12 Mai 1905 & 2 . 5 Mai 1958
Assassinat de Xavier Coppolani
&
Aleg, le congrès débattant et ratifiant les options fondatrices
Le 12 Mai 1905, à Tidjikja, où il vient d’arriver depuis le Fleuve, sans avoir eu à tirer un coup de fusil, Xavier Coppolani, « délégué du gouverneur général de l’Afrique occidentale française en pays maures », est assassiné. Appelé ainsi depuis trente mois, il étend l’influence française uniquement en se déplaçant, en rencontrant, en causant : aucune confrontation. Il sait qu’aussitôt, il serait désavoué à Paris où l’heure n’est plus à des extensions territoriales trop visibles de l’opinion internationale et surtout de l’Allemagne. Le protectorat des pays maures du Bas-Sénégal (cf. Le Calame 10 Octobre 2007 . chronique anniversaire du 15 Octobre 1902) est organisé selon un système d’administration indirecte. Pour le Trarza, c’est l’agrément de l’émir Ahmed Saloum II Ould Eli, comme représentant du gouvernement (15 Mai 1903), avec (8 Janvier 1904) une djemaa secondaire par chaque tribu guerrière et religieuse et (5 Février 1904) deux djemaa supérieures : le pays est organisé en deux régions en pays Trarza. Sur le même modèle (29 Mars), Coppolani organise les régions Brakna mais l’ancien émir Ahmedou Ould Sidi Eli hostile est interdit de séjour et son institution supprimée. Puis la région de Mal (31 Mars), celle du Gorgol (15 Avril). Le 26 Mai, il a organisé le personnel politique et administratif indigène des Pays Maures, en sorte que peut apparaître le Territoire civil de la Mauritanie dans le décret du 15 Octobre 1904 réorganisant le Gouvernement général de l’A.O.F. : Xavier Coppolani devient Commissaire du Gouvernement général et deux mois plus il existe des bureaux de l’administration centrale du Territoire civil à Saint-Louis. C’est de là que part le 24 Décembre 1904 la mission « Tagant-Adrar », projet qui avait été ajourné deux ans plus tôt, avec en première étape, via Podor, Boutilimit, pour de nouveaux entretiens avec Cheikh Sidya, l’ami et l’introducteur de ce pacificateur d’un nouveau genre.
Quittant Mal, le 15 Février 1905 et créant le poste d’El Haousssinia, Coppolani reçoit l’approbation de Paris puisque c’est le 25 que paraît au Journal officiel de la République française, le décret portant délimitation du Territoire civil de la Mauritanie et du Sénégal. Le 24 Mars , Coppolani se dirige vers Tijikja, venant de Ksar El Barka, occupé sans difficulté. Mais le contexte a changé soudainement : c’est le 31 Mars, le« coup de Tanger », le Kaiser s’entretient avec le Sultan du Maroc, et surtout le 18 Avril, l’émir du Trarza, Ahmed Saloum II est assassiné près de Tamresguid. Quand c’est le tour du Commissaire du gouvernement général de tomber, il semble bien que les Français vont demeurer sur le qui-vive et, surtout, la philosophie politique de la « pénétration » en Mauritanie change. Le lieutenant-colonel Montané-Capdebosc est désigné pour lui succéder dans ses fonctions administratives et prendre en même temps le commandement des troupes. Le 29 Mai, le Gouverneur général Roume tire la leçon de l’événement : maintenir l’occupation définitive du Tagant, surseoir à l’occupation de l’Adrar, tandis qu’Adam, l’adjoint au Commissaire du Gouvernement général prescrit aux résidents de Biack et de Boutilimit : ne pas épouser les querelles de succession à Ahmed Saloum. Le 1er Juillet, Montané-Capdebosc organisant le Tagant en région administrative selon le modèle de Coppolani la fait dépendre de la résidence de Mal. Il consacre une manière de « découper » la Mauritanie en cercles [1] qui va se perpétuer, après l’indépendance de la République islamique, jusqu’à la réforme régionale décidée par le Bureau politique du Parti du peuple, les 3-4 Mai 1968 [2].
Du 2 au 5 Mai 1958, sous la tente, se réunit le premier congrès unitaire des partis politiques mauritaniens : c’est à Aleg. Depuis le 15 Janvier, un « comité de fusion paritaire » où l’U.P.M. – parti du gouvernement – et l’Entente – l’ancien parti d’opposition d’Horma Ould Babana – préparait ce congrès. Initialement prévu pour se tenir du 26 au 28 Février, il a été reporté d’abord sine die par le départ « en dissidence », c’est-à-dire en allégeance aux revendications marocaines de deux ministres, précisément ceux issu de l’Entente : Deye Ould Sidi Baba et Mohamd’El Moktar Ould Bah, accompagnés de l’émir du Trarza, conseiller territorial, Mohamed Fall Ould Oumeïr. Le 16 Mars, c’est l’ambassade du Maroc au Caire qui confirme que les trois personnalités mauritaniennes sont les hôtes du gouvernement égyptien, et le 21, le conseil de gouvernement mauritanien doit l’admettre officiellement, sous la pression de manifestants – des femmes – le questionnant sur leur disparition. La « ligne unitaire » qu’avait eue tant de mal à imposer Moktar Ould Daddah à ses co-lisitiers semble brisée [3] ; le vice-président du conseil du gouvernement parvient cependant, le même 21 Mars, à « retourner » le Comité de fusion des partis mauritaniens qui « réaffirme sa volonté ferme de faire l’union des partis mauritaniens, lance un vibrant appel à tous les Mauritaniens sans distinction aucune pour la défense de leur commune patrie et donne rendez-vous au congrès d’Aleg dont la date est maintenue au 2 Mai 1958 » ; le surlendemain, les étudiants mauritaniens en France lui apportent leur soutien, notamment pour réfuter comme « fantaisistes et sans fondement les prétentions marocaines » et déclarer « légitime la lutte pour l’intégrité territoriale ».
Toutes les difficultés se présentent en même temps : le renforcement en arguments de la revendication marocaine [4] alors que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement – la Banque mondiale – doit décider du financement des mines de fer ; le débat sur la « fédération primaire », chef-lieu Dakar, comme objet de la décentralisation et de l’autonomie des territoires français d’Afrique [5] ; le développement de l’autonomie interne. La question émirale, au Trarza, est en revanche facilement résolue, selon les lois coûtumières : le 27 Avril, à Mederdra, la djemaa émirale du Trarza désigne Hbib Ould Ahmed Saloum pour succéder à Mohamed Fall Ould Oumeir ; le Conseil de Gouvernement entérine ce choix.
Le congrès d’Aleg est capital, dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie, car d’une part il consacre le prestige – qui va devenir charismatique – de Moktar Ould Daddah sur ses co-équipiers, sur l’ensemble des élus et des forces traditionnelles, et d’autre part il entérine, après des débats très étendus la logique des thèses du discours d’investiture de celui-ci le 21 Mai de l’année précédente. Et d’abord l’unité, malgré la méfiance renforcée des soutiens initiaux du gouvernement. Si Moktar Ould Daddah l’a emporté, encore plus en coulisses que sur scène, c’est que la revendication marocaine fait peser sur le pays une menace mortelle, l’unité d’action et d’expression est la seule parade possible : Notre réunion d’aujourd’hui constitue donc l’aboutissement logique de la politique menée depuis bientôt un an par le Conseil de Gouvernement en complet accord avec l’Assemblée Territoriale, elle-même interprète des aspirations populaires – Cependant, à toutes les considérations qui précèdent et furent à l’origine de la convocation du présent Congrès est venue s’ajouter récemment une raison infiniment plus importante. A la suite des revendications marocaines sur notre Territoire, l’union est en effet devenue une question de vie ou de mort pour la Mauritanie – C’est donc avant tout en fonction des convoitises de notre voisin et en pleine conscience du grand péril qui nous menace tous, que nous devons aujourd’hui prendre nos décisions. Le discours d’ouverture est adopté comme document du congrès. Il va en fonder la plupart des résolutions et motions, mais moyennant plusieurs jours et surtout nuits de discussion par 40° à l’ombre.
En effet, le congrès prenant l’appellation de regroupement des partis mauritaniens, opère des choix nets en recommandant au gourvenement d’ "affirmer notre indépendance vis-à-vis du Maroc" et la "défense de l'intégrité territoriale", le "maintien de la Mauritanie au sein de la communauté franco-africaine" et le choix de l’"autonomie interne". Il reconnaît qu’il est "difficile de se laisser absorber par un ensemble africain dont la structure politique serait modifiée dans le sens de la centralisation" etr affirme qu’ "aucune solidarité économique des régions sahariennes ne pourra se constituer valablement tant que n'aura pas été résolu le problème algérien". Bref, c’est le "renforcement de la personnalité mauritanienne" qu’illustrent des motions pour la promotion sociale (formation professionnelle, imposition du revenu, unification devant l'impôt et le service militaire), pour donner à l'arabe la valeur des deux langues vivantes dans l'enseignement et pour la scolarisation des filles.
L’ensemble se traduit en motions de politique générale : fusion des partis en un parti du Regroupement mauritanien, maintien de la Mauritanie dans la communauté franco-africaine, au lieu d’une intégration politique ou administrative dans l'O.C.R.S. une convention économique librement discutée, d’expresses réserves contre la création d'un super- gouvernement et d'un parlement à Dakar. Tout en s’élevant contre un "sabotage" de la Loi-Cadre, le congrès – c’est la motion la plus spectaculaire, surtout parce qu’elle est inattendue de l’administration coloniale française – revendique l’" autonomie interne complète avec libre vocation à l'indépendance nationale ". Enfin, cachet personnel de Moktar Ould Daddah, des appels à la France sont lancés pour qu'elle se réconcilie avec les Etats arabes et mette fin à la guerre en Algérie. Le congrès marque en fait l’émancipation mentale des mauritaniens, et d’abord de leurs élites, vis-à-vis de l’administration coloniale [6]. Y participe même une délégation de la « Mauritanie espagnole », dirigée par Khattri Ould Saïd Ould Joumani, chef des Lebbeyhatt (Rgueibatt Charg, aussi appelés Legouacem) [7].
Huits jours plus tard, à Alger, des manifestations pour l'"Algérie française" aboutissent à l'occupation du Gouvernement général et à un appel au général de Gaulle. Tout semble possible, le pire comme le meilleur, mais à Saint-Louis, lors de la conférence des commandants de cercle, la divergence d’appréciation des événements en cours et de ce que représente le congrès d’Aleg pour le pays, est manifeste. Pour le gouverneur Mouragues, ouvrant les débats, le 19 : " l'avenir est possible si la permanence de notre présence et de notre assistance est assurée et c'est bien ainsi que l'entendent tous les Mauritaniens ", tandis qu’en clôture le 23, Moktar Ould Daddah assure qu’ " il n'y a pas de problèmes de contact… Nous pouvons réaliser la Mauritanie nouvelle " [8]. Il y en avait pourtant un – sérieux – avec le représentant de la métropole [9] qui d’ailleurs, se disant souffrant, n’assiste pas à cette clôture.
Ould Kaïge
Assassinat de Xavier Coppolani
&
Aleg, le congrès débattant et ratifiant les options fondatrices
Le 12 Mai 1905, à Tidjikja, où il vient d’arriver depuis le Fleuve, sans avoir eu à tirer un coup de fusil, Xavier Coppolani, « délégué du gouverneur général de l’Afrique occidentale française en pays maures », est assassiné. Appelé ainsi depuis trente mois, il étend l’influence française uniquement en se déplaçant, en rencontrant, en causant : aucune confrontation. Il sait qu’aussitôt, il serait désavoué à Paris où l’heure n’est plus à des extensions territoriales trop visibles de l’opinion internationale et surtout de l’Allemagne. Le protectorat des pays maures du Bas-Sénégal (cf. Le Calame 10 Octobre 2007 . chronique anniversaire du 15 Octobre 1902) est organisé selon un système d’administration indirecte. Pour le Trarza, c’est l’agrément de l’émir Ahmed Saloum II Ould Eli, comme représentant du gouvernement (15 Mai 1903), avec (8 Janvier 1904) une djemaa secondaire par chaque tribu guerrière et religieuse et (5 Février 1904) deux djemaa supérieures : le pays est organisé en deux régions en pays Trarza. Sur le même modèle (29 Mars), Coppolani organise les régions Brakna mais l’ancien émir Ahmedou Ould Sidi Eli hostile est interdit de séjour et son institution supprimée. Puis la région de Mal (31 Mars), celle du Gorgol (15 Avril). Le 26 Mai, il a organisé le personnel politique et administratif indigène des Pays Maures, en sorte que peut apparaître le Territoire civil de la Mauritanie dans le décret du 15 Octobre 1904 réorganisant le Gouvernement général de l’A.O.F. : Xavier Coppolani devient Commissaire du Gouvernement général et deux mois plus il existe des bureaux de l’administration centrale du Territoire civil à Saint-Louis. C’est de là que part le 24 Décembre 1904 la mission « Tagant-Adrar », projet qui avait été ajourné deux ans plus tôt, avec en première étape, via Podor, Boutilimit, pour de nouveaux entretiens avec Cheikh Sidya, l’ami et l’introducteur de ce pacificateur d’un nouveau genre.
Quittant Mal, le 15 Février 1905 et créant le poste d’El Haousssinia, Coppolani reçoit l’approbation de Paris puisque c’est le 25 que paraît au Journal officiel de la République française, le décret portant délimitation du Territoire civil de la Mauritanie et du Sénégal. Le 24 Mars , Coppolani se dirige vers Tijikja, venant de Ksar El Barka, occupé sans difficulté. Mais le contexte a changé soudainement : c’est le 31 Mars, le« coup de Tanger », le Kaiser s’entretient avec le Sultan du Maroc, et surtout le 18 Avril, l’émir du Trarza, Ahmed Saloum II est assassiné près de Tamresguid. Quand c’est le tour du Commissaire du gouvernement général de tomber, il semble bien que les Français vont demeurer sur le qui-vive et, surtout, la philosophie politique de la « pénétration » en Mauritanie change. Le lieutenant-colonel Montané-Capdebosc est désigné pour lui succéder dans ses fonctions administratives et prendre en même temps le commandement des troupes. Le 29 Mai, le Gouverneur général Roume tire la leçon de l’événement : maintenir l’occupation définitive du Tagant, surseoir à l’occupation de l’Adrar, tandis qu’Adam, l’adjoint au Commissaire du Gouvernement général prescrit aux résidents de Biack et de Boutilimit : ne pas épouser les querelles de succession à Ahmed Saloum. Le 1er Juillet, Montané-Capdebosc organisant le Tagant en région administrative selon le modèle de Coppolani la fait dépendre de la résidence de Mal. Il consacre une manière de « découper » la Mauritanie en cercles [1] qui va se perpétuer, après l’indépendance de la République islamique, jusqu’à la réforme régionale décidée par le Bureau politique du Parti du peuple, les 3-4 Mai 1968 [2].
Du 2 au 5 Mai 1958, sous la tente, se réunit le premier congrès unitaire des partis politiques mauritaniens : c’est à Aleg. Depuis le 15 Janvier, un « comité de fusion paritaire » où l’U.P.M. – parti du gouvernement – et l’Entente – l’ancien parti d’opposition d’Horma Ould Babana – préparait ce congrès. Initialement prévu pour se tenir du 26 au 28 Février, il a été reporté d’abord sine die par le départ « en dissidence », c’est-à-dire en allégeance aux revendications marocaines de deux ministres, précisément ceux issu de l’Entente : Deye Ould Sidi Baba et Mohamd’El Moktar Ould Bah, accompagnés de l’émir du Trarza, conseiller territorial, Mohamed Fall Ould Oumeïr. Le 16 Mars, c’est l’ambassade du Maroc au Caire qui confirme que les trois personnalités mauritaniennes sont les hôtes du gouvernement égyptien, et le 21, le conseil de gouvernement mauritanien doit l’admettre officiellement, sous la pression de manifestants – des femmes – le questionnant sur leur disparition. La « ligne unitaire » qu’avait eue tant de mal à imposer Moktar Ould Daddah à ses co-lisitiers semble brisée [3] ; le vice-président du conseil du gouvernement parvient cependant, le même 21 Mars, à « retourner » le Comité de fusion des partis mauritaniens qui « réaffirme sa volonté ferme de faire l’union des partis mauritaniens, lance un vibrant appel à tous les Mauritaniens sans distinction aucune pour la défense de leur commune patrie et donne rendez-vous au congrès d’Aleg dont la date est maintenue au 2 Mai 1958 » ; le surlendemain, les étudiants mauritaniens en France lui apportent leur soutien, notamment pour réfuter comme « fantaisistes et sans fondement les prétentions marocaines » et déclarer « légitime la lutte pour l’intégrité territoriale ».
Toutes les difficultés se présentent en même temps : le renforcement en arguments de la revendication marocaine [4] alors que la Banque internationale pour la reconstruction et le développement – la Banque mondiale – doit décider du financement des mines de fer ; le débat sur la « fédération primaire », chef-lieu Dakar, comme objet de la décentralisation et de l’autonomie des territoires français d’Afrique [5] ; le développement de l’autonomie interne. La question émirale, au Trarza, est en revanche facilement résolue, selon les lois coûtumières : le 27 Avril, à Mederdra, la djemaa émirale du Trarza désigne Hbib Ould Ahmed Saloum pour succéder à Mohamed Fall Ould Oumeir ; le Conseil de Gouvernement entérine ce choix.
Le congrès d’Aleg est capital, dans l’histoire contemporaine de la Mauritanie, car d’une part il consacre le prestige – qui va devenir charismatique – de Moktar Ould Daddah sur ses co-équipiers, sur l’ensemble des élus et des forces traditionnelles, et d’autre part il entérine, après des débats très étendus la logique des thèses du discours d’investiture de celui-ci le 21 Mai de l’année précédente. Et d’abord l’unité, malgré la méfiance renforcée des soutiens initiaux du gouvernement. Si Moktar Ould Daddah l’a emporté, encore plus en coulisses que sur scène, c’est que la revendication marocaine fait peser sur le pays une menace mortelle, l’unité d’action et d’expression est la seule parade possible : Notre réunion d’aujourd’hui constitue donc l’aboutissement logique de la politique menée depuis bientôt un an par le Conseil de Gouvernement en complet accord avec l’Assemblée Territoriale, elle-même interprète des aspirations populaires – Cependant, à toutes les considérations qui précèdent et furent à l’origine de la convocation du présent Congrès est venue s’ajouter récemment une raison infiniment plus importante. A la suite des revendications marocaines sur notre Territoire, l’union est en effet devenue une question de vie ou de mort pour la Mauritanie – C’est donc avant tout en fonction des convoitises de notre voisin et en pleine conscience du grand péril qui nous menace tous, que nous devons aujourd’hui prendre nos décisions. Le discours d’ouverture est adopté comme document du congrès. Il va en fonder la plupart des résolutions et motions, mais moyennant plusieurs jours et surtout nuits de discussion par 40° à l’ombre.
En effet, le congrès prenant l’appellation de regroupement des partis mauritaniens, opère des choix nets en recommandant au gourvenement d’ "affirmer notre indépendance vis-à-vis du Maroc" et la "défense de l'intégrité territoriale", le "maintien de la Mauritanie au sein de la communauté franco-africaine" et le choix de l’"autonomie interne". Il reconnaît qu’il est "difficile de se laisser absorber par un ensemble africain dont la structure politique serait modifiée dans le sens de la centralisation" etr affirme qu’ "aucune solidarité économique des régions sahariennes ne pourra se constituer valablement tant que n'aura pas été résolu le problème algérien". Bref, c’est le "renforcement de la personnalité mauritanienne" qu’illustrent des motions pour la promotion sociale (formation professionnelle, imposition du revenu, unification devant l'impôt et le service militaire), pour donner à l'arabe la valeur des deux langues vivantes dans l'enseignement et pour la scolarisation des filles.
L’ensemble se traduit en motions de politique générale : fusion des partis en un parti du Regroupement mauritanien, maintien de la Mauritanie dans la communauté franco-africaine, au lieu d’une intégration politique ou administrative dans l'O.C.R.S. une convention économique librement discutée, d’expresses réserves contre la création d'un super- gouvernement et d'un parlement à Dakar. Tout en s’élevant contre un "sabotage" de la Loi-Cadre, le congrès – c’est la motion la plus spectaculaire, surtout parce qu’elle est inattendue de l’administration coloniale française – revendique l’" autonomie interne complète avec libre vocation à l'indépendance nationale ". Enfin, cachet personnel de Moktar Ould Daddah, des appels à la France sont lancés pour qu'elle se réconcilie avec les Etats arabes et mette fin à la guerre en Algérie. Le congrès marque en fait l’émancipation mentale des mauritaniens, et d’abord de leurs élites, vis-à-vis de l’administration coloniale [6]. Y participe même une délégation de la « Mauritanie espagnole », dirigée par Khattri Ould Saïd Ould Joumani, chef des Lebbeyhatt (Rgueibatt Charg, aussi appelés Legouacem) [7].
Huits jours plus tard, à Alger, des manifestations pour l'"Algérie française" aboutissent à l'occupation du Gouvernement général et à un appel au général de Gaulle. Tout semble possible, le pire comme le meilleur, mais à Saint-Louis, lors de la conférence des commandants de cercle, la divergence d’appréciation des événements en cours et de ce que représente le congrès d’Aleg pour le pays, est manifeste. Pour le gouverneur Mouragues, ouvrant les débats, le 19 : " l'avenir est possible si la permanence de notre présence et de notre assistance est assurée et c'est bien ainsi que l'entendent tous les Mauritaniens ", tandis qu’en clôture le 23, Moktar Ould Daddah assure qu’ " il n'y a pas de problèmes de contact… Nous pouvons réaliser la Mauritanie nouvelle " [8]. Il y en avait pourtant un – sérieux – avec le représentant de la métropole [9] qui d’ailleurs, se disant souffrant, n’assiste pas à cette clôture.
Ould Kaïge
[1] - 5 Septembre 1905 - de retour du Tagant, Montané-Capdebosc organise la nouvelle colonie en cinq circonscriptions, dont quatre cercles : le Trarza, chef lieu Khroufa ; le Brakna, Aleg ; le Gorgol, Kaédi ; le Tagant, Tidjikja et une résidence du Guidimaka, chef-lieu Sélibaby
[2] - un « découpage » en régions seulement désignées par leur numéro :
1ère région (Hodh occidental) = Néma
2ème région (Hodh occidental) = Aioun-el-Atrouss
3ème région (Guidimaka, Assaba moins N’Bout, plus Boumdeid = Kiffa
4ème région (Gorgol plus M’Bout) = Kaédi
5ème région (Brakna, tagant) = Aleg
6ème région (Inchiri, Trarza moins Nouakchott) = Rosso
7ème région (Adrar, Tiris-Zemmour, Baie du lévrier) = Atar
régions, ainsi que le district de Nouakchott, organisées par les lois des 30 Juillet 1968 et 21 Janvier 1969
[3] - Moktar Ould Daddah évoque, en termes pathétiques, son découragement, puis donne l’enjeu du congrès et en raconte le déroulement dans ses mémoires : La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) pp. 162 & ss.
[4] - le 29 Avril 1958, à Tanger, la conférence maghrébine (Istiqlal marocain, Neo-Destour tunisien et F.L.N. algérien) "apporte sa solidarité agissante à la lutte menée par les populations mauritaniennes pour leur libération de la domination coloniale et leur retour à la patrie marocaine"
[5] - les deux thèses s’expriment le 24 Avril 1958, à Paris : d’un côté, le bureau de coordination du R.D.A. affirme la primauté de la personnalité territoriale et revendique la liberté de la forme d’association avec la métropole, de l’autre, Sekou Touré déclare que « si un grand référendum était organisé en Afrique, une écrasante majorité imposerait une politique d’unité fédérale contre toute dissociation des territoires »
[6] - Moktar Ould Daddah, op. cit. p. 164, décrit ainsi le système, auquel il avait d’ailleurs participé en tant qu’interprète, quinze ans plus tôt : " Concernant l’évolution du statut politique du pays, tout le monde acceptait plus ou moins sincèrement, l’accession à l’autonomie interne. Mais, dès qu’il a été question des mots : « vocation à l’indépendance » la majorité des congressistes a vivement réagi – négativement. Réaction à laquelle nous nous attendions. En effet, cette majorité, constituée de chefs et de notables naturellement conservateurs, était, en la circonstance, chargée par l’administration coloniale de rejeter ce mot « diabolique » d’indépendance. Comment ? Il y a lieu de se souvenir qu’à l’époque, un usage s’était établi selon lequel, avant chaque rassemblement politique local, régional ou territorial, les représentants des subdivisions et des cercles allaient voir le chef de subdivision ou leur commandant de cercle pour leur poser la question rituelle : que devons-nous dire dans les réunions du rassemblement auquel nous allons assister ? Ces demandes d’avis – plus exactement d’instructions – étaient formulées, soit par les chefs de tribus, de fractions, de cantons, de villages, soit par les porte-paroles des mêmes entités, soit par les représentants des groupes d’alliés, traditionnels ou circonstanciels. L’autorité sollicitée donnait alors ses directives, lesquelles – suivant l’importance de la question – pouvaient émaner d’elle-même ou des autorités supérieures. Normalement, ces directives étaient suivies à la lettre. Mais, il pouvait arriver qu’elles fussent transgressées par certains chefs ou notables subissant d’autres pressions, comme ce fut le cas à Aleg au printemps de 1958. "
[7] - " devenu depuis l’un des principaux leaders sahraouis marocains. Il reviendra me voir à Nouakchott, en Juillet 1962. Par la suite, nous demeurâmes en contact par divers intermédiaires, cela jusqu’en 1975. Jusqu’à cette date, il reconnaissait, nonobstant ses contacts avec les Marocains et les Algériens, comme une donnée incontestable, la mauritanité du Sahara ex-espagnol" – Moktar Ould Daddah, op. cit. p. 163
[8] - dans le huis-clos, dont cependant la sténotypie est prise pour diffusion dans les cercles, tous commandés alors par des administrateurs français, le vice-président du conseil déclare notamment, avec beaucoup de nuances, mais fermement comme il le fera durant toute sa vie politique : En ce qui concerne le problème très délicat de l’autorité, les interprétations les plus divergentes ont été données à la loi-cadre et le problème de l’autorité est mis en jeu. Personnellement, je ne crois pas à un relâchement de cette autorité, mais plutôt à un changement de structure et je vous redis une fois de plus ce que j’ai déjà dit à certains d’entre vous, c’est que rien ne peut se faire dans l’anarchie mais seulement dans la discipline et c’est à vous encore qu’incombe de faire la preuve que cette discipline existe auprès d’administrés pas toujours très compréhensifs. Là encore le Gouvernement compte entièrement sur vous comme par le passé pour continuer à faire ce que vous avez toujours fait, et toujours avec le meilleur de vous-même, et dans des conditions très satisfaisantes. En ce moment le monde change et très peu comprennent le sens de ce changement. Il ne veut pas dire que le moment est venu de se venger de querelles intestines.
J’ai eu l’occasion de parler de l’évolution de la Mauritanie et j’ai demandé aux gens d’essayer de concilier la nécessité du mouvement et ce qu’il y a de valable et d’important dans la structure actuelle. Vous savez qu’en Mauritanie il y a deux tendances : les jeunes qui parlent du spoutnik et de l’autre côté les vieux qui ne connaissent jusqu’à présent que leurs chameaux. Je pense que nous devons tous faire comprendre aux gens qu’il y a lieu de chercher un juste milieu.
Je m’excuse de toucher ici au problème politique, nous sommes entre nous et pouvons parler en toute confiance. On ne peut pas faire ici de part distincte entre la politique et l’administration. Par conséquent, sans aller jusqu’à dire qu’en Mauritanie les deux problèmes se confondent, je prétends qu’ils sont solidement liés et étant donné cette faveur que nous avons de pouvoir collaborer très amicalement que nous soyons des hommes politiques ou administratifs, nous ne pouvons pas déjà nous abstenir et nous laisser arrêter par aucun obstacle pour le bien-être de ce pays. Les difficultés sont énormes et il nous faudra réaliser de grandes choses avec de petits moyens. Je pense que nous ne perdons pas notre temps en Mauritanie et que plus que partout ailleurs, nous avons un résultat positif. C’est le résultat final qui compte et personnellement je crois qu’il sera bon.
[9] - Moktar Ould Daddah, op. cit. p. 169
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