La Mauritanie, simplement par elle-même
ou : à quelque chose, malheur est bon !
Contraste saisissant entre le prospectus électoral diffusé par le frère cadet du ministre mauritanien des affaires étrangères, Kemal Ould Mohamedou, et la tentative de médiation – sans doute la dernière – initiée par le président sénégalais. D’un côté, la voie unique et paradisiaque, manichéenne aussi, amalgamant quantité de bienfaits et de qualités tous personnels : un candidat et bien davantage que ses propositions, déjà son bilan ! et de l’autre des marchandages de délais pour un scrutin, de réouverture des candidatures, de fabrication d’un nouveau gouvernement sur fond de prison, celle du Premier ministre légal, et de réduction à l’impuissance du président élu il y a tout juste deux ans pour cinq ans. D’un côté, tout va bien et de l’autre tout est compliqué, bloqué.
Si le général Mohamed Ould Abdel Aziz est vraiment candidat – au lieu d’être déjà au pouvoir de sa propre initiative et par la force – qu’aurait-il à perdre à démontrer qu’il est démocrate ? c’est-à-dire à cesser d’imposer un calendrier qui empêche les Mauritaniens de faire le travail préalable à toute décision, à toute consultation électorale ? Et là, il y a tant à faire.
Pour l’heure, un seul bilan est incontestable. L’échec des procédures constitutionnelles.
Deux constats.
1° Les institutions, fabriquées à huis clos en quelques jours en 1991 et adoptées certes par referendum, ont fait la preuve qu’un système autoritaire, celui du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, lui aussi déjà au pouvoir par la force au moment de son élection, s’accommode fort bien de cette façade démocratique, et son successeur, après une transition de quatre ans, tout à fait trompeuse, s’en accommodera fort bien, lui aussi, après son plébiscite. Quand en apparence les militaires ont passé la main, les politiques civils, sans doute de bonne foi, n’ont cependant pas fait mieux : le parlementarisme ne se comprend pas et ne se pratique pas d’un seul coup. Les deux usages de la Constitution de 1991 ont fait fiasco. La Mauritanie n’a pas d’institutions, aujourd’hui, qui lui conviennent. En 2005-2007, malgré les journées de concertation nationale d’Octobre, deux erreurs majeures ont été commises : ne pas refondre complètement la Constitution, ne pas réglementer l’organisation et les prérogatives des partis. Ou plutôt, les civils qui étaient conscients du danger présenté par les candidatures indépendantes des partis, n’ont pu se faire écouter des militaires. Signe de la préméditation de ces derniers pour reprendre le pouvoir avant terme et malgré les urnes ? question qui domine tous les événements depuis trois ans.
2° Les élections n’ont aucun sens. Le mandat donné à Maaouyia Ould Sd’Ahmed Taya n’expire qu’en Novembre prochain, celui de Sidi Ould Cheikh Abdallahi que dans trois ans, et Mohamed Ould Abdel Aziz en demande un pour cinq ans, en sus des dix mois qu’il s’est déjà octroyés. Laquelle de ces trois élections sera la bonne, le soir du plébiscite ? Quelle référence pour quel scrutin ? Chacun des trois critiquable, même si celui du 25 Mars 2007 n’a fait l’objet d’aucune contestation publique ni nationale ni internationale.
Il semble donc qu’un accord est à travailler et à construire dans un cadre et dans des délais les plus souples possibles. La Mauritanie a de graves questions à résoudre : aucune n’est soluble par des élections de l’un contre l’autre. Question des institutions constitutionnelles à réinventer sans autre référence que les habitudes mauritaniennes de toujours et que les prises de conscience plus récentes de ce que doivent être les libertés publiques et les droits de l’homme et de la femme. Questions sociales dont le pluralisme ethnique, l’éradication de l’esclavage, le règlement du passif humanitaire qui n’est pas que financier mais probablement judiciaire et pénal. Quel cadre – et par quels moyens – pour une économie de développement et non plus de corruption et d’accaparement où l’étranger sait exploiter les travers de quelques-uns s’étant bien placés dans la société mauritanienne. Comment réactualiser un rayonnement extérieur selon la vocation fondatrice qu’avait exprimée dès 1957, Moktar Ould Daddah : le trait d’union entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche.
Des états-généraux ou des journées de concertation, bien organisées ou frauduleuses ne suffisent plus. Surtout quand dominent des calendriers électoraux.
Un nouveau Parlement pourrait être le cadre de ce travail. Il serait constitué simplement par l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale elle-même composée uniquement de candidats présentés par les partis politiques, à l’exclusion de candidats soi-disant indépendants et disponibles pour tous les retournements, et par le Sénat renouvelé pour le tiers qui devait se faire élire en Avril dernier. Au Parlement s’adjoindraient suivant les questions, des commissions, des comités, des rencontres de la société civile, des forces armées, des différents intérêts économiques et sociaux et les associations, initiatives, groupements de toutes sortes, seraient également appelées à contribuer. Souplesse et convivialité qui avaient été le secret de Moktar Ould Daddah, quelles que soient les caricatures du parti unique rétrospectivement répandues. Les opposants et les générations nouvelles progressivement étaient invités à un débat où le parti n’était que structure à réhabiter et où l’influence et les places pouvaient être obtenues.
L’élection présidentielle ne serait anticipée qu’une fois acquis ce consensus sur les grandes questions pendantes depuis des décennies. En sorte que le pouvoir politique en Mauritanie ne fonctionne plus dans l’impatience de ceux qui ne l’exercent pas encore tandis que ceux qui l’ont reçu par des élections pas décisives l’exploitent au maximum.
L’exercice du pouvoir politique serait la mise en œuvre du consensus préalablement acquis à l’élection présidentielle. Le Parlement contrôlerait les gestions, il ne serait pas un mécanisme de remise en cause de l’élection présidentielle. L’histoire politique à venir ne serait pas celle des alternances au pouvoir. Jusqu’à présent, il n’y a eu – depuis 1978 – qu’une perpétuation de juntes et d’hommes forts, les débats n’ayant lieu qu’entre militaires, notamment entre 1978 et 1984, puis, le prospectus électoral de Mohamed Ould Abdel Aziz en est le cynique aveu, entre 2005 et 2007. La Mauritanie ne peut plus se permettre le système militaire et elle ne peut pas davantage – telle qu’elle est et continuera d’être – se diviser entre deux blocs politiques qui se contestent malgré les élections. En fait, ils se renversent en en appelant plus ou moins franchement aux forces armées, quand celles-ci ne prennent pas parti elles-mêmes, scenario de 2008.
Si Mohamed Ould Abdel Aziz est démocrate, il prend patience et organise, pour le renouvellement anticipé de l’Assemblée nationale, le parti qu’il préside, formé pour son élection présidentielle mais pouvant service à une élection d’attente. Et s’il est excellent gestionnaire et l’homme d’intégrité et de décision que vante sa propagande, il l’emportera tranquillement à l’élection présidentielle quand celle-ci aura lieu, d’autant qu’il est – son tract le rappelle – beaucoup plus jeune que les principaux candidats civils. Ces délais et cette probation montreront d’ailleurs qu’il a vraiment quitté l’uniforme, et démissionné de son pouvoir de fait. Bravo !
L’organisation de cette transition démocratique – pour une fois, enfin véritable, après celle de 1991-1992 puis celle de 2005-2007 – nécessite une personnalité autant désintéressée personnellement que d’expérience. L’élu du 25 Mars 2007, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’a peut-être pas convaincu par son exercice du pouvoir quand il était dominé et obsédé par les militaires et quand il était contesté par les partisans d’Ahmed Ould Daddah, ceux-ci fatiguésl d’attendre l’élection de leur champion depuis plus de quinze ans. En revanche, il me semble que son courage et sa disponibilité à répondre au consensus si celui-ci se fait, le désignent comme l’intérimaire le plus sûr. Et – ce qui n’est pas accessoire – le rétablissement dans ses fonctions de l’élu de 2007, est la seule voie qui permette à la fois de renouer avec la légalité et la légitimité, et de disposer à la tête de l’Etat d’une autorité impartiale. Le président de la République, rétabli, forme un gouvernement d’union nationale, dissout l’Assemblée actuelle, garantit l’honnêteté du scrutin – au besoin, la CENI de 2006-2007 est tout simplement remise en place, avec quelques additions, si c’est souhaité – et veille sur deux travaux parallèles. Le Parlement formulant le consensus mauritanien sur les grands sujets. Le gouvernement d’union nationale gérant les affaires courantes et urgentes, et – exceptionnellement – mettant en œuvre des segments du consensus s’ils sont vraiment acquis.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi, vrai successeur de Moktar Ould Daddah en tant que re-fondateur, anticipe l’élection présidentielle si le Parlement nouveau a mené à bien son travail. Il veillera sur la régularité de la prochaine élection présidentielle, si finalement elle se tient à son terme constitutionnel. Cette élection à venir a alors le caractère qu’elle ne saurait avoir si elle se tenait, comme il continue d’en être question, sans travaux préalables, sans autorité impartiale ni légitime à la tête de l’Etat : le caractère d’un choix décisif des Mauritaniens entre deux compréhensions de leur passé pour déterminer leur avenir. Ahmed Ould Daddah et le pouvoir consensuel des civils comme de 1957 à 1978 incarnerait le retour à des continuités fondamentales. Mohamed Ould Abdel Aziz incarne un consentement des Mauritaniens aux trente ans de pouvoir militaire et autoritaire. Pourquoi pas ? Dans cette version de l’histoire contemporaine, les forces armées depuis 1978 sont l’organe suprême de la souveraineté nationale et un recours permanent pour mettre fin au pouvoir des civils. Aux Mauritanies de décider entre ces deux versions qui ont des conséquences très pratiques pour leur vie, leur dignité et pour la paix sociale. Mais il peut y avoir aussi – hors les forces armées, ou plutôt hors l’initiative d’un des hiérarques en imposant aux autres par la coalition qu’il forme avec quelques complices – des choix plus subtils. Ainsi entre des lignées traditionnellement prééminentes et que peuvent incarner Ahmed Ould Daddah (comme Sidi Ould Cheikh Abdallahi), et des origines longtemps considérées comme bien plus modestes : Messaoud Ould Boulkheir, déjà fondateur par le mouvement El Hor, a démontré que ces autres lignées mauritaniennes contribuent décisivement à la légitimité nationale. Enfin, d’autres générations ont maintenant atteint l’âge du pouvoir. Ces choix sont apparemment un choix de personnalité. En réalité, c’est le choix de la Mauritanie par elle-même.
Grandes questions, choix entre les alternatives de l’histoire, venue de générations nouvelles : un plébiscite sous quinze jours ou sous trois mois enfermerait la Mauritanie alors qu’elle est mûre pour bien plus nuancé et riche – grâce au débat ouvert par les diverses prises de conscience et les si rapides successions à la tête de l’Etat. A quelque chose malheur aurait été bon.
A toutes ces expériences, la Mauritanie a d’ailleurs ajouté celle des procédures internationales – prévues par les traités auxquelles elle a adhéré et celle des médiations qui en découlent ou pas. Même quand elles sont le fait d’Africains et d’Arabes, ces médiations fleurent le néo-colonialisme, c’est-à-dire la supériorité de ceux qui croient connaître le pays et la nation mieux que les Mauritaniens, et qui apportent des solutions soi-disant d’expérience. Qui peut s’y reconnaître ? Ces procédures et ces médiations internationales n’ont d’ailleurs pas plus abouti que les institutions constitutionnelles nationales n’ont favorisé la démocratie.
La vocation mauritanienne – et elle l’a exercée à l’époque contemporaine avec Moktar Ould Daddah, à la suite immémoriale de ses sages, de ses soldats et de ses commerçants – est au contraire d’aider aux rencontres, aux conversions et aux consensus dans l’ensemble de l’Afrique de l’ouest, sinon du Maghreb au Machrek, et pourquoi pas le long des frontières européennes. La Mauritanie n’est pas faite pour être conseillée ni médiatisée.
ou : à quelque chose, malheur est bon !
Contraste saisissant entre le prospectus électoral diffusé par le frère cadet du ministre mauritanien des affaires étrangères, Kemal Ould Mohamedou, et la tentative de médiation – sans doute la dernière – initiée par le président sénégalais. D’un côté, la voie unique et paradisiaque, manichéenne aussi, amalgamant quantité de bienfaits et de qualités tous personnels : un candidat et bien davantage que ses propositions, déjà son bilan ! et de l’autre des marchandages de délais pour un scrutin, de réouverture des candidatures, de fabrication d’un nouveau gouvernement sur fond de prison, celle du Premier ministre légal, et de réduction à l’impuissance du président élu il y a tout juste deux ans pour cinq ans. D’un côté, tout va bien et de l’autre tout est compliqué, bloqué.
Si le général Mohamed Ould Abdel Aziz est vraiment candidat – au lieu d’être déjà au pouvoir de sa propre initiative et par la force – qu’aurait-il à perdre à démontrer qu’il est démocrate ? c’est-à-dire à cesser d’imposer un calendrier qui empêche les Mauritaniens de faire le travail préalable à toute décision, à toute consultation électorale ? Et là, il y a tant à faire.
Pour l’heure, un seul bilan est incontestable. L’échec des procédures constitutionnelles.
Deux constats.
1° Les institutions, fabriquées à huis clos en quelques jours en 1991 et adoptées certes par referendum, ont fait la preuve qu’un système autoritaire, celui du colonel Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, lui aussi déjà au pouvoir par la force au moment de son élection, s’accommode fort bien de cette façade démocratique, et son successeur, après une transition de quatre ans, tout à fait trompeuse, s’en accommodera fort bien, lui aussi, après son plébiscite. Quand en apparence les militaires ont passé la main, les politiques civils, sans doute de bonne foi, n’ont cependant pas fait mieux : le parlementarisme ne se comprend pas et ne se pratique pas d’un seul coup. Les deux usages de la Constitution de 1991 ont fait fiasco. La Mauritanie n’a pas d’institutions, aujourd’hui, qui lui conviennent. En 2005-2007, malgré les journées de concertation nationale d’Octobre, deux erreurs majeures ont été commises : ne pas refondre complètement la Constitution, ne pas réglementer l’organisation et les prérogatives des partis. Ou plutôt, les civils qui étaient conscients du danger présenté par les candidatures indépendantes des partis, n’ont pu se faire écouter des militaires. Signe de la préméditation de ces derniers pour reprendre le pouvoir avant terme et malgré les urnes ? question qui domine tous les événements depuis trois ans.
2° Les élections n’ont aucun sens. Le mandat donné à Maaouyia Ould Sd’Ahmed Taya n’expire qu’en Novembre prochain, celui de Sidi Ould Cheikh Abdallahi que dans trois ans, et Mohamed Ould Abdel Aziz en demande un pour cinq ans, en sus des dix mois qu’il s’est déjà octroyés. Laquelle de ces trois élections sera la bonne, le soir du plébiscite ? Quelle référence pour quel scrutin ? Chacun des trois critiquable, même si celui du 25 Mars 2007 n’a fait l’objet d’aucune contestation publique ni nationale ni internationale.
Il semble donc qu’un accord est à travailler et à construire dans un cadre et dans des délais les plus souples possibles. La Mauritanie a de graves questions à résoudre : aucune n’est soluble par des élections de l’un contre l’autre. Question des institutions constitutionnelles à réinventer sans autre référence que les habitudes mauritaniennes de toujours et que les prises de conscience plus récentes de ce que doivent être les libertés publiques et les droits de l’homme et de la femme. Questions sociales dont le pluralisme ethnique, l’éradication de l’esclavage, le règlement du passif humanitaire qui n’est pas que financier mais probablement judiciaire et pénal. Quel cadre – et par quels moyens – pour une économie de développement et non plus de corruption et d’accaparement où l’étranger sait exploiter les travers de quelques-uns s’étant bien placés dans la société mauritanienne. Comment réactualiser un rayonnement extérieur selon la vocation fondatrice qu’avait exprimée dès 1957, Moktar Ould Daddah : le trait d’union entre l’Afrique noire et l’Afrique blanche.
Des états-généraux ou des journées de concertation, bien organisées ou frauduleuses ne suffisent plus. Surtout quand dominent des calendriers électoraux.
Un nouveau Parlement pourrait être le cadre de ce travail. Il serait constitué simplement par l’élection d’une nouvelle Assemblée nationale elle-même composée uniquement de candidats présentés par les partis politiques, à l’exclusion de candidats soi-disant indépendants et disponibles pour tous les retournements, et par le Sénat renouvelé pour le tiers qui devait se faire élire en Avril dernier. Au Parlement s’adjoindraient suivant les questions, des commissions, des comités, des rencontres de la société civile, des forces armées, des différents intérêts économiques et sociaux et les associations, initiatives, groupements de toutes sortes, seraient également appelées à contribuer. Souplesse et convivialité qui avaient été le secret de Moktar Ould Daddah, quelles que soient les caricatures du parti unique rétrospectivement répandues. Les opposants et les générations nouvelles progressivement étaient invités à un débat où le parti n’était que structure à réhabiter et où l’influence et les places pouvaient être obtenues.
L’élection présidentielle ne serait anticipée qu’une fois acquis ce consensus sur les grandes questions pendantes depuis des décennies. En sorte que le pouvoir politique en Mauritanie ne fonctionne plus dans l’impatience de ceux qui ne l’exercent pas encore tandis que ceux qui l’ont reçu par des élections pas décisives l’exploitent au maximum.
L’exercice du pouvoir politique serait la mise en œuvre du consensus préalablement acquis à l’élection présidentielle. Le Parlement contrôlerait les gestions, il ne serait pas un mécanisme de remise en cause de l’élection présidentielle. L’histoire politique à venir ne serait pas celle des alternances au pouvoir. Jusqu’à présent, il n’y a eu – depuis 1978 – qu’une perpétuation de juntes et d’hommes forts, les débats n’ayant lieu qu’entre militaires, notamment entre 1978 et 1984, puis, le prospectus électoral de Mohamed Ould Abdel Aziz en est le cynique aveu, entre 2005 et 2007. La Mauritanie ne peut plus se permettre le système militaire et elle ne peut pas davantage – telle qu’elle est et continuera d’être – se diviser entre deux blocs politiques qui se contestent malgré les élections. En fait, ils se renversent en en appelant plus ou moins franchement aux forces armées, quand celles-ci ne prennent pas parti elles-mêmes, scenario de 2008.
Si Mohamed Ould Abdel Aziz est démocrate, il prend patience et organise, pour le renouvellement anticipé de l’Assemblée nationale, le parti qu’il préside, formé pour son élection présidentielle mais pouvant service à une élection d’attente. Et s’il est excellent gestionnaire et l’homme d’intégrité et de décision que vante sa propagande, il l’emportera tranquillement à l’élection présidentielle quand celle-ci aura lieu, d’autant qu’il est – son tract le rappelle – beaucoup plus jeune que les principaux candidats civils. Ces délais et cette probation montreront d’ailleurs qu’il a vraiment quitté l’uniforme, et démissionné de son pouvoir de fait. Bravo !
L’organisation de cette transition démocratique – pour une fois, enfin véritable, après celle de 1991-1992 puis celle de 2005-2007 – nécessite une personnalité autant désintéressée personnellement que d’expérience. L’élu du 25 Mars 2007, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’a peut-être pas convaincu par son exercice du pouvoir quand il était dominé et obsédé par les militaires et quand il était contesté par les partisans d’Ahmed Ould Daddah, ceux-ci fatiguésl d’attendre l’élection de leur champion depuis plus de quinze ans. En revanche, il me semble que son courage et sa disponibilité à répondre au consensus si celui-ci se fait, le désignent comme l’intérimaire le plus sûr. Et – ce qui n’est pas accessoire – le rétablissement dans ses fonctions de l’élu de 2007, est la seule voie qui permette à la fois de renouer avec la légalité et la légitimité, et de disposer à la tête de l’Etat d’une autorité impartiale. Le président de la République, rétabli, forme un gouvernement d’union nationale, dissout l’Assemblée actuelle, garantit l’honnêteté du scrutin – au besoin, la CENI de 2006-2007 est tout simplement remise en place, avec quelques additions, si c’est souhaité – et veille sur deux travaux parallèles. Le Parlement formulant le consensus mauritanien sur les grands sujets. Le gouvernement d’union nationale gérant les affaires courantes et urgentes, et – exceptionnellement – mettant en œuvre des segments du consensus s’ils sont vraiment acquis.
Sidi Ould Cheikh Abdallahi, vrai successeur de Moktar Ould Daddah en tant que re-fondateur, anticipe l’élection présidentielle si le Parlement nouveau a mené à bien son travail. Il veillera sur la régularité de la prochaine élection présidentielle, si finalement elle se tient à son terme constitutionnel. Cette élection à venir a alors le caractère qu’elle ne saurait avoir si elle se tenait, comme il continue d’en être question, sans travaux préalables, sans autorité impartiale ni légitime à la tête de l’Etat : le caractère d’un choix décisif des Mauritaniens entre deux compréhensions de leur passé pour déterminer leur avenir. Ahmed Ould Daddah et le pouvoir consensuel des civils comme de 1957 à 1978 incarnerait le retour à des continuités fondamentales. Mohamed Ould Abdel Aziz incarne un consentement des Mauritaniens aux trente ans de pouvoir militaire et autoritaire. Pourquoi pas ? Dans cette version de l’histoire contemporaine, les forces armées depuis 1978 sont l’organe suprême de la souveraineté nationale et un recours permanent pour mettre fin au pouvoir des civils. Aux Mauritanies de décider entre ces deux versions qui ont des conséquences très pratiques pour leur vie, leur dignité et pour la paix sociale. Mais il peut y avoir aussi – hors les forces armées, ou plutôt hors l’initiative d’un des hiérarques en imposant aux autres par la coalition qu’il forme avec quelques complices – des choix plus subtils. Ainsi entre des lignées traditionnellement prééminentes et que peuvent incarner Ahmed Ould Daddah (comme Sidi Ould Cheikh Abdallahi), et des origines longtemps considérées comme bien plus modestes : Messaoud Ould Boulkheir, déjà fondateur par le mouvement El Hor, a démontré que ces autres lignées mauritaniennes contribuent décisivement à la légitimité nationale. Enfin, d’autres générations ont maintenant atteint l’âge du pouvoir. Ces choix sont apparemment un choix de personnalité. En réalité, c’est le choix de la Mauritanie par elle-même.
Grandes questions, choix entre les alternatives de l’histoire, venue de générations nouvelles : un plébiscite sous quinze jours ou sous trois mois enfermerait la Mauritanie alors qu’elle est mûre pour bien plus nuancé et riche – grâce au débat ouvert par les diverses prises de conscience et les si rapides successions à la tête de l’Etat. A quelque chose malheur aurait été bon.
A toutes ces expériences, la Mauritanie a d’ailleurs ajouté celle des procédures internationales – prévues par les traités auxquelles elle a adhéré et celle des médiations qui en découlent ou pas. Même quand elles sont le fait d’Africains et d’Arabes, ces médiations fleurent le néo-colonialisme, c’est-à-dire la supériorité de ceux qui croient connaître le pays et la nation mieux que les Mauritaniens, et qui apportent des solutions soi-disant d’expérience. Qui peut s’y reconnaître ? Ces procédures et ces médiations internationales n’ont d’ailleurs pas plus abouti que les institutions constitutionnelles nationales n’ont favorisé la démocratie.
La vocation mauritanienne – et elle l’a exercée à l’époque contemporaine avec Moktar Ould Daddah, à la suite immémoriale de ses sages, de ses soldats et de ses commerçants – est au contraire d’aider aux rencontres, aux conversions et aux consensus dans l’ensemble de l’Afrique de l’ouest, sinon du Maghreb au Machrek, et pourquoi pas le long des frontières européennes. La Mauritanie n’est pas faite pour être conseillée ni médiatisée.