Droit de réponse à Jeune Afrique
Dans une interview-fleuve, publiée dans votre
édition 2981 (du 25 Février au 3 Mars 2018), le chef de l’État mauritanien,
Mohamed Ould Abdel Aziz, est revenu sur l’affaire dite Ould Ghadda, du nom du
sénateur actuellement en prison et où nous, journalistes signataires du présent
droit de réponse, avons été impliqués. Au-delà de la forme et du choix des
questions sur lesquels il est inutile de revenir (tant la complaisance le
dispute à l’obséquiosité), nous jugeons utile d’apporter un certain nombre de
précisions et d’éclaircissements à l’opinion publique. Même si nous sommes
persuadés que le droit de réponse n’a aucune chance d’être publié dans vos
colonnes, il le sera dans les nôtres et nous aurons, au moins, tenté d’expliquer,
à vous et à tous ceux qui s’intéressent à notre cher pays, ce qui s’y passe
réellement, loin des surenchères et des mises en scène qui ne trompent plus
personne.
Avec douze sénateurs et deux leaders syndicaux,
nous sommes trois journalistes et la directrice d’un site web à avoir été
placés sous contrôle judiciaire, depuis plus de six mois, et interdits de
quitter le territoire national. Le délit que nous avons commis ? Avoir
reçu un soutien d’un homme d’affaires. Lequel ? Celui dont le président
de la République a reconnu, dans votre interview, avoir lui-même reçu des
fonds, pour financer sa campagne présidentielle de 2009. Il est donc tout
à fait légal, pour lui, de recevoir de l’argent et de poursuivre d’autres en
justice, quand ils s’adonnent à ce qu’il a lui-même qualifié de « pratique
courante » en Mauritanie. Mais notre Président est d’autant moins à une
contradiction près qu’il n’avait, en l’occurrence dudit
« entretien », aucun contradicteur. Un journaliste pointilleux n’aurait
jamais manqué tant de possibilités de rebondir sur les réponses de son hôte, à
moins d’avoir reçu consignes de ne pas le froisser ou de signer une
interview livrée… clés en main.
Le troisième mandat et le
« doute »
Quand Ould Abdel Aziz parle de « doute dans
l’esprit de certains », à propos du troisième mandat, il ne croit pas si
bien dire. Il n’a certes pas modifié l’article de la Constitution relatif aux
mandats, comme il s’en vante lui-même – alors qu’il n’y a vraiment pas de
quoi : n’est-il pas, tout simplement, lié par un serment ? –
mais il n’a toujours pas fait son deuil de la présidence, malgré ses
déclarations. N’a-t-il pas demandé à ses troupes de se mobiliser, pour
que la rue lui demande de « continuer l’œuvre de construction
nationale » ? Ne s’est-il pas arrêté, sur la route de l’aéroport, pour
saluer une poignée de personnes demandant un troisième mandat ? N’a-t-il pas
reçu, au palais présidentiel, l’instigateur de la pétition pour un million de
signatures demandant son maintien au pouvoir ? Pourquoi la poignée de
manifestants pour un 3eme mandant devant la présidence n’a pas été inquiétés
par la police malgré leur manque d’autorisation du Ministère de l’intérieur
alors que d’autres sont expulsés manu militari comme les femmes qui manifestent
contre la Cherté de la vie.
S’il était sincère dans ses déclarations,
pourquoi accepte-t-il qu’on exige, ouvertement, de violer la Constitution ?
N’en n’est-il pas le garant ? Après ses deux coups d’État en 2005 et 2008,
l’opposition est assez échaudée pour craindre quelque manigance d’un autre coup
fourré, visant à ne pas céder le pouvoir.
Un président lucide, soucieux de l’intérêt de son pays, doit rester fidèle à sa parole. Préparer son départ équivaut à rester au-dessus de la mêlée, à égale distance de tous. Se montrer, enfin et pour une fois, le président de tout le monde. Soutenir un candidat, c’est biaiser un processus déjà vicié, ouvrir la voie à toutes sortes d’incertitudes ; il n’y a pas de « dauphin » dans une démocratie ; Initier un nouveau dialogue avec l’opposition, c’est garantir la participation, pleine et entière, de tous aux futures échéances, dans un climat apaisé ; mettre fin à une crise politique que le pays vit depuis une décennie et qui l’handicape sur tous les plans ; et éviter que le vide, dont la nature a horreur, ne soit comblé qu’à minima, comme en 2013 où un seul parti d’opposition participa aux législatives et municipales.
Preuves à l’appui
Parlant des liens entre l’opposition et Mohamed
Ould Bouamatou, Ould Abdel Aziz évoque ‘’de nombreux documents, enregistrements
vocaux, situations financières, ainsi que des virements bancaires et leurs
accusés de réception’’, en prenant soin toutefois de ne pas préciser comment
elles sont tombées entre les mains de la justice. De la manière la plus illégale
possible. Par la violation flagrante de la loi qui protège les correspondances
privées. Elles ont été, tout simplement, puisées dans l’ordinateur et le
téléphone portable de Mohamed Ould Debagh, vice-président du groupe BSA ;
outils de travail confisqués illégalement, au poste-frontière de Diama,
le 25 Avril 2017, alors qu’il ne faisait, à l’époque, l’objet d’aucune
procédure. Un juge nanti d’un minimum d’indépendance ne peut poursuivre des
individus sur la base de telles preuves. Pourtant, elles ont été jugées
recevables. L’état de déliquescence où est arrivée notre justice ne vous
interroge-t-il pas ? Nous sommes, nous-mêmes, poursuivis sur la base de
tels documents et privés de notre liberté de mouvement. Cela ne vous
révolte-t-il pas, vous, porte-flambeau, naguère, de la liberté de la
presse en Afrique ?
Mécène pour moi seul
Ould Abdel Aziz reconnaît qu’Ould Bouamatou a
financé sa campagne en 2009. En « mécène », s’empresse-t-il
d’ajouter. Pourquoi alors reprocher à d’autres, partis d’opposition, syndicats,
media, de profiter des largesses de ce même mécène ? Passant du coq à l’âne, il
saute sur l’occasion d’expliquer pourquoi son cousin s’en est allé. Si l’on en
croit le Président, ce n’est que lorsqu’on a « commencé à voir plus clair
dans ses agissements, sur le plan fiscal, que Bouamatou a quitté le
pays ».« Mais pourquoi est-il parti alors qu'il a tranquillement mené
ses activités sous l'ancien régime pendant plus de vingt-cinq ans? » se
demande-t-il. Ould Bouamatou est resté pendant plus de vingt-cinq ans
vraisemblablement par ce qu’aucun des présidents successifs n’était un
homme d’affaires. Aziz est le seul Président Mauritanien qui concurrence les
hommes d’affaires au grand jour.
L’ex-patron des patrons n’a-t-il préféré
s’exiler, en 2010, alors que le fisc ne lui a infligé des redressements, qui
sentaient le règlement de comptes à mille lieues, qu’en 2013. Et Aziz
d’enfoncer le clou : Bouamatou n’a toujours eu pour seul objectif que
d’installer « la pagaille ». Et des preuves, il n’en manque pas !
Président, en 2005, du Patronat mauritanien et grand Manitou, en conséquence,
de ces « hommes d’affaires à l’origine de la décadence du pays »,
Bouamatou n’a-t-il pas financé avec ces ‘’pillards’’, le soutien
logistique de l’armée désemparée par l’attaque de Lemgheïty ? Et Aziz de
balbutier un : « Ce n’est pas normal ! », sous-entendant que ce soutien suspect
n’entretenait que le sombre projet de mettre la main sur le pays tout entier.
Voilà la thèse du complot contre la Nation bien assise…Petit rappel : en 2010,
Ould Abdel Aziz, lui-même, n’a-t-il pas insisté auprès de ce même Bouamatou
pour que son second, Mohamed Ould Debagh, mette à la disposition de l’Armée
deux avions de la compagnie Mauritania Airways pour transporter cent cinquante
commandos paras, d’Atar à Néma, afin de soutenir les troupes, après la
débandade de Hassi Sidi (entre 2 heures et 5 heures du matin) et acheminer du
carburant aux avions de l’armée de l’air, cloués au sol à Tombouctou ? Deux
aéroports pourtant non homologués mais l’urgence pouvait bien justifier
quelques entorses à la sécurité. Ould Debagh a obtenu quoi en retour ? La plus
haute distinction ? La reconnaissance de l’Etat ? Que nenni ! Un
emprisonnement de plus de trois mois en 2013, un harcèlement continu et un
mandat d’arrêt international.
Sherpa au pas
Selon Ould Abdel Aziz, sans la Mauritanie,
Sherpa, « entièrement financée par Bouamatou », ‘’n’existerait pas’’.
Dans son édition de Mars 2018, le magazine américain Gentlemen’s Quarterly
consacre un dossier aux trente avocats les plus puissants de France. William
Bourdon, le président de l’ONG Sherpa y occupe la première place. Qualifié de
« défenseur optimiste et acharné des causes perdues », l’avocat a
réussi à faire condamner le président de Guinée Équatoriale, pour ses biens mal
acquis entassés à Paris. Il a aussi provoqué des poursuites, contre le
cimentier Lafarge qui admet avoir payé Daesh, pour faire tourner une usine en
Syrie, et amorcé la procédure contre BNP Paribas, accusée d’avoir financé
les achats d’armes des génocidaires rwandais tout comme il vient de faire
tomber les frères Gupta en Afrique du Sud Entre autres actions d’éclat.
L’accuser de ne s’intéresser qu’à la Mauritanie relève d’une méconnaissance
totale des réalités et d’un nombrilisme pathologique.
Chafi, le « terroriste »
Comme Ould Bouamatou, Moustapha ould Limam Chafi
a fait, lui aussi, l’objet d’un mandat d’arrêt international. Mais pas pour les
mêmes raisons. Il est accusé de liens supposés avec les mouvements jihadistes
par ce même Ould Abdel Aziz qui prétend, lui, n’en avoir aucun. Alors, le
gentlemen agreement, passé entre Aziz et AQMI, récupéré par les Américains dans
les papiers de Ben Laden, accord maintenant la Mauritanie chez elle, dans sa
lutte contre les salafistes, relève-t-il du principe azizien de ne jamais
traiter avec les terroristes ? Ou, encore, la libération d’Omar Sahraoui,
l’auteur du rapt des touristes espagnols en 2011 et dont Al Qaida exigea la
libération, en plus d’une rançon, pour que les ibériques retrouvent la liberté
?
Dialogue « impossible »
A la question « un dialogue avec
l’opposition est-il toujours possible ? », le Président répond par la
négative, en disant que cela n’est ni envisagé ni envisageable. Pourtant le
même Ould Abdel Aziz déclarait, dans son adresse à la Nation, à
l’occasion de la fête du 28 Novembre 2015 : « Citoyennes, citoyens,
Le dialogue politique sérieux et ouvert à tous les acteurs politiques nationaux
demeure un choix constant pour lequel nous avons renouvelé notre attachement, à
chaque occasion. En cette heureuse journée de fête nationale, je réitère notre
attachement à l'option du dialogue comme voie privilégiée, pour dépasser tous
les obstacles et moyen d'entraide à la construction nationale. Je convie
l'ensemble des acteurs politiques, les structures de la Société civile, les
érudits, les intellectuels à œuvrer à la promotion de la culture du dialogue et
de l'ouverture aux différentes opinions et orientations nationales.
Il convient de souligner par ailleurs que si le
dialogue a échoué par le passé, c’est à cause de l’intransigeance de Ould Abdel
Aziz à propos du BASEP, du 3ème mandat et d’autres questions essentielles.
Et d’ailleurs, comment envisager des
élections libres sans parler avec l’opposition ?
Partialité
Curieusement, votre journaliste n’a pas semblé devoir relever combien Ould Abdel Aziz s’est départi de la réserve qui aurait dû être sienne, face à un dossier pendant devant la justice. « Cet ancien sénateur a agi de manière irresponsable, et se trouve entre les mains de la Justice qui dispose de suffisamment d’éléments matériels pour le maintenir en détention ». Doit-on en rire ou pleurer ? Le président a omis de dire que ledit sénateur fut arrêté alors qu’il jouissait, encore pleinement, de son immunité parlementaire ; comme il a omis de dire que ce même Mohamed Ould Ghadda fut arrêté cinq fois, molesté et tabassé deux fois et a subi toutes sortes de vexations. Et que son « irresponsabilité » n’est apparue « flagrante » que lorsqu'il a commencé à poser des questions gênantes et à s’intéresser aux marchés de gré à gré passés par le régime. Il fut alors kidnappé, à minuit, sans mandat, gardé au secret six jours durant, avant une garde à vue supplémentaire d’une semaine. Déféré et placé sous mandat de dépôt, c’est sur décision « d’en haut lieu » qu’il fut présenté menotté devant les juges et est, aujourd’hui, privé du droit de visite dont bénéficient même les prisonniers de droit commun.
Curieusement, votre journaliste n’a pas semblé devoir relever combien Ould Abdel Aziz s’est départi de la réserve qui aurait dû être sienne, face à un dossier pendant devant la justice. « Cet ancien sénateur a agi de manière irresponsable, et se trouve entre les mains de la Justice qui dispose de suffisamment d’éléments matériels pour le maintenir en détention ». Doit-on en rire ou pleurer ? Le président a omis de dire que ledit sénateur fut arrêté alors qu’il jouissait, encore pleinement, de son immunité parlementaire ; comme il a omis de dire que ce même Mohamed Ould Ghadda fut arrêté cinq fois, molesté et tabassé deux fois et a subi toutes sortes de vexations. Et que son « irresponsabilité » n’est apparue « flagrante » que lorsqu'il a commencé à poser des questions gênantes et à s’intéresser aux marchés de gré à gré passés par le régime. Il fut alors kidnappé, à minuit, sans mandat, gardé au secret six jours durant, avant une garde à vue supplémentaire d’une semaine. Déféré et placé sous mandat de dépôt, c’est sur décision « d’en haut lieu » qu’il fut présenté menotté devant les juges et est, aujourd’hui, privé du droit de visite dont bénéficient même les prisonniers de droit commun.
Vous avez dit libertés ?
Le Président s’est dit « étonné » que
des opposants mauritaniens se fixent à l’étranger, notamment au Sénégal, alors
qu’ils ont, nous informe-t-il, « toutes les libertés à Nouakchott ».
Dites-le aux rappeurs du groupe Ewlad Leblad, objet d’un montage grossier et
dont l’un des membres fut jeté en prison, ne devant son salut qu’à la promesse
de chanter les louanges du Président. La justice azizienne a condamné, à trois
ans de réclusion, le jeune auteur d’un simple jet de chaussure sur un
ministre ; au bannissement, dans le Guantanamo mauritanien de Bir
Moghrein, des militants d’IRA ; et au placement, sous contrôle judiciaire
avec restriction de leurs mouvements, de journalistes et de
syndicalistes, sous les plus fallacieux prétextes. Et faut-il zapper la
répression sauvage des manifestations pacifiques ? Pas de prisonniers politiques
? Quel est donc le statut d’Ould Ghadda ? Et les prisonniers
d’IRA, Biram en tête, les jeunes de Touche Pas à Ma Constitution, et
Abdallahi ould Bouna ? Extradé des Émirats Arabes Unis, par vol spécial,
on reprochait, à ce dernier, ses critiques acerbes à l’encontre du Président et
du chef de la sécurité politique. Ne fut-il libéré qu’après avoir composé un
poème à la « gloire » du président Ould Abdel Aziz ? Dépénalisation du
délit de presse ? Au moins quatre journalistes ont connu la prison, pour de
supposés délits de publication.
Soutien « désintéressé »
En ce qui concerne le tour de table des hommes
d’affaires qu’il avait lui-même vivement souhaité et organisé, en 2009, par
l’intermédiaire de son directeur de campagne, il ne s’y montra, à aucun moment,
arrogant ou hautain. Mais, paradoxalement, aucun des hommes d’affaires qui ont
aujourd’hui pignon sur rue (Ould Ebnou, Zeïn El Abidine et Mohiédine) ne
contribuèrent à cette levée de fonds. L’ultimatum qu’Ould Abdel Aziz,
aujourd’hui Président, dit avoir lancé, lui qui n’était, alors, qu’un simple
candidat en quête d’argent, à l’adresse de ces hommes d’affaires réunis, à sa
demande, à son QG de campagne à l’hôtel Atlantic, n’est pas seulement risible
et absurde. Il est, bien évidemment, totalement imaginaire. Est-il même la
peine de souligner les divers témoignages recueillis, auprès de patrons
présents, faisant état d’un candidat tout sourire, aimable et mielleux à
souhait, demandant à tous de l’aider ? Mais c’est bien là un des traits
les plus saillants du caractère d’Ould Abdel Aziz : couvrir les faits,
après les faits, d’une représentation plus conforme à son intérêt du moment,
tout aussi changeant, il va sans dire, que ses décisions définitives… À ce
point naïve, Jeune Afrique, pour se plier à ces contorsions ? Ou, plus
pragmatiquement… intéressée ? ou bien, plus vulgairement encore, ne
s’agirait-il que d’une relation textuelle tarifée ?
Ahmed
Ould Cheikh et Moussa Samba
Sy
Directeurs, respectivement,
de l’hebdomadaire « Le Calame » et du « Quotidien
de Nouakchott »
Le Calame reçu 12
Mars 2018
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