mardi 5 août 2014

dramatiques événements d'Avril-Mai 1989 - chroniques d'Ould Kaïge, documentées par l'AFP et des témoignages - publiées déjà dans le Calame



événements d’Avril-Mai 1989 – chroniques publiées par le Calame
les 8 . 22 Avril 2008 & 5 Mai 2009

ne sont données ici que les pages traitant de ces événements

23 .




5 Avril 1966   &
   6 Avril 1979  &  9 Avril 1989

Réintégration dans le Parti du Peuple des deux anciens représentants du pays aux assemblées françaises
&
Apparition d’un Premier ministre dans le régime militaire
&
Le très grave incident de Diawara (Bakel) sur le Fleuve


. . .

Le 9 Avril 1989, ont lieu de vifs affrontements entre villageois sénégalais et gardes mauritaniens, à Diawara, près de Bakel, à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal.. Selon le Parti démocratique sénégalais, le principal mouvement d’opposition que dirige Abdoulaye Wade, il y a deux morts : Moussa Kaba Sakho et Husseinou Sakho, et un blessé : Lansana Sakho. Selon l’AFP à Dakar, il s’est agi de bétail mauritanien divaguant et que les cultivateurs sénégalais ont voulu chasser : embuscade, dix-huit prises d’otages, sept disparus et cinq blessés. La divagation du bétail sur l’îlot désertique du fleuve : Woretunde ou Dounde Khore (selon la rive et les appartenances locales), est fréquente mais, à la décrue, le terrain, cultivé par les Sénégalais. L’armée sénégalaise se replie devant la concentration mauritanienne opérée en protection des éleveurs. Le conflit paraît aussitôt opposer non pas les populations soninké ou sarakollé vivant sur les deux rives, mais bien Noirs et Blancs, selon qu’ils sont agriculteurs sédentaires ou éleveurs de bétail.

Ce type d’affrontements n’est pas nouveau, ni en Mauritanie-même ni d’une rive à l’autre du fleuve frontalier, mais sa dégénérescence – terrible – va l’être ; elle eût été impensable aux époques de Moktar Ould Daddah et de Léopold Sédar Senghor [1] ; elle tient en bonne partie à l’ambiance toute nouvelle, à l’extérieur du pays, d’une reviviscence de clivages et mouvements ethniques, puis, à l’intérieur, de répliques répressives infondées et dramatiques (chronique anniversaire du 28 Octobre 1987 – Le Calame du 31 Octobre 2007).

Ould Kaïge


qui recherche les dates de naissance et de décès du président Souleymane Ould Cheikh Sidya. Le Calame les lui transmettra

24 .





24 . 25 Avril 1989

Massacres à Nouakchott et à Nouadhibou,
à la suite de ceux perpétrés au Sénégal


Pour qui aime la Mauritanie, mais n’y venait plus depuis le coup militaire de 1978, les événements d’Avril-Mai 1989 furent une terrible, inexplicable surprise. Atterrissant à Nouakchott en 2001 pour accompagner le président Moktar Ould Daddah et Mariem, rentrant d’exil forcé, j’interrogeais ceux que j’avais connu aux responsabilités sur ce qu’il s’était passé en vngt-trois ans. L’essentiel de ce que j’entendis n’était pas les éphémérides de régimes autoritaires, ce furent les complots, les massacres d’Etat, le pouvoir emprisonnant et tuant ses propres militaires, et surtout essentiellement, le drame mauritano-sénégalais et la folie du printemps de 1989.
Rien ne peut en être donné objectivement ni totalement, chacun l’a vêcu, quand il est de cette génération, dans sa chair, ses biens et son âme. La Mauritanie a failli – manifestement – y perdre la sienne.
Je ne peux présenter ici qu’un enchaînement de faits tels que la presse et les agences étrangères en ont donné les éléments.

Le samedi 22 Avril 1989, premiers pillages de boutiques maures à Dakar. Le lendemain, ils sont systématiques dans toute la capitale sénégalais. Sur les rideaux de fer baissés, « sopi » (changement en oulof). Or, c’est le slogan du P.D.S. d’Abdoulaye Wade (Parti démocratique sénégalais). La veille, le 21 Avril, le Soleil de Dakar repris par AFP-Dakar, avait relaté des incidents très vifs survenus les mercredi et jeudi, à Kaédi, suivis de bagarres entre Sénégalais et Mauritaniens sur l’autre rive. Deux morts à Matam, rapatriés en Mauritanie après la visite du préfet de Kaédi. L’éditorialiste concluait qu’il faut « trouver sans délai une solution durable, gage de la traditionnelle concorde sur les rives du fleuve Sénégal ». Mais le calme revenu à Matam, c’est à Dakar que sont tentées des attaques sur les boutiques maures. Comment en est-on arrivé là ?

La bagarre de Diawara, le 9 Avril précédent (chronique anniversaire  Le Calame du 8 Avril 2008), est mise sur le compte du pouvoir par la coalition des partis d’opposition sénégalais : Bathily pour la Ligue démocratique, Abdoulaye Wade pour le Parti démocratique sénégalais et Amath Dansokho pour le Parti de l’indépendance et du travail. Sans doute, Abdou Diouf, longtemps Premier ministre du fondateur Léopold Sedar Senghor, a-t-il été réélu à la présidence de la République, le 28 Février 1998 avec 73,2% des voix, mais son compétiteur Abdoulaye Wade, qui finira par l’emporter en 2000, après avoir accepté un temps d’être le Premier ministre de son adversaire, conteste pour l’heure le scrutin, fait de la prison et le pays reste en campagne très agitée. En Mauritanie au contraire, l’apparence est d’une bonne volonté du régime militaire pour rétablir la démocratie. Maaouyia Ould Sid’ Ahmed Taya, au pouvoir depuis plus de cinq ans, a réuni le 1er Avril 1989, à Aïoun-el-Atrouss, les « cadres nationaux » pour « préparer ce processus sans heurts et sous la forme la plus élaborée » : « des étapes seront franchies sur cette voie toutes les fois que cela s’avèrera possible ». Mais en même temps, depuis dix-huit mois, des drames se jouent qui agitent aussi bien les Maures que les gens du Fleuve. Un rapport de trente pages (dédié à six détenus politiques, morts en prison en 1984 à Nouakchott et en 1988 à Oualata) circule depuis le 13 Avril selon lequel cinq étudiants ont été torturés par la direction de la sûreté de l’Etat du 28 Décembre 1988 au 1er Janvier 1989, « en présence de hauts responsables du pouvoir » (dans l’ancienne résidence du commandant de la 6ème région militaire) [2].  Des deux côtés du Fleuve, le pouvoir est donc contesté, et il est enclin à la brutalité. Coincidence malheureuse, les deux ministres de confiance du pouvoir dans chacun des deux pays, sont d’adoption. En Mauritanie, c’est le lieutenant-colonel Djibril Ould Abdallahi, décisif en faveur Maaouyia à chacun des coups militaires, qui est le minisre de l’Intérieur depuis que le colonel Anne Mamadou Babali a été limogé le 31 Août 1986 « pour avoir en partie couvert l’agitation noire » ; de son nom originel Gabriel Cymper, il est fils naturel d’un administrateur de la France d’Outre-mer. Au Sénégal, Jean Collin, marié à une Sénégalaise, est lui-même un ancien administrateur ; ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, après avoir été sept ans ministre des Finances et dix ans ministre de l’Intérieur. Chacun doit donc donner des gages de nationalisme, sinon de xénophobie à ses compatriotes.

André Sonko, ministre sénégalais de l’Intérieur en titre mais pas en fait, est venu à Nouakchott le mercredi 12, remettre à Ould Taya un message de Diouf pour conclure les bagarres de Bakel et de Matam. Lui et Djibril Ould Abdallahi estiment, naturellement, que « le devoir des hommes politiques est d’éviter que pareils incidents ne dégénèrent et n’affectent les relations entre les deux pays ». Les « otages » sont libérés, les deux victimes rapatriées par pirogue. On n’a pas commenté à Nouakchott mais la rumeur circule de cinq morts du côté mauritanien. Des boutiques maures sont saccagées à Bakel, les commerçants sont placés sous la protection de l’armée selon Abdoulaye Wade. André Sonko se rend ensuite à Diawara pour exprimer la solidarité du gouvernement à la population et distribuer des secours au nom d’Abdou Diouf. Mais les propos qu’il tient, le 17, sont jugés provocateurs en Mauritanie. Le 19, c’est donc Djibril Ould Abdallahi qui se rend à Dakar et remet au président sénégalais un message d’Ould Taya : «  je pense qu’on a voulu donner à cet incident des dimensions qui ne sont pas réelles parce que les problèmes entre cultivateurs et éleveurs dans nos pays sahéliens sont connus de tous …(ne pas y voir) un problème de frontière mais simplement un incident entre des populations riveraines du fleuve Sénégal dont l’existence est assez difficile … les mesures qu’il faut pour que nos citoyens, d’un côté comme de l’autre, apprennent à s’accepter, à vivre ensemble comme ils le font depuis des milliers d’années … les Mauritanens continueront toujours à venir au Sénégal tout comme les Sénégalais continueront toujours de vivre en Mauritanie ».

Les pillages des 22, 23 et 24 Avril montrent donc que rien n’est réglé et que les populations au sud du Fleuve rêvent de représailles ou de vengeance. Et les entreprennent. Ce sont des milliers de sans-abri à Dakar, dont deux mille à l’ambassade de Mauritanie. Le chef de mission : Moktar Ould Zamel accuse les médias sénégalais d’avoir donné « une dimension sans commune mesure avec la réalité des faits » : on en est encore à l’incident frontalier du 9 Avril. Le ministre sénégalais de l’Intérieur lance un appel au calme (AFP Dakar du 24). La réalité est effrayante, les rumeurs parvenant à Nouakchott donne un tableau infernal de chasse aux Maures dans la capitale et dans les grandes villes, on parle de brûlés vifs, d’enfants passés au four… de centaines de morts. Un comité interministériel présidé par Djibril Ould Abdallahi est « chargé d’étudier les conditions de retour en Mauritanie et de réinsertion des ressortissants mauritaniens désireux de quitter le Sénégal » ; les modalités sont déjà arrêtées pour les femmes et les enfants (AFP Nouakchott reprenant AMP). Inévitablement, la violence, en rétorsion, passe le Fleuve et monte jusqu’au nord du pays. Les 24 et 25, à Nouakchott, affrontements entre des Sénégalais et des Mauritaniens : trois morts dont deux par balles et un enfant. Les boutiques sénégalaises du marché « capitale » sont, à leur tour, incendiées. A Nouadhibou, mêmes violences. Le 25, c’est l’enregistrement des premières victimes : on évoque le chiffre de cinq cent morts, on met en cause des haratines armés contre les Sénégalais et même contre leurs compatriotes du Fleuve par leurs anciens maîtres ; des scènes atroces, et surtout l’impassibilité des forces de l’ordre, celles surtout dépendant du ministère de l’Intérieur. Certains beydanes ne seraient pas fâchés, assure-t-on, qu’une « bonne leçon » soit donnée à ceux qu’avait caractérisés trois ans plus tôt « Le manifeste du négro-mauritanien oppprimé », comme si la répression d’un soi-disant complot militaire toucouleur, à l’automne de 1987, n’avait pas suffi (chronique anniversaire  du 28 Octobre 1987– Le Calame du 31 Octobre 2007). Le Sénégal est accusé de favoriser les F.L.A.M. [3], sinon même des menées subversives. C’est en effet de Dakar que les informations et analyses, tendant à stigmatiser les actes racistes en Mauritanie, sont diffusées [4].

La répercussion est énorme. L’Espagne entame des démarches « pour contribuer à une diminution de la tension » et déconseille Nouakchott et Nouadhibou à ses ressortissants. A Tunis, le ministre des Affaires étrangères, Abdelhamid Escheikh convoque ensemble les ambassadeurs du Sénégal et de la Mauritanie. Hassan II, président en exercice de l’Union du Maghreb arabe envoie une mission de conciliation à Nouakchott et à Dakar. La tentative « entre dans le cadre des liens séculaires de fraternité, d’amitié et de religion qui doivent d’autant plus être préservés et renforcés en ce mois sacrfé du Ramadan, mois de sacrifice et de pardon ». La presse marocaine assure que le roi «  qui possède une parfaite connaissance de la région et des particularismes locaux, saura apporter les apaisements que requiert la situation pour le retour de la paix, de la fraternité et de la concorde entre les deux peuples frères mauritanien et sénégalais pour le bien-être de toute la région ».

Le 25, les pillages reprennent dans le quartier du Plateau à Dakar. L’AFP enregistre des « troubles anti-mauritaniens » à Tambacounda, Diourbel et Louga : saccages de boutiques, coups et blessures, chasse à l’homme. Dans la Grande Mosquée de Dakar depuis le lundi soir, s’entasse plus de huit mille réfugiés mauritaniens. Le maire de Dakar, Mamadou Diop, assure que les Mauritaniens sont chez eux au Sénégal. C’est en fait, depuis quatre jours, une flambée de violence anti-maure dans tout le Sénégal, sauf à Ziguinchor et à Kolda dans le sud. La coalition des partis d’opposition sénégalais condamne alors les actes de violence et de pillage perpétrés depuis dimanche contre les Mauritaniens au Sénégal et contre les Sénégalais en Mauritanie.

Le soir du mardi 26, au Sénégal, l’armée est réquisitionnée pour des missions « statiques » dans la capitale, tandis qu’en Mauritanie, le couvre-feu est instauré à Nouakchott où l’on déplore officiellement dix-sept morts, et à Nouadhibou. Une centaine de femmes et enfants quittent Dakar par avion dans la soirée : on dit alors qu’« une grande majorité », des milliers de Mauritaniens au Sénégal serait « favorable au retour dans leur pays ». Après deux jours d’émeutes, on compte de vingt-cinq à trente morts mauritaniens et sénégalais à l’hôpital de Nouakchott. (Sources médicales AFP Nouakchott 26 Avril 1989) [5].. Passé de la direction générale du Plan au poste de ministre de l’Information, le 10 Décembre 1988, l’ancien co-fondateur du Mouvement progressiste des Kadihines, puis de l’Alliance pour une Mauritanie démocratique, Moustapha Ould Abeïderrahmane affirme qu’il est « impossible » d’avancer des chiffres et que le bilan donné par la presse étrangère est « exhorbitant et ne sert à ce stade qu’à jeter de l’huile sur le feu ». Un dispositif, sans précédent même lors des coups militaires, est déployé pour maintenir l’ordre à Nouakchott. Sur les ondes, se succèdent les oulémas pour appeler au calme. Le ministre de l’Intérieur, Djibril Ould Abdallahi, prononce un discours d’apaisement. Les mosquées sont ouvertes aux « réfugiés sénégalais ». L’AFP Dakar assure alors que le calme est revenu à Nouakchott comme à Dakar ; « la rumeur fait état à Nouakchott de nombreux lynchages de Mauritaniens au Sénégal sans qu’aucun chiffre puisse être avancé ». On parle d’une concertation téléphonée Diouf-Taya. A Paris, Harlem Desir « lance un appel au calme » : « Quant à la Mauritanie, il est grand temps qu’elle en finisse avec le racisme institutionnel qui hante toujours sa vie politique et soxciale et auquel les événements actuels ne sont pas étrangers ».

Le 27 Avril, le président de la République du Sénégal intervient à la télévision : Abdou Diouf rend responsable la Mauritanie des événements et demande aux chefs religieux de prier pour les morts sénégalais. Pour les Mauritaniens, c’est mettre le feu aux poudres.

Le 28 Avril, l’état d’urgence est proclamé, à 19 heures, pour Dakar et sa région : prise d’effet de 22 heures à 6 heures ; Abdoulaye Wade envisage publiquement de se mettre « à la tête d’un comité national de crise » pour régler le problème des Mauritaniens au Sénégal : « un règlement entraînera automatiquement la détente en Mauritanie » ; il faut une « une solution politique au lieu de l’escalade qui s’annonce dangereusement ». Mais le courrier d’Air-Sénégal se voit refuser l’atterrissage à Nouakchott après des agressions sénégalaises contre les passagers d’un vol Air-Mauritanie, prié de quitter Dakar sans avoir embarqué l’ensemble des réfugiés. Surtout une foule énorme se masse aux alentours du site de la Foire internationale où sont réfugiés 20.000 mauritaniens. Par téléphone, à la demande d’Abdou Diouf, Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya convient d’un rapatriement des ressortissants respectifs.

Le 29 Avril, un communiqué lu à la télévision mauritanienne à une heure du matin, donne les instructions du comité mauritanien chargé de la réinsertion et de l’accueil, que vient d’organiser Djibril Ould Abdallahi. Il prévoit le retour effectué “en étroite coordination avec les autorités sénégalaises » de trois mille mauritaniens résidant jusques là au Sénégal et qu’on accueillera à Nouakchott, à Rosso et à Sélibaby). En attendant un « pont aérien », des structures d’accueil sont prévues aux frontières, notamment à Rosso et à Berett (près du barrage de Diawa). L’AFP Dakar diffuse une dépêche, titrée « Sénégal-Mauritanie : Dakar saisie par la folie meurtrière ». La veille, on a tenté de tuer tous les Mauritaniens en représailles aux sévices dont les Sénégalais ont été victimes lundi et mardi à Nouakchott. De Gambie même, les réfugiés commencent d’être embarqués.

L’épilogue s’annonce long (et pour cause, puisqu’il n’a pas encore abouti aujourd’hui). La médiation malienne qui permettra la conciliation d’Etat à Etat deux ans plus tard, commence : Moussa Traoré est président en exercice de l’OUA. Silencieuse jusques là, la France appelle au rétablissement de l’entente entre Sénégalais et Mauritaniens  et met à la disposition des deux gouvernements cinq Transall pour le pont aérien. L’Association des juristes africains organise une mission, dirigée par M° Fethi Sahli du barreau tunisien, et « une enquête plus approfondie est proposée à l’accord des autorités des deux pays » : elle n’aura pas lieu. De Paris, la Ligue africaine des droits de l’homme et des peuples [6] demande, elle surtout, la constitution d’une commission d’enquête. Communiqué commun des associations de ressortissants sénégalais, mauritaniens et africains (Union des travailleurs mauritaniens en France, Organisation des travailleurs et étudiants sénégalais en France, Union des travailleurs sénégalais en France Action revendicative, Association pour la sauvegarde de l’amitié mauritano-sénégalaise, Association générale des travailleurs sénégalais en France, Association Bardegne ‘Fraternité Malienne’). De Djeddah, le secrétariat général de l’Organisation de la Conférence islamique, publie sa disponibilité. Encore plus tard que la France, « les Etats-Unis regrettent profondément la violence qui s’est produite entre Mauritaniens et Sénégalais, deux populations qui ont traditionnellement entrenu des liens étroits et bénéfiques ».

Puis, le pont aérien fonctionne, dans les deux sens, pour des réfugiés dépouillés à leur départ de tous leurs biens y compris les bijoux. Dans les deux pays, des « groupes de quartier » s’organisent spontanément pour empêcher les pillages, puisque les pouvoirs publics n’ont pas maintenu l’ordre. Le 2 Mai, le calme semble revenu partout et – en retard sur les événements – le khalife général des Tidjanes Abdoul Aziz Sy, « supplie à genoux » les jeunes « d’arrêter les violences ». La République Islamique de Mauritanie saisit le Conseil de sécurité, mais le pouvoir militaire reste silencieux pendant des mois, pour décider le 31 Août décide le report à un an des élections municipales prévues pour Décembre et le renouvellement des structures d’éducation de masses. Le communique du C.M.S.N. « considère les massacres et les pillages dont les Mauritaniens ont été victimes au Sénégal comme un fait sans précédent dans les rapports entre les deux pays, qui entrent dans le cadre d’un complot prémédité et minutieusement préparé ». La libération des citoyens mauritaniens « détenus en otages au Sénégal » est réclamée.



Ould Kaïge

qui attend – aux bons soins du journal – toute critique, tout complément, tout témoignage et document sur ces événements horribles et marquants.


49 .





3.5 Mai 1979 &  4 Mai 1989

Le colonel Ahmed Ould Bouceif n’envisage
pas de cession pure et simple du Sahara
&
La Mauritanie saisit les Nations Unies du conflit ethnique au Sénégal et de ses conséquences à Nouakchott et Nouadhibou





Le 4 Mai 1989, la République Islamique saisit les Nations Unies. La démarche mauritanienne tend à connaître le sort des quelques 450.000 Mauritaniens vivant au Sénégal. Le 27 Avril, Abdou Diouf les estimés à 500.000. Le conflit né des incidents de  (Le Calame, 8 Avril 2008 – chronique anniversaire du très grave incident du 9 Avril 1989, à Diawara (Bakel) sur le Fleuve & 22 Avril 2008 & Le Calame, 22 Avril 2008 – chronique anniversaire des massacres à Nouakchott et à Nouadhibou, les  24 . 25 Avril 1989 à la suite de ceux perpétrés au Sénégal  ) a dégénéré dramatiquement. Pour les autorités dont l’ambassade à Dakar a été assiégée, l’intervention à la télévision du président sénégalais, Abdou Diouf , le 27 Avril, a été une « regrettable déclaration qui a mis le feu aux poudres ». C’est ce qui a provoqué « un début de manifestations et d’actes de violence limités à Nouakchott et à Nouadhibou qui ont été rapidement maîtrisés suite à l’intervention vigoureuse des forces armées et de sécurité, et à l’instauration d’un couvre-feu respecté ». Pour la partie sénégalaise, la responsabilité de la Mauritanie dans les événements ne fait pas de doute. Il est demandé aux chefs religieux de prier pour les morts sénégalais, que le Financial Times évalue à au moins vingt-deux. Son éditorialiste, Ray Medlock, confirme : “ la bombe à retardement économique et raciale explose », AFP Dakar donne un papier sur « l’irremplaçable ‘Maure du coin’ », en France, L’Humanité titre sur « l’alibi ethnique » (Claude Kroës).
Le 28 Avril, tandis qu’est proclamé l’état d’urgence pour Dakar et sa région – il sera prolongé jusqu’au 19 Mai –, le principal opposant à Abdou Diouf, M° Abdoulaye Wade se dit prêt à se mettre « à la tête d’un comité national de crise » pour régler le problème des Mauritaniens au Sénégal. Selon lui, ce « règlement entrainera automatiquement la détente en Mauritanie » ; il faut « une solution politique au lieu de l’escalade qui s’annonce dangereusement ». On en est à la rupture de fait des relations aériennes : le 29  après-midi, selon AFP Nouakchott – Air-Sénégal se voit refuser atterrissage à Nouakchott en représaille des agressions sénégalaises contre des passagers d’un vol Air-Mauritanie sommé de quitter Dakar alors que l’ensemble des réfugiés n’a pas encore embarqué. Surtout, une foule énorme se masse aux alentours du périmètre de la Foire internationale où se sont réfugiés 20.000 mauritaniens. C’est alors que par téléphone, à la demande d’Abdou Diouf, le président du Comité militaire à Nouakchott, le colonel Maaouyia Ould Sidi Ahmed Taya convient d’un rapatriement des ressortissants respectifs. Le pont aérien ne se met en place qu’avec le concours de l’Espagne, de la France, du Maroc et de l’Algérie : en trois jours, 54.000 rapatriements s’effectuent ainsi, mais dans le plus grand désordre. AFP Nouakchott rapporte que les propos de Mustapha Ould Abeïderrahmane, alors ministre de l’Information : « Il n’y a pas eu de Mauritaniens qui ont été envoyés au Sénégal. Je n’exclus pas que certains rapatriés arrivés à Dakar aient été en possession de papiers mauritaniens, mais je n’en reconnais pas qui aient des papiers en règle. Dans la formation de notre jeune Etat, un certain nombre de papiers ont pu être faits frauduleusement ». Les expulsions sont justifiées en raison de l’attitude des responsables sénégalais. Il est soutenu que des Sénégalais d’origine mauritanienne quittent le Sénégal par peur, tandis que les Mauritaniens d’origine sénégalaise partent sur ordre des autorités de Nouakchott…

Le Monde du mercredi 3 Mai titre – « sauve qui peut au Sahel » : « il apparaît que la riposte des Mauritaniens au pillage des magasins de leurs comaptriotes à Dakar a pris les proportions d’un massacre organisé, avec des atrocités dont le récit ne pouvait que mettre le feu aux poudres au Sénégal ». Au Sénégal, c’est la catastrophe économique : subitement les détaillants mauritaniens ont disparu, ils tenaient 80% du commerce de proximité. En même temps qu’un problème d’approvisionnement quotidien se pose celui d’une organisation parallèle du crédit. Les Libanais non payés se sont servis et sont désormais les seuls débiteurs des industriels. Une journée de deuil est décrétée par Abdou Diouf. Le même jour, AFP Dakar tente une comptabilité macabre : cent cinquante à deux cent morts en Mauritanie et cinquante cinq au Sénégal. Les estimations iront jusqu’à trois cent morts. AFP Dakar finira par admettre (19 Octobre 1995) que le nombre des victimes n’a jamais été précisé, ni de part ni d’autre.

Dans le moment, la confusion est extrême. Le 4, arrive une centaine de Mauritaniens en uniforme de policiers dans la cour du ministère de la Justice sénégalais… précédemment détenus de droit commun en Mauritanie et expulsés.  AFP Dakar cite le cas de 2 à 3000 sénégalais d’origine mauritaninne, qui ne peuvent aller en Mauritanie qui n’est pas leur pays, ni retourner dans les rues de Dakar où leur « apparence mauritanienne » les mettrait en danger. AFP Nouakchott commente le « désarroi des pêcheurs noirs au port fantôme de Nouakchott » et surtout l’incertitude sur le sort des Mauritaniens d’origine sénégalaise : rumeur d’une décision d’expulser les naturalisés depuis 1966.  AFP Abidjan indique que l’Association des juristes africains demande au Sénégal et à la Mauritanie l’arrêt immédiat « des procédures de refoulement systématique prises à l’encontre de leurs propres nationaux du seul fait qu’ils sont originaires de l’autre pays ». Enfin, commencent les premiers procès à Dakar pour actes de vandalisme. Les fêtes religieuses contribuent cependant à l’apaisement. Celle de l’Ascension, pour les chrétiens à Dakar, et surtout dans la nuit du vendredi au samedi 6 Mai, la fin du Ramadan. Le 9, le président du Comité militaire s’adresse aux Mauritaniens : la classe politique sénégalaise interprète le discours « ferme sur le fond, mais assez subtil dans la forme » (selon Libération),comme une ‘tentative de division’. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya accable en effet les autorités de Dakar mais remercie les chefs religieux… AFP Dakar commentant l’agence nationale sénégalaise APS présente ce discours comme une « sortie malheureuse et déplorable… une tentative délibérée de destruction de l’honneur du Sénégal… cette charge de très faible portée n’atteindra personne ». Pourquoi ? parce que la Mauritanie «  a toujours bafoué les droits les plus élémentaires de l’homme et de la dignité humaine » tandis que le Sénégal est « un pays démocratique…la presse y exerce librement, sans entraves, son métiers. Ce qui est impensable en Mauritanie ». Le lendemain s’interrompt le pont aérien. Les expulsions se poursuivent mais par la route. 

Une fracture décisive entre les deux pays est intervenue. Le 21 Août, les relations diplomatiques seront durablement rompues. Elles ne seront rétablies qu’en 1992. La Mauritanie publiera le 4 Novembre un « livre blanc ». La situation intérieure n’en sera pas améliorée et l’amalgame – tentant pour un régime autoritaire – se fera entre les complots supposés des militaires originaires de la Vallée du Fleuve, et les « chasses aux Maures » sur la rive gauche et à Dakar, où est regardé avec bienveillance les Forces de libération africaine de la Mauritanie : F.L.A.M.




[1] - l’exemple pouvant en être donné par la rixe survenue le 6 Mai 1969, au Sénégal, à Touba, près de la grande mosquée : six morts du côté mauritanien

[2] - il s’agit de Béchir Ould Moulaye El Hassen, président de l’Amicale des étudiants – Abdallahi Ould Bah Nagi Ould Kebd, membre de la commission de coordination de l’Université – Mohamed Mahmoud Ould Hamma Khattar, membre de la commission de grève – Boubacar Ould Ethmane dit Nah, membre de la Commission socio-culturelle de l’Université et d’Abdel Nasser Ould Ethmane Did’Ahmed Yessa, délégué au 1er congrès de l’UNESM .  Le Monde y fait écho le 15 Avril 1989 

[3] - Forces de libération africaines de Mauritanie, constituées en 1983, dont le manifeste a commencé de circuler d’abord à Dakar en Avril 1986, puis en marge du sommet annuel africain, se tenant à Harare en Septembre 1986

[4] - ainsi le 28 Juin 1988, l’assassinat de deux personnes dont un étranger dans un marché populaire de la capitale, passe, selon la police, pour des crimes ordinaires ; selon les FLAM, ce sont des affrontements à caractère racial. Le pouvoir dénonce cette campagne et, le 11 Juillet à l’occasion de la fête des forces armées, le président du Comité militaire, Ould Taya, stigmatise les « rumeur alarmistes » et tous ceux qui « se plaisent à répandre des messages de haine et de confusion au sein des populations ». A l’issue du procès de Jreida, le 14 Septembre 1988, les « baasistes » avaient bénéficié d’un verdict de clémence ; réaction des FLAM «  il existe une justice clémente et tolérante pour les beydanes (Maures) et une autre sévère et sans appel pour les négro-mauritaniens ». Au même moment, en effet, meurent en rétention et sans procès, au fort de Oualata, où avait été emprisonné Moktar Ould Daddah après le coup de 1978, Tène Youssouf Guèye et Ba Alassane Oumar, puis l’ancien ministre Santé Djigo Tafsikrou. Le premier reçoit à titre posthume et hors concours le prix de l’Afrique noire (dans le jury : Maurice Schumann et Emmanuel Robles) ; ancien de William Ponty, il a notamment écrit L’orée du Sahel nouvelles, Sahéliennes poèmes, Les exilés de Gourmel théâtre, et enfin Rella ou le chemin de l’honneur, publié l’année de son arrestation
   
[5] - le 27 Avril, le Financial Times évoque au moins 22 morts ; le  2 Mai, AFP Dakar donne une estimation de 150 à 200 morts en Mauritanie et 55 au Sénégal

 [6] - fondée en 1987 pour l’application d’une Charte adoptée en 1981

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