mercredi 6 octobre 2010

lectures et réflexions sur 1978.1979


Mercredi 6 Octobre 2010 – aux archives diplomatiques

L’ensemble du fonds : Ambassade de France à Nouakchott – plus de 170 cartons ou « articles » pour la période déposée : 1960 à 1979 avec des retours aux années 1950 pour certaines questions, notamment celle du Sahara sous administration espagnole, la question des Confins, les Regueibats, et celle des relations inter-territoriales en A.O.F. – me donne les éléments qui pouvaient encore me manquer pour un livre exhaustif sur la période fondatrice, c’est-à-dire sur les vingt-et-un ans de Moktar Ould DADDAH. Il ne manque à première vue que la vie des partis d’opposition, et surtout celle des mouvements « clandestins » dans les années 1970.

Je synthétise ce que je retiens de mon parcours des deux cartons de dépêches ponctuelles et de synthèses mensuelles où je pensais trouver quelque vérité sur 1978. Il est possible qu’un troisième carton soit parlant à sa manière : celui des notes verbales. Le matériau a été criblé : les dépêches de 1978 sont pour moitié les chiffres de COMINOR puis de la SNIM et le « film » du coup militaire ne figure pas dans ces papiers, il y en a peu pour cette année mais beaucoup pour 1979. Un carton sur la coopération et les opérations militaires en 1977-1978 est interdit de communication jusqu’en 2028, mais sur ces questions, plusieurs autres sont accessibles. L’essentiel de nos analyses doit se trouver dans la collection des télégrammes, celle-ci n’est pas déposée, mais, dans ce qui m’est donné à lire, se trouvent tout de même des éléments de fait et surtout le témoignage indirect des appréciations françaises. D’une manière générale – contrairement à mes propres correspondances diplomatiques ou à certaines des dépêches de nos premiers ambassadeurs à Nouakchott – les portraits psychologiques ne sont pas donnés : réservés ? il n’y a pas non plus d’exposé d’une stratégie politique que nous suivrions, après l’avoir fait valider par les faits ou par la « centrale ». En revanche, Tel que j’ai commencé de dépouiller les cartons de dépêches et de synthèses, plusieurs points que je veux dès maintenant noter :
– absences fréquentes de Michel REMOVILLE en 1978, entrée en fonctions d’un « ancien » Maurice COURAGE au lendemain juste de l’accord d’Alger
– nombreux voyages et donc nombreuses absences du Président travaillant l’étranger, les monarchies arabes, la France, Bruxelles mais aussi la Libye
– lacunes dans l’information de l’Ambassade contrairement à ce que croient les Mauritaniens et à ce dont sont convaincus la plupart des ambassadeurs, vg. ignorance sur la genèse de l’accord d’Alger qu’on présente comme rédigé au sommet de Monrovia, vg. surtout : affirmation que Moktar est revenu à Nouakchott, à la fin de Juillet 1978, et en simple résidence surveillance surveillée dans sa résidence du périmètre présidentiel
– analyse pessimiste sur l’économie et les finances, cf. conversation du chargé d’affaires en Mars 1978 avec un vice-président de la BIRD invité par Ahmed lequel très habilement demande que la Banque lui écrive le catalogue des réformes à opérer, lui-même se faisant fort, à ce que je sens, de convaincre le Président
– analyse très sommaire des circonstances et raisons du coup, et confirmation que le rôle essentiel, non dans la perpétration mais dans le projet, dans l’intention du crime, est le fait des civils, mais observation que Moktar est en difficulté au B.P.N. – pour la première fois depuis longtemps sinon toujours, selon le rédacteur de la dépêche, sans mémoire de 1963 ni de 1966 – à cause des sanctions pour corruption et aussi de l’application de la chariaa, et remarque (dont il faut que je véréifie le fondement) que les gens de Boutilimit sont excessivement favorisés dans le partage des places et l’exercice du pouvoir… revanche de l’Est ?
– papier assassin pour les militaires de toutes générations : les conséquences du coup, l’armée déjà faible mais qui avait des succès significatifs en 1978, cesse d’être opérationnelle, ses chefs sont désormais des gens de gouvernement, ce sont des officiers subalternes qui dirigent les unités, on a au Comité militaire la hantise d’un contre-coup, tous les moyens sont à Nouakchott, le Polisario a toute latitude au Tiris El Gharbia
– présentation inattendue d’Ahmed Ould BOUSSEIF, critiqué en Comité pour son autoritarisme et son cavalier seul et plutôt en faveur de la négociation avec le Polisario, mais confirmation de la faveur dont jouit alors ABDEL-KADER
– vive résurgence, selon l’ambassade dont c’est manifestement pendant toute la période fondatrice du pays le critère d’analyse et le motif de pessimisme, des clivages Noirs/Maures
– la personnalité saillante pour l’ambassade, à la suite du coup, est le commandant Jiddou Ould SALECK, qui, dans l’état des papiers disponibles, est le seul qui fasse l’objet de portraits. Ni Moktar ni les colonels et autres ne sont caractérisés.

Cependant, je ne trouve pas – à ce stade – d’éléments évocateurs ni d’une préméditation française pour renverser Moktar ni d’une information à jour sur le complôt qui se trame. L’ambassade, à la lire, est neutre quand le « régime » est renversé ; elle ne projette en rien les conséquences de ce changement sauf à propos de la guerre saharienne ; elle est sceptique aussitôt sur l’efficacité des mesures prises par les successeurs. Contraitement (tout de même) à ce que fut l’ambassade vis-à-vis de Sidi en 2008, nous ne cherchons pas à rencontrer Moktar ni à nous enquérir de son sort. Pas trace d’ailleurs des manœuvres et des démarches pour l’exfiltrer. Aucune sympathie marquée, aucune antipathie, ni trahison donc ni fidélité. Une acceptation pas même des faits accomplis, mais tout simplement de l’effectivité du pouvoir. Ce n’est pas dit et rien n’infirme ce qui ressortait d’une étude de l’AFP sur le coup et les jours suivants, la France ne condamne pas le coup, elle l’accepte aussitôt et proteste même n’avoir aucun sentiment contre. C’est ce qui ressortait des dépêches d’agence. Celles de l’ambassade, il est vrai peu nombreuses dans le carton ne le signfie même pas.

Je suis frappé d’ailleurs de ce qu’à part deux synthèses, l’une sur le pays désarmé par le coup militaire, et l’autre sur les cinquante-deux jours de BOUSSEIF, lesquelles ne sont d’ailleurs que factuelles, il n’y a aucune réflexion sur le pays, son régime, ses gens. Pas non plus de réflexion sur le jeu de partenaires possibles et sur nos concurrents, encore moins sur ce que peuvent projeter les dirigreants, le fondateur longtemps, ses tombeurs ensuite. – Pourtant, je ne suis pas déçu car je vais gagner en matériaux factuels et que la clé d’interprétation, je l’ai depuis 1965 et elle n’a jamais été incapable de pénétrer l’une quelconque des conjonctures qui ont suivi mon premier atterrissage.

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