jeudi 28 août 2008

putsch 2008 - interrogations de fond

publié dans Le Calame éd. Nouakchott mardi 26 août 2008 - www.lecalame.mr




Mes amis, mes frères Mauritaniens, qui êtes-vous donc ?



Des manifestations de joie, des marches de soutien en Juillet 1978, en Août 2005, en Août 2008, chaque fois à la prise de pouvoir des militaires ou plutôt de leurs chefs du moment dont le collaborateur le plus proche de celui qu’ils renversent. Les régimes renversés étaient-ils – pour vous – de même genre et de même effet ? Conditions de vie, précarité de l’unité nationale, corruption d’une partie de ceux qui décidaient ? Moktar Ould Daddah, Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, Sidi Ould Cheikh Abdallahi : même tabac ?

Démocratie ? une Constitution faite en 1959 et en 1961, consensuellement entre tous les élus et les partis de vos époques de début de l’indépendance, commentée par des tournées à travers le pays, et modifiée à mesure que s’est installé – consensuellement – le parti unique de l’Etat : les élus de Mars 1959 sont ceux qui votent son institutionnalisation en Janvier 1965. Constitution appliquée mais abolie sans autre procédure qu’une ordonnance militaire. La Constitution de 1991, sans parrain connu, censée reprise de la France via le texte algérien de l’époque, un referendum pour l’adopter, un referendum pour la modifier ; des élections notoirement truquées de 1992 à 2003 la rendent illusoire, l’un de vous a la formule « démocratie de façade ». La voici enfin en application : motion de censure, demande de session extraordinaire, débat sur l’obligation ou pas qu’a le président de la République – dont l’élection n’a pas été contestée publiquement, même par le perdant – d’accéder à cette demande. La dissolution n’est pas décrétée mais l’eût-elle été que très probablement les putschistes auraient agi comme ils l’ont fait quand ils ont été dégommés. Donc, des Constitutions qui ne sont pas la loi suprême, intangible. Pas de référence de textes juridiques qui soient unanimement reconnus.

Souhaitez-vous un Etat de droit, c’est-à-dire régi par des textes indépendants de l’évaluation de leur applicabilité par quelques-uns d’entre vous, selon des circonstances objectives – guerre qui vous fut imposée au Sahara – ou personnelles – maintien dans un commandement…

A lire les discours des vice-présidents de vos chalmbres parlementaires, à lire les compte-rendus des motions en marches de soutien à travers toutes les régions, vos forces armées incarnent – et elles seules, pas du tout vos élus, qu’ils le soient légitimement ou frauduleusement – la continuité nationale, la souveraineté nationale, la légitimité. Ce sont elles qui établissent la démocratie (discours de 2005) ou la rétablissent (discours de 2008). Comment l’interpréter dans votre façon intime de penser et de raionner ? régime de force, régime avoué où ceux qui ont des armes s’imposent. Chaque peuple a connu cela au début de son histoire, la légimité est née ensuite de la durée ou des services rendus. Ou bien régime de nécessité : le bien commun, le salut public, l’urgence, la qualité des gouvernants, les forces armées en ont le secret et le délivrent, impérieusement, chaque fois que nécessaire sous vos applaudissements. Bien…

Voilà pour la façon de fonder et défaire vos régimes.

Les Français, mes compatriotes, sont venus chez vous selon des éphémérides et des motivations d’ordre général et datant d’une époque bien précise historiquement – généralité étudiée et bien connue amenant à des jugements nuancés sur les résultats économiques et sociaux mais à une contestation radicale au plan des principes et de la légitimité de tout régime de domination d’un peuple par une organisation étrangère, donc celui des miens chez vous, quoique manifestement il y ait eu grande estime mutuelle – mais aussi selon des circonstances particulières et des relations humaines contingentes qu’il reste encore à étudier pour beaucoup. Ces Français ont superposé deux organisations, la leur et la vôtre. Votre fondation en tant qu’Etat moderne a – selon ce que j’ai compris de Moktar Ould Daddah 1957-1978 et ensuite par son autorité morale et ses écrits – maintenu ce doublon par nécessité, tout en vous proposant de l’abolir progressivement en lui substituant quelque chose qui ne serait plus un dédoublement. Vous avez alors inventé avec le parti unique cette manière d’être et de faire qui me paraissait moins tenir de l’étranger, y compris marxiste, et assumer l’essentiel de vos habitudes ancestrales de débattre jusqu’au consensus, selon différents niveaux que reprenaient ceux du parti dont personne n’était a priori exclu ni personne mis dans l’obligation d’y participer – sauf pesanteurs sociologiques, tribales, familiales et de l’économie traditionnelle. Il en est resté quelque chose sous les régimes militaires avec la permanence du comité militaire et avec une instance certainement moins effective et collégiale que le bureau politique national, mais en ayant quand même les apparences. Prix : les complots, l’effusion de sang, les exécutions capitales. Une première fois, pour manifester par analogie avec l’ancienne métropole, des institutions qui vous soient propres vous aviez édifié des façades pour l’extérieur et aussi pour construire un Etat de droit : une Constitution, un gouvernement, un président de la République, un conseil des ministres, une assemblée. Pas de conflits de procédure puisque ces institutions étaient superficielles, l’Etat étant l’instrument du parti. Et le parti n’étant pas – du fait de la personne de votre fondateur, Moktar Ould Daddah – un instrument de domination personnelle, c’était un outil de participation, très évolutif et qui – sans 1978 – aurait encore évolué. La seconde fois, trente après et après déjà une longue dictature, une seconde façade pour l’extérieur uniquement a été édifiée. Elle était au contraire de la première un outil pour pérenniser un exercice acquis d’un pouvoir jusques là de fait. Les pustchistes de 2005, imitant celui qu’ils renversaient, ont cherché à vous convaincre – et l’étranger tout autant – d’amalgamer les deux périodes. Je ne sais s’ils y ont réussi pour vous, l’étranger y crut qui protesta contre la chute de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, après avoir constamment aidé sa réélection.

Alors, comment voulez-vous vous gouverner ? Une Constitution réglant tout et vous amenant à des procédures dont vous débattez sans filets ni garde-fous ? mais qui est animée par des élus dont il semble – élections parlementaires de l’automne de 2006 et présidentielle de 2007 – qu’ils aient, pour un certain nombre d’entre eux, été mis en place et soutenus par cette autorité supérieure – de fait – aux textes et aux élections, que sont les militaires ou quelques-uns de leurs chefs, intimidant leurs pairs, leurs troupes et partant l’ensemble de vous tous. Les militaires légitimés en 2008 par les parlementaires qu’ils ont recrutés en 2006, et ces parlementaires leur rendant le service de juger – après coup, c’est le cas de l’écrire – celui qu’ils avaient encouragé à briguer un poste qui ne serait – selon eux – que de façade ?

Une Constitution appliquée par des élus redevables de leur place à autres que leurs électeurs, parce que ces électeurs-mêmes sont abusés et n’ont jamais connu une réelle alternative, si tant est que l’alternative entre plusieurs candidats ou plusieurs décisions soit la démocratie, si tant est que l’alternance au pouvoir soit le critère d’une vie démocratique – et dans un pays comme la France nous ne le vivons pas très bien non plus et la langue de bois est la plus courante au sommet, le mutisme et le découragement les plus fréquents à la base… une Constitution donc – dans de telles conditions – ne peut fonctionner, elle n’est pas la règle suprême, ses acteurs sont manipulés, s’ils le découvrent ou s’en révoltent, ils sont balancés. La juridiction de contrôle constitutionnel, la Haute-Cour également, surtout maintenant, semblent de pure forme, si même elles sont saisies.

Alors quelles institutions pour vous gouverner, pour décider entre vous, pour vous représenter à l’étranger ? Un militaire ajoute à sa signature pour les télégrammes à ceux dont il veut être le pair, la mention qu’il est chef de l’Etat… Quelques thuriféraires disent que la Mauritanie donne en ce moment et périodiquement des leçons de démocratie. Lesquelles ? Il me semble que les recettes de l’étranger sont d’éventuels outils, mais partiels, quelques-uns, et que vous avez à vous déterminer et à inventer à partir de ce que vous êtes – de ce que vous étiez avant la domination française, puis pendant grâce à elle ou malgré elle, et de ce que vous avez vêcu quand tout vous paraissait assez bien marcher : votre période fondatrice à l’indépendance, selon les normes internationales en vigueur depuis seulement un demi-siècle. Peu à l’échelle de votre histoire et de vos habitudes : l’Islam, le désert, l’économie, le climat… sont vos maîtres.
Donc, ne plus déduire votre vie politique de textes alternativement abolis ou copiés ? Pourquoi pas ? et alors formuler comment – de fait – vous gouvernez. Manifestement, les gestions traditionnelles de vos collectivés locales persistent, les relations de prestige personnel ou de groupe – systématisées à tort et caricaturées par les « connaisseurs » étrangers qui y trouvent explication à tout – persistent. Mais vous avez soif aussi d’une certaine modernité tempérant les injustices ou les inefficacités de ces gestions et de ces relations, vous percevez que certains usages ne sont plus admissibles ni par vous ni par vos partenaires étrangers – qui vous connaissent mal mais ne vous jugent que par certains aspects. Il faut donc combiner les deux, l’écrire le plus succinctement possible ou en convenir clairement, que les dénominations soient empruntés à l’étranger et aux manuels de droit, ou que vous les inventiez.

Car si les changements et renversements – avec des dénominations dont la pudeur confirme que leurs initiateurs ne sont pas mentalement très contents de leurs apparences : le « mouvement rectificatif », prétentions à la science politique exacte qu’avaient les régimes marxistes – sont des événements de contrainte pure et simple, et donc des ruptures successives au lieu d’évolutions délibérées, les manières ensuite sont toujours les mêmes. Même s’ils proclament au début de leur coup le contraire, les militaires, leurs quelques chefs sur le pavois, cherchent de 1978 à 2008 à se maintenir au pouvoir, quitte à concilier avec des apparences autres : abandon de certaines appellations ou des unformes, gouvernement civil mais présidence militaire. Dernière formule, des élus à eux, y compris le premier d’entre eux. Ils s’attribuent tous la stabilité, le « retour à la démocratie » ou plutôt l’instauration de la démocratie. Journées consensuelles d’Octobre 2005, exploitation d’une majorité parlementaire plus docile aux militaires qu’aux hiérarchies constitutionnelles, il s’agit de parvenir à un consentement apparent des élites. Elites élues ou pas, mais généralement reconnues comme telles. La question saharienne, il y a trente ans et peut-être à nouveau demain, montre les limites de tout ce qui est formel : referendum toujours discutable en pratique des votes et en discernement des électeurs légitimes, décisions de conseils de notables ou djemaa contestées par d’autres ou inspirées par les administrations du moment, interférences des Natios Unies, de l’étranger et maintenant de l’organisation continentale africaine, la Ligue arabe, de l’Organisation islamique, etc… toujours sont appelés le bon sens, le réalisme, ce qui équivaut tantôt à la reconnaissance des faits accomplis y compris par la force, tantôt à un accomodement général où la force n’est que l’une des parties en cause.

Pratiquement, il vous faut de la représentation et de l’exécution. Voulez-vous que ce soit une Constitution ? comment concevez-vous les élections ? qu’est-ce qu’être assez informé chez vous pour choisir des gens et des programmes ? vous êtes assez peu nombreux pour avoir l’avantage de vous connaître les uns les autres. La représentation est-elle un contrôle ? Y a-t-il besoin de contrôles en politique, pour vous ? le droit écrit vaut-il mieux que les jurisprudences ou la simple équité ? faut-il une majorité et une opposition ? ou bien ne préférez-vous pas de tous temps le consensus, même s’il vous amène au confirmisme ? ou à des erreurs ? Ces acclamations et ces élections – pour l’étranger, contraduictoires – ne sont-elles pas votre expression d’un mal-être persistant ? parce que vous n’avez pas trouvé ni vos institutions, ni un animateur, un inspirateur, un arbitre et garant, quel que soit son titre, qui soit moralement et politiquement fort, sans nécessité de la force armée, qui ait une vision et cette forme de charisme qui n’est pas l’éloquence (et la langue de bois) européenne ni le prêchi-prêcha américain (couvrant l’hégémonie et de forts intérêts particuliers). Votre expérience historique montre que les cooptations valent quand elles sont libres. Comment les organiser ? faut-il qu’elles soient renouvelables et à quel terme ?

Il m’a également semblé que la spécialisation d’institutions, les unes pour délibérer, d’autres pour décider, pour exécuter, d’autres encore pour contrôler, faire contrepoids ne valait pas. Vous avez quand vous êtes d’accord entre vous, vous savez quand votre droit local ou national, votre patrimoine moral, vos biens sont menacés, vous croyez aux échanges et à la discussion. C’est cela qu’il faut organiser.

Les régimes de force, chez vous, selon votre histoire depuis trente ans appellent la force, le complot, le soupçon et le dérèglement mental de ceux qui prétendent vous diriger. La corruption et la débrouille correspondent aux systèmes autoritaires, en général. Chez vous, ils correspondent aussi aux régimes sans nom. Vous aimez savoir qui dirige, celui qui avait été élu en Mars 2007 vous semblait ne pas diriger, vous attendiez qu’il se révolte et dirige, mais quand il l’a fait, vous n’avez pas donné tort à ceux qui l’en ont puni.

Je crois au droit public et au respect de ce que posément et par avance on a décidé comme procédures et partage des rôles, mais je suis né dans un pays où l’on en a l’habitude, même si – ces temps-ci – la démocratie pour des raisons qui ne tiennent pas seulement à l’actuel président de la République française, me paraît de moins en moins effective, de plus en plus nformelle. Les dictatures sont toujours consenties à leur instauration. Peut-être donc le droit public, la démocratie et les droits de l’homme selon des écrits et des jurisprudences ne sont pas du tout ce qui vous convient. Je croyais que si et que vous pourriez même y ajouter par un sens pratique, qui est parfois de l’humour, en tout le discernement des comportements sincères au contraire des mimétisme. Maintenant, je ne sais plus. Je peux comprendre que vous approuviez les dénouements – même brutaux et sans légalité – pourvu que ce soit des dénouements : votre histoire de trente ans montre cependant que ce ne fut jamais le cas. Le mieux masqué de vos militaires s’incrusta pendant vingt ans. Cela vous guette, cette fois sans masque, et presque dit d’entrée de jeu. Mais je ne comprends pas du tout ce conformisme, ce décalque de toutes les déclarations depuis le mercredi 6 Août après-midi. Rien apparemment ne vous y oblige que le souci de ne pas vous distinguer ? j’en suis réduit à recenser les silences, et à considérer comme réfractaires ceux d’entre vous qui ne se manifestent que tardivement ou conditionnellement. C’est compliqué pour un étranger, même votre ami, que vous accueillez si souvent – depuis quarante-trois ans – en frère.

Expliquez-vous, je vous en prie.

Si je pouvais vous entendre, vous écouter, puis vous questionner – tranquillement, en tête-à-tête – vêtu comme vous et ayant du temps comme vous savez me l’accorder quand je suis avec vous, qui que vous soyez, quel qu’ait été votre rôle, il me semble que je comprendrais. Mais pour l’heure, je n’entends – de loin – qu’un seul texte, sidérant à son premier énoncé et récité depuis par tous – vous tous ? – pour soutenir le fait accompli, le génie de son inspirateur … comme s’il n’y aait aucun précédent, comme si vos périodes de consenus depuis trente ans, c’était le changement par les militaires. Faut-il que j’y crois ? pour rester proche de vous, à votre écoute ?

J’aurais apprécié que le communiqué de Messeoud Ould Boulkheir soit publié par l’Agence mauritanienne d’information, ce qui – sauf erreur de ma part – n’a pas été encore le cas. Et s’il doit y avoir un procès de Sidi Ould Cheikh Abdallahi, en Haute-Cour de Justice, j’aimerais faire partie de ses avocats pour lire le dossier et voir comment – nouveauté – vous jugez formellement l’exercice du pouvoir politique moderne selon des textes de droit.

Je crois enfin que vous ne pouvez vous contenter – chacun et en tant que peuple constitué par une ratification de ce que l’histoire a fait de la géographie par vos alliances et vos solidarités, une ratification qu’avait si bien exprimée et mise en forme Moktar Ould Daddah – d’attendre continuellement que vos dirigeants du moment soient évalués par la seule suite des événements qu’ils ont provoqués.

Mais, me direz-vous peut-être… est-ce que cela vous regarde ? Je réponds, oui. Parce que vous m’avez paru quand j’avais vingt ans un grand peuple, des gens beaux et vrais et qu’à chacun de mes moments chez vous, je ressens la même certitude. Si ce moment est une période de dictature ou d’attente, je me dis que vous valez mieux qu’un régime vous traitant mal, mieux que votre attente.

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