lundi 11 janvier 2016

aux origines du schisme en Islam - essai de synthèse pour un ami français



Amal Cheikh Abdallahi . s’aidant aussi de " l'orient mystérieux" de Reynaert


Le prophète Mahomet est mort en 632. Il a été emporté par une forte fièvre à 64 ans. Il aura tout prévu, tout ce qui doit régler la vie des hommes, sauf un seul point : celui de sa succession. Cette question va amorcer une fracture que l’islam aujourd’hui n’a toujours pas réparée : celle du sunnisme/chiisme.
Qui doit et surtout qui peut succéder à Mahomet ?
Faut-il pour le déterminer s’en remettre à la tradition bédouine qui veut que le conseil des plus sages désigne parmi les compagnons du défunt, le plus capable ? Ou faut-il au contraire n’accepter pour succéder à cet homme exceptionnel à qui « Dieu a parlé », que quelqu’un qui soit de son sang ou au moins de sa famille la plus proche ? Il faut savoir que tous les garçons qu’a eus le Prophète sont morts en bas âge, mais qu’il a adopté un neveu, Ali, qu’il aimait beaucoup. Il l’a marié à l’une de ses filles préférées, Fatima-Zahra. Tous les deux lui ont donné deux petits enfants Hassan et Hussein. Ali, gendre du Prophète et père de ses descendants, n’est-il alors pas le plus indiqué pour assumer la charge immense de venir après lui ? Certains le pensent, d’autant plus qu’en revenant de son dernier pèlerinage en 632, Mahomet aurait fait des déclarations à propos d'Ali qui seront interprétées très différemment par ceux qui seront, on le verra plus tard, les sunnites et les chiites. Le Prophète aurait arrêté un jour sa caravane à Ghadir Khumm et réunit les pèlerins de retour de la prière commune. Puis, « Prenant Ali par la main, Mahomet demande à ses fidèles, Ô gens! N'ai-je pas plus de droit (mawla) sur les croyants que ce qu'ils ont sur eux-mêmes ? Et la foule de crier: « Il est vrai, ô Messager d'Allah ! »; il aurait ensuite déclaré: « Celui dont je suis le mawla, alors Ali est aussi mawla »[1].
Les chiites considèrent ces propos comme constituant la désignation d'Ali comme le successeur de Mahomet et le premier Imam car le contexte de "mawla" ici est l'autorité. En effet, le prophète avant de prononcer "Celui dont je suis le mawla, alors Ali est aussi mawla" demanda à ses fidèles s'il n'était pas plus autoritaire à eux, donc le contexte du mot "mawla" est ici l'autorité. .. En revanche, les sunnites interprètent ces déclarations comme l'expression d'une relation spirituelle étroite entre Mahomet et Ali, et de son souhait qu'Ali, comme son cousin et beau-fils, hérite à sa mort de ses responsabilités familiales ; mais pas nécessairement d'une appellation d'autorité politique.
Le point de vue des seconds l’emportent dans un premier temps.
An effet, Abu Bakr, le fidèle compagnon de la première heure de Mahomet[2], et père de Aicha, l’épouse favorite devient calife. Le prophète disait à son sujet : « N'allez-vous pas laisser tranquille mon compagnon ! Lorsque je vous ai dit : " Ô peuple, je suis le Messager d'Allah auprès de vous ! Vous m'avez répondu : " Menteur ! ", sauf Abu Bakr qui, lui, m'a cru »[3]. Il  aurait également dit : « Quand j'ai invité les gens à embrasser l'islam, tous ont pris un temps de réflexion et d'hésitation, excepté Abu Bakr : il ne s'est pas retenu, et n'a pas hésité »[4]. Celui-ci avait même été désigné par le prophète au cours de la maladie qui lui fut fatale, pour diriger les prières en son absence. Le prophète aurait-il ainsi arrêté son choix ? Omar, un autre compagnon du prophète, le pense. Il pousse Abu Bakr au pouvoir. Il devient ainsi le premier calife (successeur). Mais à cause de son âge avancé, il ne règne que deux ans. Peu avant sa mort, et après avoir consulté les compagnons proches et influents, il fit d'Omar son successeur. En 634, vient ainsi celui que l’on appelle parfois le Saint Paul de l’Islam[5]. Il a été un farouche opposant à Mahomet dans un premier temps. L’histoire raconte qu’il se chargea de torturer une servante qui s'était convertie à l'islam afin de lui faire renier sa nouvelle foi. Il s'acharnait sur elle mais elle fut sauvée par Abou Bakr qui lui rendit la liberté en la rachetant. Il était allé même jusqu’à envisager d’assassiner le prophète, avant de se convertir à la nouvelle religion, pour ensuite devenir son plus grand propagateur. Sous son égide ont lieu de grandes victoires. C’est lui que l’on a vu faire son entrée à Jérusalem en 637. C’est également lui le conquérant de l’Egypte, l’artisan de la prise de Ctésiphon et le fondateur de Koufa. Il sera assassiné par un esclave persan zoroastrien, nommé Fayrouz, qui lève un poignard mortel sur lui en 644. Lui succède un autre compagnon, Othman. Membre de l'aristocratie mecquoise, il est l'un des rares personnages de haut rang à se convertir tôt à l'islam. Désigné par Omar comme l'un des six membres du conseil aptes à régler le problème de sa succession, il est choisi en 644 comme calife à la mort de celui-ci, de préférence à Ali, ce qui suscita des mécontentements autour de lui. Il serait l’homme qui aurait imposé la fixation écrite du coran. En effet, des divergences sont apparues à propos du texte sacré après la conversion à l'islam de personnes d'ethnie non arabe et après la mort de nombreux compagnons du prophète (hafiz) qui connaissaient et récitaient le Coran par cœur pendant les expéditions de guerre. Othman décide alors d'officialiser un exemplaire du texte coranique, et établit une classification unique des sourates les unes par rapport aux autres. C'est à cette fin qu'en 647 (quinze ans après la mort de Mahomet), il charge une commission de préparer plusieurs copies du Coran. Ces copies préparées, Othmân les fait envoyer en différents points importants du territoire musulman. Le Coran de nos jours suivrait toujours, mot pour mot, cette compilation des copies d'Othman. Sous son règne, la querelle successorale se double de batailles complexes entre les clans qui se sont formés autour des divers gouverneurs des nouvelles provinces conquises. Les haines fratricides sont si vives qu’en 656, le calife est assassiné par d’autres musulmans. En effet, le 17 juin 656 dans sa maison de Médine, après avoir été assiégé par un groupe d'insurgés venant de BassoraKoufa et d'Égypte durant 40 jours et ce, pendant le mois du pèlerinage à La Mecque, il reçoit neuf coups de poignards[6]. La période qui suivit ces événements est appelé al-fitna al-kubrâ (le grand désordre). Ali, qui n'est plus à Médine, se retire dans sa maison, horrifié par cet évènement. Les mêmes sahaba qui ont élu Othman viennent le voir afin de lui demander d'être leur chef. Il refuse au début, mais accepte quelques jours plus tard, à la demande générale, à la mosquée de Médine devant une foule d'assemblée
 Ali, après quelques hésitations, accepte de prendre la place.  Il accède ainsi  au pouvoir mais se heurte aux revendications de certains pour appliquer la loi du Talion aux assassins de Othman. Il s’agit en l’occurrence d’Aicha, l’épouse du prophète ainsi que deux autres compagnons, Talha et Al-Zubayr. Le camp de ses ennemies se fédère également autour d’un nouveau venu, Muawiya. Issu d’un clan mecquois venu tardivement à l’islam, il n’a pas de grande légitimité religieuse aux yeux des premiers convertis. Politiquement, il pèse d’un grand poids. Il fait également partie de ces grands généraux qui ont mené la conquête et est devenu le puissant gouverneur de la Syrie.
La division a ainsi atteint un point de non retour. On arrive donc inévitablement à la guerre.
Deux batailles de cette première fitna sont restées très célèbres.
La première s’appelle la Bataille du Chameau (656), ainsi nommée car c’est sur cet animal que la principale protagoniste de cette histoire est venue assister au combat. Aicha elle-même, la veuve du prophète, farouche opposante d’Ali et de ses soutiens, a tenu à être là pour pousser son camp au combat et assister à la défaite de son ennemi. Elle sera déçue. Les chefs de son camp sont tués dans la bataille. Ali survit. La guerre peut reprendre. Six mois plus tard, c’est un nouvel affrontement, la Bataille de Siffin, une ville de Syrie. Les deux armées se font face. Mais un doute hante certains esprits : des frères musulmans peuvent ils s’entretuer ? Les partisans de Muawiya ont alors une idée. Ils placent les feuillets du coran au bout de leurs lances pour demander que l’on se remette à un arbitrage. Ali accepte. Mais les plus intransigeants de ses partisans sont furieux de ce qu’ils prennent pour une lâcheté. L’arbitrage n’est qu’à Dieu, déclarent-ils en décidant de sortir du jeu. On les appelle alors les Kharijites (ceux qui sortent). Voulant punir ce qu’il considère comme une trahison, Ali mène la bataille contre eux. Ils décident de se venger. En 661, l’un d’entre eux poignarde le calife au moment même où il se prosterne pour prier. La voie est alors libre pour celui qui reste, Muawiya, le brillant général. Un de ses aïeux et grand oncle du prophète s’appelait Omeyya. On nomme ainsi la dynastie dont il est le premier chef omeyyade.
19 ans plus tard, survient le second et ultime épisode de cette affaire, la Bataille de Kerbala, encore plus terrible que les précédents et marque définitivement la scission de l’islam en deux branches ennemies : le sunnisme et le chiisme.
Arrivé à la fin de ses jours, Muawiya a fait accepter par son conseil que son successeur soit Yazid, son fils. Voilà le pouvoir omeyyade devenu héréditaire. C’est intolérable pour un homme au moins Hussein, fils d’Ali[7]. Il décide donc de rassembler ses partisans, qui se trouvent majoritairement en Mésopotamie. En 680, à Karbala (Irak), sa troupe composée d’une soixantaine de compagnon et de sa famille, est entourée par l’armée innombrable[8] des représentants de Yazid. Mais Hussein refuse de faire allégeance au nouveau calife. Peut-on pour autant lever son arme sur un homme dans les veines duquel coule le sang de Mahomet ? Les soldats hésitent. L’un d’eux finit par se lancer, les autres suivent et c’est le massacre : compagnons, famille, personne n’y échappe. La tête du petit fils du prophète est envoyée chez le calife à Damas. A partir de ce moment, les frères musulmans seront à jamais séparés : il y a ceux qui pensent que l’intérêt de la communauté doit primer et que le calife dûment désigné est bien le calife légitime, ce sont les sunnites. Les autres sont toujours du parti d’Ali, ce sont les chiites.
Ainsi 50 ans à peine après la mort du prophète, l’islam s’est subdivisé en 3 branches : Kharijites, sunnites et chiites. Séparés au départ sur la base de querelles au pouvoir, les frères ennemis vont développer au cours des siècles, de véritables systèmes de croyance et de pensée spécifiques. Rappelez-vous, les kharijites sont ces intransigeants  qui ont quitté la bataille de Siffin en reprochant à Ali sa pusillanimité. Certains de leurs descendants conservent toujours cette image de puritains farouches, aux mœurs très rigoureuses et à l’égalitarisme sans faille. Ils sont très minoritaires en Islam. Les plus célèbres aujourd’hui sont les ibadites, majoritaires à Oman, et les mozabites d’Algérie.
Les chiites eux restent marqués par ce qu’on pourrait appeler le « traumatisme fondamental de la bataille de Kerbala ». Tous les ans, ils la commémorent lors de la fête de l’Achoura[9] en pleurant, en se lacérant, en se punissant de n’avoir pas su défendre Hussein, le petit fils du Prophète, dans ce combat qui est devenu avec le temps pour eux le symbole de l’injustice, de l’écrasement du faible par le fort. Toute la martyrologie, si importante chez les chiites, y prend sa source. Ils n’oublient pas non plus le point de départ du désaccord : la légitimité d’Ali et de ses descendants, seuls à même de succéder au Prophète, car ils sont de son sang et donc les seuls à comprendre les vérités du monde qui échappent au commun des mortels. L’univers chiite est un monde duel qui oppose toujours une vérité apparente des choses à une vérité cachée. Cela se retrouve jusque dans l’appréhension du Livre saint lui-même. Ce que le fidèle y lit n’est qu’apparence. Le sens profond des mots est un mystère qui ne peut être percé que par le personnage central, l’imam, c'est-à-dire un de ces hommes impeccables et infaillibles que Dieu a envoyés sur terre pour guider l’humanité. Les prophètes de l’ancien Testament étaient de ceux-là. Mahomet aussi. Après lui, viennent pour relayer son message, Ali et ses descendants. Car il y en a eut. A Karbala, un fils de Hussein est épargné par miracle. Il devient donc l’imam à son tour. Après lui, la chaine continue. Pour la majorité des chiites, elle compte 12 imams après le prophète. On les appelle les duodécimains[10]. le dernier imam connu des hommes s’appelle Mohammad. On le surnomme le Mahdi. Il aurait vécut au 9e siècle mais, à cause de la persécution qui peut toujours renaitre, il vivait caché. Il disparut en 874, mais serait revenu un peu plus tard pour transmettre des messages par l’intermédiaire de ses disciples. Puis il disparut définitivement en 940 pour basculer dans une autre réalité. On appelle ainsi cette disparition la grande occultation. Elle prendra fin quand, comme avec le Christ pour les chrétiens, Dieu décidera de faire réapparaitre le Mahdi sur terre pour sauver l’humanité. En l’attendant, les croyants doivent se fier à ceux qui préparent son arrivée, les ayatollahs et les mollahs, c'est-à-dire le clergé pour les uns et les maîtres spirituels et les guides mystiques pour d’autres.
L’autre famille, le sunnisme, très majoritaire de l’islam ne connait pas ce type d’autorités. Elle ne s’attache pas non plus à ce type de légitimité par le sang. Elle garde de ces débuts, comme nous l’avons déjà vu, l’idée qui était celle des nombreux partisans de Muawiya. L’unité de la communauté est ce qui prime sur toute autre considération. Elle pose un autre principe fondamental : Mahomet est le seul homme infaillible en matière religieuse. Tout ce qu’il convient tient dans la révélation qui lui a été faite à travers le Coran et les hadiths, ce que l’on appelle la sunna (d’où le nom sunnites). Pour ce qui est de l’ordre politique, elle accepte donc le nouveau calife et ses successeurs.

reçu le matin du lundi 11 janvier 2016


[1] cf. l’encyclopédie de l’islam
[2] Selon la tradition sunnite, il fut le premier homme à embrasser l’islam après la première femme de Mahomet, Khadija, et les deux fils adoptifs du Prophète. Selon la plupart des sources chiites, ce serait Ali, qui vivait dans la maison du prophète, qui aurait le premier embrassé l'islam suivi de Zayd fils adoptif du prophète.
[3] Rapporté par Abu ad-Darda'a al-Ansari dans le Recueil Sahih al-Bukhari
[4] Rapporté par Ibn Ishaq
[5] A cause notamment de sa venue tardive à l’islam. Il se serait converti sur le chemin qu’il avait emprunté pour assassiner le prophète
[6] Par un certain Amr ibn al-Hamiq
[7] Hassan, l’autre fils d’Ali, est mort en 670
[8] Certains avancent le chiffre de 30.000 hommes
[9] Le nom vient du mot « dix » en arabe, car la bataille a eu lieu le dixième jour du 1er mois de l’année lunaire)
[10] Une branche minoritaire du chiisme croit en l’existence de 7 imans. On les appelle les septimains

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