lundi 13 juillet 2015

l'affaire Daddah fils contre père * par le Pr Zekaria Ould Ahmed Salem - que rapporte Vlane


 

http://chezvlane.blogspot.com/2015/07/toute-laffaire-daddah-fils-contre-pere.html


Toute l'affaire Daddah fils contre père * par le Pr Zekaria Ould Ahmed Salem

Hier, sous l’article «  encore un coup azizien :connaissez-vous l’histoire émouvante du ministre de la justice ?»,  j’ai reçu un commentaire anonyme disant juste  qu’« un livre sur le droit musulman de P. Blanc commente cet arrêt du tribunal mauritanien reconnaissant la paternité, une première dans le pays de la vertu »

En deux clics, on retrouve un livre qui donne toute la dimension juridique de l’affaire, il s’agit du livre de Zekaria Ould Ahmed Salem « Prêcher dans le désert : islam politique et changement social en Mauritanie ». Tout y est. 

Il en sort que le père a dû subir l’enfer car rien ne lui a été épargné. A l’époque il n’était pas encore question d’avoir recours à l’ADN pour régler ce genre d’affaire.

Ould Ahmed Salem « Prêcher dans le désert : islam politique et changement social en Mauritanie ». Tout y est. 

Il en sort que le père a dû subir l’enfer car rien ne lui a été épargné. A l’époque il n’était pas encore question d’avoir recours à l’ADN pour régler ce genre d’affaire. Le père a donc eu droit à des témoignages pour majorité, selon l’auteur,  délivrés par des témoins d’origine servile et fondés sur des ouï-dire. C’était sa parole contre la leur.

D’abord on apprend que l’arrêt de la cour suprême date non pas des années 70 comme le pensent certains mais de 1989 ! et cet arrêt stipule, selon l’auteur, que «  Si la femme esclave désigne un seul témoin pour faire reconnaître les relations du maître avec elle, ou désigne deux femmes pour faire reconnaître sa paternité sur l’enfant né de ses relations avec le maître, le serment du maître, dans ce cas, est comparable à celui d’une esclave ».

Nous sommes sous Taya.  A propos de cette affaire, il faut lire tout le passage du livre du professeur Zekaria Ould Ahmed Salem que nous reproduisons ou ne rien lire sinon on passe à côté des enjeux car pour le plaignant, devenu aujourd'hui ministre de la justice, P12  «  si la justice ne le reconnaissait pas comme le fils d’Abdallah Ould Daddah, outre les effets psychologiques et sociaux individuels, cela pouvait frapper le fils d’une série d’incapacités liées à la situation d’esclave, la condition servile se transmettant par la mère. Sa mère décédée au moment de l’arrêt, étant considérée comme esclave, il était lui-même considéré comme « esclave » jusqu’à l’établissement de sa filiation avec le maître de sa mère. Mais il est vrai que cette menace était virtuelle dans ce cas précis. Reconnu depuis sa naissance par la plupart des membres de la famille de son père ( la famille Daddah ), respecté dans la société une fois adulte, matériellement aisé et sans aucun doute plus riche que son père, l’intéressé avait également pu disposer de fatwas d’oulémas reconnus, d’ailleurs utilisées indirectement dans cet arrêt, qui l’avaient conforté dans la légitimité de son action. Il s’agissait aussi pour Brahim Ould Daddah de « laver l’honneur » et la mémoire de sa mère. Ayant affirmé toute sa vie durant la véritable filiation de son fils, Maria Mint Al-Manfou avait en fait toujours revendiqué le statut de « concubine servile » comme un droit garanti et reconnu par la charia »

P2 : « Chapitre VI Inégaux devant Allah
Charia , statuts personnels et changement social

Dans un arrêt rendu le 30 septembre 1989, la Cour suprême de la République Islamique de Mauritanie avait tranché un cas de reconnaissance de paternité au profit du plaignant, Brahim, avocat réputé de 37ans. L’intéressé poursuivait depuis plusieurs années son père Abdallah Ould Daddah, à l’époque ambassadeur en poste à Washington. Nonobstant la notoriété des protagonistes, le dossier aurait été parfaitement banal  si l’enfant n’avait été conçu avec la femme esclave que « possédait » le père et surtout si la Cour suprême ne semblait pas prendre pour légalement acquise la propriété et le concubinage serviles. En effet, le père reconnaissait être le « propriétaire » de la mère de l’enfant, mais niait l’avoir eue pour concubine. Or la plus haute juridiction du pays avait rendu un jugement par définition sans appel sur la base du fiqh malikite, sans faire référence  ni à l’illégalité même de la propriété servile à l’époque de la conception de l’enfant, au début des années 1950, ni même au décret d’abolition de l’esclavage adopté en 1981 sur la foi d’avis juridiques ( fatwas) dûment tirés… de la charia.

Analysant ce jugement, le juriste François-Paul Blanc en conclut que «  la Mauritanie, qui se voulait à la fois démocratique et confessionnelle pouvait difficilement proposer, s’agissant de l’esclavage, une réponse qui aurait satisfait à la l’égalité républicaine à la française et l’inégalité structurelle façonnée tout au long des siècles par l’islam ». Pourtant des cas concrets, et ce pour une série de raisons. D’abord, elle ignore superbement le succès de l’abolition dans tout le monde musulman en particulier dans les pays où «  l’application de la loi islamique «  est autrement plus accusée qu’en Mauritanie, comme c’est le cas en Arabie Saoudite. D’ailleurs, l’abolition de l’esclavage en Mauritanie a été appuyée sur des arguments tirés de la charia ( cf chapitre 4 ) et, en 2011, au moins un cas de condamnation pour « faits d’esclavage » a été prononcé par la justice au demeurant toujours «  islamique ». Ensuite, supposer que l’application de la charia  est un acte purement juridique que l’Etat en Mauritanie s’est montré peu désireux ou incapable de mettre en œuvre dans la pratique, pour trois raisons fondamentales qu’il convient de rappeler.

La première raison tient au fait que la charia n’est pas une table des lois définitivement fixée et directement applicable. Comme l’ont monté de nombreux travaux, que j’examinerai plus loin, la « loi d’Allah » n’existe que dans la mesure où il s’agit surtout d’un code moral et éthique dont la traduction en règles juridiques reste particulièrement complexe.

La deuxième raison, étroitement liée à la première, réside dans le fait que se proclamer islamique pour une république n’a pas de conséquences juridiques automatiques sur la base desquelles on peut inférer une série de conséquences concrètes prédictibles. En Mauritanie, si « l’application de la charia » est autrement plus délicate., c’est parce que la volonté  de codification ou de mise en oeuvre des «  lois islamiques » n’est pas inscrite à l’agenda politique des pouvoirs en place, par ailleurs particulièrement instables et changeants. Et, de toute manière, dans les régimes non théocratiques où elle a été entreprise, une telle «  application » génère souvent une subordination subtilement  orchestrée des normes islamiques au droit positif ou à la volonté politique de l’Etat. C’est ce qu’ont montré , entre autres, Nathalie Bernard-Maugiron et Baudouin Dupret pour le cas de la Haute Cour constitutionnelle égyptienne lorsqu’elle a incorporé les principes de la charia dans le droit positif, à la fois pour en limiter les effets et pour les utiliser comme éléments de légitimation.

La troisième raison est sociale et tient au fait que la société mauritanienne ne recourt qu’exceptionnellement à l’arbitrage de la justice, en particulier là où le recours aux dispositions « islamiques » est le plus courant, à savoir en matière de statut personnel. Outre leur répugnance à étaler leur vie privée devant les tribunaux, les acteurs sociaux sont bien souvent, et à juste titre, sceptiques quant à l’efficacité du système judiciaire comme lieu de médiation sociale. Il y a une quasi-paralysie du service public de la justice et  une nette déconnexion entre les décisions juridiques et le règlement des contentieux à en juger par le trop faible taux d’exécution  des décisions de justice en général, et le recours abusif au sursis à exécution en particulier. En tout cas, en matière de statut personnel, la justice d’Etat aussi bien que le législateur de façon générale ont souvent choisi de ne pas choisir de jurisprudence.

UNE JUSTICE ISLAMIQUE AMBIGUË ?

L’Etat mauritanien a toujours trouvé son compte dans la relégation des affaires de statut personnel dans le domaine arbitral privé régi de façon informelle par les familles, les cadis, les muftis et les oulémas. Dans ces conditions, la catégorie « esclave » est rarement présente dans les contentieux juridiques les plus courants. Le cas échéant, la justice s’efforce de classer les dossiers sans suite ou de requalifier les termes du contentieux de manière à faire disparaître toute référence à l’esclavage. Et lorsque les cas les plus inextricablement litigieux sont enrôlés par la justice, les autorités parrainent en général un règlement à l’amiable, adoptent le statu quo ou produisent un jugement consensuel.

Cette situation, même si elle trahit l’inféodation de la justice au gouvernement, présente « l’avantage » d’offrir une échappatoire à l’autorité politique. Or cette stratégie d’évitement n’est pas tant dictée par l’existence d’une loi islamique fatalement esclavagiste, mais par le souci de l’Etat de ne pas reconnaître son échec à éradiquer les rapports serviles. Elle permet, par ailleurs, de ne pas trancher le problème de la codification de la charia et donc d’échapper à l’obligation de choisir entre les écoles de jurisprudence et les options qu’elles offrent. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les conditions épiques dans lesquelles s’est déroulé le processus d’adoption d’un code du statut personnel. Engagé au tout début des années 1960, relancé en 1990, ce projet n’avait été adopté sous forme de loi qu’en 2001. Mais, surtout, le texte finalement promulgué est un objet juridique hybride et inutilisable. Dans la version finale, aucun  des termes juridiques techniques tirés du Fiqh n’est défini ni même traduit dans une autre langue que l’arabe, comme en témoigne la version « française » de la loi. Certes, les dispositions juridiques du droit malikite mentionnant le « concubinage servile » par exemple n’y figurent pas. En revanche, elle n’en sont pas absentes totalement puisque le texte stipule en dernière analyse qu’"en cas de difficulté d’interprétation du présent texte, il est fait référence aux enseignements de l’opinion dominante du rite malikite ", ou encore que « pour combler les lacunes de cette loi, il est fait référence aux enseignements de l’opinion dominante, l’Etat choisit de ne pas le faire.

Mohamed Al-Mokhtar Ould Bah considère que cette ambiguïté visiblement constante dans l’attitude de l’Etat postcolonial, vise à « se décharger sur le juge pour opérer une orientation tendant à moderniser le fiqh et réaliser ainsi dans le cadre du pouvoir judiciaire les réformes que le législateur hésite lui-même à énoncer d’une façon expresse ». Mais ce constat suppose une séparation des pouvoirs qui existe d’autant moins que l’administration dicte toujours en fin de compte le verdict final. Il est bien plus pertinent  de soutenir que l’Etat évite, ce faisant, non seulement d’ouvrir les débats sensibles, mais aussi de faire face aux implications sociales et politiques de tels débats. En pratique, cela permet aux autorités de garder la possibilité d’orienter dans le sens qu’elles veulent les cas individuels les plus épineux.

Pour la justice, tout l’enjeu est dès lors d’utiliser des catégories que l’Etat ne reconnaît pas, mais que le fiqh malikite prévoit, sans donner l’impression de reconnaître l’institution servile. Or cet enjeu n’est pas religieux ou juridique, mais politique. Dès lors, il devient intéressant d’observer comment l’Etat, à travers les décisions de justice, tente de contrôler par des voies parfois obliques toute instrumentalisation sociale de certaines catégories «  islamiques » controversées, mobilisées par les parties prenantes à des procès de manière manifestement contraire aux options égalitaristes du droit positif. Car, après tout, même si l’Etat mauritanien a souvent échoué à faire appliquer de façon stricte ses lois contre l’esclavage, il s’est toujours efforcé d’éviter la sanctification directe de l’inégalité par sa justice. On le verra amplement dans les affaires concernant les demandes d’annulation de mariage pour des raisons de Kafa’a. Mais je vais dès à présent illustrer cette tendance lourde en revenant sur l’affaire Daddah.

LES LEÇONS IMPROBABLES DE L’AFFAIRE DADDAH

Le fameux arrêt de la Cour suprême est particulièrement intéressant si l’on consent à l’interpréter dans son contexte particulier. En apparence, le texte montre simplement que la catégorie de concubine et d’esclave est légalement pertinente. En réalité, l’enjeu particulier de cette décision est paradoxalement de défendre les intérêts du fils d’une esclave et la validité du témoignage même de l’esclave en question. Pour s’en convaincre, il faut d’abord rappeler quelques aspects décisifs de l’affaire et examiner l’arrêt lui-même.

Dans le contexte mauritanien, ce type de recours est plutôt rare et intervient en général après le décès du père présumé afin de trancher des conflits sur l’héritage. Dans le cas d’espèce, le père était bien vivant et les enjeux étaient ailleurs.  En fait, si la justice ne le reconnaissait pas comme le fils d’Abdallah Ould Daddah, outre les effets psychologiques et sociaux individuels, cela pouvait frapper le fils d’une série d’incapacité liées à la situation d’esclave, la condition servile se transmettant par la mère. Sa mère décédée au moment de l’arrêt, étant considérée comme esclave, il était lui-même considéré comme « esclave » jusqu’à l’établissement de sa filiation avec le maître de sa mère. Mais il est vrai que cette menace était virtuelle dans ce cas précis. Reconnu depuis sa naissance par la plupart des membres de la famille de son père ( la famille Daddah ), respecté dans la société une fois adulte, matériellement aisé et sans aucun doute plus riche que son père, l’intéressé avait également pu disposer de fatwas d’oulémas reconnus, d’ailleurs utilisées indirectement dans cet arrêt, qui l’avaient conforté dans la légitimité de son action. Il s’agissait aussi pour Brahim Ould Daddah de « laver l’honneur » et la mémoire de sa mère. Ayant affirmé toute sa vie durant la véritable filiation de son fils, Maria Mint Al-Manfou avait en fait toujours revendiqué le statut de « concubine servile » comme un droit garanti et reconnu par la charia.

La lecture attentive de l’arrêt de la Cour suprême donne l’impression que cette juridiction, étroitement contrôlée par l’Etat et sensible aux options politiques  officielles, voulait paradoxalement tenir compte des droits d’une ancienne esclave et de son fils, et non pas affirmer la licéité  de l’esclavage ou sanctifier l’institution servile. En l’occurrence, cela passait par la prise en compte juridique de la catégorie de «  concubine…

( la suite page 13 c’est-à-dire la page 272 du livre n’est pas accessible en ligne, on continue donc à partir de la page 14 en ligne correspondant à la page 273 du livre )

…parvenues par ouï-dire  ( ….) Dans Al-Hattab, en effet, la transmission d’une rumeur sur un ouï-dire est licite et dans sa Tohfa, Ibn Al-Sim va à l’encontre de ceux qui refusent d’accréditer ce témoignage en disant « le témoignage par ouï-dire est fait pour la conception, le mariage et l’allaitement » »

Les témoignages cités par l’arrêt sont de deux catégories : ceux de personnes nées libres et ceux de personnes d’origine servile mais l’arrêt évite précautionneusement de décrire le statut. Il mentionne simplement des personnes « réputées » et des personnes «  non réputées ». Dans la première catégorie, il y a notamment le témoignage d’un certain Abdallah Ben Mohamed Al-Bashir qui atteste que Abdallahi Ould Daddah lui aurait «  avoué ses relations secrètes avec Maria » bien avant  la conception et la naissance de Brahim. Dans la seconde catégorie, un individu sans doute d’origine servile (d’après son patronyme typique)  et qualifié par l’arrêt de « personne non réputé » fait état d’une confession semblable. Surtout, une liste d’une dizaine de témoins dont la majorité porte un patronyme connotant une origine servile est citée pour avoir apporté « un témoignage par ouï-dire qu’(ils) tiennent de proches de la famille Daddah ».

Les motifs de la décision mettent en valeur la validité du témoignage de l’esclave concubine en matière de filiation. L’arrêt insiste sur cet aspect dans des termes clairs :

«  Si la femme esclave désigne un seul témoin pour faire reconnaître les relations du maître avec elle, ou désigne deux femmes pour faire reconnaître sa paternité sur l’enfant né de ses relations avec le maître, le serment du maître, dans ce cas, est comparable à celui d’une esclave » (…) Si cette conception apparaît physiquement et que sa dissimulation est impossible,

( là encore la page suivante n’est pas disponible en ligne, il faut acheter le livre pour l’avoir, on continue avec la page suivante )

…Kafa’a dont l’usage est restrictif dans le malikisme (dominant dans le pays ), sera interprétée et revalorisée afin de légitimer l’endogamie et les hiérarchies sociales. Cet effort est même devenu plus prononcé dans la période récente pour contrer l’ébranlement de l’ordre social établi sous l’effet des changements en cours » 




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Livres

Couverture

Prêcher dans le désert: islam politique et changement social en Mauritanie

 Par Zekeria Ould Ahmed Salem


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