lundi 27 octobre 2014

point de la situation - Moussa Fall déclare à Tawary . traduction libre


Moussa Fall, Secrétaire Exécutif du Forum National pour la Démocratie et l’Unité (FNDU) :


Présentation

Il semble que la vie politique s’achemine vers un hiver chaud.

Il y a, d’une part, un pouvoir qui a entamé, depuis quelques mois, un nouveau mandat présidentiel à l’issue d’élections auxquelles il dit avoir convié toute la classe politique et qu’il  a qualifiées de libres et transparentes.

Il y a, d’autre part, une opposition que d’aucuns qualifient de radicale et qui se présente, elle-même, comme un regroupement de partis politiques et de personnalités indépendantes, que  l’inquiétude de voir la Mauritanie s’engager dans un tunnel obscur a poussé à former un cadre commun qu’ils ont appelé le Forum National pour la Démocratie et l’Unité. Ce Forum a boycotté les élections présidentielles et ne reconnait pas la légitimité du Président actuel.

En vue d’éclairer ses lecteurs sur les positions des uns et des autres, Tawary entame une série d’interviews avec les dirigeants de tous les protagonistes de la scène politique en vue de connaitre leurs positions.

Nous vous présentons, aujourd’hui, l’interview réalisée par Tawary avec l’homme politique, qui n’est plus à présenter, Mr Moussa Fall, Président du Mouvement Démocratique pour le Changement, qui en même temps, est l’un des principaux dirigeants du Forum.

Monsieur le Président la première question, qui me vient à l’esprit, au moment où nous entrons dans la première partie du second mandat du président Aziz, au lendemain des élections auxquelles vous vous êtes abstenus de participer, en tant qu’opposition, et dont vous ne reconnaissez pas les résultats, ma première question donc est : 

quel est, de votre point de vue, le statut juridique et constitutionnel du président Aziz ? 

Moussa Fall : J’entends souvent parler d’un mandat de 5 ans pour Ould Abdel Aziz. Je voudrai faire les clarifications suivantes : Un mandat électoral ce sont des pouvoirs confiés, pour une durée déterminée, par la Nation tout entière à une personne sur la base des résultats d’élections libres démocratiques et crédibles. Il s’agit donc d’un contrat politique clair. Un tel contrat, et le mandat qui en découle, doivent s’imposer à tous et être respectés et défendus par tous. Mais nous ne nous trouvons, malheureusement pas, dans ce cas de figure. Nous nous trouvons, toujours, dans le cadre de régimes autocratiques avec des mandats aléatoires et un système d’alternance intervenant dans la plupart des cas, par des voies non démocratiques. Comme vous l’avez dit le Forum avait, avec d’autres formations politiques d’importance, décidé de boycotter les dernières élections présidentielles. Vous aviez aussi fait le constat, en son temps, du très faible taux réel de participation enregistré par ce scrutin. 

La crise politique reste donc en l’état. La solution à cette crise reste à trouver. Tant que les règles du jeu électoral ne sont pas définies de manière consensuelle et respectées dans leur mise en œuvre, aucune des parties ne dispose de la légitimité qui lui permet d’imposer à l’autre son bon vouloir.

Quand à la seconde partie de votre question notre réponse est la suivante : Nous ne reconnaissons pas Ould Abdel Aziz en tant que Président démocratiquement élu. Nous ne lui reconnaissons pas un mandat de 5 ans mais nous  avons en face de nous un état de fait qui nous impose une ligne de conduite à l’égard des autorités en place. Les circonstances amènent souvent à négocier, même, avec les preneurs d’otage.

Le constat a été fait qu’au cours des derniers mois le Forum a arrêté toutes ses activités. Pour quelle raison ?
C’était une période de vacances mais  elle a été mise à profil pour réaliser un travail de réflexion approfondie sur la stratégie de l’opposition.

Quelle est votre évaluation de la situation actuelle du pays ?
Depuis les dernières présidentielles le pays connaît un immobilisme, une torpeur et une absence de visibilité ressentie par tous. Et on se demande, avec appréhension, de quoi demain sera fait? En réalité la plupart des  observateurs évoquent l’entrée dans une période de fin de règne. En donnant de multiples raisons : Un populisme qui a atteint l’extrémité de ses limites. Des illusions perdues à force de gabegie, de népotisme, de scandales de tous genres. Une crise politique qui ne trouve pas de solution. Une pluviométrie particulièrement déficitaire. La pauvreté, le dénuement, le chômage et la hausse des prix qui ne cessent de se perpétuer en dépit de toutes les promesses faites. Des problèmes graves de société qui ne font l’objet d’aucun traitement et qui font le lit d’un extrémisme menaçant. Une insécurité endémique dans les grands centres urbains. Un environnement pollué par l’irresponsabilité dans la gestion des questions d’hygiène et de salubrité publics (gestion du contrat Pizzorno). Des institutions non crédibles, non représentatives et fonctionnant, pour certaines, en toute illégalité. Un retournement spectaculaire de conjoncture économique qui met à nu la gestion calamiteuse de Ould Abdel Aziz. 

Certains milieux évoquent l’existence d’une crise économique qui  s’annonce pour les tous prochains mois ?
Au cours des dernières années, la Mauritanie a bénéficié d’une conjoncture économique exceptionnelle. Le prix du fer, principale richesse du pays, est passé de 36,6 $/t en décembre 2007 à un plus haut niveau de  187,2$/t en février 2011. Puis il a commencé à baisser progressivement en restant au dessus des 130 $/t en moyenne jusqu’en 2014. Depuis le début de l’année, il amorce une chute vertigineuse. En fin septembre, il coûtait 82,3 $ la tonne. Le poisson, qui occupe la seconde place dans les exportations du pays, a vu le prix de vente des céphalopodes atteindre un sommet de 14000 $/t en 2011 pour aboutir à la mévente dont on parle ces derniers jours.

L’or de Tasiast, qui avait atteint un plus pic de 1900 $/l’once, est retombé à 1245 $/l’once aujourd’hui entrainant avec lui la suspension des projets de développement de cette entreprise et la réduction drastique du volume de ses activités.

La plupart des pétroliers ont plié bagages. Les recherches qui s’étaient intensifiées aussi bien sur le bassin côtier que sur celui de Taoudenni générant un volume élevé d’investissements étrangers directs dans le pays, avec l’apport en devises qu’ils génèrent sont, toutes, aujourd’hui,à l’arrêt et la production du puits Chinguitty est pénalisée, doublement,  par la chute du cours du baril de brut et celle de la production (6000 barils/j). 

En parallèle, le budget de l’Etat avait bénéficié de recettes exceptionnelles, durant cette même période : 50 Millions de $ de l’Arabie Saoudite, 200 Millions de $ de la Lybie qui avaient défrayé la chronique et les produits des redressements fiscaux opérés en 2013. Ces ressources sont, par définition, non renouvelables

Quel bilan constatons-nous aujourd’hui ?

Le pays a reculé sur cette période au regard de l’ensemble des critères d’évaluation des politiques publiques. Sur l’indice de Développement Humain (IDH), la Mauritanie se plaçait à la 154ème position en 2008, aujourd’hui elle est à la 161ème position. En matière de bonne gouvernance, nous sommes passés, en Afrique, de la 28ème à la 39ème place de 2008 à 2014. La même tendance est observée aussi bien pour la perception de la corruption que pour la détérioration du climat des affaires récemment mesurée par le Forum Economique Mondial. Il s’agit là de critères internationaux, incontestables de suivi des performances des Etats.

Au plan national, le pays n’a enregistré aucune évolution positive au regard de l’ensemble des préoccupations majeures des populations. La pauvreté poursuit ses ravages. Jetez un coup d’œil sur la vie des populations dans les Adwabas, et plus prêt de nous, dans les quartiers périphériques (Tarhil et autres). Selon les évaluations récentes, on se situe à mille lieues de l’objectif d’un indice de pauvreté de 25%. Les systèmes éducatifs et de santé n’ont connu aucune amélioration. Au contraire, ils se dégradent. Le tissu économique s’est fortement détérioré à cause de l’implication anarchique de l’Etat dans les secteurs marchands et de la guerre sélective engagée contre les entrepreneurs privés. Les inégalités et discriminations sociales, qui constituent une menace réelle pour le pays, ont exacerbés par les agissements des pouvoirs publics qui encouragent, par ailleurs une nouvelle instrumentalisation des particularismes tribaux. 

Nous avons assisté à un gaspillage sans précèdent des richesses acquises durant cette période d’abondance.  Il y a plusieurs manières de dilapider les ressources d’un Etat. Il y a l’extraction physique des fonds, il y a la corruption, il y a les surfacturations et le gaspillage des ressources publiques et il y a la mauvaise utilisation de celles-ci.

Arrêtons-nous sur cette dernière. La marque principale de la gouvernance de Ould Abdel Aziz, c’est sa politique d’investissement. Une bonne politique d’investissement doit découler d’un cadre stratégique de développement élaboré avec compétence et après de larges concertations. Ce cadre stratégique définit les priorités par secteurs et ces priorités doivent se traduire en identifications de projets. Les projets doivent faire l’objet d’un ensemble d’études : techniques pour sa faisabilité et son dimensionnement, de rentabilité économique, financière, sociale, d’impact environnemental. Dans une troisième étape, il est vital de s’entourer de garanties optimales pour une réalisation aux normes des projets : confection d’un Dossier d’Appel d’Offres avec un cahier de charges précis ; sélection d’un bureau d’études qualifié pour s’assurer d’une bonne surveillance et d’un bon respect des normes d’exécution arrêtées ; choix, après une concurrence technique et financière transparente, d’une entreprise disposant des qualifications et des références requises pour l’exécution des travaux. Un projet mal réalisé c’est, au mieux, de l’argent jeté par les fenêtres, au pire un gouffre sans fond. 

La politique d’investissement suivie ces dernières années est la plus grande catastrophe qu’a connue, que connaît et connaitra, dans le traitement de ses conséquences, notre économie. Des montants publics considérables (plus de 100 Milliards/an) ont été engloutis par des projets choisis à l’humeur, dans l’improvisation, sans étude, réalisés sans supervision compétente par des entreprises sans qualification.  De tels projets existent dans tous les secteurs : énergie, infrastructures routières et aéroportuaires, buildings, aménagements et ouvrages hydro-agricoles bâclés et hasardeux ….etc.

Les conséquences de cette politique, associées aux tendances défavorables des prix de nos exportations nous engagent dans une conjoncture qui s’annonce particulièrement difficile. A moins d’un miracle, elle ira en s’aggravant. Cette crise  impacte déjà, et ce n’est qu’un début, les fondamentaux de l’économie du pays. Les réserves en devises sont sous pression et la situation du Trésor se précarise de jour en jour. On signale des cumuls d’impayés sur les règlements en faveur des institutions publiques et des entreprises de travaux. La tendance est à la diminution des recettes. En particulier les dividendes de la SNIM connaîtront une nette contraction. Et il n’est pas exclu que cette société connaisse, elle aussi, de graves difficultés pour les extrêmes et irrationnelles sollicitations, sans rapport avec son activité, dont elle a fait l’objet de la part de l’actuelle pouvoir. Les dépenses, par contre, seront difficilement compressibles à cause du très grand nombre d’établissements et d’institutions publics créés ces dernières années, des décaissements au titre des chantiers en cours d’exécution, et des charges induites par les « grandes réalisations » structurellement non rentables. A terme, les difficultés de trésorerie de l’Etat finiront par paralyser l’ensemble de l’activité économique du pays et engendrer, de nouveau, des déséquilibres macro-économiques. 

Certains, cependant, estiment  que les échecs du pouvoir sont à mettre en parallèle avec ceux de l’opposition à trouver les solutions et à imposer le changement pacifique. Vous ne faites que critiquer comme disent certains…
Ca c’est de la rhétorique qu’avancent certains pour justifier, à peu de frais, leur immobilisme. Vous savez dans la vie, il y a des acteurs qui s’affrontent, il y a des supporteurs qui soutiennent l’un ou l’autre des camps. Mais ceux qui renvoient dos à dos tout le monde disent des choses qui n’ont pas de conséquences. Nous leur demandons au préalable de répondre aux questions suivantes : L’opposition est-elle l’auteure du coup d’Etat de 2008 qui a ouvert l’actuelle crise politique ? L’opposition continue-elle  de confisquer le pouvoir et de gérer le pays avec partialité et iniquité ? L’opposition est-elle responsable de la gabegie qui se pratique à grande échelle dans le pays ? L’opposition est-elle responsable des contre-performances manifestes qu’enregistre le pays en comparaison avec les autres pays?  Il faut situer de façon objective les responsabilités pour porter un jugement digne d’intérêt.

Certains disent que l'opposition radicale se compose principalement de certains nostalgiques du passé ceux-là même qui ont conduit le pays, par la corruption,  dans la situation où il se trouve aujourd’hui ; quelle est votre réponse?
C’est une rengaine qui revient souvent et qui ne tient pas la route. Comment peut-on parler en ces termes des dirigeants des principales formations politiques de l’opposition. Passez les en revue un à un et vous constaterez que pour la plupart ils n’ont jamais exercé des responsabilités étatiques, et ceux parmi eux, qui ont été associés à la gestion des affaires publiques ont quitté leurs fonctions depuis 36 ans. Et c’était alors une époque où la retenue et le respect des valeurs étaient la règle. On ne peut, cependant, se retenir de manifester notre stupeur face à l’audace de ceux qui sont à l’origine de ces attaques quand on sait qu’ils n’ont cessé de graviter dans les plus hautes sphères sécuritaires du pouvoir et ce, depuis 1985. Avec, à la clé, à leur première déclaration, avait-on dit, un patrimoine évalué à 4 Milliards d’ouguiyas. A combien s’élève-t-il aujourd’hui ? Nous sommes curieux de le savoir et la loi impose sa déclaration mais le respect de la Loi est le dernier des soucis de nos dirigeants.


Craignez-vous que, en l'absence de consensus entre les grandes formations politiques, la Mauritanie risque de s’acheminer vers un changement qui ne sera pas pacifique?
Tout à fait et c’est là l’essence de notre action. Nous sommes conscients que les régimes autocratiques sont passés de mode. La transition de 2005-2007 se proposait d’y mettre définitivement fin. Le coup d’Etat de 2008 est assimilable à une réplique sismique qui ne peut s’éterniser. L’intérêt du pays est que la rupture avec le despotisme se fasse en douceur. Mais il faut pour cela un pouvoir à vision longue. Nous ne cessons de prôner une solution de sortie de crise pacifique, négociée et consensuelle. 

Quelles sont vos conditions pour un dialogue ?
Notre exigence fondamentale est que la Mauritanie se dégage définitivement des systèmes totalitaires. Ce qui suppose une issue consensuelle à la crise que nous connaissons. Pour le moment nous ne percevons aucune volonté réelle du côté de Ould Abdel Aziz de s’engager dans un tel processus. Peut-être n’est-il pas encore suffisamment conscient de la gravité de la crise que traverse le pays. 

Est-ce qu’il existe une harmonie au sein de l’opposition ?
Aujourd’hui, depuis l’avènement du Forum,  notre cohésion est plus ferme que jamais et l’intention manifestée par tous est de la préserver contre vents et marées.



Comment expliquez-vous que certains des composants du Forum profitent du système dans sa forme actuelle (députés et maires ....) et que d’autres ont rompu avec toutes les institutions dépendant de ce système? En d’autres termes continuez-vous, par exemple, à avoir entièrement confiance au parti Tewassoul dans le respect des engagements pris d’un commun accord?
Nous ne sommes en rien contrariés par la participation de Tewassoul dans les institutions parlementaires et municipales. Cette participation résulte d’un choix propre à ce parti et notifié en son temps à la COD. Nous avons une longue pratique de collaboration avec le Parti Tewassoul. Nos chemins ont divergé par moments, chacun ayant ses raisons et ses tactiques propres. Mais dans les périodes de convergence, Tewassoul est un partenaire loyal et de grande qualité pour ses contributions aux débats, pour la pertinence de ses positions et propositions et pour son engagement dans l’action.
Quelle est votre position sur les questions sociales et sur les revendications particularistes qui se sont accentuées ces derniers temps ?
Ces mouvements sont pour l’essentiel, porteurs de revendications légitimes. La société doit se reformer pour se moderniser, s’émanciper et créer les conditions d’un vivre ensemble garantissant l’égalité en droit de tous les citoyens quelque soient leur ethnie ou leur origine sociale. Ces reformes de société doivent faire l’objet d’un débat dépassionné, impliquant toutes les composantes du pays, pour dégager, en toute objectivité et équité, les solutions justes, consensuelles et durables. C’est à ces conditions que ces solutions seront durables et profitables à tous sans porter préjudice à l’une ou à l’autre des composantes de notre pays.
Et vers quoi, selon vous, conduiront ces mouvements ?
Ces mouvements, pour certains, sont encadrés par des hommes et des femmes responsables et patriotes. Il faut les aider et les soutenir pour promouvoir des reformes de société équitables. En leur tournant le dos, nous ne ferons que favoriser le développement des courants extrémistes dont l’action peut conduire le pays vers le chaos. Une telle éventualité doit être évitée à tout prix.


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