http://chezvlane.blogspot.com/2015/07/toute-laffaire-daddah-fils-contre-pere.html
Toute l'affaire Daddah fils contre père * par le Pr Zekaria Ould Ahmed Salem
Hier, sous l’article « encore un coup
azizien :connaissez-vous l’histoire émouvante du ministre de la
justice ?», j’ai reçu un commentaire anonyme disant juste
qu’« un livre sur le droit musulman de P. Blanc commente cet arrêt du
tribunal mauritanien reconnaissant la paternité, une première dans le pays de
la vertu »
En deux clics, on retrouve un livre qui donne toute la dimension juridique de l’affaire, il s’agit du livre de Zekaria Ould Ahmed Salem « Prêcher dans le désert : islam politique et changement social en Mauritanie ». Tout y est.
Il en sort que le père a dû subir l’enfer car rien ne lui a été épargné. A l’époque il n’était pas encore question d’avoir recours à l’ADN pour régler ce genre d’affaire.
En deux clics, on retrouve un livre qui donne toute la dimension juridique de l’affaire, il s’agit du livre de Zekaria Ould Ahmed Salem « Prêcher dans le désert : islam politique et changement social en Mauritanie ». Tout y est.
Il en sort que le père a dû subir l’enfer car rien ne lui a été épargné. A l’époque il n’était pas encore question d’avoir recours à l’ADN pour régler ce genre d’affaire.
Ould Ahmed Salem « Prêcher dans le désert :
islam politique et changement social en Mauritanie ». Tout y est.
Il en sort que le
père a dû subir l’enfer car rien ne lui a été épargné. A l’époque il n’était
pas encore question d’avoir recours à l’ADN pour régler ce genre d’affaire. Le
père a donc eu droit à des témoignages pour majorité, selon l’auteur, délivrés par des témoins d’origine servile et
fondés sur des ouï-dire. C’était sa parole contre la leur.
D’abord on apprend
que l’arrêt de la cour suprême date non pas des années 70 comme le pensent
certains mais de 1989 ! et cet arrêt stipule, selon l’auteur, que «
Si la femme esclave désigne un seul témoin pour faire reconnaître les relations
du maître avec elle, ou désigne deux femmes pour faire reconnaître sa paternité
sur l’enfant né de ses relations avec le maître, le serment du maître, dans ce
cas, est comparable à celui d’une esclave ».
Nous sommes sous
Taya. A propos de cette affaire, il faut
lire tout le passage du livre du professeur Zekaria Ould Ahmed Salem que nous
reproduisons ou ne rien lire sinon on passe à côté des enjeux car pour le
plaignant, devenu aujourd'hui ministre de la justice, P12 « si la
justice ne le reconnaissait pas comme le fils d’Abdallah Ould Daddah, outre les
effets psychologiques et sociaux individuels, cela pouvait frapper le fils
d’une série d’incapacités liées à la situation d’esclave, la condition servile
se transmettant par la mère. Sa mère décédée au moment de l’arrêt, étant
considérée comme esclave, il était lui-même considéré comme
« esclave » jusqu’à l’établissement de sa filiation avec le maître de
sa mère. Mais il est vrai que cette menace était virtuelle dans ce cas précis.
Reconnu depuis sa naissance par la plupart des membres de la famille de son
père ( la famille Daddah ), respecté dans la société une fois adulte,
matériellement aisé et sans aucun doute plus riche que son père, l’intéressé
avait également pu disposer de fatwas d’oulémas reconnus, d’ailleurs utilisées
indirectement dans cet arrêt, qui l’avaient conforté dans la légitimité de son
action. Il s’agissait aussi pour Brahim Ould Daddah de « laver
l’honneur » et la mémoire de sa mère. Ayant affirmé toute sa vie durant la
véritable filiation de son fils, Maria Mint Al-Manfou avait en fait toujours
revendiqué le statut de « concubine servile » comme un droit garanti
et reconnu par la charia »
P2 :
« Chapitre VI Inégaux devant Allah
Charia , statuts
personnels et changement social
Dans un arrêt rendu
le 30 septembre 1989, la Cour suprême de la République Islamique de Mauritanie
avait tranché un cas de reconnaissance de paternité au profit du plaignant,
Brahim, avocat réputé de 37ans. L’intéressé poursuivait depuis plusieurs années
son père Abdallah Ould Daddah, à l’époque ambassadeur en poste à Washington.
Nonobstant la notoriété des protagonistes, le dossier aurait été parfaitement
banal si l’enfant n’avait été conçu avec
la femme esclave que « possédait » le père et surtout si la Cour
suprême ne semblait pas prendre pour légalement acquise la propriété et le
concubinage serviles. En effet, le père reconnaissait être le
« propriétaire » de la mère de l’enfant, mais niait l’avoir eue pour
concubine. Or la plus haute juridiction du pays avait rendu un jugement par
définition sans appel sur la base du fiqh malikite, sans faire référence ni à l’illégalité même de la propriété
servile à l’époque de la conception de l’enfant, au début des années 1950, ni
même au décret d’abolition de l’esclavage adopté en 1981 sur la foi d’avis
juridiques ( fatwas) dûment tirés… de la charia.
Analysant ce
jugement, le juriste François-Paul Blanc en conclut que « la Mauritanie,
qui se voulait à la fois démocratique et confessionnelle pouvait difficilement
proposer, s’agissant de l’esclavage, une réponse qui aurait satisfait à la
l’égalité républicaine à la française et l’inégalité structurelle façonnée tout
au long des siècles par l’islam ». Pourtant des cas concrets, et ce pour
une série de raisons. D’abord, elle ignore superbement le succès de l’abolition
dans tout le monde musulman en particulier dans les pays où «
l’application de la loi islamique « est autrement plus accusée qu’en
Mauritanie, comme c’est le cas en Arabie Saoudite. D’ailleurs, l’abolition de
l’esclavage en Mauritanie a été appuyée sur des arguments tirés de la charia (
cf chapitre 4 ) et, en 2011, au moins un cas de condamnation pour « faits
d’esclavage » a été prononcé par la justice au demeurant toujours «
islamique ». Ensuite, supposer que l’application de la charia est un acte purement juridique que l’Etat en
Mauritanie s’est montré peu désireux ou incapable de mettre en œuvre dans la
pratique, pour trois raisons fondamentales qu’il convient de rappeler.
La première raison
tient au fait que la charia n’est pas une table des lois définitivement fixée
et directement applicable. Comme l’ont monté de nombreux travaux, que
j’examinerai plus loin, la « loi d’Allah » n’existe que dans la
mesure où il s’agit surtout d’un code moral et éthique dont la traduction en
règles juridiques reste particulièrement complexe.
La deuxième raison,
étroitement liée à la première, réside dans le fait que se proclamer islamique
pour une république n’a pas de conséquences juridiques automatiques sur la base
desquelles on peut inférer une série de conséquences concrètes prédictibles. En
Mauritanie, si « l’application de la charia » est autrement plus
délicate., c’est parce que la volonté de
codification ou de mise en oeuvre des « lois islamiques » n’est pas
inscrite à l’agenda politique des pouvoirs en place, par ailleurs
particulièrement instables et changeants. Et, de toute manière, dans les
régimes non théocratiques où elle a été entreprise, une telle «
application » génère souvent une subordination subtilement orchestrée des normes islamiques au droit
positif ou à la volonté politique de l’Etat. C’est ce qu’ont montré , entre
autres, Nathalie Bernard-Maugiron et Baudouin Dupret pour le cas de la Haute
Cour constitutionnelle égyptienne lorsqu’elle a incorporé les principes de la
charia dans le droit positif, à la fois pour en limiter les effets et pour les
utiliser comme éléments de légitimation.
La troisième raison
est sociale et tient au fait que la société mauritanienne ne recourt
qu’exceptionnellement à l’arbitrage de la justice, en particulier là où le
recours aux dispositions « islamiques » est le plus courant, à savoir
en matière de statut personnel. Outre leur répugnance à étaler leur vie privée
devant les tribunaux, les acteurs sociaux sont bien souvent, et à juste titre,
sceptiques quant à l’efficacité du système judiciaire comme lieu de médiation
sociale. Il y a une quasi-paralysie du service public de la justice et une nette déconnexion entre les décisions
juridiques et le règlement des contentieux à en juger par le trop faible taux
d’exécution des décisions de justice en
général, et le recours abusif au sursis à exécution en particulier. En tout
cas, en matière de statut personnel, la justice d’Etat aussi bien que le législateur
de façon générale ont souvent choisi de ne pas choisir de jurisprudence.
UNE JUSTICE
ISLAMIQUE AMBIGUË ?
L’Etat mauritanien a
toujours trouvé son compte dans la relégation des affaires de statut personnel
dans le domaine arbitral privé régi de façon informelle par les familles, les cadis,
les muftis et les oulémas. Dans ces conditions, la catégorie
« esclave » est rarement présente dans les contentieux juridiques les
plus courants. Le cas échéant, la justice s’efforce de classer les dossiers
sans suite ou de requalifier les termes du contentieux de manière à faire
disparaître toute référence à l’esclavage. Et lorsque les cas les plus
inextricablement litigieux sont enrôlés par la justice, les autorités
parrainent en général un règlement à l’amiable, adoptent le statu quo ou
produisent un jugement consensuel.
Cette situation,
même si elle trahit l’inféodation de la justice au gouvernement, présente
« l’avantage » d’offrir une échappatoire à l’autorité politique. Or
cette stratégie d’évitement n’est pas tant dictée par l’existence d’une loi
islamique fatalement esclavagiste, mais par le souci de l’Etat de ne pas
reconnaître son échec à éradiquer les rapports serviles. Elle permet, par
ailleurs, de ne pas trancher le problème de la codification de la charia et
donc d’échapper à l’obligation de choisir entre les écoles de jurisprudence et
les options qu’elles offrent. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les
conditions épiques dans lesquelles s’est déroulé le processus d’adoption d’un
code du statut personnel. Engagé au tout début des années 1960, relancé en
1990, ce projet n’avait été adopté sous forme de loi qu’en 2001. Mais, surtout,
le texte finalement promulgué est un objet juridique hybride et inutilisable.
Dans la version finale, aucun des termes
juridiques techniques tirés du Fiqh n’est défini ni même traduit dans une autre
langue que l’arabe, comme en témoigne la version « française » de la
loi. Certes, les dispositions juridiques du droit malikite mentionnant le
« concubinage servile » par exemple n’y figurent pas. En revanche,
elle n’en sont pas absentes totalement puisque le texte stipule en dernière
analyse qu’"en cas de difficulté d’interprétation du présent texte, il est
fait référence aux enseignements de l’opinion dominante du rite malikite
", ou encore que « pour combler les lacunes de cette loi, il est fait
référence aux enseignements de l’opinion dominante, l’Etat choisit de ne pas le
faire.
Mohamed Al-Mokhtar
Ould Bah considère que cette ambiguïté visiblement constante dans l’attitude de
l’Etat postcolonial, vise à « se décharger sur le juge pour opérer une
orientation tendant à moderniser le fiqh et réaliser ainsi dans le cadre du
pouvoir judiciaire les réformes que le législateur hésite lui-même à énoncer
d’une façon expresse ». Mais ce constat suppose une séparation des
pouvoirs qui existe d’autant moins que l’administration dicte toujours en fin
de compte le verdict final. Il est bien plus pertinent de soutenir que l’Etat évite, ce faisant, non
seulement d’ouvrir les débats sensibles, mais aussi de faire face aux
implications sociales et politiques de tels débats. En pratique, cela permet
aux autorités de garder la possibilité d’orienter dans le sens qu’elles veulent
les cas individuels les plus épineux.
Pour la justice,
tout l’enjeu est dès lors d’utiliser des catégories que l’Etat ne reconnaît
pas, mais que le fiqh malikite prévoit, sans donner l’impression de reconnaître
l’institution servile. Or cet enjeu n’est pas religieux ou juridique, mais
politique. Dès lors, il devient intéressant d’observer comment l’Etat, à
travers les décisions de justice, tente de contrôler par des voies parfois
obliques toute instrumentalisation sociale de certaines catégories «
islamiques » controversées, mobilisées par les parties prenantes à des
procès de manière manifestement contraire aux options égalitaristes du droit
positif. Car, après tout, même si l’Etat mauritanien a souvent échoué à faire
appliquer de façon stricte ses lois contre l’esclavage, il s’est toujours
efforcé d’éviter la sanctification directe de l’inégalité par sa justice. On le
verra amplement dans les affaires concernant les demandes d’annulation de
mariage pour des raisons de Kafa’a. Mais je vais dès à présent illustrer cette
tendance lourde en revenant sur l’affaire Daddah.
LES LEÇONS
IMPROBABLES DE L’AFFAIRE DADDAH
Le fameux arrêt de
la Cour suprême est particulièrement intéressant si l’on consent à
l’interpréter dans son contexte particulier. En apparence, le texte montre
simplement que la catégorie de concubine et d’esclave est légalement
pertinente. En réalité, l’enjeu particulier de cette décision est
paradoxalement de défendre les intérêts du fils d’une esclave et la validité du
témoignage même de l’esclave en question. Pour s’en convaincre, il faut d’abord
rappeler quelques aspects décisifs de l’affaire et examiner l’arrêt lui-même.
Dans le contexte
mauritanien, ce type de recours est plutôt rare et intervient en général après
le décès du père présumé afin de trancher des conflits sur l’héritage. Dans le
cas d’espèce, le père était bien vivant et les enjeux étaient ailleurs. En fait, si la justice ne le reconnaissait
pas comme le fils d’Abdallah Ould Daddah, outre les effets psychologiques et
sociaux individuels, cela pouvait frapper le fils d’une série d’incapacité
liées à la situation d’esclave, la condition servile se transmettant par la
mère. Sa mère décédée au moment de l’arrêt, étant considérée comme esclave, il
était lui-même considéré comme « esclave » jusqu’à l’établissement de
sa filiation avec le maître de sa mère. Mais il est vrai que cette menace était
virtuelle dans ce cas précis. Reconnu depuis sa naissance par la plupart des
membres de la famille de son père ( la famille Daddah ), respecté dans la
société une fois adulte, matériellement aisé et sans aucun doute plus riche que
son père, l’intéressé avait également pu disposer de fatwas d’oulémas reconnus,
d’ailleurs utilisées indirectement dans cet arrêt, qui l’avaient conforté dans
la légitimité de son action. Il s’agissait aussi pour Brahim Ould Daddah de
« laver l’honneur » et la mémoire de sa mère. Ayant affirmé toute sa
vie durant la véritable filiation de son fils, Maria Mint Al-Manfou avait en
fait toujours revendiqué le statut de « concubine servile » comme un
droit garanti et reconnu par la charia.
La lecture attentive
de l’arrêt de la Cour suprême donne l’impression que cette juridiction,
étroitement contrôlée par l’Etat et sensible aux options politiques officielles, voulait paradoxalement tenir
compte des droits d’une ancienne esclave et de son fils, et non pas affirmer la
licéité de l’esclavage ou sanctifier
l’institution servile. En l’occurrence, cela passait par la prise en compte
juridique de la catégorie de « concubine…
( la suite page 13
c’est-à-dire la page 272 du livre n’est pas accessible en ligne, on continue
donc à partir de la page 14 en ligne correspondant à la page 273 du livre )
…parvenues par
ouï-dire ( ….) Dans Al-Hattab, en effet,
la transmission d’une rumeur sur un ouï-dire est licite et dans sa Tohfa, Ibn
Al-Sim va à l’encontre de ceux qui refusent d’accréditer ce témoignage en
disant « le témoignage par ouï-dire est fait pour la conception, le
mariage et l’allaitement » »
Les témoignages
cités par l’arrêt sont de deux catégories : ceux de personnes nées libres
et ceux de personnes d’origine servile mais l’arrêt évite précautionneusement
de décrire le statut. Il mentionne simplement des personnes
« réputées » et des personnes « non réputées ». Dans la
première catégorie, il y a notamment le témoignage d’un certain Abdallah Ben
Mohamed Al-Bashir qui atteste que Abdallahi Ould Daddah lui aurait «
avoué ses relations secrètes avec Maria » bien avant la conception et la naissance de Brahim. Dans
la seconde catégorie, un individu sans doute d’origine servile (d’après son
patronyme typique) et qualifié par
l’arrêt de « personne non réputé » fait état d’une confession
semblable. Surtout, une liste d’une dizaine de témoins dont la majorité porte
un patronyme connotant une origine servile est citée pour avoir apporté
« un témoignage par ouï-dire qu’(ils) tiennent de proches de la famille
Daddah ».
Les motifs de la
décision mettent en valeur la validité du témoignage de l’esclave concubine en
matière de filiation. L’arrêt insiste sur cet aspect dans des termes
clairs :
« Si la femme
esclave désigne un seul témoin pour faire reconnaître les relations du maître
avec elle, ou désigne deux femmes pour faire reconnaître sa paternité sur l’enfant
né de ses relations avec le maître, le serment du maître, dans ce cas, est
comparable à celui d’une esclave » (…) Si cette conception apparaît
physiquement et que sa dissimulation est impossible,
( là encore la page
suivante n’est pas disponible en ligne, il faut acheter le livre pour l’avoir,
on continue avec la page suivante )
…Kafa’a dont l’usage
est restrictif dans le malikisme (dominant dans le pays ), sera interprétée et
revalorisée afin de légitimer l’endogamie et les hiérarchies sociales. Cet
effort est même devenu plus prononcé dans la période récente pour contrer
l’ébranlement de l’ordre social établi sous l’effet des changements en
cours »
Livres
Prêcher dans le désert: islam politique et changement social en Mauritanie
Par Zekeria Ould Ahmed Salem
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