Ce discours, choisi par les congressistes comme document de base pour leurs débats - qui furent intenses - consacre les options du discours prononcé par Moktar Ould Daddah lors de son investiture par l''Assemblée territoriale un an auparavant. Unité politique intérieure malgré les dissidences et les traditions, personnalité mauritanienne malgré les prétentions marocaines, vocation à l'indépendance malgré le chef régnant du Territoire et malgré les incertitudes françaises.
Le jeune vice-président du conseil de gouvernement (organisé selon la loi métropolitaine, dite Loi-cadre ou loi Defferre) reçoit ainsi une légitimité nationale que n'avait pu lui donner le seul choix de quelques élites et de l'administration coloniale. Il la reçoit dans les circonstances les plus difficiles pour le pays et pour un avenir dont aucun paramètre n'est alors connu, et encore moins maîtrisable.
DISCOURS PRONONCE PAR MAITRE MOKTAR OULD DADDAH
VICE-PRESIDENT DU CONSEIL DE GOUVERNEMENT DE MAURITANIE
A L’OUVERTURE DU CONGRES D’ALEG LE 2 MAI 1958
Mes chers amis,
Laissez-moi tout d’abord vous souhaiter à tous la bienvenue à Aleg où s’ouvre aujourd’hui le Congrès annoncé depuis plusieurs mois et que le calendrier politique chargé du Conseil de Gouvernement et de l’Assemblée territoriale puis la période du Ramadan ont retardé jusqu’à ce début du mois de Mai, saison dont la température est certes peu propice aux déplacements et réunions. Je tiens donc à vous remercier tout particulièrement d’avoir répondu à notre appel et d’être venus si nombreux symboliser l’attachement profond que tous les habitants de ce pays, sans distinctions ethniques, sociales ou politiques portent à l’avenir de la Patrie Mauritanienne naissante.
VICE-PRESIDENT DU CONSEIL DE GOUVERNEMENT DE MAURITANIE
A L’OUVERTURE DU CONGRES D’ALEG LE 2 MAI 1958
Mes chers amis,
Laissez-moi tout d’abord vous souhaiter à tous la bienvenue à Aleg où s’ouvre aujourd’hui le Congrès annoncé depuis plusieurs mois et que le calendrier politique chargé du Conseil de Gouvernement et de l’Assemblée territoriale puis la période du Ramadan ont retardé jusqu’à ce début du mois de Mai, saison dont la température est certes peu propice aux déplacements et réunions. Je tiens donc à vous remercier tout particulièrement d’avoir répondu à notre appel et d’être venus si nombreux symboliser l’attachement profond que tous les habitants de ce pays, sans distinctions ethniques, sociales ou politiques portent à l’avenir de la Patrie Mauritanienne naissante.
Hommes de Gouvernement, Conseillers Territoriaux, Chefs traditionnels et religieux, fonctionnaires, cultivateurs, éleveurs, commerçants, représentants de la jeune élite intellectuelle, nous voici donc tous réunis pour que, de la confrontation de nos idéaux et face aux dangers qui menacent le Territoire, surgisse l’Union Sacrée des libres citoyens de la Mauritanie.
Ai-je besoin de rappeler aujourd’hui que le rassemblement de toutes les énergies mauritaniennes a été le constant souci du premier Conseil de Gouvernement du Territoire – Bien que les élections du 31 Mars 1957 aient eu pour résultat d’écarter totalement de l’Assemblée Territoriale l’un des deux partis en présence, j’ai jugé indispensable d’assurer la représentation de l’ancienne opposition au sein du Conseil de Gouvernement. Si les défaillances individuelles que vous connaissez ont réduit par la suite cette représentation de trois à une unité, je demeure cependant persuadé que l’union de tous les patriotes mauritaniens est plus que jamais nécessaire.
C’est ce qu’ont parfaitement compris nos compatriotes de l’Entente dont les délégations nombreuses et représentatives se mêlent ici à celles de l’U.P.M. – Conformément aux souhaits du Gouvernement et aux désirs du pays tout entier, a été créé un comité de fusion U.P.M. – Entente chargé de préparer le Congrès qui s’ouvre aujourd’hui.
Dans le même temps étaient lancés des appels à la jeunesse afin qu’elle vienne heureusement compléter par son dynamisme l’expérience des générations précédentes.
Enfin par delà les frontières naturelles de la Mauritanie, j’adressais d’Atar, le 1er Juillet dernier, un appel à tous nos frères maures de l’extérieur. Vous savez que cet appel a été entendu puisque tout dernièrement 4.000 Regueibats sont venus déclarer solennellement à Fort-Gouraud et Fort-Trinquet qu’ils se rangeaient sans réserve derrière le Gouvernement de Mauritanie.
Notre réunion d’aujourd’hui constitue donc l’aboutissement logique de la politique menée depuis bientôt un an par le Conseil de Gouvernement en complet accord avec l’Assemblée Territoriale, elle-même interprète des aspirations populaires – Cependant, à toutes les considérations qui précèdent et furent à l’origine de la convocation du présent Congrès est venue s’ajouter récemment une raison infiniment plus importante. A la suite des revendications marocaines sur notre Territoire, l’union est en effet devenue une question de vie ou de mort pour la Mauritanie – C’est donc avant tout en fonction des convoitises de notre voisin et en pleine conscience du grand péril qui nous menace tous, que nous devons aujourd’hui prendre nos décisions.
Je rappellerai brièvement l’évolution récente de la position du Maroc à l’égard de la Mauritanie – A la suite des évènements d’Atar du début de l’année dernière, le Ministre des Affaires Etrangères du Gouvernement chérifien déclarait, à l’occasion de son passage à Dakar, que ces évènements étaient le fait de « bandes incontrôlées » à l’action desquelles son Gouvernement était totalement étranger – Cependant la presse et la radio mexicaines intensifiaient de plus en plus une propagande revendicatrice.
La création d’une Direction du Sahara, la personnalité de certains des membres désignés pour composer la sous-commission d’étude des frontières marocaines précisaient par la suite la voie dans laquelle semblait s’engager le Gouvernement chérifien. Enfin les revendications marocaines sur notre territoire étaient officiellement formulées en premier lieu dans une note adressée par le Gouvernement chérifien à la Banque Internationale de Reconstruction et de Développement au sujet de l’emprunt demandé par la France pour la mise en exploitation des mines de Fort-Gouraud et en second lieu dans l’allocution prononcée le 28 Mars par le Roi du Maroc.
Vous savez quelle réponse lui a été faite le 31 Mars dernier par le Conseil du Gouvernement de Mauritanie unanimement approuvé par l’Assemblée Territoriale et dont la prise de position a été soutenue par le Grand Conseil de l’A.O.F. et le Gouvernement de la République Française.
A l’appui de leurs prétentions les Marocains invoquent une communauté historique, religieuse et culturelle entre nos deux pays. Certes personne ne songe à nier la réalité d’une telle communauté mais son existence ne justifie en rien le rattachement de la Mauritanie au maroc. Jamais notre pays n’a été soumis à son voisin du Nord. Bien au contraire l’histoire nous révèle que la Mauritanie conquit le Maroc et que les Almoravides partis de nos régions fondèrent Marrakech et étendirent leur domination sur tout le territoire marocain et jusqu’aux Pyrénées – Les prétentions actuelles du Maroc à l’hégémonie sur la Mauritanie sont donc aussi ridicules que celles que pourrait, par exemple, émettre aujourd’hui la France sur l’Angleterre sous prétexte qu’à l’époque de Jeanne d’Arc, Paris et une grande partie de la France étaient occupés par les Anglais !
L’argument religieux n’est pas plus valable – L’Islam est une religion universelle destinée à l’humanité tout entière et pratiquée par de nombreux pays qui n’en demeurent pas moins politiquement indépendants les uns des autres – Pourquoi donc vouloir nous annexer au nom de l’Islam alors que nous savons tous combien la religion que nous pratiquons a su conserver sa pureté originelle. Enfin au non de quelle supériorité culturelle veut-on subordonner nos poètes, nos historiens, nos juristes dont la science n’a rien à envier à celle de nos collègues marocains ?
Derrière ces prétendus arguments historiques, culturels et religieux se cache en réalité le désir de masquer les difficultés intérieures que connaît le jeune Etat marocain, tant sur le plan politique que dans le domaine financier ou économique, par un expansionnisme qui fait appel à des sentiments d’étroit nationalisme, voire de racisme, auxquels plus que tout autre pays la Mauritanie ne peut souscrire puisqu’elle a su réaliser dans son sein l’union étroite de deux populations ethniquement différentes – Certes la majorité des habitants de ce pays reconnaît son origine arabo-berbère ; elle en est fière, mais n’en est pas moins décidée à conserver son originalité façonnée par les siècles et sa personnalité politique récemment acquise.
Ayant ainsi affirmé notre indépendance vis-à-vis du Maroc, je n’en suis que plus déterminé à renouveler à nos voisins marocains l’appel que je leur ai adressé à plusieurs reprises et notamment d’Atar le 1er Juillet dernier les assurant « de notre désir sincère d’entretenir avec eux comme avec tous les peuples voisins les relations de bon voisinage que nous n’avons jamais cessé d’avoir avec eux ». En échange, je leur demandais et je leur demande toujours, « de respecter notre personnalité et l’intégrité de nos frontières, comme nous respectons les leurs ».
Si les prétentions marocaines ne reposent sur aucun fondement valable, la Mauritanie, par contre a de solides raisons de désirer se maintenir au sein de la communauté franco-africaine.
Et d’abord matérielles puisque la pauvreté est malheureusement, dans les circonstances présentes et au moins pour quelques années encore le trait dominant de notre pays. Votre Gouvernement, vos conseillers Territoriaux connaissent mieux que quiconque la situation financière du Territoire et l’aide qu’il reçoit de la Fédération et de la république. Pour prendre un exemple récent, les dépenses budgétaires de 1958 ne sont assurées que jusqu’à concurrence de 15 % pour les recettes proprement mauritaniennes ; le reste de nos ressources est fourni par la Fédération et la Métropole. Quant à l’équipement économique, social et même administratif du Territoire, il est à peu près financé par la France sous forme de crédits FIDES ou de subventions du Budget de l’Etat, notamment pour la réalisation de notre future capitale.
A ce point de vue, le Maroc se trouve, toutes proportions gardées, dans une situation analogue à la nôtre – Pays également sous développé, il est obligé d’avoir recours à l’aide étrangère pour équilibrer son budget et tenter de combattre la régression industrielle et commerciale considérable qui frappe son économie – Dans ces conditions, il serait bien incapable de soutenir la Mauritanie comme le font l’A.O.F. et la France. Mais sans doute escompte-il seulement qu’une annexion lui assurerait dans l’avenir le bénéfice exclusif des produits attendus de l’exploitation de nos richesses minières.
Les raisons politiques de notre attachement à la Communauté franco-africaine ne sont pas moins valables. Après avoir réalisé l’unification administrative de la Mauritanie, la France lui a permis de faire con unité politique à partir de 1946 par la représentation démocratique des populations au sein d’Assemblées Territoriales dont la dernière fut élue au suffrage universel. La loi-cadre enfin a reconnu la réalité de la personnalité politique mauritanienne et conféré au Gouvernement d’importants pouvoirs en matière d’administration intérieure.
Est-ce précisément au moment où nous pouvons espérer obtenir notre autonomie interne complète que nous devons la sacrifier au seul bénéfice d’un impérialisme et pour l’unique raison qu’il est de souche arabo-berbère ?
Faut-il, sans vouloir profiter du grand courant d’émancipation pacifique qui traverse l’Afrique, immoler la Nation Mauritanienne naissante et devenir simplement la marche lointaine d’un royaume, hier encore féodal, dont l’unité politique n’est pas encore affirmée et dont le potentiel économique est incapable d’assurer la relève de l’aide extérieure qui nous est indispensable.
Faut-il enfin renoncer à l’Indépendance, à laquelle nous aspirons comme tous les peuples ? Certes, non ! nous aurons cette Indépendance le jour où nous serons en mesure d’en assumer tous les attributs – Car l’Indépendance n’est, au XXème siècle qu’un faux semblant lorsqu’elle n’est pas soutenue par une économie moderne et diversifiée que seuls présentent les grands ensembles.
En vérité, le choix est clair et nulle hésitation n’est possible, nulle divergence n’est admissible – Le Gouvernement de Mauritanie a dit non au Maroc approuvé unanimement par l’Assemblée Territoriale : il a flétri et sanctionné le geste des quelques égarés qui ont abandonné la cause Mauritanienne. Pour faire face à la menace extérieure il vous demande maintenant de réaliser l’Union de tous les patriotes mauritaniens sur un programme et dans des conditions dont je vais maintenant vous exposer les grandes lignes, laissant à vos débats le soin d’en préciser les détails.
* * *
Il m’apparaît que notre programme d’action doit être établi à partir des quatre points suivants :
- Maintien de la Mauritanie au sein de la Communauté franco-africaine
- Défense de l’intégrité territoriale
- Définition de la position mauritanienne vis-à-vis de l’O.C.R.S. et de l’exécutif fédéral
- Renforcement de la personnalité mauritanienne sur le plan politique, administratif, culturel et économique.
J’ai exposé tout à l’heure les raisons profondes et propres à la Mauritanie qui font que ce Territoire désire demeurer au sein de la communauté franco-africaine, parce qu’elle permet le meilleur essor de notre économie tout en favorisant le développement de notre personnalité politique. Aux sentiments de reconnaissance qu’éprouvent les habitants de ce pays pour l’œuvre réalisée par la France depuis cinquante ans vient s’ajouter ici la pleine conscience du rôle que peut jouer la Mauritanie dans le grand ensemble franco-africain, Par sa position géographique et du fait même de l’appartenance de ses habitants à deux groupes ethniques différents mais unis par des liens séculaires, notre pays possède une vocation toute particulière à servir de trait d’union entre l’Afrique blanche septentrionale et L’Afrique Noire occidentale. Notre maintien eu sein de la Communauté franco-africaine nous permet d’espérer, lorsque se seront apaisées les convulsions qui déchirent l’Afrique du Nord, pouvoir jouer pleinement ce rôle de trait d’union non seulement vis-à-vis des deux Afrique mais encore elles et la France.
De cette volonté découle naturellement la nécessité de défendre l’intégrité territoriale contre les visées annexionnistes des voisins. Sur le plan diplomatique d’abord nous savons pouvoir compter sur l’appui du Gouvernement de la République qui, après une protestation énergique auprès du Gouvernement chérifien, vient tout récemment d’affirmer publiquement et solennellement aux populations mauritaniennes la solidarité et le soutien de la République toute entière.
Nous entendons de plus en plus que la Mauritanie soit associée aux futures négociations franco-marocaines et notamment soit représentée lorsque se réunira la Commission mixte de délimitation des frontières.
Sur le plan militaire, des évènements récents prouvent que l’armée française franco-métropolitaine et d’outre-mer assure à nos frontières et avec le concours de nos guerriers, une garde vigilante. Il faut cependant dès à présent songer à recruter et à former des cadres spécifiquement mauritaniens pour assurer le Commandement des Goums et créer ainsi l’embryon de la future armée mauritanienne.
Assurée de sa sécurité du côté d’où lui viennent les menaces, la Mauritanie doit ensuite préciser les relations qu’elle désire entretenir avec l’O.C.R.S. – et la position qu’elle entend adopter au sujet du problème de l’exécutif fédéral.
Pleinement consciente des perspectives économiques que l’O.C.R.S. est susceptible de lui ouvrir la Mauritanie a jusqu’à présent adopté une position réservée vis-à-vis de cet organisme auprès duquel elle a cependant désigné ses deux délégués. Elle ne peut envisager de s’y associer plus étroitement aussi longtemps que l’O.C.R.S. n’aura pas été dotée d’une structure susceptible d’entraîner l’adhésion des pays limitrophes d’Afrique du Nord comme l’A.O.F. – De surcroît, aucune solidarité économique des régions sahariennes ne pourra se constituer valablement tant que n’aura pas été résolu le problème algérien. Pour l’instant il nous faut donc attendre, en appelant de tous nos vœux une solution pacifique qui permette aux pays d’Afrique du Nord de retrouver au Sahara la voie d’une collaboration amicale avec la France.
Le moment me paraît particulièrement opportun pour adresser au Gouvernement français un appel solennel afin que le drame algérien reçoive une solution négociée qui ramène la paix en Algérie et mette enfin un terme au déchirement de nos consciences – Alors les états de Maghreb pourront retrouver la voie d’une collaboration confiante et fructueuse avec la France, première étape d’un accord avec l’Espagne pour la constitution de l’Eurafrique.
Pour parachever ce tour d’horizon extérieur, il me reste à définir qu’elle pourrait être la position de la Mauritanie dans le grand problème politique qui agite l’opinion de la Fédération d’A.O.F. : l’exécutif fédéral.
Chacun d’entre nous connaît les liens qui nous unissent à l’A.O.F. dont la solidarité politique, financière et économique s’est constamment manifestée et s’est encore renforcée depuis que la menace pèse sur nos frontières du Nord – L’unanimité du Grand Conseil, affirmée à deux reprises depuis moins d’un an en faveur de la Mauritanie porte témoignage à la solidarité de nos liens – Mais la création éventuelle d’un Gouvernement et d’un Parlement Fédéraux à Dakar pose à la Mauritanie un problème tout particulier. Si en effet, elle veut jouer pleinement le rôle de trait d’union auquel la vouent sa position géographiques, ses traditions, sa dualité ethnique, elle ne peut s’intégrer trop intimement à l’un de ces deux pôles qu’elle est chargée de mettre en contact. S’il est inconcevable qu’elle consente à se laisser englober et noyer dans un ensemble maghrébin, il lui est également difficile de se laisser absorber par un ensemble africain dont la structure politique serait modifiée dans le sens de la centralisation. Outre que cette tendance centralisatrice nous semble contraire aux principes mêmes de la loi-cadre, elle nous paraît pour le moins prématurée aussi longtemps que les exécutifs locaux n’auront pas été dotés d’une complète autonomie interne, n’auront pas solidement implanté leur autorité et affirmé la personnalité propre de chacun des territoires de l’A.O.F. – La Mauritanie craint donc que la création rapide d’un exécutif fédéral et d’un Parlement à Dakar n’ait pour résultat de substituer à une décentralisation administrative à peine réalisée une centralisation politique qui ne tiendrait pas suffisamment compte des particularismes des Territoires. Je suis pour ma part persuadé que les leaders africains ont déjà conscience de la position originale de la Mauritanie et qu’en plein accord avec eux et le Gouvernement de la république pourra être définie, en ce qui nous concerne, une structure politique dont la souplesse correspondra à la vocation essentielle du territoire – C’est là l’uns des questions qui devront retenir tout spécialement l’attention du Congrès.
Ayant ainsi précisé le contexte extérieur dans lequel se place la Mauritanie, il nous reste à définir les moyens propres à affirmer et à renforcer la personnalité mauritanienne.
Sur le plan politique, notre premier souci commun d’ailleurs à tous les Territoires africains, sera d’obtenir une véritable et complète autonomie interne, conformément aux principes dégagés et aux résolutions adoptées par la conférence des présidents et Vice-Présidents africains qui s’est tenue récemment à Paris à l’initiative du Ministre de la France d’Outre-Mer.
Je ne crois pas faire preuve d’un optimisme en affirmant que cette étape ne tardera pas à être franchie car l’opinion métropolitaine est déjà consciente de sa nécessité – Cette autonomie interne sera réalisée lorsque d’une part l’actuel Vice-Président sera devenu le président ou le Premier Ministre du Conseil de Gouvernement du Territoire, le Chef du Territoire devenant Commissaire du Pouvoir Central et lorsque par ailleurs, aura été instituée la responsabilité politique des Gouvernements Territoriaux devant les Assemblées qui les ont élues – De plus, c’est au Président du Conseil de Gouvernement que doit incomber dans l’avenir la responsabilité du maintien de l’ordre public à l’intérieur du Territoire. Tel est d’ailleurs l’objet des propositions récemment déposées sur le bureau de l’Assemblée de l’Union Française et qui reçoivent l’entière approbation de votre Gouvernement.
Sur le plan administratif, la personnalité mauritanienne doit s’affirmer par l’accentuation de la politique d’africanisation des cadres déjà esquissée par l’actuel Gouvernement de Mauritanie qui a procédé à la nomination de huit adjoints aux comandants de cercle et d’un chef de subdivision, par la mise en place des Conseils de collectivité rurale, enfin surtout par la réalisation rapide de notre capitale à Nouakchott – pour laquelle la décision de principe obtenue du Gouvernement français en juillet dernier vient d’être complétée par l’octroi d’un crédit de démarrage dont l’utilisation nous permettra d’ouvrir à Nouakchott, en Décembre prochain, la session budgétaire de notre Assemblée Territoriale.
Sur le plan culturel, notre principal souci sera de réaliser une synthèse harmonieuse entre notre culture traditionnelle hautement réputée et un enseignement moderne indispensable au développement politique et économique du Territoire.
Dès sa formation, votre Gouvernement s’est consacré au développement de l’enseignement arabe, aussi bien en pays maure que dans la région du Fleuve et chaque établissement scolaire a été doté d’un ou plusieurs moniteurs d’arabe. En même temps apparaissait la nécessité de donner à l’Institut Musulman de Boutilimit un rayonnement nouveau. A cet effet, six jeunes Mauritaniens ont été désignés par le Conseil de Gouvernement pour effectuer un stage au Liban et revenir ensuite dispenser aux élèves de l’Institut un enseignement élargi et modernisé. Si leur départ dû être finalement remis en raison de la prochaine fin de l’année scolaire et surtout de la situation troublée qui règne au Moyen-Orient, ce projet sera mis à exécution aussitôt que les circonstances le permettront.
Parallèlement, le développement de l’enseignement primaire et secondaire devra être activement poursuivi et complété par la création d’un enseignement technique dont les projets de mise en valeur du Territoire soulignent l’impérieuse nécessité.
Enfin la personnalité mauritanienne ne pourra s’épanouir totalement aussi longtemps que lui manqueront les moyens nécessaires à l’amélioration de sa situation financière. Il lui faut donc, avec l’aide accrue de la métropole et des organismes financiers internationaux développer au maximum son économie traditionnelle fondée sur l’élevage et l’agriculture mais en même temps transformer sa structure économique par l’exploitation de ses richesses minières. C’est là le grand espoir de notre pays et d’une des raisons des convoitises qu’il suscite – Le Gouvernement mettra tout en œuvre pour que soient réalisés dans le minimum de temps les projets précis et soigneusement étudiés qui lui sont actuellement soumis par la MIFERMA. Tout en laissant à la Société la juste rémunération qu’elle est en droit d’attendre d’investissements considérables, il veillera jalousement à ce que l’ensemble du Territoire retire le maximum de profits de l’exploitation des richesses qui constituent pour le moment l’essentiel de son patrimoine national.
Telles sont, mes chers amis, les tâches primordiales qu’il nous faut tous entreprendre et mener à bien pour que vive et prospère la Patrie Mauritanienne.
Vous avez tous compris, j’en suis persuadé, que leur ampleur, les difficultés qu’elles suscitent, les convoitises qu’elles éveillent nécessitent pour leur réalisation l’union de toutes les énergies, l’apport du concours unanime et librement consenti des citoyens de notre pays.
C’est pour affirmer et construire cette unanimité nationale que vous êtes aujourd’hui réunis.
Pour que se réalise ce bloc mauritanien, il importe en premier lieu que les entités vivantes qui composent notre patrie achèvent de se fondre définitivement en une entité nouvelle qui les résume toutes : la Mauritanie. L’heure est trop grave pour que les dissensions tribales, les discriminations sociales ou raciales, les querelles partisanes viennent freiner, voire compromettre l’avenir du pays.
C’est pourquoi j’appelle de tous mes vœux la constitution d’un parti rassemblant tous les Mauritaniens conscients de leur appartenance à cette entité, nouvelle certes dans sa forme mais dont le fondement repose depuis des siècles.
Je convie à cette réunion sacrée tous les libres citoyens de ce pays quel que soit le groupe politique, social, racial, culturel ou économique qu’ils représentent. En même temps que les générations qui ont façonné de leurs mains la Mauritanie actuelle, j’y convie tout particulièrement la jeunesse qui constitue le levain de la Mauritanie nouvelle – Dans tous les pays du monde la jeunesse consacre sa fougue, son dynamisme à la réalisation des grands idéaux politiques – Il est primordial que la jeunesse mauritanienne nous suive, nous précède même dans la voie que nous nous sommes tracée. Si, dans un passé récent, certains de ses dirigeants, après avoir proclamé le caractère apolitique de l’Association des jeunes de Mauritanie, ont consacré leur activité à des prises de position politiques aussi violentes que négatives qui ont entraîné des sanctions pleinement justifiées, le Gouvernement s’est refusé et se refuse toujours à confondre ces extrémistes et l’ensemble de la jeunesse qu’il appelle solennellement à une collaboration enthousiaste et constructive.
Mes chers amis, avant que ne s’ouvrent vos débats, laissez-moi seulement émettre encore une foi le vœu ardent que je forme pour qu’ils scellent l’union indissoluble de tous les patriotes afin que vive et s’épanouisse la MAURITANIE NOUVELLE.