À moins que…
Les Mauritaniens ont enfin voté. Pour élire leurs députés, leurs
maires et leurs conseillers régionaux. Dans un désordre total et
une impréparation caractéristique de nos pays sous-développés où
rien n’est vraiment pris au sérieux. Cinq consultations en une !
Une centaine de partis au départ, comme dans un marathon ! Des
électeurs trimballés entre les villes, des bulletins de vote
kilométriques, à peine lisibles ; un vote régional, tribal et
familial à souhait ; et, last but no least, un parti-État qui
ne lésine, comme au temps du PRDS, sur aucun moyen pour battre
campagne, y compris faire, du chef de l’État himself, son VRP
attitré ! Tandis que le président dudit parti reste cloitré
entre quatre murs, ne sachant ni quoi dire ni quoi faire…
Pour les besoins de la campagne, Aziz a parcouru les douze régions
du pays au pied levé. Se déplaçant aux frais du contribuable, sous
prétexte d’inaugurer de fantomatiques projets, tenant meetings et
réunions, y entonnant la célèbre litanie « qui m’aime me
suive ». Sans mâcher ses mots, il a demandé, ouvertement, de
voter UPR, « pour continuer son projet » et,
implicitement, de lui offrir ainsi une confortable majorité, à
l’Assemblée nationale, en vue de futurs amendements
constitutionnels, « n’ayant pas nécessairement de liens avec
les mandats », a-t-il tenu à préciser, en quelques localités.
Mais personne ne s’y trompe. L’homme n’a en ligne de mire que
ce verrou des mandats et fera tout, quoiqu’il en dise, pour le
faire sauter, pour peu qu’on lui en laisse l’opportunité. La
fougue et l’énergie avec lesquelles il a mené cette dernière
campagne, tambour battant, en disent long sur sa volonté d’obtenir,
coûte que coûte, les deux-tiers de « sa » future
assemblée. N’hésitant pas à attaquer ouvertement ses
adversaires, les accusant de terrorisme et de blanchissement
d’argent, entre autres propos peu amènes. Lors du meeting de
clôture de la campagne, pour lequel tous les moyens ont été
mobilisés, il s’en est pris si violemment à l’opposition qu’il
en a perdu la voix. L’homme, qui se croit populaire, malgré le
désaveu cinglant du dernier referendum, cherche à convaincre un
public de curieux venus assister à son show.
Mais, même au temps du PRDS où l’argent coulait à flots,
Nouakchott a toujours échappé à l’emprise du parti au pouvoir.
Et cette fois encore, la ville restera frondeuse. Aux dernières
nouvelles, l’opposition y obtiendrait la majorité des sièges de
député, avec toutes les chances de gagner le Conseil régional et
la plupart des mairies où un deuxième tour semble inévitable. À
une condition, une seule : que toute l’opération se déroule
dans la transparence. Staline ne disait-il pas, à juste titre, que
l’essentiel dans une élection, ce ne sont pas ceux qui votent mais
ceux qui comptent ? C’est la CENI qui compta les voix, en
2013, avec les résultats qu’on sait. Certes, les hommes ont changé
mais les méthodes restent. Il n’y a aucun risque qu’Ould Abdel
Aziz organise une élection pour la perdre. Le vernis de la
commission électorale ne résistera pas à la volonté d’un homme
de tout contrôler. L’opposition aura donc quelques députés, pour
sauver les apparences, mais, comme l’exécutif et le judiciaire, le
législatif n’échappera pas à la boulimie de l’ogre. À moins
que… à moins que la déconfiture de l’UPR soit telle,
dissensions internes aidant une opposition vraiment coalisée – ah,
le second tour… – il ne soit plus possible de maquiller
l’évidence du ras-le-bol général.
Ahmed ould
Cheikh
Le Calame .
Mercredi 5 Septembre 2018
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