dimanche 28 novembre 2021

improvisation du président Moktar Ould Daddah, adressant au Premier ministre français, Michel Debré, lors de la signature du transfert des compétences, le 19 Octobre 1960 à Paris - valant reconnaissande l'idépendance de la République Islamique de Mauritanie

(transcription bande magnétique)


Vous comprendrez mon émotion que je ne chercherai même pas à vous cacher, car je viens de signer l’acte le plus important qu’un homme en général, qu’un homme d’Etat africain peut signer, c’est-à-dire l’accession à l’indépendance de son pays.


Voici donc, à partir de ce jour, la Mauritanie, la République Islamique de Mauritanie : indépendante, indépendante dans l’amitié entre son peuple, le peuple mauritanien, et le peuple de France.


Comme vous l’avez dit tout à l’heure, et je ne reviendrai pas sur ce que vous avez dit, – cette seconde solennelle est l’aboutissement d’une évolution harmonieuse et qui a pu, en ce qui nous concerne, nous permettre – après avoir franchi toutes les étapes que vous connaissez – de passer du stade de colonie à celui aujourd’hui d’Etat indépendant.


Vous avez parlé tout à l’heure du général de Gaulle. Je ne peux laisser passer l’occasion sans, à mon tour, rendre hommage à son action et à tous ses efforts pour créer et développer la Communauté rénovée, Communauté de peuples fondée sur la coopération volontaire et librement consentie de toutes les parties composantes, mais dans le respect absolu de ce qui est essentiel, fondamental pour chaque pays, c’est-à-dire la souveraineté nationale de chaque pays.


Le général de Gaulle, comme vous l’avez dit tout à l’heure, a commencé cette évolution à Brazzaville, et cette évolution est aujourd’hui terminée, en ce qui nous concerne, parce que nous sommes le dernier Etat de la Communauté, le douzième Etat de la Communauté, à accéder à son indépendance.


Donc, c’est quand même, je crois un fait incontestable qui fait honneur à la France qui, en l’espace de quelques mois, a mené à l’indépendance douze Etats qui étaient hier colonies.


La Mauritanie, de par sa position géographique, de par la composition ethnique de ses populations, qui en font ce que nous avons souvent appelé le trait d’union entre l’Afrique blanche et l’Afrique noire, la Mauritanie, dis-je, a une vocation particulière à jouer dans le devenir africain d’une manière générale, et dans le devenir, je crois, de la Communauté rénovée, fondée par le général de Gaulle.


Mais je ne puis laisser passer l’occasion sans vous faire part, comme j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire – en toute amitié en d’autres circonstances, le déchirement de nos consciences du fait de ce drame qu’est le problème algérien. Vous savez pourquoi notre conscience est déchirée : parce ce drame oppose des amis de toujours, des amis avec lesquels nous voulons conserver longtemps les meilleurs rapports, des amis dont nous avons besoin pour nous épauler dans l’évolution de notre pays – j’ai parlé de la France – ; de l’autre côté, il y a des frères de race, de religion, de civilisation, de sentiment. Et vraiment, nous sommes en ce qui nous concerne – je ne vous le cache pas – douloureusement frappés par ce drame. Mais ce n’est pas un cri de désespoir que je lance, parce que je fonde personnellement beaucoup d’espoir, tous les espoirs, en la personne du général de Gaulle pour trouver une issue convenable, une issue favorable à ce drame ; et je lui fais confiance : je suis sûr qu’il la trouvera parce qu’il a déjà trouvé des solutions à des problèmes beaucoup plus graves.


Il a sauvé la France lorsqu’elle était, pendant la guerre, occupée. Il a réussi à tourner, à modifier le courant de l’Histoire en ce qui concerne l’Afrique et à faire de la France une grande puissance africaine grâce à la compréhension qu’il a des problèmes, de la vision historique qu’il a des phénomènes et du fait que, voyant que les rapports ne pouvaient plus être fondés comme par le passé, sur la force ou d’autres rapports d’une autre nature, il a su donc trouver la formule qu’est la Communauté, et qui fait de la France une grande puissance africaine.


Il reste une grosse tache, une tache noire à l’horizon mais je veux personnellement lui faire confiance et espérer qu’il lui trouvera une issue aussi favorable que celle qu’il a trouvée pour l’évolution des Etats africains.


Une fois cette solution trouvée au drame algérien, la France sera incontestablement la grande puissance africaine parce que – vous avez parlé tout à l’heure de l’Afrique française et d’expression française – oui, l’Afrique d’expression française est une réalité vivante, et une réalité dont le monde entier est obligé de tenir compte parce que tous les dirigeants de cette Afrique d’expression française ont été façonnés dans des établissements d’enseignement, ont été pétris de votre discipline.


La Mauritanie, quant à elle, veut entretenir non seulement les meilleres relations avec la France, avec les peuples d’Afrique aussi bien noire que blanche, mais avec les peuples du monde entier.


Naturellement, son amitié, dans ces rapports, sera toujours particulièrement marquée pour la France. Car, encore une fois – je m’excuse d’avoir été un peu long – car encore une fois, la France a permis à la Mauritanie, encore hier image d’Epinal pour ceux qui aiment l’exotisme, hier colonie, hier territoire, hier Etat autonome, d’être désormais une République démocratique et autonome.


Cela, je n’ai pas honte à le reconnaître, nous le devons à la France ; la France nous y a préparé, et aujourd’hui sans amertume, sans regret, vous nous avez accordé l’indépendance que nous vous avions demandée.


Nous avons même rencontré auprès de vous, Monsieur le Premier ministre, Messieurs, une compréhension particulière parce que lorsque nous vous avons fait comprendre que, contrairement à ce que nous avions convenu il y a quelques mois, nous ne pouvions pas, nous ne voulions pas signer les accords de coopération, vous avez accepté notre point de vue. Vous nous avez transféré ce que nous vous avons demandé, c’est-à-dire notre souveraineté et notre indépendance.


Les accords de coopération dans une Communauté rénovée, seront signés le moment venu, seront négociés, mais comme vous le disiez tout à l’heure, du moment que les négociations seront abordées dans un esprit amical, dans un esprit de compréhension, sans arrière-pensée, dans un esprit de respect mutuel de notre souveraineté, puisque désormais à partir de l’instant que nous vivons, il y a deux souverainetés distinctes, – donc dans le respect de nos souverainetés – ces négociations seront abordées et conduites, j’en suis sûr, à bonne fin.


Je termine en vous redisant une fois de plus : merci ! Monsieur le Premier ministre, et je vous demande de transmettre ce grand merci au général de Gaulle, père de la Communauté, et de le transmettre également à la France dont le nom est lié à tant de prestige, tant de gloire dans tous les domaines . . .




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