM 4 Région Afrique – Février 2008 . Mauritanie : étude sur la lutte contre la corruption - 80 pages
[4] - A ceux parmi eux, qui sont toujours en vie et aux autres qui ont disparu, et à leur tête le leader Feu le Président Moktar Ould Daddah, je réitère aujourd'hui l'expression de notre considération et de notre fidélité.
De même, j'adresse mes remerciements à ceux qui ont dirigé le pays durant la période de transition et particulièrement aux Président et membres du Conseil Militaire pour la Justice et la Démocratie et au gouvernement de transition pour le respect des engagements dont ils ont fait preuve et pour leur contribution à l'avènement de la nouvelle ère de démocratie que vit notre pays.
(source AMI)