17 Juin 1951 & 19 Juin 1961
Sidi El Moktar N’Diaye élu à l’Assemblée nationale française & Signature des accords de coopération avec la France
Le 17 Juin 1951, Sidi El Moktar N’Diaye l’emporte par 25.039 voix contre 23.649 voix à Horma Ould Babana, 2.432 à Ba Hamat, 277 à N’Diaye Guibril, 17 à Torré et 11 à Sanchez Calzadille, ces deux derniers n’étant pas candidats. Electeurs inscrits à lépoque : 135.586 et votants ce jour-là : 52.181. Mais l’élection du candidat de l’U.P.M., soutenu en fait par l’administration coloniale, est aussitôt contestée par celui qui est encore président du Conseil général. Selon le droit constitutionnel français de l’époque, c’est à l’Assemblée nationale métrpopolitaine elle-même de statuer. Sa commission de recensement général des votes note la faible participation : 40%, mais ne la juge pas anormale selon la moyenne de l’Afrique occidentale française, d’autant qu’en cette saison, une partie de la population du Hodh transhume au Soudan (future république du Mali) Les arguments d’Horma Ould Babana, à près de soixante ans de distance, ont un son contemporain : en théorie, pas d’ingérence de l’administration, mais manipulation de la géographie des bureaux de vote, les uns très accessibles, d’autres distants de parfois 60 kilomètres d’une fraction réputée favorable au député sortant, horaires, règles données à la radio, diffusion hâtive de résultats partiels pouvant influencer les derniers suffrages. La commission a « l’impression très nette qu’il s’agit des doléances d’un candat battu dont on comprend le mécontentement mais qui ne craint pas d’affirmer et de se contredire ensuite » [1].
Le 19 Juillet, l’élection de Sidi El Moktar N’Diaye comme député à l’Assemblée nationale métropolitaine est donc validée. C’est un tournant dans la vie politique du Territoire. Le Gouverneur est aussitôt remplacé, et Pierre Messmer, chargé de l’expédition des affaires courantes : il commandait jusques-là l’Adrar. Première décision, le lendemain de la validation du député : le redécoupage des circonscriptions pour les élections au Conseil général, que la loi métropolitaine du 6 Février 1952 va ériger en Assemblée territoriale. Le 1er Décembre, Horma Ould Babana est réintégré dans le cadre commun supérieur des services administratifs, financiers et comptables de l’A.O.F.. et affecté au Gouvernement général à Dakar.
Ce scrutin est significatif à deux points de vue.
D’une part, il est – pour la première fois – proprement mauritanien. La première élection, celle de 1945 à l’Assemblée constituante métropolitaine, fusionnait le Territoire avec celui du Sénégal. La seconde en 1946 avait été dominée par les socialistes français, bien relayés en Afrique occidentale et l’U.P.M. – machine des milieux « traditionnels » pour contrer Horma Ould Babana (chronique anniversaire de la fondation de l’Union progressiste de Mauritanie, les 16-20 Février 1948 – Le Calame du 12 Février 2008) lesquels s’étaient pratiquement apparentés au R.P.F. du général de Gaulle. L’administration coloniale, quant à elle, était surtout soucieuse de la paix en brousse et était partagée suivant les gouvernements à Paris sur la contagion en Afrique occidentale du Rassemblement démocratique africain, le R.D.A. Celui-ci ne « prend » pas en Mauritanie, même dans la Vallée du Fleuve. Le scrutin du 17 Juin montre au contraire que non seulement les partis sont nationaux avant la lettre, mais surtout qu’il n’y a place que pour deux, avec sans doute des clivages tribaux, mais pas de différenciation régionale ni de base ethnique. Cette sociologie et surtout cette géographie électorales rendent exceptionnel cette époque de l’histoire mauritanienne : elle va peu durer.
D’autre part, le scrutin est l’amorce d’une vie politique et d’organisation des partis – véritables. Jusques là, la Mauritanie se définissait – selon l’administration coloniale – comme en dehors des partis politiques. Revue des partis en 1950, conclusion du Bulletin de renseignements sur la Mauritanie . Dans l’ensemble, les partis politiques ont peu de partisans. Cette faiblesse numérique étant d’ailleurs compensée par la valeur qualitative de leurs adhérents. Ils sont encadrés par les fonctionnaires qui satisfont ainsi leur désir de prendre part à la gestion des affaires publiques et croient pouvoir ainsi acquérir des avantages que ne leur confèreraient pas normalement leur situation. L’argent est fourni par les gros commerçants, les cotisations étant insuffisantes à alimenter la caisse.
On peut dire qu’en Mauritanie, aucu effort n’a été fait pour enrôler des effectifs nombreux. La politique est l’apanage de quelques-uns : gros commerçants, fonctionnaires, chefs traditionnels et, si la masse peut être parfois mise en mouvement, elle obéit à des instructions et n’agit pas spontanément. L’action de ces groupes est d’ailleurs très limitée et se cantonne aux agglomérations, au chef-lieu d’abord qui attire – les occasions sont nombreuses. Tous ceux qui n’ayant pas d’occupations très définies sont avides de renseignements et désireux de se montrer, de plastronner et aussi de rapporter dans leurs campements des nouvelles fraîches, grâce auxquelles ils pensent pouvoir acquérir plus de prestige aux yeux de leurs semblables. A l’intérieur du Territoire, c’est dans les maisons basses des ksour aux ruelles étroites et tortueuses que se nouent les intrigues, et que se font et se défont les alliances. Les grands nomades, les Regueibat en particulier sont restés étrangers à l’activité politique. La politique ne pouvant rien leur rapporter, ils la dédaignent.
En Mauritanie, la politique n’a fait que provoquer le réveil des vieilles querelles. Les partis n’ont ni doctrine ni programme ; ils ne s’intéressent qu’aux problèmes locaux et trop souvent ils ont tendance à influencer les décisions de l’administration. Cette particularité explique leur stabilité apparente sur laquelle on aurait tort d’ailleurs de se faire illusion. [2].
Le 19 Juin 1961, à l'Hôtel de Matignon à Paris, les Premiers Ministres de la République française et de la République Islamique de Mauritanie signent les accords de coopération franco-mauritaniens. Il s’agit d’abord d’un traité de coopération entre les " deux Etats tenant compte des liens particuliers d'amitié qui les unissent " et ensuite d’une série d’accords en matière de défense, d’assistance militaire technique, de coopération en matière économique, monétaire et financière. Ce sont les plus importants. Les autres règlent la coopération en matière de justice, la coopération culturelle, enfin les coopérations pour les postes et télécommunications, l’aviation civile, la marine marchande et divers concours en personnel. Michel Debré assure que " ces accords sont pour une grande part la consécration de l'œuvre accomplie ensemble depuis plusieurs générations " et Moktar Ould Daddah répond : " nous n'hésitons pas à demander au grand jour, à la France de nous apporter son aide suivant ses généreuses traditions … Au moment où la puissance hier colonisatrice, accorde l'indépendance celle-ci est menacée par un autre pays frère de race et de religion et qui est africain ". Il demande en conclusion le " règlement définitif du conflit algérien ".
Comme demandé par la partie mauritanienne (chronique anniversaire du 6 Juin 1961 – Le Calame du 3 Juin 2008), le traité est rédigé sur le modèle de ceux conclus, six semaines auparavant, par les Etats de l’Entente avec l’ancienne métropole, c’est-à-dire hors de la Communauté. Pour les Etats demeurant dans la Communauté instituée par le referendum positif (y compris en Mauritanie) du 28 Septembre 1958, pas de traité mais des accords particuliers dont un sur la participation de l’Etat africain signataire à la Communauté [3]. Ce traité est de coopération diplomatique : sauf pour le décanat du coprs diplomatique revenant de droit, à Nouakchott, à l’ambassadeur de France et pour l’aide technique à l’organisation et à la formation des corps diplomatique et consulaire mauritaniens, les clauses sont de réciprocité, notamment pour la représentation dans les pays tiers. Il est entendu qu’il ne saurait être interprêté « comme comportant pour l’un des deux Etats contractants une limitation quelconque à son pouvoir de négocier et de conclure des traités, conventions ou autres actes internationaux ». L’accord de défense a les mêmes considérants que ceux passés par les Etats de l’Entente, ensemble, avec la France, mais qui différent assez sensiblement de ceux conclus par les Etats d’Afrique équatoriale [4]. Mais son dispositif est spécial. Sans doute, l’aide et l’assistance mutuelle, la responsabilité du nouvel Etat indépendant pour sa défense intérieure et extérieure ont le même libellé, mais il n’est pas fait allusion « à la libre disposition des installations militaires nécessaires aux besoins de la défense » mais seulement à des facilités. Le comité de défense réglant « l’importance numérique des troupes françaises » est bipartite alors qu’avec l’Entente et avec l’Afrique équatoriale, la France organise des conseils régionaux quadri-partites. L’accord de coopération en matière économique, monétaire et technique est le même que celui conclu par chacun des Etats de l’Entente et par les Etats d’Afrique équatoriale : c’est notamment l’appartenance à la zone franc, des clauses de style affirment une indépendance à laquelle il est pratiquement renoncé [5], mais il est spécifié que la Mauritanie, comme les autres Etats africains contractant a toutes « possibilités d’échanges et de coopération qui s’offrent à elle dans les autres pays du monde (et que) l’aide de la République française ne sera pas exclusive de celle que la République Islamique de Mauritanie pourra recevoir d’autres Etats et d’organismes internationaux ». L’accord général de coopération technique en matière de personnel est le même pour tous les anciens territoires français d’Afrique au sud du Sahara ; il détaille les procédures établissant les besoins de l’Etat demandeur et celles d’agrément des candidatures. Or, le décanat de droit et les disproportions flagrantes de pouvoirs dans la gestion de la zone franc, aucune clause n’est attentatoire à la souveraineté mauritanienne. Celle-ci n’est limitée que parce que le pays est demandeur, et n’a pas – à ses débuts d’Etat indépendant – le choix de ses bailleurs d’aide et de fonds.
Ces textes avaient été examinés en Conseil des ministres, le 29 Mai, à la veille du départ du Premier ministre [6] : délibération d’à peine deux heures puisque le modèle de l’Entente avait été choisi. Moktar Ould Daddah avait déclaré lqu’il ne voyait rien à y ajouter ou à y retrancher dans le domaine des principes et que seuls certains points de détail pouvaient appeler quelques adaptations, lesquelles ne devraient pas soulever de difficultés car, la République Islamique de Mauritanie étant le dernier des Etats de l’Union africaine et malgache à signer des accords de coopération, il ne pouvait pas ne pas tenir compte de l’aspect de coûtume et de tradition et de tradition qui s’était instauré et faisait en somme jurisprudence.
Prévues pour ne pas durer plus d’une demi-journée, les conversations d’experts devaient être assorties de quelque délai pour ne pas paraître anormalement brèves et factices à l’opinion mauritanienne. Or, elles durent et à Nouakchott, on se l’explique, faute d’informations directes, par l’attitude négative de certains membres, non gouvernementaux, de la délégation : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, ancien secrétaire général de la Nahda, Yacoub Ould Boumediana, ancien président de l’Union nationale mauritanienen : les partis n’ont pas encore fusionné, et même celle du directeur de l’Intérieur, Ahmed Ould Ba, seul mauritanien issu de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer au même titre que les administrateurs coloniaux. Le climat de la négociation est souvent difficile : Moktar Ould Daddah le commente sobrement à son retour : les négociations se sont déroulées dans une atmosphère cordiale et de compréhension mutuelle. Certes, il nous est arrivé de ne pas toujours être d’accord sur la forme à donner aux Accords, mais étant au départ d’accord sur le fond, c’est-à-dire sur les grands principes, nous avons fini par nous entendre et trouver une solution qui convienne aux uns et aux autres. Mais il le note plus sévèrement dans ses mémoires [7] . “ A l’ouverture, l’atmosphère était “courtoisement tendue”. Nous étions correctement reçus, mais nos interlocuteurs parisiens semblaient gênés car “avec ces Mauritaniens, on ne sait plus sur quel pied danser ...” ironisait un membre de la délégation française. Il ne fallut pas moins de deux entretiens avec le Général de Gaulle et deux avec Michel Debré pour régler certaines divergences relatives à la rédaction finale des accords, divergences concernant surtout les bases de Port-Etienne et d’Atar ainsi que la juridiction militaire appelée, éventuellement, à juger les militaires français pour crimes et délits commis sur le territoire de la R.I.M. “ Alors que les autres Etats s’engagent à « ne procéder à l’arrestation d’un membre des forces armées françaises qu’en cas de flagrant délit », la Mauritanie obtient un libellé plus conforme à sa souveraineté : « Les autorités mauritanienens aviseront les autorités françaises dans un délai de vingt-quatre heures de toute arrestation d’un membre des forces armées françaises. L’avis mentionnera les motifs de l’arrestation ». Et contrairement à celles des autres Etats, elles nont pas à remettre l’intéressé aux autorités françaises dans l’attente du prononcé éventuelle de sa mise en détention préventive. Moktar Ould Daddah est – entre autres – de formation pénaliste.
La ratification paraît devoir aller de soi – comme l’avait été, de prime abord, la négociation. Dès le 22 Juin, le groupe parlementaire P.R.M. avait entendu le compte-rendu des négociateurs et l’avait approuvé. En séance publique, le 28 Juin, aucune discussion, pas même la lecture des accords et un vote unanime. A Paris, le 19 Juillet, pas davantage de débat au Palais-Bourbon mais au Sénat, la séance du 21 Juillet au cours de laquelle les accords franco-mauritaniens sont approuvés, est houleuse. Une vive discussion a lieu sur l'attitude de la Mauritanie dans la crise – avec combats violents et mort d’hommes – opposant la France à la Tunisie à propos de la base de Bizerte : l'échange des instruments de ratification des accords franco-mauritaniens est reporté ; il n’aura lieu que le 15 Novembre. La veille du débat, en effet, Moktar Ould Daddah avait déclaré que “ les événements de Bizerte prennent l’aspect d’une guerre coloniale, ce qui rend indéfendable l’attitude française ...”.
Sidi El Moktar N’Diaye élu à l’Assemblée nationale française & Signature des accords de coopération avec la France
Le 17 Juin 1951, Sidi El Moktar N’Diaye l’emporte par 25.039 voix contre 23.649 voix à Horma Ould Babana, 2.432 à Ba Hamat, 277 à N’Diaye Guibril, 17 à Torré et 11 à Sanchez Calzadille, ces deux derniers n’étant pas candidats. Electeurs inscrits à lépoque : 135.586 et votants ce jour-là : 52.181. Mais l’élection du candidat de l’U.P.M., soutenu en fait par l’administration coloniale, est aussitôt contestée par celui qui est encore président du Conseil général. Selon le droit constitutionnel français de l’époque, c’est à l’Assemblée nationale métrpopolitaine elle-même de statuer. Sa commission de recensement général des votes note la faible participation : 40%, mais ne la juge pas anormale selon la moyenne de l’Afrique occidentale française, d’autant qu’en cette saison, une partie de la population du Hodh transhume au Soudan (future république du Mali) Les arguments d’Horma Ould Babana, à près de soixante ans de distance, ont un son contemporain : en théorie, pas d’ingérence de l’administration, mais manipulation de la géographie des bureaux de vote, les uns très accessibles, d’autres distants de parfois 60 kilomètres d’une fraction réputée favorable au député sortant, horaires, règles données à la radio, diffusion hâtive de résultats partiels pouvant influencer les derniers suffrages. La commission a « l’impression très nette qu’il s’agit des doléances d’un candat battu dont on comprend le mécontentement mais qui ne craint pas d’affirmer et de se contredire ensuite » [1].
Le 19 Juillet, l’élection de Sidi El Moktar N’Diaye comme député à l’Assemblée nationale métropolitaine est donc validée. C’est un tournant dans la vie politique du Territoire. Le Gouverneur est aussitôt remplacé, et Pierre Messmer, chargé de l’expédition des affaires courantes : il commandait jusques-là l’Adrar. Première décision, le lendemain de la validation du député : le redécoupage des circonscriptions pour les élections au Conseil général, que la loi métropolitaine du 6 Février 1952 va ériger en Assemblée territoriale. Le 1er Décembre, Horma Ould Babana est réintégré dans le cadre commun supérieur des services administratifs, financiers et comptables de l’A.O.F.. et affecté au Gouvernement général à Dakar.
Ce scrutin est significatif à deux points de vue.
D’une part, il est – pour la première fois – proprement mauritanien. La première élection, celle de 1945 à l’Assemblée constituante métropolitaine, fusionnait le Territoire avec celui du Sénégal. La seconde en 1946 avait été dominée par les socialistes français, bien relayés en Afrique occidentale et l’U.P.M. – machine des milieux « traditionnels » pour contrer Horma Ould Babana (chronique anniversaire de la fondation de l’Union progressiste de Mauritanie, les 16-20 Février 1948 – Le Calame du 12 Février 2008) lesquels s’étaient pratiquement apparentés au R.P.F. du général de Gaulle. L’administration coloniale, quant à elle, était surtout soucieuse de la paix en brousse et était partagée suivant les gouvernements à Paris sur la contagion en Afrique occidentale du Rassemblement démocratique africain, le R.D.A. Celui-ci ne « prend » pas en Mauritanie, même dans la Vallée du Fleuve. Le scrutin du 17 Juin montre au contraire que non seulement les partis sont nationaux avant la lettre, mais surtout qu’il n’y a place que pour deux, avec sans doute des clivages tribaux, mais pas de différenciation régionale ni de base ethnique. Cette sociologie et surtout cette géographie électorales rendent exceptionnel cette époque de l’histoire mauritanienne : elle va peu durer.
D’autre part, le scrutin est l’amorce d’une vie politique et d’organisation des partis – véritables. Jusques là, la Mauritanie se définissait – selon l’administration coloniale – comme en dehors des partis politiques. Revue des partis en 1950, conclusion du Bulletin de renseignements sur la Mauritanie . Dans l’ensemble, les partis politiques ont peu de partisans. Cette faiblesse numérique étant d’ailleurs compensée par la valeur qualitative de leurs adhérents. Ils sont encadrés par les fonctionnaires qui satisfont ainsi leur désir de prendre part à la gestion des affaires publiques et croient pouvoir ainsi acquérir des avantages que ne leur confèreraient pas normalement leur situation. L’argent est fourni par les gros commerçants, les cotisations étant insuffisantes à alimenter la caisse.
On peut dire qu’en Mauritanie, aucu effort n’a été fait pour enrôler des effectifs nombreux. La politique est l’apanage de quelques-uns : gros commerçants, fonctionnaires, chefs traditionnels et, si la masse peut être parfois mise en mouvement, elle obéit à des instructions et n’agit pas spontanément. L’action de ces groupes est d’ailleurs très limitée et se cantonne aux agglomérations, au chef-lieu d’abord qui attire – les occasions sont nombreuses. Tous ceux qui n’ayant pas d’occupations très définies sont avides de renseignements et désireux de se montrer, de plastronner et aussi de rapporter dans leurs campements des nouvelles fraîches, grâce auxquelles ils pensent pouvoir acquérir plus de prestige aux yeux de leurs semblables. A l’intérieur du Territoire, c’est dans les maisons basses des ksour aux ruelles étroites et tortueuses que se nouent les intrigues, et que se font et se défont les alliances. Les grands nomades, les Regueibat en particulier sont restés étrangers à l’activité politique. La politique ne pouvant rien leur rapporter, ils la dédaignent.
En Mauritanie, la politique n’a fait que provoquer le réveil des vieilles querelles. Les partis n’ont ni doctrine ni programme ; ils ne s’intéressent qu’aux problèmes locaux et trop souvent ils ont tendance à influencer les décisions de l’administration. Cette particularité explique leur stabilité apparente sur laquelle on aurait tort d’ailleurs de se faire illusion. [2].
Le 19 Juin 1961, à l'Hôtel de Matignon à Paris, les Premiers Ministres de la République française et de la République Islamique de Mauritanie signent les accords de coopération franco-mauritaniens. Il s’agit d’abord d’un traité de coopération entre les " deux Etats tenant compte des liens particuliers d'amitié qui les unissent " et ensuite d’une série d’accords en matière de défense, d’assistance militaire technique, de coopération en matière économique, monétaire et financière. Ce sont les plus importants. Les autres règlent la coopération en matière de justice, la coopération culturelle, enfin les coopérations pour les postes et télécommunications, l’aviation civile, la marine marchande et divers concours en personnel. Michel Debré assure que " ces accords sont pour une grande part la consécration de l'œuvre accomplie ensemble depuis plusieurs générations " et Moktar Ould Daddah répond : " nous n'hésitons pas à demander au grand jour, à la France de nous apporter son aide suivant ses généreuses traditions … Au moment où la puissance hier colonisatrice, accorde l'indépendance celle-ci est menacée par un autre pays frère de race et de religion et qui est africain ". Il demande en conclusion le " règlement définitif du conflit algérien ".
Comme demandé par la partie mauritanienne (chronique anniversaire du 6 Juin 1961 – Le Calame du 3 Juin 2008), le traité est rédigé sur le modèle de ceux conclus, six semaines auparavant, par les Etats de l’Entente avec l’ancienne métropole, c’est-à-dire hors de la Communauté. Pour les Etats demeurant dans la Communauté instituée par le referendum positif (y compris en Mauritanie) du 28 Septembre 1958, pas de traité mais des accords particuliers dont un sur la participation de l’Etat africain signataire à la Communauté [3]. Ce traité est de coopération diplomatique : sauf pour le décanat du coprs diplomatique revenant de droit, à Nouakchott, à l’ambassadeur de France et pour l’aide technique à l’organisation et à la formation des corps diplomatique et consulaire mauritaniens, les clauses sont de réciprocité, notamment pour la représentation dans les pays tiers. Il est entendu qu’il ne saurait être interprêté « comme comportant pour l’un des deux Etats contractants une limitation quelconque à son pouvoir de négocier et de conclure des traités, conventions ou autres actes internationaux ». L’accord de défense a les mêmes considérants que ceux passés par les Etats de l’Entente, ensemble, avec la France, mais qui différent assez sensiblement de ceux conclus par les Etats d’Afrique équatoriale [4]. Mais son dispositif est spécial. Sans doute, l’aide et l’assistance mutuelle, la responsabilité du nouvel Etat indépendant pour sa défense intérieure et extérieure ont le même libellé, mais il n’est pas fait allusion « à la libre disposition des installations militaires nécessaires aux besoins de la défense » mais seulement à des facilités. Le comité de défense réglant « l’importance numérique des troupes françaises » est bipartite alors qu’avec l’Entente et avec l’Afrique équatoriale, la France organise des conseils régionaux quadri-partites. L’accord de coopération en matière économique, monétaire et technique est le même que celui conclu par chacun des Etats de l’Entente et par les Etats d’Afrique équatoriale : c’est notamment l’appartenance à la zone franc, des clauses de style affirment une indépendance à laquelle il est pratiquement renoncé [5], mais il est spécifié que la Mauritanie, comme les autres Etats africains contractant a toutes « possibilités d’échanges et de coopération qui s’offrent à elle dans les autres pays du monde (et que) l’aide de la République française ne sera pas exclusive de celle que la République Islamique de Mauritanie pourra recevoir d’autres Etats et d’organismes internationaux ». L’accord général de coopération technique en matière de personnel est le même pour tous les anciens territoires français d’Afrique au sud du Sahara ; il détaille les procédures établissant les besoins de l’Etat demandeur et celles d’agrément des candidatures. Or, le décanat de droit et les disproportions flagrantes de pouvoirs dans la gestion de la zone franc, aucune clause n’est attentatoire à la souveraineté mauritanienne. Celle-ci n’est limitée que parce que le pays est demandeur, et n’a pas – à ses débuts d’Etat indépendant – le choix de ses bailleurs d’aide et de fonds.
Ces textes avaient été examinés en Conseil des ministres, le 29 Mai, à la veille du départ du Premier ministre [6] : délibération d’à peine deux heures puisque le modèle de l’Entente avait été choisi. Moktar Ould Daddah avait déclaré lqu’il ne voyait rien à y ajouter ou à y retrancher dans le domaine des principes et que seuls certains points de détail pouvaient appeler quelques adaptations, lesquelles ne devraient pas soulever de difficultés car, la République Islamique de Mauritanie étant le dernier des Etats de l’Union africaine et malgache à signer des accords de coopération, il ne pouvait pas ne pas tenir compte de l’aspect de coûtume et de tradition et de tradition qui s’était instauré et faisait en somme jurisprudence.
Prévues pour ne pas durer plus d’une demi-journée, les conversations d’experts devaient être assorties de quelque délai pour ne pas paraître anormalement brèves et factices à l’opinion mauritanienne. Or, elles durent et à Nouakchott, on se l’explique, faute d’informations directes, par l’attitude négative de certains membres, non gouvernementaux, de la délégation : Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, ancien secrétaire général de la Nahda, Yacoub Ould Boumediana, ancien président de l’Union nationale mauritanienen : les partis n’ont pas encore fusionné, et même celle du directeur de l’Intérieur, Ahmed Ould Ba, seul mauritanien issu de l’Ecole nationale de la France d’outre-mer au même titre que les administrateurs coloniaux. Le climat de la négociation est souvent difficile : Moktar Ould Daddah le commente sobrement à son retour : les négociations se sont déroulées dans une atmosphère cordiale et de compréhension mutuelle. Certes, il nous est arrivé de ne pas toujours être d’accord sur la forme à donner aux Accords, mais étant au départ d’accord sur le fond, c’est-à-dire sur les grands principes, nous avons fini par nous entendre et trouver une solution qui convienne aux uns et aux autres. Mais il le note plus sévèrement dans ses mémoires [7] . “ A l’ouverture, l’atmosphère était “courtoisement tendue”. Nous étions correctement reçus, mais nos interlocuteurs parisiens semblaient gênés car “avec ces Mauritaniens, on ne sait plus sur quel pied danser ...” ironisait un membre de la délégation française. Il ne fallut pas moins de deux entretiens avec le Général de Gaulle et deux avec Michel Debré pour régler certaines divergences relatives à la rédaction finale des accords, divergences concernant surtout les bases de Port-Etienne et d’Atar ainsi que la juridiction militaire appelée, éventuellement, à juger les militaires français pour crimes et délits commis sur le territoire de la R.I.M. “ Alors que les autres Etats s’engagent à « ne procéder à l’arrestation d’un membre des forces armées françaises qu’en cas de flagrant délit », la Mauritanie obtient un libellé plus conforme à sa souveraineté : « Les autorités mauritanienens aviseront les autorités françaises dans un délai de vingt-quatre heures de toute arrestation d’un membre des forces armées françaises. L’avis mentionnera les motifs de l’arrestation ». Et contrairement à celles des autres Etats, elles nont pas à remettre l’intéressé aux autorités françaises dans l’attente du prononcé éventuelle de sa mise en détention préventive. Moktar Ould Daddah est – entre autres – de formation pénaliste.
La ratification paraît devoir aller de soi – comme l’avait été, de prime abord, la négociation. Dès le 22 Juin, le groupe parlementaire P.R.M. avait entendu le compte-rendu des négociateurs et l’avait approuvé. En séance publique, le 28 Juin, aucune discussion, pas même la lecture des accords et un vote unanime. A Paris, le 19 Juillet, pas davantage de débat au Palais-Bourbon mais au Sénat, la séance du 21 Juillet au cours de laquelle les accords franco-mauritaniens sont approuvés, est houleuse. Une vive discussion a lieu sur l'attitude de la Mauritanie dans la crise – avec combats violents et mort d’hommes – opposant la France à la Tunisie à propos de la base de Bizerte : l'échange des instruments de ratification des accords franco-mauritaniens est reporté ; il n’aura lieu que le 15 Novembre. La veille du débat, en effet, Moktar Ould Daddah avait déclaré que “ les événements de Bizerte prennent l’aspect d’une guerre coloniale, ce qui rend indéfendable l’attitude française ...”.
[1] - Journal officiel des débats parlementaires de l’Assemblée nationale française – 20 Juillet 1951 p. 5924
[2] - lettre du 21 Novembre 1950 n° 268 CAB/LC du gouverneur de la Mauritanie, répondant à la lettre circulaire n° 1044 CAB/LG-DK du 19 Juin 1950 du Haut-Commissaire général à Dakar
[3] - l’accord de tête a pour « considérant que par l’effet de l’entrée en vigueur des accords de transfert des compétences de la Communauté, la République … a accédé à l’indépendance et que la République française a reconnu son indépendance et sa souveraineté – conscients des responsabilités qui leur incombent en ce qui concerne le maintien de la paix, conformément aux principes de la charte des Nations unies – considérant que la République … manifeste la volonté de coopérer avec la République française au sein de la Communauté à laquelle elles participent désormais dans les conditions prévues aux accords conclus à cet effet – désireux de déterminer les modalités de leur coopération en matière de … »
[4] - « conscients des responsabilités qui leur incombent en ce qui concerne le maintien de la paix, conformément aux principes de la charte des Nations unies – soucieux de matérialiser les liens d’amitié et de confiante coopération qui les unissent – considérant que les parties contractantes manifestent à cette fin la volonté de coopérer dans le domaine de la défense, notamment de la défense extérieure – désireux de déterminer les modalités de cette coopération dont les engagements ont un carcatère essentiellement défensif », ces dernières spécifications ne figuraient pas dans les accords des 11, 13 et 15 Août 1960 conclus par les Etats d’Afrique équatoriale demeurant dans la Communauté.
[5] - « Chaque Etat détient l’intégralité des pouvoirs économiques, monétaires et financiers reconnus aux Etats souverains. Les parties acceptent de coordonner leurs politiques commerciale, monétaire et financière externes entre elles et avec les autres Etats de la zone franc, de façon à s’entraider réciproquement et à promouvoir le développement économique le plus rapide possible de chacun d’eux. La République française continuera à apporter à la République islamique de Mauritanie l’aide matérielle et technique qui lui est nécessaire pour atteindre les obectifs de progrès économique et social que celle-ci s’est fixée. Le présent accord a été librement discuté et conclu avec le souci d’établir entre la République française et la République islamique de Mauritanie, compte tenu de leurs structures différentes et de l’inégalité de leur niveau de développement, une intime et étroite collaboration leur permettant de normaliser leurs rapports et de les rendre mutuellement plus féconds. » – art. 2, 3 et 4
[6] - Moktar Ould Daddah ne portera le titre de président de la République qu’en conséquence de sa première élection trois mois plus tard
[7] - La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 238.239
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