jeudi 10 juillet 2014

chronique d'Ould Kaige - déjà publié par le Calame . 3 Février 2009






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8 . 9 Février 1966 & 12 Février 1989 . 4 Février 1994

Premières violences inter-ethniques à l’échelle nationale
&
Elections municipales en régime autoritaire



La période fondatrice de la Mauritanie moderne – l’époque de Moktar Ould Daddah (du 20 Mai 1957 au 10 Juillet 1978) – a été caractérisée par des institutions qui n’ont pas d’équivalent aujourd’hui et par une personnalité exceptionnelle, institutions et personnalité consensuelles. Ce qui rend inexacte une pétition aujourd’hui courante : la démocratie et les l’élection qui vont avec, ne datent en Mauritanie que de 2006-2007 (on en voit le résultat…). Assortie d’un amalgame entre le Parti du peuple, exercice concret de la démocratie et instrument du consensus de 1961 à 1978, et le Parti républicain démocratique et social (P.R.D.S.), machine électorale et parlementaire de 1992 à 2005 – Ely Ould Mohamed Vall l’a systématiquement répété en 2005 et 2006 – et d’une telle ignorance de la personnalité de Moktar Ould Daddah que Mohamed Ould Abdel Aziz n’a rien à dire en inaugurant, le 5 Novembre dernier, l’avenue qui va porter son nom. Aux « états-généraux », il a été affirmé que la « gabegie » qui règne en Mauritanie jusqu’au coup du 6 Août, dure depuis cinquante ans, donc date de l’exercice du pouvoir par le premier président de la République Islamique de Mauritanie !

Au contraire… trois anniversaires montrent comment la question la plus difficile – l’entente et l’unité inter-ethnique – a pu être traitée par Moktar Ould Daddah et ses co-équipiers : les événements de 1966, tout à fait contenus, alors que ceux de 1989, dramatiquement proliférants, laissent encore des plaies béantes et que Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya ne fut pas capable de les prévenir, contenir et expliquer pour en faire sortir un consensus sur le champ… et comment les élections que le régime militaire et la « démocratie de façade » par laquelle il se perpétua, tentaient d’acclimater à l’essai pour le seul niveau municipal, furent d’emblée ou paternalistes ou truquées. Il y a une différence fondamentale entre avant 1978 et depuis 1978 – que continue 2008.
Le 8 Février 1966,  vers sept heures et demi du soir, éclatent des bagarres au lycée de Nouakchott. Entre élèves Maures et Noirs, il y a des blessés : les combattants sont séparés, le lycée est occupé et isolé par la garde nationale.
Le lendemain matin, à partir de huit heures et demi, dans la capitale : heurts violents entre ethnies. Six morts et soixante-dix blessés. A midi et demi, le président de la République : Moktar Ould Daddah, et le ministre des Affaires étrangères et de la Défense : Mohamed Ould Cheikh, venant de Bamako, atterrissent à Nouakchott [1]. En vol, ils ont été mis au courant par Ahmed Ould Mohamed Salah, ministre de l’Intérieur, cumulant les intérims de la présidence et du ministère de la Défense. La rumeur d’un coup d’Etat, dont l’exécutant aurait été le lieutenant-colonel Moustapha Ould Mohamed Saleck, courut [2], circule au point que le doyen du corps diplomatique, l’ambassadeur de Franbce, Jean-François Deniau, demande à ses collègues résidant à Nouakchott d’accueillir avec lui et d’ « escorter » le Président de l’aéroport à ses bureaux. A partir de treize heures, quadrillage et patrouilles rétablissent l’ordre dans la capitale.
Dans l’après-midi, le Bureau Politique national, le Gouvernement et les présidents de l’Assemblée et du Groupe parlementaire sont réunis sous la présidence du Chef de l’Etat. Il est décidé de « déclencher un ensemble de mesures propres à assurer le maintien de l’ordre … fermer tous les établissements scolaires du second degré » (à Nouakchott, les élèves sont renvoyés en brousse dans leur famille) et d’« envoyer immédiatement des missions d’explication » dans les principales localités du pays, composées d’un Maure et d’un originaire de la Vallée du Fleuve. Dans l’ensemble du pays, la grève des enseignants d’arabe et les élèves maures est observée. Envoi par avion de renforts à Aioun et Kaédi, garde des ambassades. Radio-Mauritanie fait état « d’un certain nombre de blessés » et « d’une agitation dans les établissements scolaires du second degré et des bagarres qui s’en sont suivies ». Le couvre-feu est instauré de 18 heures 30 à 7 heures du matin à Nouakchott. Le 10, le ministre de l’Intérieur, Ahmed Ould Mohamed Salah, énumère par circulaire les groupements et publications illicites, tandis que le président Moktar Ould Daddah signe des décrets nommant Moustapha Ould Mohamed Saleck « jusqu’à nouvel ordre, comme responsable du maintien de l’ordre à Nouakchott », fixant les dispositions en vue d’assurer le maintien de l’ordre dans l’ensemble du pays, fixant les mesures prises pour assurer le maintien de l’ordre à Kaédi (ce qui nempêche pas le 12 que soient incendiés des hangars appartenant à des Maures). Hamada Ould Zein, nouveau directeur de la Fonction publique, doit veiller à son loyalisme, toutes origines ethniques confondues, et à Atar, Tidjane Kane, est chargé de l’intérim du commandant de cercle de l’Adrar. Désormais, dans la capitale, les forces de l’ordre ont la situation en mains ce qui n’empêche pas des règlements de comptes individuels. Le reste du pays est calme et le 11, dans la soirée, une quarantaine d’arrestations est opérée, touchant les deux communautés dont les « 19 ».

C’est le 13 que le vent tourne tout à fait, même si des bagarres éclatent à M’Bout. Les membres du bureau national de l’U.T.M. (alors centrale syndicale unique et comprenant notamment les enseignants et les autres fonctionnaires) « réaffirment le soutien indéfectible de l’U.T.M. au président Moktar Ould Daddah symbole de l’unité nationale et l’assurent ainsi que le Gouvernement de son appui sans réserve pour trouver dans le cadre national une solution qui sauvegarde la coexistence harmonieuse des deux ethnies ». A Paris, dix-neuf étudiants maures répliquent aux tenants des deux extrêmismes en affirmant leur « attachement aux institutions de la République une et indivisible » et leur opposition « à toute forme de fédération » et à toute « distinction entre les deux ethnies »

Que s’est-il donc passé ? [3].

A la suite de la circulation du « manifeste des 19 » (cf. Le Calame 15 Janvier 2008 . chronique anniversaire du 10 Janvier 1966 – événements et discours radiodiffusé de Moktar Ould Daddah), le Bureau Politique National, réuni le  31 Janvier, « examine la situation politique dans son ensemble ainsi que les mesures à prendre pour le renforcement du Parti » et désigne une Commission nationale d’études chargée d’étudier tous les aspects des relations entre les deux communautés [4]. Le 2 Février, la Commission se met au travail sous la présidence du Chef de l’Etat, qui doit s’envoler le lendemain pour sa première visite officielle au Mali. Dans la nuit du 2 au 3, est diffusion un tract maure formant riposte au manifeste des « 19 » : « la voix des élèves mauritaniens ou la voix du peuple ». Il y est affirmé que le décret d’application du 13 Janvier 1966 viole la loi du 30 Janvier 1965 (celle rendant obligatoire la langue arabe dans l’enseignement), que le gouvernement mène une « politique qui consiste à forger de toute pièce une ethnie noire pour noircir la Mauritanie » et considère la « scission complète et définitive des deux ethnies, seul remède pour assurer notre avenir ».  Le 6, les services de renseignement – en l’absence du Président de la République – font prévoir une grève des élèves maures et des bagarres simultanément au lycée et en ville de Nouakchott ; il est décidé de fermer les classes terminales le 9 et de prendre des mesures de sécurité pour la Capitale. Annoncées, les violences ont donc eu lieu.
Les causes sont lointaines. Elles remontent au Congrès de l’Unité (politique) et au report d’année en année du débat sur les conditions de l’unité nationale. Initialement, ce débat portait sur des garanties accordées par une majorité à une minorité ; l’institution d’une vice-présidence de la République, revenant à un compatriote originaire de la Vallée du Fleuve, aurait été la plus apparente. Ainsi que pour toutes les questions difficiles, vitales, Moktar Ould Daddah mûrissait lentement les solutions et n’en disait rien à personne, tant que ce n’était pas net dans son esprit, et que la synthèse ou le bout à bout de ce qu’il entendait, n’étaient pas encore au point : on pouvait même croire que la question était oubliée ou l’ancienne conviction émoussée... mais des jalons étaient posés, très peu ou pas du tout remarqués. Ainsi les discussions en groupe parlementaire, en Bureau politique, au gouvernement, formelles ou informelles, pendant ces mois de Janvier et de Février 1966, lui permirent de se fixer le cap, et surtout de le dire : la République resterait unitaire, la discrimination raciale serait considérée comme une atteinte au pays lui-même, la langue arabe – déjà langue religieuse pour l’ensemble de tous les Mauritaniens – deviendrait obligatoire dans l’enseignement et la vie pratique, le bilinguisme étant une richesse pour une Mauritanie à la vocation de trait d’union. Fusion et respect. Le contraire aurait mené à l’extension des violences de 1966 et mènera aux drames de 1989 et aux divers massacres de militaires au prétexte de tentatives de renverser le régime du colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya.

Moktar Ould Daddah en tire publiquement la conclusion, au ksar de Nouakchott le 15 Février. Il stigmatise « la haine raciale, chose que notre pays n’avait jamais connue auparavant », loue « la loyauté inébranlable, la fermeté solide de notre jeune armée, de notre jeune police » et proclame que « la Mauritanie est une et indivisible… quiconque se livre ou se livrera à une activité subversive raciale, anti-Parti, sera impitoyablement châtié, si haut placé qu’il soit ». A ses auditeurs, très nombreux, attentifs, silencieux, il recommande :  « quand bien même il n’existe pas de parti d’opposition, votre militantisme doit être actif… Nous sommes tous responsables » [5].
Le 19, un rapport sur les évènements [6]  recommande sur le plan judiciaire, la comparution devant des tribunaux d’exception, de ceux qui ont provoqué la division par leurs écrits, et devant les tribunaux ordinaires, les auteurs d’actes de violence. Sur le plan politique, il réclame la « définition du rôle et du contenu du Parti pour le renforcer par un retour à la démocratie interne… et une définition claire des données de base sur lesquelles portent le débat ». Ce sera la tâche du congrès d’Aïoun-el-Atrouss. En l’attendant, Moktar Ould Daddah renvoit dos à dos ses deux plus proches collaborateurs : Mohamed Ould Cheikh et Ahmed Ould Mohamed Salah, qui – malgré eux – étaient devenus respectivement les porte-drapeaux, l’un des thèses de certains originaires de la Vallée du Fleuve et d’une solution fédérale, l’autre de la réaction exacerbée et très exclusive de certains des Maures. Et Mamadou Samboly Ba, président de l’Assemblée nationale, et auquel songeait le Président comme éventuel successeur pour qu’alternent les différentes ethnies à la tête du jeune Etat, se fait dater pour effet immédiat la démission qu’il avait signée en blanc – comme tout élu, à la suite du congrès de Kaédi (cf. Le Calame 20 Janvier 2009 . chronique anniversaire du 23 Janvier 1964).


Le 3 Février 1989, le président du Comité militaire de salut national, chef de l’Etat, déclare à « Arabies » que des élections et le multipartisme sont encore prématurés : « les Mauritaniens doivent recevoir une éducation civique avant de militer et c’est la raison pour laquelle nous avons mis en place une structure d’éducation des masses ». Le renversement de l’ordre constitutionnel a déjà plus de dix ans… et le scrutin pour la mise en place de conseils dans les 164 communes rurales n’a pas quinze jours. Il était annoncé comme le banc d’essai de la démocratie. Installant, le 12, les nouveaux maires des communes rurales, le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya explique que 
« l’ouverture démocratique, grâce à la décentralisation communale, vise essentiellement à préparer le peuple mauritanien à la réalisation de ses grandes options nationales ». Mais les véritables élections municipales qui ont lieu finalement lieu le 28 Janvier 1994, avec un deuxième tour le 4 Février – après plusieurs rumeurs de leur anticipation en 1993 –, inaugurent la pratique du régime qui n’a que changé de nom avec l’élection présidentielle du 24 Janvier 1992 (cf. Le Calame 29 Janvier 2008 . chronique anniversaire). Le parti gouvernemental (P.R.D.S.) obtient au premier tour la mairie de 163 des 208 communes du pays, l’Union des forces démocratiques, U.F.D. remporte 16 communes et les listes indépendantes 18. La participation est respectable : 70,05%. Le pays entre-t-il en démocratie, au moins locale ? L’U.D.P. en ballotage à Aïoun, appelle à voter U.F.D. ailleurs, soit à Nouakchott et à Nouadhibou (où l’avance du P.R.D.S. est inférieure à cinq points : 44,28% contre 42% et 40,52% contre 35,63%). Des indépendants afffrontent le P.R.D.S. à Néma, Kankossa, Foum Gleïta et Ould Yence : ils sont soutenus par l’ensemble des oppositions. Au deuxième tour, le P.R.D.S. conserve Aïoun, Nouakchott (20 conseillers contre 17 à l’U.F.D.), Nema et Nouadhibou. Ahmed Ould Daddah se voit interdire « la marche de protestation » prévue pour le 10 pour « dénoncer la fraude massive et les blocages ». La campagne avait été marquée, le 20 Janvier, par l’arrestation de Cheikh Saad Bouh Camara, responsable de l’Association mauritanienne des droits de l’homme, non reconnue, et membre du secrétariat exécutif de l’U.D.P. Motif : « incitation à l’agitation » pour avoir affirmé que des enfants « haratine » avaient été vendus. La loi selon laquelle toute référence à « un retour à l’esclavage » constitue une « atteinte à l’unité nationale », a bon dos.  


[1] - depuis le 3, ils y étaient en voyage officiel, accompagnés de Mamadou Samba Boly Ba, Président de l’Assemblée nationale et d’Elimane Mamadou Kane, ministre du Développement. Ils avaient constaté l’ « esprit d’unité nationale qui règne au Mali », confronté les expériences respectives en matière d’édification nationale et fait l’étude comparative de l’évolution des deux Partis. Enfin, ils avaient préparé la prochaine conférence des Chefs d’Etat riverains du  fleuve Sénégal

[2] - formellement démentie par l’intéressé – entretien publié par Le Calame  les 8 . 15 et 22 Juillet 2008. Il reçoit pleins pouvoirs du Président dès que celui-ci a atterri –d’autant qu’il fait depuis la veille l’intérim du chef d’état-major national, le capitaine M’Bareck Ould Bouna Moktar, partant en France

[3] - La Mauritanie contre vents et marées (Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français), pp. 342 à 348 - Moktar Ould Daddah y donne un récit factuel, démentant notamment les mémoires de Jean-François Deniau sur ce point fantaisistes, pour développer davantage le remaniement du gouvernement d’alors

[4] - composée de Abdallahi Ould Daddah, Abdoulaye Baro, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske, Bakar Ould Sidi Haiba, Bocar Alpha Ba, Gaye Silly Soumare, Mohameden Babbah, Hamdi Ould Mouknass, Seck Mame Diack, Ibrahima Kane

[5] - le Président termine ainsi son improvisation – assis parmi ses compatriotes, je l’ai enregistrée… « Je vous demande, mes chers camarades, de la capitale et de l’intérieur, chers militants du Parti du Peuple Mauritanien, je vous demande de vous mobiliser, de vous unir, de vous tenir au coude à coude pour faire échouer les tentatives des mauvais compatriotes. Le Parti et le Gouvernement – je vous en donne l’assurance – feront tout pour vous donner la justice, pour vous assurer la justice, en attendant de pouvoir faire tout ce qu’ils peuvent pour vous. car votre Parti est le Parti du Peuple ; il veut tout pour le peuple, et par le Peuple tous les responsables du Parti ne sont autre chose que ce que vous savez et que sommes-nous ? Sommes-nous des étrangers ? Je ne le crois pas nous sommes donc les vôtres, nous sommes des fils de ce pays, nous avons prêté devant vous, devant Dieu, le serment de tout faire pour assurer votre bien-être, pour assurer et consolider l’unité nationale, pour assurer la construction nationale et je vous assure que nous ne faillirons pas à notre devoir faites donc confiance à votre Parti mobilisez-vous et sachez que notre nonchalance habituelle peut se justifier dans des périodes normales, mais quand l’existence de  la Patrie est menacée, nous n’avons plus le droit d’être nonchalant, nous n’avons plus le droit de dire : « Bon ! puisqu’il n’y a pas de parti d’opposition – moi j’appartiens au Parti, j’ai ma carte – mais ce n’est pas la peine de militer ». non ! ce raisonnement, il faut le bannir. Il faut que chacun d’entre vous se sente aussi mobilisé que tous les autres et que vous vous considériez aussi responsable à n’importe quel niveau que vous vous trouviez – que vous soyez simple militant ou responsable de cellule, de section, de comité, du Bureau Politique, etc… La responsabilité nous incombe à tous à partir du moment où devant l’Histoire, où devant Dieu, nous avons prêté le serment de bien servir fidèlement l’unité nationale et la cause de notre Patrie, - à partir de ce moment, dis-je, nous sommes tous également responsables et n’importe lequel d’entre nous, à n’importe quel niveau doit responsable et agir en responsable. » La vibration de tous à l’unisson de cet homme simple, en boubou bleu ciel, était sensible.

[6] - rédigé par Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah, Kone Ali Bere, Ahmed Bazeid Ould Ahmed Miske et Ahmedou Ould Moichine, ce dernier étant directeur de la Sûreté
 

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