Coordination de l’opposition démocratique
Commission politique
LA MAURITANIE SOUS MOHAMED OULD ABDEL AZIZ :
Impasse politique et crise institutionnelle…
Déliquescence de l’Etat et détérioration des conditions de vie des populations…
Gabegie et pillage des ressources nationales…
Aventures militaires et errements diplomatiques…
Mars 2012
Introduction
La Mauritanie sombre.
C’est aujourd’hui une réalité indéniable. Mohamed Ould Abdel Aziz, qui tient les rênes du pouvoir depuis août 2008, a instauré dans le pays un régime autocratique prédateur, pernicieusement enrobé dans un habillage démocratique factice.
L’imbroglio politico-institutionnel ainsi engendré vient s’ajouter à une faillite totale de l’administration, à un pillage systématique des richesses nationales à travers un bradage organisé des ressources du pays et une dégradation inquiétante des conditions de vie des populations. A tout cela, s’adjoignent des aventures militaires en territoire étranger et des errements diplomatiques qui compromettent, durablement, la sécurité et la paix dans toute la sous-région et nos propres relations séculaires avec les pays et les peuples voisins.
On se souvient que le général Mohamed Ould Abdel Aziz avait justifié son coup d’Etat militaire par la prétendue impasse politique, due au refus du gouvernement d'organiser une session parlementaire extraordinaire. Il s’est engagé, après sa prise du pouvoir, à supprimer les causes de cette impasse par la réduction des pouvoirs du Président de la République, le renforcement du rôle du Parlement, l’élargissement du champ des libertés, la consécration des saines pratiques politiques, la consolidation de l'unité nationale, l’amélioration des conditions de vie des citoyens, la lutte contre la pauvreté et la gabegie, l’éradication du terrorisme et de l’insécurité, le restauration de notre pays dans la place qui lui sied dans le cercle des nations. Aujourd’hui, et après trois ans de règne de Ould Abdel Aziz, on est en droit de se demander quel sort a été réservé à toutes ces annonces et promesses ?
Le présent document qui reprend les conclusions de certains exposés et débats, présentés dans le cadre d’un colloque organisé par la Coordination de l’Opposition Démocratique à l’occasion de la commémoration de la fête du 28 novembre, tente de trouver une réponse à cette question à travers les quatre axes suivants:
-l’impasse politique et la crise institutionnelle
-la déliquescence de l’Etat et la détérioration des conditions de vie des populations
-la gabegie et le pillage systématique des ressources du pays
-les aventures militaires et les errements diplomatiques
Il s’agit pour nous d’informer l’opinion publique sur le décalage immense entre la réalité des faits et les allégations mensongères de Mohamed Ould Abdel Aziz, dont les plus récentes étaient ses déclarations lors de son meeting du 13 mars à Nouadhibou où il évoquait de prétendues réalisations en matière de gestion et de transparence.
Premièrement : Impasse politique et crise institutionnelle
I. Impasse politique
Si les élections présidentielles organisées en vertu de l’Accord de Dakar, suite à un large consensus national, ont permis de sortir le pays de la crise institutionnelle née du coup d’Etat nonobstant les défauts qui ont entaché ces élections, elles n'ont pas mis pour autant un terme à la crise politique qui persiste toujours entre l'opposition et le régime. Ainsi, l’exercice solitaire du pouvoir, le peu de souci accordé à la consolidation de l’unité nationale, l'arbitraire dans le traitement des problèmes des citoyens et le monopole des médias publics constituent les caractéristiques dominantes du comportement de Ould Abdel Aziz au cours des trois dernières années.
1- Affaiblissement de l’unité nationale
Les politiques de Mohamed Ould Abdel Aziz ont eu pour objectif d’attenter à la cohésion nationale et de semer la discorde au sein des composantes de notre peuple à travers :
a) Un mauvais accueil des rapatriés du Sénégal, qui ont été abandonnés à leur triste sort dans des conditions déplorables, si bien que beaucoup d'entre eux pensent à regagner la terre d’exil.
b) L’incitation à la confrontation entre nos composantes ethniques, initiée à plus d’une occasion et au plus haut niveau de décision. Cela s'est manifesté, entre autres, par :
* l’incitation par certains responsables administratifs et sécuritaires dans des Wilayas de l’Intérieur de l'une des composantes de notre peuple à l’autodéfense face aux protestations du mouvement « Touche Pas à Ma Nationalité », comme si ces protestations étaient dirigées contre la communauté en question.
* L’attisement sur le campus universitaire des divergences d’ordre ethnique entre les étudiants. La récompense des meneurs de l’affrontement estudiantin par la nomination suspecte de certains d’entre eux à des fonctions importantes confirme la volonté du pouvoir d’envenimer ainsi ce conflit.
c) Le peu d’intérêt accordé au suivi de l’exécution de la loi sur l'esclavage et des mesures de soutien économique et social associées à l'application de ce texte.
d) Le mauvais accueil de groupes importants de nos citoyens qui ont été contraints de revenir de Côte d'Ivoire, de Libye et des Emirats Arabes Unis, suite aux crises qui ont secoué ces pays et aux positions diplomatiques stupides du régime de Ould Abdel Aziz.
e) La publication de certaines mesures à effet d’annonce, omettant au préalable d’évaluer leurs implications et de réfléchir aux moyens de leur mise en œuvre effective, pour finir par y renoncer. Ce fut le cas des correspondances administratives en langue arabe et de la localisation des tombes des «victimes de la violence d'Etat » !
f) La mauvaise conduite de l’enrôlement des populations dont le questionnaire a quelquefois pris un caractère de stigmatisation et d’exclusion, ce qui a provoqué la colère d’une partie de nos composantes nationales.
2- Rétrécissement des libertés publiques:
Les libertés publiques ont enregistré un grand recul qui s’est traduit par :
a) La répression des manifestants et la torture des détenus parmi les différents militants contre l’injustice (Jeunesse du 25 Février, Militants des Droits de l’Homme opposés à l’esclavage, "Touche Pas à Ma Nationalité ", étudiants...)
b) L’instrumentalisation de la justice et de l'Inspection générale de l'Etat pour le règlement de comptes avec les adversaires politiques ;
c) La poursuite de la détention arbitraire (deux anciens directeurs de la Sonimex, l’ancien commissaire de la lutte contre la pauvreté et d'autres ) malgré l’impunité de certains criminels en raison de leur parenté avec les gouvernants.
d) La création de prisons secrètes en violation de la loi et des traités internationaux.
f) Le maintien des textes qui violent les libertés publiques, bien que la Constitution en son article 2 stipule de les abroger (loi sur les associations, loi sur l’assignation à résidence, loi sur le droit de manifester ...)
h) Le mauvais état des prisons, leur maintien sous la tutelle effective des éléments de la Garde Nationale et la détérioration des conditions de vie et de santé des prisonniers, ce qui a conduit à la mort de certains d’entre eux dans des circonstances mystérieuses.
3 - Monopole des médias publics :
Depuis sa prise du pouvoir, Ould Abdel Aziz continue de monopoliser les médias publics. Ainsi, la radio et la télévision nationales consacrent l’essentiel de leur temps d’antenne aux éloges du « Président » et à l’évocation de projets et réalisations souvent fictifs, alors qu’elles omettent de couvrir les activités de l'opposition ou les réduisent, dans la plupart des cas, à quelques séquences qui les dénaturent plus qu’elles n’en rendent réellement compte.
S’agissant des émissions de débats au niveau de ces médias, la règle générale est l’exclusion de l’opposition et dans les très rares cas où elle y participe, le pouvoir recourt au même procédé technique de dénaturation ou à l’interruption pure et simple des émissions, sans aucun respect pour les téléspectateurs. Même les délibérations des parlementaires n’ont pas été épargnées et sont quelquefois diffusées à des heures de faible écoute.
Le plus étonnant est que toutes ces pratiques condamnables se déroulent au vu et au su de la HAPA et dans l’indifférence générale.
Il est à craindre de voir ce monopole s’étendre aux médias privés, avec l’exclusion des professionnels qui n’ont pas de relations avec les proches de Ould Abdel Aziz dans l’attribution récente par la HAPA des licences d’ouverture de chaînes de télévision et stations radio.
II. crise institutionnelle :
1- imbroglio du report des élections ; alibi du dialogue
Après que ses services compétents aient envisagé de remplacer les anciennes cartes d’identité par de nouvelles et échoué, au final, à délivrer ces dernières aux citoyens en temps utile, Ould Abdel Aziz a décidé de reporter les élections législatives et municipales, en violation des dispositions de la Constitution et des Lois de la République. En effet, la Constitution limite en son article 47 le mandat des députés à 5 ans : « Les députés à l’Assemblée Nationale sont élus pour cinq (5) ans au suffrage direct » , tandis que la loi organique (ordonnance N° 019-28 du 7 octobre 1991°) stipule que « Les pouvoirs de l’Assemblée expirent à l’ouverture de la session ordinaire du mois de novembre à la cinquième année qui suit son élection ». L’annexe juridique jointe apporte davantage de précisions sur cette question.
En agissant de la sorte, Ould Abdel Aziz a installé le pays dans une crise institutionnelle sans précédent, qu’il a cru pouvoir surmonter en organisant un dialogue avec trois partis de la COD, dans une tentative de donner un cachet de consensus à ce qu’il aura décidé au sujet des élections reportées. Quels étaient les objectifs de ce dialogue et quels en furent finalement ses résultats ?
2- Les objectifs du dialogue :
Si le but du dialogue ne dépasse pas, aux les yeux de Ould Abdel Aziz, une manœuvre destinée à distraire les populations de leur souffrance quotidienne, des crises en aggravation perpétuelle, de la gabegie économique et de la guerre par procuration, nous œuvrons quant à nous, à l'opposition démocratique, pour un dialogue sérieux qui aboutisse à une réforme de l’Etat à travers la re-fondation de ses assises politiques et institutionnelles sur des bases véritablement démocratiques, de manière à rendre possible une alternance pacifique au pouvoir, d'assurer le pluralisme politique fixé par la Constitution, d’asseoir l'Etat de droit avec tous ses attributs (un système judiciaire indépendant et une administration respectueuse de la loi), de redistribuer la richesse, de garantir des chances égales pour tous et de réaliser la transparence politique et économique ; autant d’objectifs qui ne peuvent être atteints par un replâtrage superficiel, ni par des réformettes qui ne touchent pas au fond des choses. Les lignes qui suivent précisent si l'organisation de ce dialogue entre le camp de Ould Abdel Aziz et certains partis d'opposition représente une étape sur la voie de la réalisation de ces objectifs, ou s’il ne s’agit que d’une manœuvre pour allonger la vie d’un régime autoritaire qui a échoué.
Rappelons donc les démarches ayant immédiatement précédé l’organisation de ce dialogue et les résultats qui en ont découlé.
3- Les préliminaires du dialogue
L'opposition démocratique a toujours réitéré sa disponibilité pour le dialogue, si les conditions nécessaires pour sa tenue dans un climat de confiance réciproque se réalisaient. Elle a soumis au pouvoir des conditions dont la satisfaction est de nature à prouver la bonne foi et la sincérité de celui-ci et de renforcer la confiance entre les interlocuteurs. Il s’agit de revendications légitimes, toutes garanties par la Constitution et les lois de la République, comme l'accès de l'opposition aux médias publics, la non-discrimination entre les fonctionnaires et les opérateurs économiques sur la base de leur appartenance politique et la non-immixtion de l’Armée dans le jeu politique.
. Cependant, les réticences de Ould Abdel Aziz par rapport à un vrai dialogue, son refus de remplir les conditions de l’instauration d’un climat de confiance et les précédents que représentent les violations répétées par lui de engagements qu’il prend(l'accord de Dakar, l’accord avec le parti Adil...) ont constitué, de notre point de vue, des raisons suffisantes pour ne pas s’engager avec dans un dialogue trompeur.
4- Résultats du dialogue:
Si les résultats annoncés du «dialogue» ont introduit des retouches sur le processus électoral et comporté des clauses relatives à des replâtrages différemment appréciés (augmentation du nombre de sièges au parlement de 95 à 146, interdiction des candidatures indépendantes, révision de la proportionnelle, représentation des femmes ...), ils n’ont pas été, à notre avis, à la hauteur des espérances du pays car ils ont occulté plusieurs questions primordiales, parmi lesquelles on peut citer notamment :
a) La séparation et l'équilibre des pouvoirs. C’est-là une demande de plus en plus insistante des élites, devant despotisme de Ould Abdel Aziz, qui a transformé le pouvoir judiciaire en un instrument dépendant de l'exécutif, avec la poursuite de la détention arbitraire et le traitement inégal des criminels en fonction de leur parenté ou non avec lui-même, la destitution arbitraire des juges, l’empiétement sur le pouvoir législatif en réduisant ses prérogatives (la loi sur les permis de recherche minière) ou en les contournant (les lois financières des trois dernières années ...). Seule la Haute Cour de Justice a échappé aux exactions de Ould Abdel Aziz, sans doute parce qu'elle ne dispose pas d’allocations budgétaires et n’a ouvert aucun dossier pour juger un des hauts responsables de l’Etat, exception faite des intentions affichées avant que cette Cour ne soit créée !
b) La réorganisation des forces armées et de sécurité de manière à en garantir le professionnalisme et à les soustraire à la sujétion aux caprices d'un officier obsédé par le pouvoir, même au prix d’exposer au danger la vie de nos soldats et officiers, à l’occasion d’aventures militaires hors des frontières du pays et au service d’agendas douteux. Notre objectif en la matière est la restauration de ces forces armées dans leur noble mission et leur rôle primordial dans un régime républicain où les unités du Basep, tenues hors de l’autorité de l’armée nationale, n’ont pas de place…
c) Ont été également occultées les questions liées à la gestion des ressources du pays qui font l’objet d’un pillage organisé sans précédent, le problème des réfugiés et du passif humanitaire, le contournement de la loi incriminant l’esclavage, le problème de la sécheresse et des dangers qu’elle constitue pour les vies humaines et pour le cheptel, les conditions de vie des citoyens qui sont devenues la hantise de tous en raison de leur impact évident sur l'unité nationale et la cohésion sociale.
Aussi, il est désormais établi que ce dialogue a échoué, malgré les campagnes tapageuses d’explication organisées par ses initiateurs, aidés en cela par les médias officiels dans le but évident de tromper l’opinion publique en accréditant l’idée que ce conclave a abouti à des réformes substantielles. Le fait que le Conseil Constitutionnel ait déclaré inconstitutionnelle la loi sur la nouvelle CENI, tant vantée par les « dialoguistes » et présentée comme le fleuron de leur concertation, ne signe-t-il pas le décès de ce dialogue ? Le témoignage de HAMAM, l’un des trois partis de l’opposition « dialoguiste » qui s’est finalement retiré de la mascarade, n’est-il pas une preuve de plus du manque de sérieux de cette affaire ? Ne peut-on pas considérer l’appel lancé tout récemment par trois partis du camp de Ould Abdel Aziz pour la tenue d’un nouveau dialogue incluant tous les acteurs politiques, comme un aveu d’échec du fameux dialogue?
En réalité, il est maintenant clair que le résultat attendu par Ould Abdel Aziz à travers son dialogue n’était autre que la division de l'opposition, même pour un temps. Il s’agit-là d’un objectif en conformité avec le comportement d’un « Président », qui consacre le plus clair de son temps à recevoir les dissidents de l’opposition ou des ONGs de défense des Droits de l’Homme, à enregistrer les propos de ses invités ou à leur communiquer ceux d’autres personnes, pour les monter les uns contre les autres ; comportement contraire aux valeurs de notre société et au prestige de la plus haute fonction de l’Etat.
Deuxièmement : Déliquescence de l’Etat et détérioration des conditions des citoyens
Les mauritaniens sont de plus en plus inquiets devant la déliquescence générale que connaît le pays à tous les niveaux, surtout dans des secteurs qui représentent, aux yeux du citoyen, les symboles mêmes de l’Etat tels que l’administration, les services sociaux de base, les mécanismes de survie des populations…
I- Effondrement de l’administration
Si l'administration dans notre pays constitue, aux yeux de tous, un outil indispensable pour la réalisation d'un quelconque projet de développement sensé réussir elle est, au contraire pour Ould Abdel Aziz, un obstacle dont il faut se débarrasser, en raison des normes et procédures que requiert son fonctionnement. Aussi, s’est-il employé, depuis qu'il s'est emparé du pouvoir, à détruire l’administration du pays, à travers :
a) L’usurpation des prérogatives des responsables, du ministre au chef de service. Cela se reflète clairement dans les domaines économique et financier, où Ould Abdel Aziz s’immisce dans les moindres détails en ce qui concerne les ressources financières (Rachad), sans compter son implication, directe ou indirecte, dans l’attribution des grands marchés et contrats relatifs aux mines, au pétrole , à la pêche et aux infrastructures.
b) La violation des procédures et des règlements, en particulier dans les domaines des marchés et des contrats ( utilisation abusive de la procédure de gré à gré)
c) La réduction des mandats de certaines institutions officielles prévues par la loi (Banque Centrale, Hapa, Conseil Economique et Social, Cour suprême, etc.).
d) Le non respect des compétences prévues par les textes réglementant les cycles de l’Etat dans les nominations aux hautes fonctions administratives, financières et éducatives.
e) La marginalisation de tous les fonctionnaires qualifiés et expérimentés appartenant à l’opposition ou ne prêtant pas clairement allégeance au pouvoir, pour les remplacer par des personnes souvent étrangères à l'administration, choisies sur la base du clientélisme et du favoritisme.
f) L’absence d’incitations matérielles et morales, en raison de la privation de l'administration des moyens nécessaires pour le travail, tels que les fournitures de bureau et les moyens de transport, et en raison du sentiment croissant d'injustice dans les nominations et les promotions et l'octroi de privilèges; dans un contexte de stagnation des salaires et de hausse des prix.
II- Détérioration des services de base
Aujourd’hui, il n’échappe plus à personne que le pays se trouve dans une situation grave qui se reflète dans une détérioration sans précédent des conditions de vie des populations. Cette situation, qui fait peser des risques majeurs sur la cohésion sociale du pays et sa stabilité et, partant, sur son avenir, trouve son origine dans l’échec des différentes politiques affichées, avec force propagande et slogans fallacieux, depuis l’accession de Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir.
l’Etat est devenu incapable de répondre aux besoins essentiels urgents du citoyen ordinaire et notamment ceux relatifs aux droits sociaux fondamentaux comme l’accès à l’éducation et à la formation, à l’emploi et aux soins de santé, … Le net recul des différents indicateurs de développement du pays en atteste.
1- L’enseignement : un repli sensible et des défaillances notoires
Les choix nationaux dans le secteur de l’éducation ont souffert, de manière chronique, d’improvisations et d’atermoiements trouvant leur origne dans un souci puéril d’arabisation non suffisamment étudiée ou dans une démarche bâclée d’adaptation à la pénétration francophone. Il en a résulté un passage confus d’un système éducatif à un autre avec, comme conséquence, une perte de repères pour plusieurs générations, incapabales de communiquer entre elles.
Cependant, un certain espoir d’amélioration était né dans la période d’avant l’avénement de Ould Abdel Aziz au pouvoir.
En effet, plusieurs colloques et ateliers traitant, en profondeur et sans complaisance, de la situation du système éducatif national avaient été organisés et avaient permis l’élaboration et l’adoption de plans d’action destinés à résoudre les multiples problèmes auxquels il fait face. Ces plans consacraient l’allocation d’indemnités et de primes aux instituteurs, professeurs et inspecteurs, afin de les inciter à mieux assumer leurs missions pédagogiques, ce qui a eu pour effet une redynamisation réelle du secteur qui a vu le retour de plusieurs de ses fonctionnaires qui l’avaient quitté.
Malheureusement, le coup d’Etat d’août 2008 de Mohamed Ould Abdel Aziz a brisé cet élan et sapé les espoirs qui en étaient nés, le secteur éducatif ayant connu, à l’instar de tous les autres secteurs, une baisse drastique des ressources financières doublée d’une démoralisation de la famille enseignante. En effet, nombre d’ indemnités et incitations ont été supprimées et le peu restant n’étant perçu qu’avec un grand retard. En outre, les colloques et ateliers qui constituaient des opportunités de formation et des moyens d’incitation ont été quasiment arrêtés.
L’atteinte la plus grave portée au secteur durant les deux premières années suivant le coup d’Etat a sans doute été la gestion scandaleuse des transferts des instituteurs, qui a eu pour effet la mise à l’écart de plusieurs centaines d’entre eux et le regroupement de plusieurs autres centaines à Nouakchott, au détriment des écoles de l’intérieur du pays, particulièrement celles des zones d’Adouaba qui sont devenues pratiquement vides d’enseignants.
Depuis l’arrivée de Ould Abdel Aziz au pouvoir, le rythme de construction et d’équipement des salles de classe a sensiblement baissé, alors que l’encadrement pédagogique des professeurs a tout simplement disparu, l’Inspection générale de l’enseignement secondaire étant devenue incapable de poursuivre les missions de contrôle et d’orientation qu’elle menait, avec régularité, depuis deux décennies.
Au-delà de la limitation des moyens financiers, cette situation s’explique par le fait que les responsables du secteur ont été toujours accaparés, depuis août 2008, par d’autres questions bien moins prioritaires ! Tantôt il s’agissait de fusion ou d’éclatement du ministère et des interminables querelles qui en découlaient quant à la répartition des attributions entre ministres et secrétaires d’Etat, tantôt c’étaient plutôt les manœuvres insidieuses de politisation de la scène estudiantine dans une perspective de contournement des revendications légitimes des étudiants, quand il ne s’agissait pas de la préparation des fameux « Etats généraux de l’éducation » dont il est clair que le régime de Ould Abdel Aziz n’envisage pas sérieusement l’organisation ! Si tel n’était pas le cas, comment interpréter alors le report, à maintes reprises, de ces états généraux et la non observance, dans le choix de certains membres de leur commission de préparation, des critères d’expérience, de compétence et de représentativité des différents acteurs du système éducatif, y compris le personnel du secteur ?
Il a résulté de cette situation une perte de confiance des citoyens en l’école publique - qui, désormais, incarne à leurs yeux l’échec, le taux de déperdition au niveau du primaire étant de 35%, celui d’échec au concours d’entrée en sixième atteint 50% alors que le taux d’échec au baccalauréat est de 80% (sources : les statistiques du MEN)-, une frustration quasi générale chez les instituteurs et les professeurs et une propagation, sans précédent, de l’abandon scolaire. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui, seules les familles les plus démunies envoient leurs enfants à l’école publique et que l’enseignement privé connaît une forte affluence, bien que la plupart de ses établissements ne remplissent pas les conditions requises en termes de capacités logistiques et pédagogiques essentielles.
L’enseignement supérieur n’est guère mieux loti. En effet, ses cinq établissements recourent, faute de ressources suffisantes pour recruter des enseignants permanents, à des vacataires pour l’enseignement de la plupart des disciplines et souffrent d’un manque criant d’équipements de laboratoire et d’ouvrages scientifiques de référence. De plus, les œuvres universitaires connaissent une dégradation notoire, tandis que la recherche scientifique, qui est l’un des principaux piliers du développement, est quasiment inexistante. Comme pour dégrader davantage les conditions déjà relativement précaires de cet ordre d’enseignement, le système LMD a été adopté à l’Université alors que les préalables pédagogiques minima requis ne sont pas réunis, particulièrement ceux relatifs à la maîtrise des effectifs des étudiants et de l’encadrement.
2- La formation professionnelle : un arrêt de l’essor et un déclin de la performance
La formation professionnelle avait connu au cours des années précédant le régime de Ould Abdel Aziz une forte dynamique qui s’était traduite tant par un essor continu du nombre d’établissements que par une diversification accrue des filières et des efforts soutenus d’adéquation aux exigences du marché de l’emploi. Ainsi, en 2008, on dénombrait 21 centres de formation et lycées professionnels, totalisant une capacité d’accueil de 4.250 élèves.
Le désintérêt manifesté à ce secteur depuis l’accession de Ould Abdel Aziz au pouvoir fait que l’élan de développement qu’il connaissait a été brisé et que le dispositif n’a pas évolué, ni en termes de nombres d’établissements, ni en termes de capacités d’accueil et encore moins en termes de diversification des filières. Bien au contraire, la réduction continue des ressources financières allouées au secteur, y compris les financements extérieurs, a engendré une incapacité à faire face aux charges de maintenance des bâtiments et des équipements techniques et pédagogiques et à une démotivation des formateurs.
Cette situation s’est traduite par une détérioration de la qualité de la formation et une nette diminution du taux d’accès des formés à l’emploi (moins de 50%), rendant ainsi le secteur incapable de contribuer efficacement à la résorption du chômage qui sévit dans les rangs de notre jeunesse, dans un contexte marqué par un repli économique et une faible adaptation du dispositif aux besoins du marché de l’emploi.
Or, il est clairement établi que l’essor du dispositif de formation technique et professionnelle constitue un enjeu majeur pour un pays comme le nôtre, où le taux d’échec au niveau du passage vers le secondaire est de 50% et celui au baccalauréat est 80%, ce qui fait que des milliers de jeunes quittent, chaque année, le système éducatif sans avoir acquis les qualifications nécessaires pour entrer sur le marché du travail où la main d’œuvre étrangère leur livre une rude concurrence.
3- Le chômage : un taux élevé, des chiffres alarmants
Une étude réalisée en 2008, pour le compte du département de la formation professionnelle, avait établi que la population active du pays se chiffrait à 1.056.000 personnes et qu’elle augmentait à raison de 2% par an, alors que le nombre d’occupés était, la même année, de 730.000 dont 55% travaillaient pour leur propre compte et seulement 20% dans des activités régulières salariées.
Selon cette même étude, 50.000 nouveaux demandeurs d’emploi, dont 3.000 sortants des établissements de formation professionnelle et d’enseignement supérieur venaient, chaque année, sur le marché du travail qui n’en absorbait que 25 à 30.000, ce qui veut dire que les rangs des chômeurs grossissent annuellement de 20 à 25.000 demandeurs d’emploi.
Les données disponibles indiquent qu’en 2008, 35% des actifs urbains étaient au chômage et que celui-ci touchait plus sévèrement les femmes (69%) et les jeunes de 15-24 ans (51%).
Bien que ces données n’aient pas fait l’objet d’une actualisation récente, les spécialistes sont unanimes pour estimer que le taux de chômage ne peut qu’avoir sensiblement augmenté depuis 2008 du fait d’une part, de l’incapacité des politiques économiques hasardeuses du régime à créer des emplois et d’autre part, des déséquilibres récurrents entre formation professionnelle et marché de l’emploi, qui font que la demande non qualifiée d’emploi, tant dans le stock de demandeurs que chez les nouveaux entrants annuels, est bien supérieure à l’offre nationale.
Cette augmentation du taux de chômage est d’autant plus plausible que l’offre de formation est essentiellement orientée vers des secteurs ayant de modestes besoins en main d’œuvre (industrie, administration, …) au détriment de ceux dont la demande est forte (agriculture, hôtellerie, …) et que la main d’œuvre nationale est âprement concurrencée par celle étrangère dans certains secteurs clés pour l’emploi (BTP, mines, pêche, …).
Le danger de cette situation, comme en témoignent les données disponibles, est que le nombre de jeunes chômeurs est en perpétuelle augmentation, ce qui explique, en partie, le fait que plusieurs d’entre eux, désespérant d’obtenir un emploi stable qui leur fournit les moyens d’une vie décente, en viennent à succomber à la tentation des mirages que font miroiter les bandes terroristes organisées qui essaiment dans le désert saharien.
4- La santé : quand la réalité réfute la propagande du régime
Le régime actuel s’enorgueillissant d’importantes prouesses dans le secteur de la santé, il convient donc de s’interroger sur l’impact réel de celles-ci sur l’état sanitaire des populations. Ont-elles conduit à l’élévation de l’indice de confiance du citoyen en notre système de santé ? Ont-elles entraîné une diminution du nombre de patients qui se font soigner dans les pays voisins (Sénégal, Tunisie, Maroc, notamment) ? Ont-elles amélioré la surveillance pharmaceutique et la lutte contre les faux médicaments ? Qu’en est-il de la situation des hôpitaux et autres structures de santé publique sur l’étendue du territoire national ?
Un député de la majorité n’avait-il pas rappelé que Ould Abdel Aziz s’était engagé à mettre 19 ambulances à la disposition de l’hôpital de Kaédi et , plus d’une année après cette promesse, le voici qui demande juste la réparation de l’unique ambulance dont cet hôpital régional dispose qui est à l’arrêt depuis un bon bout de temps ?
Cet exemple fort éloquent atteste que les prétendues réalisations ne consistent, en fait, qu’en un détournement de certains bâtiments officiels de l’objectif initial pour lequel ils avaient été construits et en l’acquisition, à des prix exorbitants et dans l’opacité, d’équipements médicaux inaptes à fournir les prestations pour lesquelles ils avaient été acquis. Le fameux scanner de l’hôpital de Kiffa, inauguré tambour battant par Ould Abdel Aziz, n’a fonctionné que les quelques minutes de la cérémonie officielle et est, depuis lors, à l’arrêt, faute de capacité électrique suffisante pour son fonctionnement et de personnel qualifié.
Aujourd’hui, le citoyen a perdu toute confiance en notre système de santé et tout malade qui se retrouve dans une salle d’opération de l’un de nos hôpitaux a une forte angoisse quant à ses chances de guérison et aux risques de contracter, à l’occasion de l’opération chirurgicale, une nouvelle maladie.
Cette forte appréhension, en rien liée aux capacités de nos médecins - le plus souvent brillants et consciencieux - trouve son origine dans le fait que nos concitoyens se sont convaincus de l’inefficacité du système de santé publique, du fait d’une longue période de mauvaise gestion et de déficit criant de moyens. Il revenait aux autorités de rétablir la confiance, en agissant simultanément sur la disponibilité des équipements et la formation des capacités nécessaires pour en assurer le fonctionnement, ainsi que sur la sensibilisation des citoyens sur la nécessité de recourir au système national de santé au lieu de ceux des pays voisins.
Par ailleurs, il est à noter que le cumul de l’exercice public et libéral de la médecine constitue un handicap supplémentaire pour les citoyens les plus démunis qui se voient dans l’obligation de s’adresser aux cliniques privées, à des coûts élevés et souvent dans des conditions stressantes, tant pour les malades que pour les médecins eux-mêmes.
Les prétendues réalisations dont le régime se targue dans le secteur de la santé ne résistent pas à l’épreuve de la faiblesse de la couverture sanitaire ; les hôpitaux, centres, postes et autres unités de santé étant incapables, dans la plupart des différentes villes et localités du pays, d’offrir aux citoyens des soins essentiels de qualité. En milieu rural, cette incapacité est davantage criante, les infrastructures de santé ne disposant ni de personnel médical, ni de médicaments, pas plus que d’ambulances pour le transport des malades qui sont, le plus souvent, acheminés à dos d’animaux sur de longues distances avant de se retrouver chez les guérisseurs traditionnels ou les « hajaba ».
La démagogie de Ould Abdel Aziz l’a poussé à se targuer, lors de son discours à l’occasion du 28 novembre dernier, d’avoir construit un hôpital pour enfants et un centre de traitement des maladies cancéreuses. Or, tout le monde sait que le premier n’est autre que le bâtiment qui existait déjà et était destiné à être la résidence du Premier Ministre et dont les meubles et équipements modernes avaient « disparu » ! Le second, quant à lui, est un immeuble rénové bien avant Ould Abdel Aziz et celui-ci a simplement fait supporter au Trésor public plus de sept millions d’Euros pour l’acquisition des équipements de ce centre, dans le cadre de l’une des multiples transactions douteuses de son régime pour laquelle les services de contrôle des finances publiques n’arrivent pas à trouver les justificatifs !
Les prétendues réalisations du secteur de la santé ne sont donc que propagande et tapage médiatique ; la réalité est que ce secteur connait, sous le régime actuel, une détérioration sensible, à tel point que des maladies que l’on pensait avoir éradiqué réapparaissent, notamment chez les basses tranches d’âge, faute de soins de base et de programmes de vaccination.
Ainsi, l’abandon par le régime de Ould Abdel Aziz des fonctions sociales classiques de l’Etat, qui consistent en la promotion de l’enseignement et de la santé, la création d’emploi et la protection du citoyen face aux fluctuations des prix et aux effets des catastrophes naturelles, fait peser des risques sérieux d’éclatement de la société et d’effondrement de l’Etat. Le « Président des Pauvres » n’a donc fait qu’appauvrir les riches et duper les pauvres !
III- Situation alimentaire : hausse des prix, famine et décimation du cheptel
L’on ne peut rendre fidèlement compte de l’ampleur de la crise sociale sans traiter des conditions de vie quotidienne de l’écrasante majorité de notre population. A cette fin, et nonobstant la propagande effrénée du régime, selon laquelle les boutiques ouvertes en 2011 dans le cadre la fumeuse « Opération Solidarité » rebaptisée en 2012 « Opération Espoir » auraient contribué à l’amélioration des difficiles conditions de vie des citoyens, force est de constater leur absence d’impact sur les prix des produits de consommation de base pour la grande majorité des consommateurs..
Ainsi, l’indice des prix des produits alimentaires a augmenté de 20% entre janvier 2009 et décembre 2010, alors que celui de l’habillement a progressé de 19% au cours de la même période. Au cours de l’année 2011, il est certain que l’indice des prix à la consommation a connu une hausse notoire, eu égard à sa sensibilité aux prix des hydrocarbures qui ont enregistré des augmentations récurrentes à un rythme jamais égalé auparavant. Pour ce qui est de 2012, le gouvernement s’étant engagé, il y a quelques semaines, vis-à-vis des partenaires économiques et financiers du pays, à poursuivre les augmentations périodiques des prix des hydrocarbures, on peut prévoir donc de nouvelles hausses des prix à la consommation, bien que ces prix soient déjà assez élevés au regard du pouvoir d’achat du citoyen moyen.
Le tableau ci-après montre l’évolution des prix (en UM) de quelques produits de consommation courante entre 2010 et 2011.
Produit
2010
2011
Prix dans les boutiques « Solidarité »
Proportion de familles couverte
Sucre (1 kg)
180
280-300
200
20 à 25%
Riz (1 kg)
200
250
200
20 à 25%
Huile de cuisson (1 litre)
450
550-600
280
20 à 25%
Pâtes alimentaires (1 kg)
360
400
Lait en poudre Célia (1 kg)
1200
1500
Mil Bechne (1 kg)
180
250
Mil Teghellit (1 kg)
200
250
Sac d’aliments de bétail Elguechre (50 kg)
4800
7000
Sac d’aliments de bétail Seviyye (50 kg)
5000
6000
Gazoil (1 litre)
276,8 (novembre)
331,9 (décembre)
De ce tableau, il ressort que :
-Les prix des produits de base ont sensiblement augmenté d’une année à l’autre ;
-L’opération dite « Boutiques de solidarité » n’a bénéficié qu’à 20 à 25% des familles et que 75 à 80% des familles mauritaniennes n’ont tiré aucun avantage des dizaines de milliards d’Ouguiya engloutis par cette opération et ont dû faire face, seules, à la hausse vertigineuse des prix.
Cette situation est d’autant plus alarmante que la société mauritanienne se caractérise par de très importantes inégalités dans la répartition de la richesse nationale, 80% de la population ne recevant que 20% du revenu national et 10% de nos concitoyens ne totalisant que 1% de ce même revenu et dans un contexte social déjà marqué par le gel des salaires de la petite minorité qui travaille, le chômage et la pauvreté de la grande majorité.
Un plan d’urgence à la mesure de la catastrophe, bien conçu et mis en œuvre à temps, aurait pourtant pu atténuer les souffrances des populations, surtout que le pays a dû faire face dans le passé à des expériences similaires dans ce domaine (plan Moktar Ould Daddah en 1970, plan Maaouiya en 2002, plan Sidi en 2008).
En dépit de cette situation, le plan d’urgence que Ould Abdel Abdel Aziz vient de décréter souffre d’insuffisances majeures qui ne manqueront pas d’impacter de façon négative ses résultats :
- le plan a été très tardif
- le financement est loin d’être bouclé puisque 50% de l’enveloppe (plus de 20 milliards d’UM) au moins est attendu de l’extérieur, au moment où les bailleurs de fonds potentiels n’ont pas été contactés à temps et ont déjà bouclé leurs budgets
-une grande partie de l’enveloppe (10 milliards d’UM, soit près de 25%) est consacré au transport
- les prix des produits alimentaires et de l’aliment de bétail qui seront vendus à cette occasion n’ont pas été précisés
- la quantité d’aliment de bétail prévue couvrira seulement les besoins de 30% des bovins et 10% des camelins et ovins !
- il résulte de cette situation d’ensemble de sécheresse sévère, de faiblesse du plan gouvernemental d’urgence et des difficultés de transhumance chez les pays voisins, un effondrement du prix du bétail avec comme conséquence un appauvrissement généralisé des éleveurs et des risques réels de famine dans des régions entières du pays.
Troisièmement : Gabegie et pillage systématique des ressources du pays
Contrairement au discours officiel et à la propagande du pouvoir relayés notamment par les médias publics et selon lesquels le gouvernement de Ould Abdel Aziz mène une politique de redressement national et d’éradication de la gabegie, un survol rapide de la situation des principaux secteurs économiques montre que c’est exactement l’inverse qui prévaut. Pour illustrer notre propos, nous examinerons successivement les principaux secteurs suivants, une revue exhaustive de tous les secteurs n’est malheureusement pas possible ici :
-les mines et le pétrole
-les ressources halieutiques
-l’agriculture et l’élevage
-les marchés publics
-le budget de l’Etat
-le domaine privé de l’Etat ( gazras et concessions rurales)
-les infrastructures
-les hydrocarbures raffinés
I. Les mines et le pétrole
1) L’or de Tasiast
Au départ, le projet était construit sur la base d’un potentiel exploitable de 10 millions d’onces, une production annuelle de 200.000 onces et un prix moyen de 400 USD l’once, mais avec les nouvelles découvertes et une conjoncture favorable, ces données ont radicalement changé, en passant respectivement à 21 millions d’onces, 1.500.000 onces et 1.600/1800 USD l’once. Il s’agit donc d’une situation tout à fait nouvelle avec des investissements de l’ordre de 1, 5 milliard USD, devant hisser la mine de TASIAST au rang des toutes premières mines d’or du monde. Mais alors qu’une renégociation du contrat initial s’imposait de toute évidence pour augmenter la part de l’Etat Mauritanien qui était fixée de façon scandaleuse à 3% de la production, OULD ABDEL AZIZ n’a pas jugé nécessaire de renégocier ce contrat pour améliorer le montant de la redevance minière qui nous revient, au moment où d’autres pays comme la Guinée, par exemple, ont obtenu des résultats nettement meilleurs. Comment peut-on expliquer une telle attitude ?
2) Le cuivre d’Akjoujt
La production de la MCM est passée de 120.000 tonnes de concentré à 25% au début des années 2000 à 200.000 tonnes en 2010/2011, soit une augmentation de 67%, pendant que le cours de la livre de cuivre est passé sur la même période de 0,75 USD à 3,55 USD, sans parler des cours de l’or et de l’argent qui sont extraits de ce métal. Alors que les principaux paramètres du projet ont donc, là aussi, fondamentalement changé à la hausse, OULD ABDEL AZIZ a maintenu intact le contrat léonin par lequel la MCM qui exploite la mine nous réserve une part de 3% de la production. Comment peut-on expliquer une telle attitude ?
3) Le phosphate de Bofal
Le potentiel de cette mine est estimé à 150 millions de tonnes et l’intérêt stratégique du produit n’est pas à démontrer puisque les engrais dont il constitue la base seront de plus en plus demandés dans les prochaines années, dans un monde où la population augmente rapidement et les terres cultivables se raréfient de plus en plus, une partie non négligeable étant affectée désormais à la production des biocarburants.
On se souvient que OULD ABDEL AZIZ avait retiré le permis d’exploitation de cette mine à un groupe privé mauritanien pour l’accorder à la SNIM, avant de finir par le lui retirer et l’attribuer dans la plus grande opacité à un groupe privé indien, sans appel d’offres et sans cahier de charges. Comment peut-on expliquer une telle attitude ?
4) Le quartz
Il s’agit d’un minerai important servant notamment dans la production de l’industrie du verre et dont l’exploitation a été accordée en catimini à u n privé étranger, sans aucune forme d’appel d’offres ou de cahier de charges. Comment peut-on expliquer une telle attitude ?
5) Le pétrole
L’opacité totale entoure aussi bien l’exploration offshore que celle onshore, mais le plus curieux a été la dernière loi votée à l’Assemblée Nationale par 20 députés seulement sur 95 et au terme de laquelle les contrats de partage de la production pétrolière sortiront désormais du domaine législatif pour être seulement du ressort de l’exécutif…Comment expliquer une telle attitude ?
II. Les ressources halieutiques
L’exemple de la convention que OULD ABDEL AZIZ vient de passer avec la société chinoise POLY HONDONE FISHERY est fort instructif, s’agissant de la gestion gabegique du Pouvoir. Examinons rapidement les points fondamentaux de cet accord :
1- Le Pouvoir présente la convention comme rentrant dans le cadre de l’exploitation des ressources pélagiques supposées être abondantes alors que dans l’énumération de la flotte mobilisée par la partie chinoise au terme de cette convention, on compte aussi des navires et embarcations destinés en fait à la pêche démersale, augmentant du coup la pression sur un potentiel déjà surexploité
2- La convention prévoit la création d’une usine de farine et huiles de poisson, or il existe déjà sept autorisations accordés à des groupes privés dans ce créneau, sans grande valeur ajoutée d’ailleurs.
3- La convention parle d’usines de traitement, mais ne précise pas la nature de ce traitement. Toutefois, si l’on en juge par le nombre d’emplois créés (2.463) et de leur répartition (800 à terre et 1.663 en mer), on constate que le projet est principalement orienté vers l’exportation et que le ravitaillement des usines à terre risque de ne bénéficier que d’une faible part des captures. Aussi, la valeur ajoutée induite au niveau national, principal justificatif de la convention, constitue un véritable leurre.
4- Les entrepôts frigorifiques prévus par la convention sont inopportuns puisque les capacités déjà existantes ne sont utilisées qu’à hauteur de 30%.
5- L’atelier de fabrication des pirogues ne se justifie pas, lui non plus, puisque d’un côté le Ministère des Pêches a gelé leur nombre aux 6.000 unités déjà immatriculées et de l’autre il existerait 15 PME locales en mesure de fabriquer des pirogues en polyester.
6- La convention prévoit la création d’un centre de formation, or le pays dispose déjà d’une école (ENEMP) et cinq centres de formations regroupés au sein du CASAMPAC. Ne vaut-il pas mieux rentabiliser d’abord l’utilisation de ces unités de formation ?
7- La dérogation accordée à la société chinoise par rapport au système obligatoire de commercialisation via la SMCP est une porte ouverte à la non-transparence.
8- Les avantages fiscaux accordés à la société sont énormes et totalement injustifiés (exonération de l’IMF pendant 25 ans, les transferts d’actions et les augmentations de capital se font hors frais ou taxes, réduction de 50% du taux de la TPS sur les transactions bancaires locales, exemption de la patente et de la contribution foncière sur les propriétés bâties etc..)
9- En plus de tout cela, l’investisseur chinois a le droit d’ouvrir un compte en devises pour y loger 70% de ses recettes d’exportation et les transférer librement…
En conclusion, on peut se demander légitimement pourquoi OULD ABDEL AZIZ a engagé notre pays dans cette convention aux faibles retombées, alors que de toute évidence, sa mise en œuvre contribuera de façon évidente à la surexploitation et au pillage de nos ressources halieutiques.
III. L’agriculture et l’élevage
1- Comme on le sait, il s’agit d’un secteur essentiel puisque l’agriculture occupe près de 67% de la population active et représente près de 17% du PIB, tandis que l’élevage occupe totalement ou en partie près de 60% de la population active et contribue pour environ 12% dans la formation du PIB.
2- Or, le moins qu’on puisse dire est que le secteur rural n’a pas été hissé au rang des priorités par le Pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz puisqu’aucun investissement public majeur n’y a été réalisé, et l’investissement privé a été peu encouragé, le crédit agricole ayant fonctionné au ralenti et le crédit à l’élevage a consisté en une simple annonce.
3- La sécheresse sévère qui vient de frapper le pays cette année constitue une nouvelle donne qui vient aggraver encore plus la situation du secteur et du pays tout entier puisqu’il faut s’attendre à une forte baisse de la production agricole et animale et par conséquent une augmentation des importations de produits alimentaires et très probablement une augmentation des prix de ces produits(comme abordé dans le chapitre précédent).
IV. Le budget de l’EtatLes violations suivantes sont systématiquement commises en matière de dépenses publiques :
1- Alors que, conformément à la Constitution, la loi des finances est approuvée chaque année par le Parlement, cette approbation reste de pure forme sous le règne de OULD ABDEL AZIZ puisque dans la pratique de tous les jours, la dépense publique s’effectue selon des instructions orales ou écrites du Ministre des Finances , reprises ensuite sous forme de décrets d’avance pour ne passer en régularisation devant le Parlement qu’à la dernière semaine du mois de décembre. Autrement dit, le pays fonctionne en réalité durant toute l’année avec des finances échappant à tout contrôle du législateur.
2- La loi de finances initiale est toujours présentée avec des dépenses communes de près de 30% du budget, mais qui finissent par représenter 40% dans la version de la loi rectificative.
3- Des comptes d’affectation spéciale sont ouverts à tort et à travers en dehors de la procédure normale réservant ce type de compte pour loger des financements extérieurs de projet. Ainsi, OULD ABDEL AZIZ a créé en 2008 , juste après son coup d’Etat, un fonds de 16 milliards d’UM et en 2009 le fonds dit FAID de 20 milliards d’UM , alimenté à hauteur de 15 milliards d’UM par une taxe sur les communications téléphoniques et une taxe de 20 UM sur chaque litre d’hydrocarbures liquides. En fait, il s’agit en quelque sorte pour OULD ABDEL AZIZ de « mettre de l’argent de côté » dans un compte prétendument d’affectation spéciale pour faciliter son utilisation et la rendre encore plus opaque.
4- L’aval de l’Etat est donné à certaines opérations sans l’autorisation du législateur. Ainsi en est-il de la garantie donnée en faveur de la SNAT pour 5.682.091 Euros et de celle donnée en faveur de la SONIMEX pour un montant de 760 millions d’UM. A ce jour, ces deux opérations n’ont toujours pas été présentées devant le Parlement pour examen.
5- L’engagement de dépenses publiques en dehors de quelque procédure budgétaire que ce soit et jamais régularisé, au moins pour la forme, dans une loi rectificative. Il en est ainsi du don saoudien de 50 millions de dollars dont le sort n’a jamais été élucidé.
Il ressort clairement de ces nombreux exemples que la Mauritanie de OULD ABDEL AZIZ fonctionne en réalité sans budget à proprement parler. Ainsi et selon son bon vouloir, des secteurs pour lesquels le budget officiel n’a pas prévu de dépenses reçoivent une couverture plus que suffisante alors que des secteurs bénéficiant d’inscriptions budgétaires explicites restent sevrés, le tout s’effectuant dans un chaos général qui finit au mieux par être régularisé en fin d’année par une prétendue loi rectificative, grâce à la majorité automatique dont dispose OULD ABDEL AZIZ au Parlement…
V. Les marchés de gré à gréComme on le sait, l’appel d’offres est la règle la plus transparente et la plus saine pour l’attribution des marchés publics. La formule du gré à gré est une exception prévue uniquement dans les cas d’extrême urgence ou de monopole du produit ou du service par un seul fournisseur.
Voici une liste de marchés publics accordés de gré à gré en contradiction flagrante avec le Code des Marchés Publics et sur lesquels pèsent de forts soupçons de corruption :
1- La construction de l’aéroport international de Nouakchott confiée, dans le cadre d’une convention tenue secrète, pour la contrevaleur de plusieurs centaines de millions de dollars à un groupement d’entreprises nationales, sans aucune référence technique dans le domaine de la construction des aéroports internationaux et qui va très probablement sous-traiter le marché à des entreprises étrangères.
2- L’achat des trois avions de seconde main de Mauritanie Airlines.
3- L’assainissement de sept moughataas de Nouakchott pour près de près de 200 millions de dollars.
4- La route El Gayra-Barkéol.
5- Le projet reboisement de la ceinture de Nouakchott reconnu comme fiasco total et dilapidation de l’argent public par OULD ABDEL AZIZ lui-même.
6- L’unité de radiothérapie du Centre d’Oncologie de Nouakchott.
7- Les équipements hospitaliers de l’hôpital de Kiffa.
8- Les équipements hospitaliers de l’hôpital de Néma.
9- Tous les marchés de voirie urbaine à Nouakchott ou ailleurs, attribués officiellement à ATTM en tant qu’entreprise publique soit disant prioritaire, mais qui une fois déclarée adjudicataire, les ré-attribue à son tour de gré à gré à l’entourage proche du Pouvoir….
10- Idem pour les marchés d’aménagement des gazras de Nouakchott, de certaines routes et adductions d’eau potable à l’intérieur du pays, officiellement attribués au Génie Militaire, mais en fait redistribués de gré à gré à l’entourage proche (L’approvisionnement en eau potable de la ville de maghtaa- lahjar...)
VI. Le domaine privé de l’Etat
On peut constater aisément que sous le pouvoir de OULD ABDEL AZIZ, le domaine privé de l’Etat a constitué un levier important dans le dispositif clientéliste d’ensemble. Dans ce cadre, on peut constater :
1- La distribution à tour de bras de terrains d’une superficie atteignant parfois plusieurs millions de m2, pour un même bénéficiaire, sous forme de « concessions rurales », notamment dans la zone de Nouakchott, alors qu’il est clair que ces terrains ne sont nullement destinés à un quelconque usage rural, mais uniquement à la spéculation immobilière et à l’enrichissement personnel des bénéficiaires. Ces prétendues concessions rurales sont ces immenses terrains bornés ou clôturés que l’on peut voir aisément sur l’avenue de la MOUKKAWAMA, la zone SOUKOUK, la ceinture verte de Nouakchott, jamais déclassifiée comme telle, la sortie de Nouakchott vers Nouadhibou, toute la zone comprise entre la Plage des Pêcheurs et le Port de l’Amitié, etc…
2- L’attribution des meilleurs terrains de la gazra, en particulier ceux qui sont situés sur les bords des avenues principales et au croisement des routes (les groun), à la même clientèle politique, en s’abritant derrière la grosse campagne politico-médiatique menée autour de l’aménagement de la zone des quartiers précaires pour couvrir cette énième forme de gabegie.
3- Le bradage de certains terrains et immeubles en plein centre ville (blocs et fanfare
militaire)
VII. Les infrastructures
Nous nous limiterons ici à l’exemple du marché de l’aéroport international de Nouakchott qui constitue un véritable scandale, à tous points de vue. Que l’on en juge ;
1. Les termes du marché et notamment le prix sont tenus secrets, alors qu’il s’agit d’un marché public, ne revêtant aucun caractère militaire ou de sécurité, non protégé par le Secret Défense, et rien ne justifie donc qu’il ne soit publié
2. Le marché a été accordé selon la procédure de gré à gré, alors que c’est la procédure d’appel d’offres à la concurrence qui se devait d’être adoptée
3. Les deux entreprises nationales adjudicataires du marché n’ont aucune référence technique (expérience) en matière de construction des grands aéroports
4. Le bureau de contrôle des travaux est soit inexistant, soit inconnu
5. Enfin, concernant l’opportunité même du projet, on ne peut que la remettre en cause dès lors que le nouvel aéroport est conçu pour 2.000.000 millions de voyageurs par an, alors que le trafic de l’actuel aéroport dépasse à peine les 100.000 voyageurs : puisque rien n’indique que la Destination Mauritanie attirera à court ou moyen terme un grand nombre additionnel de voyageurs, d’où viendront alors les flux nécessaires pour rentabiliser la nouvelle plate-forme ? Ne comptons surtout pas sur le transit en provenance des pays du Golfe ou d’Europe en route pour l’Amérique Latine car la tendance est aux vols directs (beaucoup plus confortables et moins chers), et même si une escale devait intervenir, les passagers resteraient à bord et ne descendraient pas des avions. Le projet est donc totalement disproportionné.
VIII. Les hydrocarbures raffinés
Au moins, quatre cas de gabegie peuvent être signalés au niveau de ce secteur hautement stratégique :
1- La structure des prix est révisée pratiquement en moyenne toutes les deux ou trois semaines, souvent sans justification objective, et le prix du litre de gasoil est passé de 276,8 UM en novembre 2010 à 321,4 UM en novembre 2011.
2- Les agréments pour les nouveaux marketeurs sont accordés d’une façon clientéliste à des sociétés créées ex-nihilo et sans partenaire stratégique (exemple NP).
3- Le cabotage des produits pétroliers entre Nouadhibou et Nouakchott est retourné au monopole qu’il connaissait depuis plus de 20 ans, alors qu’une brève ouverture à la concurrence a permis d’y ramener le prix de la tonne transportée de 22 dollars à 14,5 dollars, faisant économiser au pays plusieurs millions de dollars par an.
4- Le contrat de bunkering qui accorde le monopole de l’approvisionnement des navires pêchant dans les eaux territoriales en produits pétroliers à une société soudano-mauritanienne dont le seul « mérite » est d’être dirigée par des membres de l’entourage du pouvoir et qui, fort de ce mérite, applique des prix supérieurs de 70 dollars la tonne métrique par rapport aux prix du marché.
De ce qui précède, on peut comprendre facilement le paradoxe de la situation de la Mauritanie d’aujourd’hui : un pays riche, un peuple pauvre. Cela transparaît dans le recul de la Mauritanie de la 115ème place en 2008 à la 143ème en 2011, suivant le classement de Transparency International.
Puisque la gabegie gangrène l’économie et la société, les ressources nationales ne profitent finalement qu’à une poignée d’individus, à la tête desquels se trouve Mohamed Ould Abdel Aziz qui ne daigne même pas déclarer publiquement son patrimoine, comme l’exige pourtant la Loi.
Le résultat de ces pratiques irresponsables est que le taux de chômage est de 36% et celui de pauvreté s’élève à 46%.
Dans ces conditions, tout le tapage médiatico-politique sur les réalisations, le taux de croissance, la maîtrise de l’inflation, la liquidité du Trésor Public et les réserves en devises de la Banque Centrale, n’est rien d’autre qu’une vaine tentative de couvrir la gigantesque opération de pillage des richesses nationales menée par Mohamed Ould Abdel Aziz et son cercle étroit, marginalisant la majorité des opérateurs économiques et détruisant du coup un grand nombre de secteurs économiques
Quatrièmement : Expéditions aventuristes et errements diplomatiques
Le terrorisme est un phénomène dangereux qui menace la stabilité des Etats et l’existence des nations. Un large consensus au sein de la classe politique mauritanienne existe sur cette question, de même qu’il existe un consensus sur la nécessité d’éradiquer le phénomène. Aussi, notre divergence avec Med Ould Abdel Aziz à ce sujet concerne la méthode utilisée et non le principe lui-même d’engager le combat. Mais, on peut remarquer ici qu’ Aziz a toujours agité l’épouvantail du terrorisme pour atteindre des objectifs de politique politicienne. Ainsi a-t-il agi une première fois pour déstabiliser le régime qui l’a précédé, en le présentant comme étant trop faible pour faire face à cette menace, feignant d’oublier que toute la politique sécuritaire de ce régime était concentrée entre ses propres mains . La manipulation était si grosse que certains observateurs n’ont pas hésité, à l’époque, à penser que des évènements tels que le sacrifie d’une unité de l’Armée Nationale à Tourine ou l’assassinat des quatre français à Aleg, en plein jour, étaient délibérément provoqués pour justifier le Coup d’Etat ultérieur. Aziz a utilisé aussi la carte du terrorisme, après sa prise du pouvoir, en se mettant carrément à la remorque de la stratégie française dans la sous-région, pour obtenir la caution internationale et « blanchir » ainsi son putsch.
Le propos qui suit tentera d’analyser les dangers de la politique qu’il mène dans ce domaine et d’évaluer la situation dans laquelle il installe le pays.
I- Comment Mohamed Ould Abdel Aziz a traité le terrorisme ?
Pour combattre le terrorisme tel qu’il se manifeste chez nous, il y a lieu d’agir au moins sur les quatre leviers suivants :
- les segments de la jeunesse mobilisables par le terrorisme pour les prémunir contre ce danger.
- l’opinion publique nationale en général pour la sensibiliser et regrouper autour de cette démarche
- l’action diplomatique au plan régional et international pour favoriser la constitution d’ une large alliance antiterroriste.
- et enfin sur le plan technique, monter et mettre en œuvre les actions nécessaires pour détruire les réseaux déjà constitués.
Voyons séparément comment ces différents leviers ont été gérés :
1- Le premier pas d’une stratégie antiterroriste qui se veut pérenne, doit se situer sur le plan psycho-politique, en cherchant la « guérison mentale » des personnes concernées, à travers la conception et la mise en œuvre d’ une politique de persuasion visant avant tout à briser la logique idéologique sur laquelle repose la dynamique terroriste qui se base sur une conception erronée de la religion islamique. Dans ce cadre, des oulémas crédibles et indépendants doivent éclairer les milieux des jeunes dans lesquels recrute le terrorisme pour les convaincre qu’ils font fausse route, qu’il s’agit là d’un faux JIHAD et d’une fausse piste pour le paradis.
L’effort d’inclusion de cette jeunesse désemparée et perdue doit également englober une politique scolaire adaptée, la construction d’une économie génératrice d’emplois de jeunes ainsi qu’une régulation des flux migratoires.
Or, l’on sait que par rapport à ces différents aspects, tout ce qui a été fait n’est qu’échec patent. Que l’on en juge:
les visites des oulémas dans les prisons pour rencontrer les terroristes et tenter de les ramener à la raison et pour lesquelles les médias publics ont été grand ouverts, ont tourné à l’apologie du terrorisme et l’humiliation de nos érudits
- la politique scolaire n’ouvre aucune perspective aux jeunes, puisque près de 50% des élèves du primaire ont du mal à passer le cap du fondamental et 80% des participants aux baccalauréat échouent à l’examen.
- la croissance économique, si elle existe, n’est nullement inclusive, et le taux de chômage est estimé officiellement à 36%, tandis que celui de la pauvreté est de 43% .
- enfin, l’on peut noter que le pays est en train d’être enseveli sous l’effet d’une migration dont le flux est très élevé par rapport à nos possibilités d’absorption et devant laquelle les autorités se montrent incapables de mettre en place une politique transparente de gestion du séjour des étrangers sur le territoire national, dans le contexte de crise économique et d’insécurité qui est le nôtre. Il est vrai qu’à ce niveau les européens sont surtout intéressés à empêcher l’entrée de ces flux migratoires chez eux, quitte à les bloquer chez nous…
2- Au plan politique, Med Ould Abdel Aziz devait, avant d’engager son aventure militaire, convaincre, unir et mobiliser l’opinion publique nationale sur le bien fondé de sa politique. Il devait avoir le courage et la responsabilité de lui dire, toutes tendances confondues, qu’en soutenant la lutte contre le terrorisme, elle protège le pays et ses populations et donne du moral aux troupes engagées. Il devait savoir que si l’opposition est contre son régime, il pouvait cependant obtenir sa compréhension, voire même son soutien dans le but de protéger le Pays et non le Régime. Mais il est vrai qu’il ne pouvait pas nous faire part de ses vrais mobiles car il savait que nous ne sommes pas plus menacés que les maliens dont le sol est occupé par AL QAIDA, l’Algérie dont sont issus la plupart des dirigeants du mouvement, la France dont les ressortissants sont enlevés. Il savait qu’il ne pouvait pas nous dire qu’il était redevable aux français de son pouvoir et qu’il était dans l’obligation de suivre leur diktat au détriment de l’intérêt et de la Mauritanie et de son Armée. Puisqu’il ne pouvait pas dévoiler ses vrais mobiles, il a préféré la solution de facilité qui consiste à accuser ceux qui s’opposaient à sa guerre d’être des antinationaux qui ne soutiennent pas leur armée.
3- Le troisième impératif à réaliser après l’assèchement des filières de recrutement des jeunes par les réseaux terroristes et le regroupement de toutes les forces politiques autour de cette politique antiterroriste qui, dés lors ne serait plus celle de Aziz mais celle de toute la nation, devait être de conduire une diplomatie dynamique pour mobiliser autour de nos objectifs les pays de la sous-région et le reste de la communauté internationale, tous ayant intérêt à combattre le terrorisme. Mais, naïf qu’il est, Aziz s’est lancé tout seul dans la guerre, en lançant notre Armée Nationale sur un front situé en territoire étranger, jouant au héros et voulant remporter tout seul la récompense… A-t-il oublié avec quelle patience les Américains- autrement plus outillés que nous pour mener les guerres- ont œuvré pour constituer de larges alliances où certains n’étaient que des figurants, pour lancer leurs guerres en Irak et en Afghanistan ?
4- Vient enfin la quatrième exigence qui est le traitement technique du problème du terrorisme incluant les aspects militaire, sécuritaire et juridictionnel. Voyons de manière distincte ces trois aspects :
a) La composante militaire ne devait être engagée qu’ après que toutes les mesures visant à limiter les chances du terrorisme d’avoir de nouvelles recrues aient été engagées, que l’opinion publique nationale ait été préparée et que les alliances régionales et internationales aient été scellées. Il se trouve malheureusement que notre Armée a été engagée dans le conflit de manière improvisée. Déjà démoralisée par l’injustice qui y règne au sujet de l’attribution des grades, des bourses de formation et des postes de commandement, décapitée par l’envoi en exil de la crème de son encadrement expérimenté, dispatché à l’étranger comme des prisonniers dans les ambassades, humiliée par le fait qu’elle ait comme chef de l’Etat et commandant des armées Ould Abdel Aziz dont elle a suivi de prés et le cursus et la moralité, l’Armée ne sait pas pourquoi elle est envoyée sur le territoire malien, sous commandement français, sur la base de renseignements dont elle n’est pas la source et qu’elle ne peut recouper. S’ajoutent à ces aspects psychologiques les données logistiques, puisque nos lignes de ravitaillement s’étalent désormais sur deux milles kilomètres. Les unités qui avaient intervenues à HASSI SIDI et WAGADOU manquaient de tout, y compris de l’eau qui leur était parfois parachutée dans des bidons. Il est arrivé plusieurs fois que les maliens, malgré leur colère du fait du piétinement de leur souveraineté, soient dans l’obligation de voler au secours de nos troupes en difficulté. Comment, dans de telles conditions, l’Armée pouvait-elle avoir le moral pour tenir ? C’est ce qui explique le niveau élevé de nos pertes qui n’ont pas été annoncées et surtout le fait que le taux de désertion soit parmi les plus élevés de la région. Aziz ne savait-il pas que la logistique est le nerf de la guerre ? Peu importe, son souci principal est d’occuper l’Armée loin du Pays, ou en tout cas loin de Nouakchott, sa sécurité personnelle, à lui, étant suffisamment assurée par le BASEP…
Nous, à l’Opposition démocratique, pensons que l’armée nationale doit assurer la sécurité du Pays et de ce fait combattre le terrorisme. Mais elle doit le faire quand les conditions psychologiques, logistiques, organisationnelles et opérationnelles lui sont offertes. Elle ne doit pas être sacrifiée pour d’autres intérêts, dans des aventures inconsidérées.
b) Le second instrument d’intervention dans le cadre du traitement technique du terrorisme, relève de la responsabilité de la police nationale. Il s’agit d’un corps qu’Aziz humilie tous les jours et qu’il dépouille progressivement de toutes ses prérogatives, de la sécurité routière à celle de l’aéroport, en passant par l’élaboration des documents d’identification des populations et de voyage. La police est donc complètement clochardisée et son moral est au dessous de ses pieds. Comment, dans un tel contexte, pourrait - elle jouer efficacement son rôle dans une situation sécuritaire aussi grave que celle que vit le pays, harcelé qu’il est par les réseaux terroristes, avec un tiers des citoyens sans documents d’identité, enseveli par un flux d’immigrants qui s’installent pour de bon, sans contraintes réelles les obligeant à préserver leur statut de résidents étrangers . Cela fait partie des éléments d’analyse qui nous font dire qu’Aziz menace l’existence du Pays et ses équilibres internes.
c) Le traitement juridictionnel du terrorisme n’était pas plus cohérent que le reste. On se rappelle qu’Aziz et ses relais avaient crié au scandale et au laxisme lorsque Sidi Ould Cheikh Abdallahi avait laissé la justice suivre son cours normal dans des affaires relevant du terrorisme, ce qui avait conduit à des relaxes ou des réductions de peines pour des jeunes d’obédience islamiste. Or malgré la fermeté qu’il affiche vis-à-vis des islamistes, Aziz avait ordonné d’en relaxer les deux tiers, sous prétexte d’une prétendue “ tawba “ promise lors de la visite des Oulémas à la prison, repentir qui s’est révélé faux lorsque certains relaxés ont participé aux opérations terroristes ultérieures. Il avait aussi ordonné le transfert au Mali d’OMAR SAHRAOUI pour faciliter la libération des otages espagnols, présenté sous une identité malienne alors qu’il s’agit en fait d’un jeune mauritanien de Timbedra. D’autres terroristes ont été soit graciés, soit détenus en des lieux tenus secrets, ou se sont simplement évadés. La politique d’Aziz en ce domaine , comme dans tant d’autres, est l’expression même de son incohérence et de son instabilité.
II. Sommes-nous aujourd’hui plus proche ou plus loin de la défaite du terrorisme au Sahel ?
Lors de sa prise du pouvoir en 2008, Aziz avait juré d’éradiquer le terrorisme en un temps record. C’est à ce titre que les Français avaient tout fait pour que la communauté internationale avale son Coup d’Etat. AQMI, à l’époque, se résumait à un sanctuaire au flanc de la chaîne de montagne dite l’AÏR, à l’extrême nord- ouest du Mali, avec quelques cellules dormantes et des intermédiaires dont les services étaient loués, de temps à autre, pour enlever quelques touristes. Aziz avait justifié ses expéditions au Mali par son souci d’éloigner AL QAIDA de 700km de notre frontière. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Au plan politique, nous sommes ciblés comme ennemi direct du fait que nous sommes identifiés, aux yeux des terroristes, aux croisés auxquels nous apportons assistance.
Au plan interne, nos régions de l’Est estiment qu’elles sont transformées en zone de guerre, sans qu’elles ne puissent être protégées des représailles des terroristes. Cette situation a obligé certaines tribus, en l’absence d’un Etat crédible et protecteur, à conclure des accords avec les réseaux terroristes pour préserver leurs intérêts.
Au plan militaire, nos villes de l’intérieur, aussi bien dans l’ouest et le sud que dans l’est du pays(Nouakchott, Lexeiba, Bassikounou, Néma, Adel Begrou,…) sont devenues un champ de bataille. Nos populations ont été endeuillées par la perte de dizaines de valeureux officiers, sous-officiers et hommes de troupes, morts au cours d’engagements militaires, ainsi que de civils froidement éliminés par al Qaïda pour espionnage au service du pouvoir mauritanien. Sans compter de nombreux autres victimes, tuées par erreur par les forces mauritaniennes. Il est désormais à craindre que nos postes militaires se transforment en pièges à otages après que l’Aqmi ait réussi à capturer le gendarme Ely Ould el Moctar plein jour et dans son lieu de travail ; ce qui constitue un précédent d’une extrême gravité.
L’Aqmi évolue aujourd’hui en toute liberté et en formations de plusieurs dizaines de véhicules sur toutes nos frontières Est et Sud. Avec la crise libyenne, cette organisation s’est lourdement armée, semble- t-il . Tous les combattants libérés par les foyers de tensions qui se sont calmés en Libye, au Niger et au Mali lui servent de réserves du fait de l’absence, dans leurs pays respectifs, de politiques de reconversion de ces jeunes qui n’ont appris que le métier des armes. Or, Aqmi, avec les rançons qu’elle amasse, peut leur servir de débouché, tout près de chez eux.
Sur le plan humain, le terrorisme, qui n’était jusqu’ici que maure ou touareg, recrute désormais jusqu'au Nigéria, ce qui, avec la migration déjà évoquée ci-dessus, lui donne des possibilités énormes de camouflage. Cela veut dire que le terrorisme est plus proche de nous aujourd’hui qu’il ne l’était hier. Autrement dit, la politique antiterroriste d’Aziz a lamentablement échoué. Nous subissons les méfaits de cet échec par l’arrêt total du tourisme dont vivaient des régions entières, l’interdiction de l’essentiel de notre territoire aux experts étrangers qui supervisent les projets de développement.
III. Des errements diplomatiques et une conduite qui suscite l’hostilité des voisins
La diplomatie d’Aziz n’a pas eu plus de succès que sa guerre contre le terrorisme. Le principal succès qu’elle a obtenu est qu’il s’est mis en mal avec tous ses voisins, en particulier au sujet des efforts entrepris pour juguler le terrorisme ou pour libérer les otages. Même les médiations conduites avec une expertise mauritanienne ont été menées par l’intermédiaire d’autres pays de la région et à leur profit. Le soutien de Aziz à Gbagbo et à Kadhafi est payé chèrement aujourd’hui par nos communautés en Côte d’Ivoire et en Libye, qui ont été obligées de revenir au pays, dans le contexte de chômage et de crise économique que l’on connaît. Les nouvelles relations avec l’Iran nous valent le renvoi de nos colonies au Golfe, en particulier celle qui se trouvait aux Emirats.
Sa diplomatie menace donc notre sécurité nationale et nos relations avec nos frères et nos voisins, de même qu’elle menace notre économie, à travers l’arrêt des activités touristiques et la réduction des flux financiers, en particulier ceux provenant des pays du Golfe. L’échec de la diplomatie de Aziz se mesure aussi par le fait que toutes les candidatures qu’il a présentées au niveau des organisations internationales, ont été recalées.
Conclusion Générale
On voit dans l’ensemble que les politiques de Mohamed Ould Abdel Aziz marquée par l’improvisation et l’aventurisme ont provoqué une aggravation de la situation du pays par la génération d’une nouvelle crise institutionnelle, l'affaiblissement de l'unité nationale, le rétrécissement des libertés publiques, le monopole des médias publics, la destruction de l’administration et l'exclusion des acteurs politiques et des acteurs économiques, la détérioration des conditions de vie des populations, l’effondrement du système éducatif et de santé, la propagation du chômage des jeunes, le pillage des ressources nationales, l’implication de nos forces armées et de sécurité dans une guerre par procuration, l’hostilité des voisins, sans parler du dessaisissement du Parlement de son rôle, de l’instrumentalisation de l'appareil judiciaire dans le règlement de comptes politiques et l’usurpation des pouvoirs du gouvernement. Ainsi, toutes les institutions civiles et militaires de l'Etat ainsi que les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ont été concentrées entre les mains d'une seule personne. Mohamed Ould Abdel Aziz a échoué sur tous les plans, sauf sur celui du pillage des biens publics. Pour cette raison, sa présence à la tête de l'Etat constitue désormais un danger pour l'unité du pays, sa sécurité, le fonctionnement de ses institutions, et son existence même.
La Mauritanie sombre. Sauvons-la pendant qu’il en est encore temps.
Annexe relative à l’inconstitutionnalité du report des élections
Le report des élections est une violation de la Constitution
Préambule
Dans une tentative de dissimuler son incapacité politique, technique et logistique à organiser les élections législatives et municipales dans les délais impartis, Mohamed Ould Abdel Aziz a décidé de reporter ces élections en violation de la Constitution et des lois pertinentes.
Les paragraphes qui suivent reprennent le texte d’une consultation élaborée par un groupe de spécialistes en droit constitutionnel dans le pays sur l’inconstitutionnalité de ce report et les conséquences juridiques et politiques qui en résultent, et ce en répondant aux questions suivantes :
A quelle date les élections sont- elles fixées ?
La loi permet-elle le report de ces élections?
Quelles conséquences juridiques et politiques résultent d’un report illégal ?
1. Les élections, à quelle date légale ?
Pour chacune des institutions concernées, la fixation de la date de l’élection de ses membres est déterminée par le texte de base qui énonce la durée de son mandat et le texte d’application qui le finalise ou le concrétise par la convocation des électeurs à la date qui y correspond au plus près, sous peine d’expiration de ce mandat et de la fin concomitante des pouvoirs de cette institution.
Pour ne s’en tenir, à titre d’illustration, qu’à l’élection des membres de la Chambre basse, il est tout à fait aisé de constater que c’est la constitution et elle seule qui , en imposant la durée du mandat de ses membres, détermine du coup leur calendrier électoral . Son article 47 est on ne peut plus clair : « Les députés à l’Assemblée Nationale sont élus pour cinq (5) ans au suffrage direct ».
Pour fixer de manière précise le calendrier électoral découlant de la durée de ce mandat, une loi organique (ordonnance n° 91-028 du 7 octobre 1991) dispose sans aucune ambiguïté que « Les pouvoirs de l’Assemblée expirent à l’ouverture de la session ordinaire du mois de novembre à la cinquième année qui suit son élection ». L’expiration des pouvoirs de l’Assemblée à l’ouverture de la session ordinaire du mois de novembre de la cinquième année du mandat des députés s’explique par le fait que des élections doivent nécessairement avoir été organisées dans les soixante jours qui précédent afin que les nouveaux élus puissent entrer en exercice dès l’ouverture de cette session . C’est ce qu’impose expressément l’article 2 de cette loi, sauf s’il y a eu dissolution de l’Assemblée.
L’expiration du mandat des députés au mois de novembre de l’année électorale signifie que sans l’élection à terme échu des nouveaux députés, l’Assemblée nationale n’a plus aucune de ses prérogatives constitutionnelles. Elle se réunit le cas échéant mais elle est vide de tous pouvoirs. Elle est morte et devient une institution zombie ! C’est d’ailleurs ce que le Vice-président de l’Assemblée Nationale avait déclaré avec une clairvoyance suspecte, lors de la session de Mai dernier, en indiquant sans ambages : « La session parlementaire que nous entamons aujourd’hui est normalement la dernière avant les prochaines élections législatives ». Toute autre étant, par définition, anormale, c’est-à dire, un vrai coup de force contre la constitution !
C’est également ce que le Chef de l’Etat Mohmad Ould Abdel Aziz avait lui-même reconnu, en insistant devant la presse étrangère sur l’impossibilité de ne pas tenir les élections à l’échéance fixée au risque de provoquer un « vide juridique ». Aussi, les services compétents autant que l’opinion publique semblaient convenir sur l’évidence que les élections législatives se dérouleront entre le 15 septembre et le 13 novembre pour que le délai légal imparti puisse couvrir la période critique de renouvellement constitutionnel de l’Assemblée Nationale.
Faut-il rappeler que depuis l’adoption de la constitution de 1991, et en dépit de nombreuses péripéties juridiques et politiques, le cycle électoral général a toujours été respecté pour les législatives et les municipales (l’institution présidentielle connaissant un autre cycle d’existence !), au mois près… et que ces reports en cascade constituent de très graves précédents dans le jeu normal de nos institutions, ouvrant la voie à bien d’autres dérives constitutionnelles comme celles pouvant affecter la pérennité du mandat présidentiel lui-même comme on l’a vu sous d’autres cieux africains comme par exemple au Niger sous Tandja?
2. Est-il juridiquement possible de reporter la date des élections en question ?
Sauf dissolution du Parlement, le mandat parlementaire étant fixé dans notre pays par la constitution et précisée par une loi organique, le changement de date des élections doit nécessairement suivre une voie équivalente c’est à dire être adopté par une instance investie de la compétence nécessaire pour le faire agissant en vue d’établir ou de rétablir le juste équilibre des institutions publiques conformément à l’esprit et à la lettre de la constitution. Or, rien ni dans la procédure suivie, ni dans les motifs et règles invoqués par le pouvoir Exécutif pour procéder au présent report sine die de la totalité des élections arrivées à échéance, n’a respecté le droit constitutionnel en vigueur. Aussi bien pour le mandat des sénateurs arrivé à expiration depuis mars 2011 que pour les députés et conseillers municipaux depuis octobre-novembre.
La décision de report a été à chaque fois prise en effet par un simple acte administratif, comme par exemple pour les députés, le Décret en date du 15 septembre, bouleversant ainsi la hiérarchie des normes du pays et ravalant constitution et loi organique au rang de simples normes subsidiaires !
Pour couvrir une atteinte aussi grave aux principes de légalité et de l’Etat de droit, le pouvoir a requis, après l’annonce de report par le Ministère de l’Intérieur, un avis du Conseil constitutionnel supposé pouvoir lui accorder une grâce de validation, mais l’enfonçant encore plus dans les sables de l’anti-constitutionnalité ! D’après la presse, le conseil constitutionnel a justifié ce report au nom du caractère discrétionnaire dont disposerait l’exécutif pour la fixation et la modification de la date des élections…Si tel devait être le cas, ce serait de la part de l’Auguste conseil, non pas seulement une erreur de droit manifeste mais un véritable acte de rébellion à l’égard de la constitution et des lois organiques dont il est le gardien car ce serait accorder aux actes de l’administration une valeur supra constitutionnelle !
Il est vrai que ce conseil avait d’emblée méconnu sa propre incompétence en la matière puisque qu’aucune disposition de la constitution ni aucun autre texte ne lui donnent une telle prérogative de donner un avis quelconque en la matière ! Outre le contrôle de constitutionnalité des lois, sa mission s’arrête en effet au contentieux électoral, présidentiel et parlementaire. Toute autre compétence est indue, et ne saurait par conséquent être invoquée à l’appui d’une quelconque décision unilatérale de report des élections. En faisant accepter cette grave atteinte à la légalité constitutionnelle, le conseil a donc accru le vide juridique pointé par le Chef de l’Etat lui-même, au lieu de le combler, renvoyant ainsi, pour la énième fois, la constitution du pays au rayon des normes accessoires du décorum institutionnel…
Donc erreur manifeste de procédure. Mais aussi, grave erreur sur le fond des règles concernant le motif avancé pour justifier ce report illégal.
Ce motif serait, suivant les cas, une demande faite par l’ « opposition » en vue d’une meilleure préparation électorale, ou la nécessité de faire un compromis entre tous les acteurs politiques pour « garantir la participation de tous aux prochaines élections et ce, dans un climat de réconciliation et de consensus national » (Vice-président de l’Assemblée Nationale à l’ouverture de la session de mai 2011).
D’abord, il convient de rappeler qu’au plan formel, l’opposition a une représentation légale- institutionnelle qui est celle de l’ « l’institution de l’opposition démocratique » dirigée par un Chef de file entouré d’un Comité de gestion et qui est habilitée à énoncer les demandes et réclamations officielles de l’opposition parlementaire. Cette institution, pas plus que celle plus large encore de la COD, n’a, à aucun moment, été sollicitée à donner son avis sur un tel report. Bien au contraire, l’immense majorité des membres de ces deux groupements des formations de l’opposition se sont toujours déclarés hostiles à tout report pour convenance personnelle de l’Exécutif et de sa majorité parlementaire et ont inlassablement réclamé la tenue d’élections libres, démocratiques et transparentes dans les délais impartis par la constitution et les lois en vigueur.
Et même dans l’hypothèse où une telle demande de report aurait-été formulée par cette opposition et consentie par le pouvoir en place, serait-ce suffisant pour autant pour le légaliser ? Rien n’est moins sûr !
En effet, l’accord éventuel entre les parties prenantes du jeu politique laisse entière la question du fondement juridique de la décision résultant de cet accord puisque ce dernier, en lui-même ne pourrait produire aucun effet de droit. Pour que le report puisse être fondé en droit, il faut qu’il puisse avoir un fondement légal de valeur au moins constitutionnelle qui donne force juridique à l’accord politique entre les parties (pouvoir et opposition représentative).
Il y’avait trois possibilités juridiques de le faire pour ce qui concerne le Parlement :
- la dissolution, qui aurait imposé un nouveau tempo électoral. Celle-ci est expressément prévue par la constitution elle-même. Mais elle ne peut aboutir à une prorogation du mandat des parlementaires mais nécessairement à son raccourcissement puisque les élections générales ont lieu 30 jours au moins et 60 jours au plus après la dissolution (Art 31 de la constitution).
- L’adoption par le Parlement, avant l’expiration de son mandat légal, d’une loi constitutionnelle par les voies prévues par la constitution elle-même et qui aurait modifié sans difficulté le calendrier électoral.
- L’inscription du report de ces élections dans le cadre de l’Accord de Dakar qui prévoit explicitement la possibilité pour les parties de poursuivre leurs efforts de dialogue et de les conclure par des arrangements y compris électoraux. Or, l’Accord de Dakar a une valeur constitutionnelle voire supra constitutionnelle puisque non seulement c’est lui qui a permis la restauration des institutions constitutionnelles (constitutionnalité matérielle ou par son objet) mais aussi a eu l’aval de la communauté internationale dont les représentants attitrés l’ont signé, lui donnant ainsi la valeur d’une norme constitutionnelle internationalisée. Sous l’égide de cet accord, le report aurait donc été formellement justifié et légalement validé au nom de la continuité des efforts de règlement de la crise résultant du coup d’Etat. Ce report aurait donc été le dernier acte entrepris dans le cadre de la normalisation politique et institutionnelle du pays.
En dehors de ces trois cas de figure, il n’y avait aucune possibilité de légalisation du report des élections. En les méconnaissant, le pouvoir s’est interdit d’agir dans le respect de la constitution. Qu’est-ce qui en résulte au plan juridique et politique ?
3. Les conséquences juridiques et politiques de l’invalidité du report
Diverses conséquences juridiques et politiques résultent de cette invalidité.
En premier lieu, l’illégalité du report entraîne l’expiration du mandat de l’ensemble de la représentation parlementaire comme l’impose l’article 2 de l’ordonnance précité en vertu du principe général selon lequel l’exercice des prérogatives est fonction de la validité de la compétence de l’organe. Or, la validité de cette dernière dépend de la validité du mandat sur lequel il prend appui. C’est la raison pour laquelle la loi organique précise que « Les pouvoirs de l’Assemblée expirent à l’ouverture de la session ordinaire » correspondant au mois d’expiration de son mandat.
En conséquence, l’ensemble des institutions dont le mandat des membres a cessé d’exister se trouvent totalement vidées de leur prérogatives constitutionnelles (parlement) ou législatives (Communes). Elles ne fonctionnent plus comme institutions régulières de la République mais comme institutions de fait, des institutions zombies, exerçant des charges publiques minimales indispensables à la continuité institutionnelle de l’Etat.
L’ensemble des lois et décisions adoptées en dehors du cadre de fonctionnement routinier de l’Etat, se trouvent délégitimées, frappées d’invalidité que ce soit ou non avec l’accord de leurs membres respectifs. La situation est alors identique à celle dans laquelle se trouvent les membres des différentes institutions de l’Etat au moment où se réalise une prise illégale de pouvoir (Coup d’Etat). Le fait de continuer de siéger dans un tel cas de figure ne vaut nullement validation du fait accompli ou reconnaissance de sa validité.
De fait, ce report illégal installe le pays dans une crise institutionnelle de grande ampleur puisque le gouvernement aussi perd sa légitimité du fait qu’il n’a plus une majorité parlementaire indispensable à son existence (principe constitutionnel de double responsabilité du Premier Ministre devant le Président de la République et devant le Parlement).
Pour sortir de cette crise, il importe pour les acteurs politiques de convenir des conditions de la restauration de l’Etat de droit par l’organisation d’élections générales réellement libres et transparentes qui remettraient le compteur à zéro dans le jeu des institutions de l’Etat. Cette organisation des élections, pour être crédibles doit être prise en mains par un gouvernement légitime et crédible, un gouvernement de large consensus national, et par des institutions d’arbitrage électoral (CENI, Conseil constitutionnel) réellement neutres et crédibles dans leur composition autant que dans leurs compétences et procédures. C’est précisément le scénario qui s’était imposé pour sortir le pays de la crise provoquée par la déchéance de l’Exécutif résultant du putsch. C’est celui qui s’impose également par suite de la péremption actuelle du mandat du Parlement et des Communes.
Toute autre voie ne serait que celle de la poursuite de la fuite en avant, la voie de l’approfondissement de la crise institutionnelle et politique qui affecte le pays et qui, à terme, risque de compromettre la paix et la stabilité du pays.
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