----- Original Message -----
To: Bernard Valéro
Sent: Tuesday, April 24, 2012 7:42 AM
Subject: votre point de presse sur la Mauritanie
Cher collègue, votre point de presse sur la Mauritanie me revient et j'ai aussi l'écho qu'il produit en Mauritanie.
Ce pays n'est pas sensible seulement de notre point de vue géo-stratégique et de notre lutte contre le "terrorisme" au Sahara et au Sahel, il est encore plus sensible du point de vue des Mauritaniens. Ceux-ci sont très attentifs au regard que nous avons sur eux et leur pays, depuis Paris ou depuis notre ambassade à Nouakchott. La France reste une référence par elle-même et comme ancienne métropole, mais plus encore parce qu'il lui est prêté un rôle discret ou décisif dans les différents coups militaires depuis 1978, puis dans le soutien aux régimes militaires et autoritaires tant du colonel Maaouyia Ould Sid'Ahmed Taya, maintenant au silence au Qatar, que du général Mohamed Ould Abdel Aziz depuis l'automne de 2008.
Alain Joyandet dès cette époque avait fait sensation, alors que nous présidions le groupe de contact international au titre du traité de Cotonou et de notre partage des valeurs démocratiques, en prétendant que sur place il n'avait décelé aucun soutien au président de la République renversé par des putschistes : Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Il était alors avéré que deux "lignes" nous partageaient sur la Mauritanie, jusqu'à l'Elysée-même puisque Lévitte et Serman étaient "légitimistes" et que Claude Guéant recevait le numéro deux de la junte alors même que l'Union européenne avait interdit de visas les putschistes. Rue Monsieur où était encore la Coopération, et au cabinet de Bernard Kouchner alors ministre, on était également "légitimiste". Tout simplement parce que pour la première fois en Mauritanie soumise au diktat d'une minorité de la hiérarchie militaire intimidant ou acculant à la solidarité le reste des officiers supérieurs, la population, des élites et du tout venant manifestaient quotidiennement. Il n'a tenu qu'à nous que la combinaison de la répréhension internationale et notamment africaine et cette opposition dans la rue et au Parlement, conduite par le président de l'Assemblée nationale et par celui du Conseil économique et social, n'isole et n'abatte - tranquillement - ce régime de fait. Or, nous l'avons soutenu, le président de la République - Nicolas Sarkozy - en conférence de presse le 27 Mars 2009, à Niamey, cautionnant d'ailleurs sur place un régime qui s'effondra peu à peu, avalisa publiquement le point de vue de l'ancien ministre de la Coopération qu'il avait lui-même inspiré. C'était factuellement insoutenable, y compris l'affirmation selon laquelle il avait téléphoné personnellement au président déposé. - Je le lui fis savoir : pièce jointe.
Vos affirmations sont malheureusement du même ordre, dans un moment particulièrement complexe et délicat pour la Mauritanie dont le régime, sans résultats économiques et à l'aventurisme militaire décrié, n'a plus même une façade de légalité. Nous soutenons l'insoutenable moralement, politiquement et factuellement. Et cela, aussi, dans un moment très délicat pour l'ensemble du Sahel.
Permettez-moi de vous relire :
"Il est important, en Mauritanie comme ailleurs, que la liberté de manifester soit respectée". Est-ce à dire que la France estime que les manifestations de l'opposition témoignent d'une nature démocratique du régime de MOAA ? Si la Coordination de l'opposition démocratique (C.O.D.) manifeste sans être réprimée, c'est qu'elle accepte, jusqu'à présent, de se soumettre à un régime d' "autorisation" préalable que les textes ne prévoient pas, mais que le pouvoir impose. Ce n'est pas le cas des étudiants qui sont bombardés de gaz lacrymogènes tous les jours dans la campus et dans l'enceinte de l'Iséri, deux lieux occupés en permanence par la police anti-émeutes. Ce n'est pas le cas non plus des assoiffés de Magta Lahjar (centre du pays, au Brakna) qui ont été passés à tabac, et certains d'entre eux arrêtés, lorsqu'ils ont simplement tenté de manifester, au cours de la visite de Mohamed Ould Abdel Aziz, en réclamant de l'eau potable pour leur ville. Il est paradoxal que nous nous félicitions des manifestations contre le régime en les prenant comme une marque de sa légitimité démocratique.
"Il est tout aussi important que l’opposition emprunte, pour s’exprimer, les voies qui lui sont offertes, à savoir le dialogue, prévu par l’Accord de Dakar de 2009, et qui s’est ouvert à l’été 2011" Les Mauritaniens reçoivent cette référence comme une insulte, permettez-moi de vous le dire. Il est établi que cet accord parrainé par Wade et Khaddafi à notre instigation et dont pas une ligne n'a été de rédaction locale, a été forcé, que notamment l'un des chefs de l'opposition, Ahmed Ould Daddah qui nous est bien connu et qui a constamment instruit André Parant, ami de longue date, a été mis en demeure par notre ambassade. Le président légitime a été isolé et a fait preuve d'une abnégation lui ralliant l'estime de tous ses compatriotes. Il attend d'ailleurs toujours la visite de notre actuel ambassadeur qui lui en avait fait connaître l'imminence dès son arrivée dans le pays.
"Il est tout aussi important que l’opposition emprunte, pour s’exprimer, les voies qui lui sont offertes, à savoir le dialogue, prévu par l’Accord de Dakar de 2009, et qui s’est ouvert à l’été 2011" Les Mauritaniens reçoivent cette référence comme une insulte, permettez-moi de vous le dire. Il est établi que cet accord parrainé par Wade et Khaddafi à notre instigation et dont pas une ligne n'a été de rédaction locale, a été forcé, que notamment l'un des chefs de l'opposition, Ahmed Ould Daddah qui nous est bien connu et qui a constamment instruit André Parant, ami de longue date, a été mis en demeure par notre ambassade. Le président légitime a été isolé et a fait preuve d'une abnégation lui ralliant l'estime de tous ses compatriotes. Il attend d'ailleurs toujours la visite de notre actuel ambassadeur qui lui en avait fait connaître l'imminence dès son arrivée dans le pays.
Nous nous sommes portés forts du régime pustchiste à Bruxelles et auprès de l'OIF et de l'Union africaine dès le printemps de 2009, nous avons reconnu la "victoire" de Mohamed Ould Abdel Aziz en un seul tour de scutin, l'été de 2009, avant même la proclamation des résultats par les institutions constitutionnelles mauritanienne, nous l'avons soutenu dans la décisuive réunion des bailleurs de fonds au printemps de 2010.
Depuis, le Département ne s'est jamais exprimé lorsque Mohamed Ould Abedl Aziz a divisé l'opposition pour dialoguer avec trois partis de son choix en excluant tous les autres au prétexte que ceux-ci posaient en préalable l'accès aux médias publics. J'ai quant à moi noté que le site de l'Agence mauritanienne d'information, publiant quotidiennemnt les éphémérides nationaux depuis le 1er Janvier 2001, a été censuré et que les archives ne sont plus accessibles qu'à compter de la date du 6 Août 2008, celle du putsch fondateur de l'actuel régime.
Est-ce une démocratie qu'un régime où les médias ne peuvent rendre compte même de l'ordre du jour d'une négociation politique ?
Le "dialogue inclusif" - définition de cet adjectif dans le Larousse : "qui contient en soi quelque chose d'autre" ... - prévu par l'accord de Dakar continue d'être ressenti comme un piège. Il n'a pas été sincèrement appliqué par le pouvoir qu'il a conforté, il est dépassé et ne peut plus servir de base consensuelle pour résoudre la crise mauritanienne. Mohamed Ould Abdel Aziz à l'époque n'a fait que deux concessions, reculer de six semaines son plébiscite pour que ce scrutin paraisse démocratique par la participation de candidats d'opposition, opérer un changement de dénomination de la junte. Le Haut Conseil d'Etat, appellation de celle-ci, a été réuni sous sa présidence dès le lendemain de la démission du président de la République, Sidi Ould Cheikh Abdallahi et a fait publier un communiqué sans équivoque sur la maîtrise par les militaires du pays. Le Premier ministre soi-disant consensuel a été son homme à tout faire dûment reconduit. Le gouvernement de transition devait discuter de la date idéale pour les élections présidentielles de 2009, celle-ci a été décidée par le seul Premier ministre. Le scrutin a été tellement irrégulier que le soir du premier tour le président de la Commission électorale nationale indépendante a démissionné.
"Les prochaines élections parlementaires et municipales, dont la date n’est pas encore fixée, seront l’occasion pour l’opposition comme pour la majorité présidentielle d’exposer et de soumettre leurs programmes à l’appréciation des citoyens mauritaniens" De quelles élections parlons-nous ? La Constitution a été modifiée par un Parlement au mandat expiré depuis des mois, le report des élections a été décidé par un seul homme et en dehors de toute consultation juridique crédible (le président du Conseil Constitutionnel est un affidé de Mohamed Ould Abdel Aziz et une longue histoire de dossier de candidature à la présidentielle de 2009 préparé, déposé et validé puis retiré(!) par le conseiller juridique de l'actuel hpmme fort, court Nouakchott...). L'état-civil a été saboté par un proche cousin du général-président, vendeur de gaz butane de son état pour justement, rendre les élections inorganisables dans l'immédiat et, au cas où elles seraient organisées, pour que le pouvoir en place puisse manipuler le fichier électoral, sans compter que ces révisions et manipulations ont réveillé les vieux démons d'antagonismes ethniques et ont été perçues souvent comme des dénis de nationalité dans un pays si sensible à ce propos.
Quelles élections et dans quelles conditions de transparence ? Le soi-disant "dialogue ouvert en 2011" et la nouvelle Commission électorale, à la composition contestée - ce qui ne fut pas en 2007 - ne les établissent pas.
"Nous formulons le vœu qu’un calendrier électoral puisse être défini rapidement" dites-vous. Mohamed Ould Abdel Aziz promet pour bientôt l'annonce de cette date, alors que l'été dernier il voulait au contraire tout anticiper.
Je me suis attaché à ce pays depuis que j'y ai effectué mon service national en Février 1965-Avril 1966, et en suis les gens et les choses depuis... Les problèmes du pays ne se résument pas à des élections et supposent au minimum un exercice partagé du pouvoir et à la tête de celui-ci une personnalité intègre et de prestige moral et intellectuel ce fut le cas avec le fondateur Moktar Ould Daddah, c'était le cas avec le seul président démocratiquement élu en un scrutin pluraliste se dénouant en deux tours : Mars 2007, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Nous n'avons pas su soutenir la démocratie naissante, nous nous trompons complètement sur celui qui est au pouvoir actuellement et qui, même de notre point de vue et celui-ci est géo-stratégiquement contestable, sinon dangereux, ne peut assurer la cohésion et la cohérence d'un pays fragile que l'actualité, comparativement aux autres, promeut facteur de stabilité...
Pour mes amis mauritaniens, vos déclarations - publiées et très commentées sur de nombreux sites mauritaniens - ont été prises comme une perche tendue à Mohamed Ould Abdel Aziz alors qu'il est en grave difficulté. S'il s'agissait d'intimider la Coordination de l'opposition démocratique, le signal n'opère pas, elle se sent l'expression certaine du peuple mauritanien qui ne veut pas de Mohamed Ould Abdel Aziz et ne l'a jamais voulu. A Nouakchott, si la France veut reprendre la main moralement - et donc devenir politiquement efficace - il convient de pousser Mohamed Ould Abdel Aziz à démissionner et à laisser les élections s'organiser librement, c'est-à-dire sans lui.
Je vous donne en pièce jointe la première déclaration faite dans l'intérieur du pays par le président fondateur. Elle dit le regard mauritanien sur l'ensemble du nord-ouest africain, et notamment l'Azawad. Une Mauritanie retrouvant son équilibre et sa propre estime, par la péremption - enfin - de régimes de force qui lui font honte depuis trente cinq ans ou à peu près, sera l'élément que tout le monde souhaite en Afrique et aux frontières stratégiques de l'Union européenne. L'intelligence des sujets à traiter.
Pardonnez-moi d'avoir été long, mais vos déclarations ont semblé confirmer une attitude qui depuis 2008, est discutable factuellement, selon même les objectufs que nous pouvons raisonnablement ambitionner d'atteindre dans la région, et que la majorité des Mauritaniens réprouvent, avec déception et amertume : ils attendent de nous une sincérité et une amitié, que nous semblons ne réserver qu'à un chef qu'ils ne reconnaissent pas. Et n'estiment pas. Philippe Etienne, Romain Serman et notre patron des "services" en avaient fait l'évaluation le 29 Novembre 2008, de la façon la plus posée et complète, quand ils passèrent une journée sur place à rencontrer presque "tout le monde".
Je sais bien que votre tâche est difficile, surtout ces jours-ci. Un des enjeux de notre propre élection présidentielle - sans que cela soit commenté, étrangement - est bien la mûe de nos relations avec l'Afrique et de notre regard sur elle. L'Afrique, et spécialement la Mauritanie, nous connaissent beaucoup mieux que nous ne les connaissons. Une empathie s'est perdue, nous devons la reconstruire.
Bien cordialement à votre disposition.
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