publié par Le Calame du 19 août 2008
L’ordonnance
du 11 Août 2008
régissant les pouvoirs du
Haut Conseil d’Etat :
analyse comparative avec les
chartes militaires précédentes :
la dictature a ses
institutions
En
cinquante-et-un ans d’autonomie interne puis d’indépendance, la
Mauritanie moderne, à quelques mois près, a plus longtemps vêcu
sous la présidence de militaires que d’un civil. Ses pouvoirs
publics constitutionnels ont déjà été régis pendant quinze ans
par des textes imposés à la suite de putschs ou de purges internes.
Comme n’apparaît aucun engagement de calendrier pour le
rétablissement de l’ordre antérieur au coup du 6 Août 2008 ou
pour l’adoption d’une nouvelle Constitution, il est utile de
savoir les règles que se donnent les militaires pour exercer le
pouvoir : cela peut durer… A la lettre des textes s’ajoute
la jurisprudence des directoires militaires précédents. Deux
remarques valant pour tous : 1° les textes imposés par les
militaires sont plus instables que ceux adoptés par le Parlement ou
directement par le peuple ; 2° c’est un règlement intérieur
qui décrit le fonctionnement de l’organe de décision et sa
composition varie entre la cooptation à l’origine du 10 Juillet
1978, du 3 Août 2005 et du 6 Août 2008 à des participations de
droit tenant à l’emploi militaire occupé sur nomination du
président régnant lequel cumule les pouvoirs militaires avec les
pouvoirs d’Etat. Le collège est alors à la discrétion d’un
seul homme.
Pas
moins de sept « chartes constitutionnelles » ont affirmé
que « conscientes
de leurs responsabilités devant le peuple, les Forces armées ont
pris le pouvoir, le 10 Juillet 1978, pour sauver le pays et la nation
de la ruine et du démembrement, et pour sauvegarder l’unité
nationale et l’existence de l’Etat »
(20 Juillet 1978 1
modifiée le 19 Mars 1979 - 6 Avril 1979 - 4 Janvier 1980 - 12
Décembre 1980 - 25 Avril 1981 - 12 Décembre 1981 - 9 Février 1985
2…).
La charte du 6 Août 2005 3
a un préambule tout différent : « les
Forces armées et de sécurité ont pris devant le Peuple
mauritanien, le 3 Août 2005, l’engagement de créer les conditions
favorables à un jeu démocratique ouvert et transparent et de mettre
en place de véritables institutions démocratiques, à l’issue
d’une période transitoire n’excédant pas deux (2) ans. »
4.
Adoptée le 11 Août 2008, l’ « ordonnance
constitutionnelle régissant les pouvoirs du Haut Conseil d’Etat »
ne s’intitule plus charte : elle proclame que
« Les
forces armées et de sécurité, par l'intermédiaire du Haut Conseil
d'Etat, ont mis fin au pouvoir du président de la République
investi le 19 avril 2007, et ont décidé de prendre les dispositions
qui s'imposent, en vue de garantir la continuité de l'Etat et de
superviser, en concertation avec les institutions, les forces
politiques et la société civile, la tenue d'élections
présidentielles permettant de relancer le processus démocratique
dans le pays et de le refonder sur des bases pérennes.
Elles
s'engagent devant le peuple mauritanien à organiser, dans une
période qui sera la plus courte possible, des élections libres et
transparentes qui permettront, pour l'avenir, un fonctionnement
continu et harmonieux de l'ensemble des pouvoirs constitutionnels.».
La
pétition de démocratie – à venir
– n’avait figuré que dans des déclarations politiques des
Comités militaires de 1978 à 1985, elle est édulcorée dans le
texte de 2008, elle n’est fondamentale qu’en 2005. En revanche,
le
concept de légitimité,
qui, de 1978 jusqu’à aujourd’hui, donne le motif explicite des
prises militaires du pouvoir, et que le propre aide-de-camp de Moktar
Ould Daddah eut le douteux privilège d’énoncer le premier – et
à qui de droit (on ne sait pas encore comment il a été formulé à
Sidi Ould Cheikh Abdallahi le 6 Août dernier) – apparaît dans la
seconde charte, celle du 6 Avril 1979, correspondant au court
exercice du pouvoir, en tant que Premier ministre, par le
lieutenant-colonel Ahmed Ould Bousseif. « Confiantes
en la toute-puissance d’Allah
(les Forces armées s’affirment) dépositaires
en dernier recours de la légitimité nationale. »
5
Les règlements intérieurs du Comité pendant la première période
militaire (1978 à 1991) affirmaient même que celui-ci « est,
par la volonté des forces armées dont il est l’émanation, le
seul dépositaire de la souveraineté et de la légitimité
nationale »
6.
Cette logique – conduisant à une conception inusuelle de l’ordre
constitutionnel – n’a pas été confirmée par la Constitution de
1991, adoptée par referendum (son article 2 dispose en effet que
« le
peuple est la source de tout pouvoir »).
Elle inspire, ces jours-ci, le nouveau pouvoir puisque le président
de la République est réputé avoir « tenté de faire un coup
d’Etat contre la démocratie » du seul fait qu’il
pourvoyait aux commandements principaux de l’armée et à la
direction de son état-major particulier…7
L’intervention pour éviter « le démantèlement du pays »
en 2008 fait écho à celle de 1978 « pour sauver le pays du
démembrement ». Alors même que l’article 8 de l’ordonnance
du 11 Août 2008 dispose que le Parlement et la Haute Cour de justice
entre autres « continuent d’exercer leurs compétences
conformément aux textes les régissant », la procédure de
mise en accusation du président de la République, organisée par le
titre VIII (art. 92 et 93) de la Constitution de 1991, est évidemment
méconnue par l’article 2 de la même ordonnance : « Il
est mis fin aux pouvoirs du président de la République investi le
19 Avril 2007 ».
La première des chartes militaires (1978) avait été plus franche :
« article
premier – Les dispositions de la Constitution du 20 Mai 1961 se
rapportant à l’organisation et à l’exercice du pouvoir
législatif et du pouvoir exécutif sont abrogées »,
ce qu’avaient repris les textes militaires jusqu’à celui de 1985
compris. Au contraire, la Charte de 2005, prévoyait que « les
dispositions de la Constitution du 20 Juillet 1991, y compris le
préambule, relatives à l’Islam, aux libertés individuelles et
collectives et aux droits et prérogatives de l’Etat sont
maintenues. Les autres dispositions de la Constitution du 20 Juillet
1991 sont réaménagées et complétées par les dispositions de la
présente Charte constitutionnelle ».
La même Charte de 2005 n’avait rien disposé pour le président
renversé mais elle avait « mis fin aux pouvoirs du Parlement
élu en Octobre 2001 » (article 3), déni du même ordre que
celui de 2008 pour l’élection présidentielle de Mars 2007. Celle
de 1979 avait (art. 2) décidé la dissolution du Conseil consultatif
national institué par ordonnance du 29 Mars 1979 à l’initiative
de Mustapha Ould Mohamed Saleck. Celle de 1981 revenait sur le projet
de Constitution, publié le 17 Décembre 1980 qu’un referendum
aurait adopté s’il n’y avait eu la tentative du 17 Mars 1981
contre son promoteur, Mohamed Khouna Ould Haïdalla, nommant en même
temps, pour la première fois sous le régime militaire, un Premier
ministre (charte de Décembre 1980).
L’innovation
– ingénieuse – de l’ordonnance du 11 Août est d’instituer –
en théorie – une présidence collégiale provisoire de la
République. En
effet, l’ensemble des pouvoirs publics et de leur organisation
constitutionnelle est maintenu, y compris les fonctions de président
de la République mais l’exercice de celles-ci est confié au Haut
Conseil d’Etat (article 2). Celui-ci s’organise à la manière
des comités et conseil qui l’ont précédé. Le chef des
putschistes signe la première ordonnance qui fonde le nouveau
régime. Quand le pouvoir change de main au sein du comité militaire
– en Avril 1979, en Janvier 1980, en Décembre 1984 – aucun
procès-verbal de vote n’est rendu public, puisque le scrutin est
censément secret. Le même chef prend – d’abord subrepticement
et sans texte – le titre de chef de l’Etat ; c’est le cas
ces jours-ci : alors que l’ordonnance constitutionnelle ne le
prévoit pas, les dépêches de l’Agence
mauritanienne d’information
le donne au général Mohamed Ould Abdel Aziz comme elles l’avaient
donné au colonel Ely Ould Mohamed Vall, les télégrammes de
félicitations aux « homologues » en portent aussi la
mention. En 1978, il ne s’agit que de la « présidence du
gouvernement » (art. 11) en même temps que celle du Comité.
« Le Président du Comité militaire de salut national est le
chef de l’Etat » à partir de 1979 (art. 10 des chartes de
1979 à 1981, art. 9 de la charte de 1985). Il n’est responsable
que devant le Comité (art. 9 de la Charte de 1985, exercice du
pouvoir par Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya) : disposition ne valant
auparavant que pour le Premier ministre (art. 12 de la Charte de
1979, Ahmed Ould Bousseif nommé à ces fonctions, et art. 15 de la
Charte de 1980, dyarchie favorisant en fait mais sans responsabilité
Mohamed Khouna Ould Haïdalla à telle enseigne que la Charte de 1981
ne prévoit plus de responsabilité du Premier ministre que devant le
chef de l’Etat). Le système de 2005 et de 2008 est une double
responsabilité du Premier ministre devant le directoire militaire et
devant son président (art. 6 des deux textes), ce dernier n’étant
responsable
devant aucune instance militaire ou politique,
sauf disposition ultérieure... C’est le règlement intérieur qui
prévoit depuis 1979 (art. 6) que le président du Comité ou du
Conseil peut être démis au scrutin secret et à la majorité des
2/3, disposition reprise en 2005 (art. 10). Il faut attendre la
publication d’un tel texte pour savoir si elle sera valable pour la
troisième période militaire, mais ce sera aussi théorique que
durant la première puisque la succession de Mohamed Khouna Ould
Haïdalla par Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, longtemps son Premier
ministre, se fit par la force : le 12 Décembre 1984, devenant
un anniversaire officiel au même titre que le 10 Juillet et le 28
Novembre…
Le
principe est la collégialité :
« les
Forces armées exercent par l’intermédiaire du comité… du
conseil… du Haut Conseil d’Etat… les pouvoirs nécessaires pour
la conduite de l’Etat »(art.
2 Charte de 2005 – celle de 2008, art. 1er
ajoutant la réorganisation et la conduite de l’Etat). Les chartes
de la première période militaire disposaient plus sobrement que
« les
Forces armées nationales exercent le pouvoir par l’intermédiaire
du Comité militaire… »
(art. 3 de 1978 et de 1979, 2 de 1980 à 1985). Jusqu’à cette
troisième période militaire qui vient de commencer, le pouvoir
exécutif (art. 9 des chartes de 1978 et de 1985) était détenu par
le président du directoire militaire (sauf selon les chartes de 1979
et de 1980 le réservant au Premier ministre) et celui-ci exerçait
« par voie d’ordonnance le pouvoir législatif » (art.
4 charte de 1978 et de 1979, art. 3 chartes de 1985 et de 2005).
L’ordonnance de 2008 dispose au contraire que « le
Haut Conseil d’Etat exerce le pouvoir exécutif »
(art. 5) et que « les
mesures de force législative nécessaires à la garantie de la
continuité des pouvoirs publics et à la garantie de la liberté et
de la transparence des élections présidentielles prévues »
ne sont prises par le Haut Conseil d’Etat qu’au cas où « pour
des raisons quelconques, le fonctionnement du Parlement est entravé »
(art. 8), hypothèse d’une résistance de la minorité que pourrait
inspirer Messeoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée
nationale, alors que 109 parlementaires ont déjà fait publiquement
allégeance. Cela peut se lire cependant comme une compétence des
militaires en dernier ressort pour l’organisation des élections et
pour l’essentiel de la législation, ainsi qu’un exercice de fait
de l’exécutif par le seul président du Haut Conseil puisque –
seul – ce dernier signe « les actes relevant du Haut Conseil
d’Etat » (art. 5).
Les
pouvoirs d’urgence, à la discrétion du président du Comité, ne
sont institués que par une modification, le 19 Mars 1979, de la
Charte de 1978 : un nouvel art. 13 repris jusqu’en 1985. Les
militaires, versions 2005 et 2008, sont plus francs : ayant le
pouvoir, ils ont naturellement celui des crises aussi, un texte
serait superflu.
La
relation entre le directoire et son président est évidemment
l’essentiel pour le fonctionnement des pouvoirs publics en période
militaire.
La composition du collège se fait par cooptation, en théorie (art.
3 de l’ordonnance de 2008 reprenant art. 4 de la charte de 2005,
repris d’art. 6 de la charte de 1978 et 5 de celles de 1980 à
1985). Le règlement intérieur prévoit depuis sa version du 28 Mai
1981, reprise en 1985 et en 2005, des membres de droit 8.
Or, ceux-ci sont tous nommés par le président du comité ou du
conseil militaire… en tant que chef de l’Etat, et la clause
d’exclusion du comité ou du conseil à la majorité des deux tiers
n’a pas de sens s’il s’agit de membres de droit. Pas plus que,
de 1980 à 1991, la disposition du règlement intérieur selon
laquelle « le
Comité militaire de salut national est inamovible tant qu’un
pouvoir civil issu d’institutions démocratiques n’aura pas été
mis en place ».
La périodicité de réunion du collège militaire a varié depuis
la première période : 1° session ordinaire tous les quinze
jours selon la charte de 1978, seulement tous les trois mois à
partir de 1980 jusqu’en 1991, et selon les textes de 2005 et de
2008 ; 2° « session
extraordinaire sur convocation du président, après approbation du
comité permanent ou à la demande du tiers de ses membres »
(art. 8 de la charte de 1978, repris par toutes les chartes
postérieures). Un comité permanent – manifestement repris de
l’organisation du Parti du peuple mauritanien de 1961 à 1975 –
était de surcroît prévu par les chartes de 1978 à 1985, se
réunissant tous les quinze jours. Il n’existe plus dans la
deuxième et la troisième période militaires : la
collégialité est donc une pure façade,
puisque les militaires ne se réunissent à leur « sommet »
qu’une fois par trimestre. Militaires qui avaient inventé la
« démocratie de façade », version 1991 à 2005, le
putsch de 2008 produisant rétrospectivement une
singulière interprétation de leur rétablissement des libertés et
de leur organisation des élections démocratiques
en 2007 9.
La dictature a ses institutions.
Bertrand
Fessard de Foucault
1
- abusivement datée du jour du renversement du président Moktar
Ould Daddah, le 10 Juillet 1978, elle n’a été publiée que le 20
Juillet et ne figure au J.O.-R.I.M. qu’à la date du 26
2
- avec la cocasserie, cf. J.O.-R.I.M. 27 Février 1985, p. 112 –
que le putsch originel est daté du 10 Mai et non du 10 Juillet 1978
3
- le coup du 3 Août 2005 mettant fin au régime du colonel Maaouyia
Ould Sid’Ahmed Taya ne produit sa charte que le 6 … dont ainsi
le putsch de 2008 fête exactement le troisième anniversaire
4
- contrairement à toutes celles de la première période militaire,
la charte du Conseil militaire pour la justice et la démocratie se
précise comme « définissant l’organisation et le
fonctionnement des pouvoirs publics constitutions pendant la période
transitoire »
5
- J.O.-R.I.M. 25 Avril 1979, p. 223
6
- J.O.-R.I.M. 30 Mai 1979, p. 241 – 23 Septembre 1981, p. 408 –
27 Mars 1985, p. 149
8
- notamment le chef d’état-major de chaque arme, les commandants
de région militaire, les militaires membres du gouvernement, le
directeur général de la sûreté nationale, le ou les secrétaires
permanents du comité ou du conseil – le Premier ministre sous
Mohamed Khouna Ould Haïdalla
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