jeudi 26 juin 2008

textes Moktar - l'ensemble mauritanien - Atar, 1er Juillet 1957

Moktar Ould Daddah a environ 35 ans, il a été élu en tête de liste, au mois de Mars, dans l'Adrar et il est depuis six semaines le vice-président du premier conseil de gouvernement mauritanien - organisé par la Loi-cadre (dite Loi Defferre, 23 Juin 1956).

Il s'agit pour lui - qui vient seul à Atar, accompagné du directeur et du chef de son cabinet (Villandre et Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske) - de poser autrement qu'en termes habituels à l'adfministration et aux élus de l'époque coloniale, la question de la personnalité mauritanienne, face au projet français d'O.C.R.S. et face à la revendication marocaine, projet et revendication qui sont en train de prendre consistance.


Discours prononcé à Atar, le 1er Juillet 1957,
par le vice-président du Conseil de gouvernement,
Me Moktar Ould Daddah



Mes chers amis, mes chers compatriotes,

C’est avec une émotion toujours renouvelée, que je me retrouve dans ce cadre de l’Adrar immortalisé par le poète qui a chanté les noms prestigieux de « Gour Hamogjar, du Batem, du Dhar Tiffojjar » et surtout au milieu de vous tous à qui je dois la place que j’occupe maintenant. Je tiens à vous remercier à nouveau de la confiance que vous m’avez accordée, me permettant ainsi d’accéder aux plus hautes responsabilités. Je puis vous assurer que cette confiance ne sera pas déçue. Je veux aussi remercier tout particulièrement l’Emir de l’Adrar à l’hospitalité duquel nous devons de nous retrouver tous ensemble ce soir. Je lui suis reconnaissant de vous avoir rassemblés ici pour entendre ce que j’ai à vous dire.

Je vous convie aujourd‘hui à regarder avec moi au-delà de la falaise du Dhar, au-delà des dûnes de l’Akchar et de l’Azefal, pour embrasser d’un seul coup tout le « Trab el Beïdane » c’est à dire la Mauritanie.

Je vous invite à oublier vos préoccupations et vos soucis, pour nous pencher ensemble sur des problèmes beaucoup plus vastes, intéressant l’avenir de la Mauritanie tout entière.

C’est à dessein que je choisis l’Adrar pour évoquer, pour la première fois publiquement, des questions qui intéressent non seulement l’ensemble de notre pays mais débordent au-delà de ses frontières. La Mauritanie n’est plus ce vaste désert jadis si difficile à traverser et qui constituait entre le monde méditerranéen et l’Afrique noire une sorte de barrière que franchissaient mal les idées et les hommes.

Aujourd’hui grâce au progrès, grâce au développement des moyens de communication, grâce à la radio, à la presse comme aussi à la traditionnelle « radio Beïdane », nous nous trouvons étroitement mêlés à tout ce qui se passe autour de nous.Un lien de solidarité de plus en plus fort unit désormais tous les Mauritaniens conscients d’appartenir à une même communauté de l’Atlantique au Soudan.

Mais cette solidarité déborde nos frontières, elle englobe les populations Maures du Sahara Espagnol et des confins Marocains. Il m’a paru nécessaire de faire connaître aux uns et aux autres ce que nous entendons faire de la Mauritanie pour susciter leur compréhension, les intéresser à nos efforts et leur montrer la part qu’ils peuvent y prendre.

C’est précisément Atar que je choisis pour m’adresser à eux, parce que tout d’abord Atar, par sa position géographique au nœud des routes qui mènent des rives de l’Atlantique aux confins du Soudan, du Sud Marocain au Sénégal, est, par excellence, un lieu de rencontre, de réunion et d’échange ; qu’il s’agisse de marchandises, de troupeaux ou de nouvelles, c’est à Atar que se fait le relais. Ce Ksar où cohabitent des éléments de toutes origines, venus de tous les horizons, est par excellence un foyer de brassage d’idées et d’affaires, un foyer de rayonnement commercial et intellectuel.

Si je choisis Atar, c’est aussi parce que toute la Mauritanie est actuellement tournée vers l’Adrar où vos guerriers viennent d’affirmer et réaffirment demain encore s’il le faut, la volonté de tous de défendre l’intégrité du sol mauritanien. Je renouvelle ici le témoignage d’admiration et de reconnaissance de toute la Mauritanie pour tous ceux, Mauritaniens, Français de la Métropole ou des Territoires de l’A.O.F., qui ont si vaillamment combattu pour la défense de notre liberté.

Population de l’Adrar, avant-gardes vigilantes face à l’agresseur, vous constituez aussi nos meilleurs ambassadeurs tant auprès de nos frères du Sahara espagnol que de nos amis marocains ; voulant qu’ils m’entendent, je compte sur vous pour leur transmettre aux uns et aux autres mon message et pour vous faire auprès d’eux les avocats de la Mauritanie nouvelle. Vous leur direz d’abord quels sont nos espoirs et ce vers quoi tendent aujourd’hui tous nos efforts. Nous voulons construire, avec l’aide de la France, une communauté franco-mauritanienne basée sur l’égalité et la reconnaissance de nos intérêts et de nos libertés réciproques. Le pas immense que nous venons de franchir par l’application de la Loi-Cadre, nous ouvre les perspectives les plus brillantes sur un idéal de liberté et de prospérité que nul ne peut contester.

Demain nos efforts conjugués avec ceux de la France placeront la Mauritanie au rang des nations modernes. Demain notre pays aura dans le monde la place qu’il mérite, celle d’un pays doté d’une économie moderne et pourvu d’une élite capable de gérer sagement et démocratiuquement ses propres affaires, un pays qui, parce qu’il compte chez lui les plus éminents docteurs de l’Islam, voit son autorité spirituelle universellement reconnue. La Mauritanie est en effet un pont naturel, un trait d’union entre le monde arabo-berbère méditerranéen et le monde noir. La Mauritanie est, et doit demeurer le pays où la culture musulmane traditionnelle et la culture occidentale se développent côte à côte sans s’opposer mais bien au contraire en se complétant harmonieusement.

En un mot si nous le voulons, avec l’aide d’Allah, la Mauritanie sera demain un carrefour où se rencontreront et coexisteront pacifiquement les hommes de toutes origines, de toutes civilisations et de toutes cultures.

A ces différentes perspectives, il faut encore ajouter la vocation saharienne de la Mauritanie et c’est ici que je m’adresse plus particulièrement à nos frères du Sahara espagnol.

Je ne peux m’empêcher d’évoquer les innombrables liens qui nous unissent : nous portons les mêmes noms, nous parlons la même langue, nous conservons les mêmes nobles traditions, nous vénérons les mêmes chefs religieux, faisons paître nos troupeaux sur les mêmes pâturages, les abreuvons aux mêmes puits. En un mot, nous nous réclamons de cette même civilisation du désert dont nous sommes si justement fiers.

Je convie donc nos frères du Sahara espagnol à songer à cette grande Mauritanie économique et spirituelle à laquelle nous ne pouvons pas ne pas penser dès maintenant. Je leur adresse et je vous demande de le leur répéter, un message d’amitié, un appel à la concorde de tous les Maures de l’Atlantique à l’Azaouad et du Draa aux rives du Sénégal.

L’heure est passée des rezzou et des luttes fratricides opposant les uns aux autres. J’engage nos frères du Tiris, de l’Adrar Soutoff, du Zemmour, de la Séguia El Hamra, de l’Imrikli, de la Gaad et du Chebka, à se tourner ensemble vers un avenir commun, à partager avec nous les heureuses perspectives que nous réservent l’exploitation des richesses de notre sol et la mise en valeur de notre pays.

Ils bénéficierons avec nous des moyens immenses mis à notre dispotision par l’O.C.R.S. à laquelle la Mauritanie est invitée à s’associer et dont le démarrage et le développement ne sauraient nous laisser indifférents.

L’Adrar et le Zemmour sont ouverts à leurs troupeaux, nos palmeraies les accueillent pour la « guetna » ; ils peuvent y venir en sécurité, profiter de l’hospitalité mauritanienne mais encore faut-il qu’eux aussi accueillent sans réticence nos troupeaux et nos tentes, lorsque les nécessités du pâturage nous amènent à nomadiser au-delà de cette limite artificielle qu’est une frontière que nous voulons voir disparaître de nos cœurs avant qu’elle ne s’efface sur les cartes.

D’aucun voudraient que cette hospitalité fût à sens unique et que soit interdit le Sahara espagnol aux Mauritaniens n’ayant pas fourni l’aide ou donné de gage au Djich Tharir. D’aucuns même n’ont pas hésité à violer les lois sacrées de l’hospitalité beïdane pour plaire aux ordres d’étrangers nouveaux venus au Sahara où ils voudraient imposer leurs lois au nom d’une prétendue libération. Les Maures ont toujours été des hommes libres. Jamais ils ne se sont laissés imposer leurs chefs. Ils n’accepteront pas plus ceux-là qui sont aussi dépaysés dans notre Sahara que nous le sommes nous-mêmes dans leurs bruyantes cités du nord ; sans doute, sont-ils attirés chez nous par les richesses découvertes dans notre sol, mais l’appât du gain ne saurait leur servir de titre de propriété et encore moins leur conférer le droit au commandement ; si nous accueillons tous ceux qui veulent travailler avec nous, nous ne voulons à aucun prix recevoir l’ordre d’intrus venus pour nous dresser les uns contre les autres, se prétendant en cela meilleurs musulmans que nous.

Ils appliquent la formule « diviser pour régner » et cherchent à nous lancer dans une lutte fratricide. Nous ne serons pas dupes. A ces Réguibats du Sahel et du Charg, nomades de la Ségui el Hamra et du Rio, Tekna Larroussyines, Oulad Tidrarine, Oulad Delim et Ahel Cheikh Ma el Aïnin, nous disons : Soyons unis et ne nous laissons plus divisés par des étrangers.

« Si deux groupes de croyants se mettent à se faire la guerre, conciliez-les ; si l’un de ces groupes cherche à opprimer l’autre, battez-vous contre lui jusqu’à ce qu’il revienne à l’ordre de Dieu ».

Voilà, hommes de l’Adrar, chres compatriotes et amis, le message de fraternité que je vous demande de répéter dans tous les campements du Sahel.

Me tournant maintenant vers le nord, je voudrais de la même façon me faire entendre de nos voisins et amis marocains.

En votre nom et au nom de tous les Mauritaniens, je leur adresse notre salut amical et tiens à les assurer de notre désir sincère d’entretenir avec eux comme avec tous les peuples voisins les relations de bon voisinage que nous n’avons jamais cessé d’avoir avec eux. Nous leur demandons de respecter notre personnalité et l’intégrité de nos frontières comme nous respectons les leurs, de nous laisser suivre sagement le chemin de notre propre évolution, sans intervenir pour nous conseiller et nous imposer une destinée dont le choix n’appartient qu’à nous et à nous seuls.

Je suis sûr que nous serons entendus et compris chez nos voisins, car nos voisins et amis marocains ont déjà affirmé par la voix de plusieurs de leurs dirigeants leur volonté de respecter les aspirations des peuples et leur droit à disposer librement d’eux-mêmes. J’ajoute que je ne peux m’empêcher de crier notre étonnement et même notre indignation devant la légèreté avec laquelle certains, prétendant parler au nom de la Mauritanie, droit que nous leur refusons formellement, veulent disposer de nous. Serions-nous à vendre ou incapables d’exprimer nous-mêmes notre volonté ? Notre indignation est d’autant plus grande que ces prétendus représentants de la Mauritanie trouvent dans certains milieux marocains une aide inexplicable et injustifiable. Nous souhaitons que les dirigeants du Maroc interviennent pour que cesse une campagne – que leur silence semble accréditer – et que l’opinion marocaine, enfin éclairée, ne soit plus dupée par ces faux ambassadeurs.

Pour que tous sachent nos véritables sentiments et que s’établisse une compréhension mutuelle, je tiens à proclamer notre désir de voir se renouer et se développer nos relations passées. Nous voulons voir reprendre les échanges commerciaux qui s’effectuaient traditionnellement entre le sud marocain et la Mauritanie. Et que, seule, a pu interrompre la présence à nos confins de bandes incontrôlées se nommant « Armée de libération ».

Nous désirons que de plus en plus nombreux nos amis du Maroc viennent chez nous se rendre compte par eux-mêmes de ce qui est. En effet, nous n’avons rien à cacher, bien au contraire, nous sommes fiers des réalisations dont nous pouvons faire état dans les domaines spirituel, économique et social. La bienvenue sera réservée à tout visiteur pourvu que celui-ci n’apporte avec lui ni la guerre ni les paroles de haine ou de discorde que nous ne voulons pas entendre.

Nous souhaitons que ceux qui ont été expulsés il y a quelques mois comprennent particulièrement notre appel. Que cet exil leur serve de leçon. Qu’ils ne craignent pas de solliciter leur retour s’ils sont prêts à affirmer sans équivoque leur respect de la volonté mauritanienne. Ainsi prouvons-nous notre bonne volonté et la loyauté de nos intentions.

Et maintenant, à ceux qui ne voudraient pas comprendre et refuseraient la main que nous tendons, à ceux qui voudraient malgré tout se lancer dans une agression ou tenter de diviser les Maures, en prétendant les libérer, nous répondrons par les armes et le »qiçaç » ou « la loi du talion ». Aux coups de fusils nous répondrons par les balles de nos fusils, de nos engins blindés et de nos avions. Au pillage, nous répondrons par le pillage. Au rapt par le rapt. Notre population tout entière se dressera face à l’agresseur et elle aura l’appui de toutes les forces que la France met à notre disposition pour défendre nos frontières. Nous le poursuivrons jusqu'au lieu de son refuge, quel qu’il soit et où qu’il se trouve.

« Celui qui s’est conduit injustement vis-à-vis de vous, payez-le de la même façon ».

A ceux qui, se prétendant meilleurs patriotes que nous, vont porter leur aide aux soi-disant libérateurs, je répondrai que le véritable patriote est celui qui défend le sol sur lequel il est né ; l’autre, celui qui se met au service d’une nation étrangère pour travailler contre les véritables intérêts de la Patrie qu’il trahit, celui-là est un traître à son pays et aux siens. Il ne mérite que le châtiment suprême sur cette terre et celui que leur réserve le Tout Puissant dans l’autre monde…

Nous ne voulons de mal à personne, nous voulons seulement qu’on nous laisse vivre en paix et nous saurons défendre de toute notre énergie la paix régnant actuellement en Mauritanie et qu’on semble nous reprocher.

On voudrait nous faire passer pour de mauvais musulmans parce que nous sommes attachés à la France. A cela nous répondrons que nous avons de bonnes raisons de l’être, que la reconnaissance n’est pas pour nous un sentiment honteux et surtout que si demeurons aux côtés de la France, c’est parce que nous avons la conviction que malgré les difficultés de l’heure, malgré les désaccords et les oppositions, elle demeurera toujours l’amie des peuples musulmans et que cette amitié ne peut que se resserrer dans l’avenir. Vous savez bien, renoncer à l’amitié de la France, ce serait renoncer à toute perspective d’avenir radieux pour notre pays, ce serait revenir en arrière, ce serait abandonner toute idée d’évolution, toute idée d’une grande Mauritanie riche et prospère.

« Dieu ne vous met pas en garde contre ceux (les infidèles) qui ne combattent pas votre religion et ne cherchent pas à vous chasser de chez vous ; Dieu ne vous défend pas d’être courtois et justes avec eux car Dieu aime les justes. »

Certains nous accusent encore d’être de mauvais Arabes parce que nous défendons l’intégrité de notre pays en refusant l’annexion ou la domination. Est-il besoin de leur rappeler que d’autres pays arabes, comme la Syrie, la Jordanie, l’Arabie saoudite pour ne citer que ceux-là, ont tenu comme nous, à garder jalousement leur indépendance malgré les appétits et les ambitions de certains de leurs voisins. Et pourtant ils ne sont que je sache ni mauvais musulmans, ni traîtres à la cause arabe.

Tel est, mes chers compatriotes, le message de paix que j’adresse à tous les Maures désireux de bâtir avec nous la Mauritanie nouvelle dans laquelle ils ne seront pas des parents pauvres habitant d’une marche lointaine d’un empire mais des citoyens libres et égaux d’une nation qui naît. Tel est aussi l’avertissement solennel à ceux qui doutent de notre détermination à faire ensemble la patrie mauritanienne.

« Travaillez ! Dieu regarde votre travail, ainsi que son Envoyé et tous les croyants. »

« O Seigneur, accorde-nous ta miséricorde et donne-nous le succès dans nos entreprises. »

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