jeudi 27 juin 2013

la Mauritanie et les sanctions en cas de putsch - 2008 analysé pour prévenir 2013 ou 20 14 ou 2019 ?



Mauritanie : le putsch de 2008 et ses sanctions



essai de synthèse après avoir répondu à un questionnaire élaboré par une O.N.G. sur commande du ministère français des Affaires étrangères


L’exceptionnalité du putsch de 2008 au regard des critères d’évaluation imposés par les traités et chartes dont la Mauritanie était signataire à l’époque des faits a été souvent exposée. Seule institution constitutionnelle concernée : le président de la République, qui est renversé et dont les fonctions sont exercées collégialement. Pas d’arrestations masives, pas de suspension des assemblées délibérantes au plan national et au plan local, pasde censure de la presse (sinon l’effacement de toutes données antérieures au coup militaire sur le site de l’Agence mauritanienne d’information). Enoncé des motifs : rétablir la démocratie dont le fonctionnement (parlementaire) était soi-disant empêché par le président de la République. Proposition d’élire son remplaçant dans les deux mois. A ces « modérations » étaient objectés 1° le caractère récent de l’élection du président renversé : quinze mois, 2° la régularité du scrutin préparé pendant vingt mois een coopération avec les experts de plusieurs institutions internationales dont l’Union africaine, l’Union européenne, l’Organisation internationale de la francophonie, 3° la première constituée par un tel scrutin pluraliste, à deux tours et sans que s’y présente l’auteur-même du coup initial comme d’habitude en Afrque et comme ce fut le cas en dénouement de ce putsch. Enfin, les consultations et sanctions avaient leur fondement non seulement dans le droit des organisations internationales auxquelles appartient la Mauritanie, mais dans le pays- même où pour la première fois (et comme rarement en Afrique) la contestation du coup se maintint dans la rue et au Parlement dès les premières heures du putsch et jusqu’à l’ouverture de la campagne présidentielle à laquelle finalement s’étaient engagées à participer, sur pression internationale, les formations d’opposition.

En réalité, la Mauritanie – après avoir vécu une période de fondation sous l’autorité tutélaire et peu contestée d’une personnalité d’exception : Moktar Ould Daddah, depuis Mai 1957 – a connu de nombreux coups militaires « réussis » (Juillet 1978, Décembre 1984, Août 2005 et Août 2008) ou tentés (Avril 1980, Octobre 1987, Juin 2003) mais jamais une dévolution du pouvoir selon les règles constitutionnelles, à tel point que le dénouement des régimes d’origine militaire est attendu – encore aujourd’hui – d’un autre coup militaire.

Paradoxalement, la France à qui est prêté par une majorité des élites politiques mauritaniennes un rôle, allant du décisif au facilitateur, dans la perpétration de ces coups ou dans la légitimation de leur auteur principal, est autant demanderesse – aujourd’hui, par l’exercice commandé à l’Institut de recherche et débat sur la gouvernance par son ministère des Affaires étrangères – que le putschiste légitimé à Nouakchott de « garanties » pour que ne se reproduise plus de renversement par la force du tenant (actuel) du pouvoir…

Les putschs initiaux – en Mauritanie, comme dans d’autres Etats africains d’expression française – ont eu lieu sans qu’existe encore un régime juridique de sanctions. Comme quelques autres aussi, ils n’ont pas donné lieu à une guerre civile ni à des processus d’intervention étrangère, alors qu’en Afrique équatoriale ou en Côte d‘Ivoire, cela a été le cas. La rupture de l’ordre juridique interne a été chaque fois différente. En 1978, les institutions constitutionnelles et politiques prévalant depuis vingt ans et caractérisées par une constante recherche de consensus, périodiquement obtenu ou restauré, les rendant donc très évolutives, ont été détruites. La table est restée rase (pas de Constitution, interdiction de tout parti politique, pas d’élection même municipale pendant huit ans, nationale pendant près de quatorze ans) sans engagement de durée, malgré des successions forcées à la tête d’une junte de moins en moins collégiale, tenant lieu d’organe délibérant mais composée de membres es fonctions militaires lesquelles étaient à la discrétion de l’homme fort que fut le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya de 1984 à 2005, moyennant une façade civile et démocratique sans sincérité à partir de 1992. A un système électoral – déroutant les observateurs formés à l’européenne ou à l’américaine – entérinant des consensus formés sur des candidatures uniques, l’essentiel étant le consensus et non l’élection qui n’était que consécration formelle, système qui ne craignait pas de constitutionnaliser son exclusivité, a succédé de 1992 à aujourd’hui un truquage constant de scrutins de forme apparemment démocratique. La réalité n’est pas que le bourrage des urnes, la rédaction de procès verbaux souvent dictés depuis la capitale vers l’intérieur du pays, elle est surtout la prime écrasante bénéficiant d’office au candidat déjà en possession d’Etat depuis le coup de force originel de son appropriation. Héritage du régime colonial inculquant aux électeurs la toute puissance et la capacité de représailles de l’autorité administrative. En sorte que même les scrutins de 2006 et de 2007 pour les municipalités, les deux chambres du Parlement et la présidence de la République ont été ressentis par beaucoup – malgré une incontestable régularité formelle – sous une influence des militaires, même si aucun de ceux-ci ne se présentait aux suffrages. Pour qu’une élection soit sincère, il la faut non seulement exempte de fraude, mais surtout libre mentalement. Un candidat à sa propre réélection devrait donc abandonner le pouvoir pendant plusieurs mois et n’y garder, à sa place, aucun figurant – ce qu’ aucune des Constitutions africaines, ni sans doute aucune dans le monde ne prévoit, sauf peut-être quelque usage comme en Grèce où un gouvernement « technique » dit « de service » est en place pendant les trois mois précédant le renouvellement du Parlement monocaméral dont est issu le Premier ministre, détenteur véritable du pouvoir à Athènes.

Une exceptionnalité du putsch de 2008 ne ressort que du rappel des précédents. C’est le seul cas, non seulement d’une résistance populaire autant que d’une partie de l’élite politique, que de la survie sur la scène nationale et internationale du président renversé. Moktar Ould Daddah est emprisonné puis s’exile : il ne rentre au pays si longtemps après qu’il n’y a plus aucun répondant d’autant que son demi-frère, indépendamment de lui et de son autorité morale, est à la tête d’un parti important sinon de la totalité des opposants au cours autoritaire que les militaires putschistes de 1978 ont fait prendre à l’histoire du pays ; il est complètement hors jeu depuis qu’il a refusé de partenaires étrangers sa remise au pouvoir par la force et que, pour une entreprise analogue qu’il n’eût pas désavoué, quelques putschistes d’origine ensuite repentis ont échoué, au prix de leur vie ; de surcroît, il n’a jamais reçu le statut icônal officiel que sa part décisive dans la fondation de la Mauritanie contemporaine devait lui valoir. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya est renversé en son absence ; il avait l’âge et les répondants pour que son retour au pays pèse sur la suite ; cela n’a pas été le cas. D’ailleurs, les tombeurs de Moktar Ould Daddah en 1978 n’avaient jamais participé avant leur coup à l’exercice du pouvoir et les forces armées n’étaient pas avant 1978 un élément permanent de la vie politique comme elles le sont devenues depuis, et plus nettement encore depuis la tentative manquée de 2003 où elles jouèrent le rôle d’arbitre. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, certes en résidence surveillée, certes privé d’accès aux médias officiels, a existé politiquement et librement pendant plusieurs mois, mais sans prendre ni recevoir la direction effective de l’opposition aux putschistes et à leur maintien au pouvoir. Il n’a été que le symbole, de plus en plus gênant pour les institutions internationales et même pour ses soutiens à l’intérieur du paus, d’un ordre constitutionnel que l’on prétendait rétablir.

L’empêchement à cette restauration de la légitimité – notion nouvelle et pas vraiment explicitée ni dans les textes applicables internationalement ni dans le débat politique intérieur au pays – a tenu fondamentalement à deux perversions. Les sanctions économiques pour être efficaces supposent la dépendance du pays ciblé vis-à-vis d’un ou de plusieurs acteurs étrangers, bailleurs de fonds ou investisseurs dans un contexte national de dénuement et de dépendance. C’était le cas de la Mauritanie des années 1960, ce ne l’est plus depuis la nationalisation des mines de fer et la diversification des ressources disponibles en mer et en sous-sol. Ce pouvait l’être si l’Etat était resté l’acteur économique principal, il ne l’est plus qu’au titre de ses prérogatives réglementaires et fiscales, fixant le cadre de l’activité et du développement économiques. L’Etat est au contraire, aujourd’hui en Mauritanie, le principal corrupteur du libéralisme de règle internationale. La véritable menace ne pouvait être et ne pourra être que l’isolement diplomatique et politique  des putschistes, les ostracisant à l’étranger et suspendant les transactions et concours financiers. Pour que la population ne se sente pas visée en tant que telle, que les fauteurs de trouble – les autorités de fait – lui soient clairement désignés et quelle ne se solidarise pas avec eux, il fallait un refgus sans faille de les reconnaître.

Cela n’a pas été du tout le cas. Les putschistes, et nommément le président de la junte, ont été dans les heures de leur coup, des interlocuteurs plus visités par les missionnaires d’institutions auxquelles appartient la Mauritanie, que le président renversé. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz et le gouvernement qu’il a nommé au bout de trois semaines ont participé, non seulement aux consultations prévues par le traité de Cotonou préalablement à l’édiction de toute sanction, mais à bien des conférences et rencontres internationales, comme si la suspension de la Mauritanie décidée par l’Union africaine n’avait aucune conséquence. Le putschiste a même fait partie d’une mission de chefs d’Etat venant départager les Ivoiriens en guerre civile et en contestation électorale mutuelle. Son alter ego a été reçu à trois reprises par les plus hautes autorités de l’ancienne métropole, se trouvant exercer la présidence semestrielle de l’Union européenne. Il n’y a donc pas eu de mise au ban international des putschistes. Mais au plan intérieur, il en a été de même. La plus importante formation politique du pays : le Rassemblement des forces démocratiques, pourtant issu de la candidature d’opposition à toute perpétuation d’un régime autoritaire militaire en Mauritanie depuis le rétablissement des élections présidentielles et parlementaires selon la Constitution de Juillet 1991, a « compris » puis soutenu les putschistes pendant le premier mois de leur exercice. Ahmed Ould Daddah n’a refusé une participation gouvernementale qu’à raison d’un défaut d’engagement des militaires qu’aucun d’eux ne participeraient aux nouvelles élections. Il a donc cautionné le renversement en 2008 de son vainqueur dans les urnes en 2007, quoiqu’il attribuait sa défaite à l’influence des putschistes de 2005, futurs putschistes de 2008. Participant à un exercice – conseillé par la France et présenté comme les « états généraux de la démocratie » – il ne s’est désolidarisé de ses conclusions que parce qu’était désormais présagée la candidature présidentielle du putschiste. Une partie des opposants à Mohamed Ould Abdel Aziz n’était donc pas motivée par le souci de rétablir le président renversé, mais par l’ambition d’exercer à sa place la fonction. Par quelle aberration les chefs de partis, soit le plus résolu d’entre eux à dénoncer toute candidature militaire, soit les autres ayant soutenu pendant des mois le président renversé, se sont-ils laissé convaincre de cautionner par leur participation un scrutin improvisé et san contrôle destiné à légitimer le putschiste ?

Les raisons apparaissent, surtout avec le recul. La France, l’ancienne métropole, a manifesté par l’efficience de son influence sur la communauté internationale et les organisations disposant des mécanismes de sanctions, que la scène et le jeu restent biaisés, que les anciennes répartitions des rôles persistent et le droit international, la morale publique restent de simples apparences. Les putschs d’antan, notamment celui de 1978 en Mauritanie, n’étaient réglés en rien et n’embarrassaient les partenaires étrangers que selon leurs intérêts. Les tombeurs de Moktar Ould Daddah étaient dans les trois jours les hôtes d’honneur de l’ambassadeur de France pour le 14-Juillet et reçus à l’Elysée dans la semaine. Le sujet n’était pas la légitimité mais le règlement de la question saharienne. En 2008 comme aujourd’hui, il est celui de la question sahélienne, ce qui a fait préférer même pendant l’exercice présidentiel de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi ceux qui allaient le renverser. Les opposants intérieurs à Mohamed Ould Abdel Aziz ont constamment sous-estimé celui-ci, au lieu de faire jeu commun dès l’élection présidentielle de 2007. Sidi mohamed Ould Cheikh Abdallahi a consacré ses futurs tombeurs, Ahmed Ould Daddah s’est entretenu avec ceux-ci et persévéremment desservi son rival dans l’opinion nationale et dans l’opinion internationale, chacun pensant asseoir sa propre autorité, pour le présent ou pour le proche avenir.

Les sanctions sont un mécanisme juridique ingénieux mais elles supposent que les partenaires étrangers et les acteurs nationaux aient un comportement tellement unanime que ce serait de la fiction politique qu’il en soit ainsi. La réalité est que très vite, chacun s’ingénie à profiter de la chaise vide si le nouveau cours est décrété illégitime, ou à donner des apparences de légitimité à ce cours s’il est impossible à renverser.

Comme en 2005 où le renversement d’un dictateur de vingt ans légitimé par des élections truquées depuis dix ans, donna lieu à consultations, sanctions puis levée de sanctions quand, malgré quelques vices polluant décisivement la suite, fut comprise la sincérité – alors – de la transition démocratique inaugurée de force, le prochain dénouement s’il devait être le renversement du putschiste de 2008 légitimé en 2009 donnera lieu à condamnations et sanctions… C’est ce qu’anticipent la France et Mohamed Ould Abdel Aziz, cherchant à frapper d’opprobre ceux qui tenteraient de défaire ce qu’ils ont établi en 2008-2009 au mépris de tous les mécanismes qualifiant un coup d’Etat et le sanctionnant.

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