samedi 28 novembre 2009

un régime à identifier - note pour Bruxelles . en gestation - I



La présente réflexion peut être prise comme la conclusion d’une série provoquée par le putsch du 6 Août 2008 – comme les précédentes, elle ambitionne l’alerte d’instances décidant de la relation d’une partie des partenaires étrangers à la Mauritanie avec le régime qui a l’effectivité chez elle, et elle est soumise à l’expérience et au jugement des Mauritaniens à qui elle est en même temps adressée. Que ceux-ci - que je considère comme mes compatriotes d’adoption, quoique ne résidant par parmi eux aussi souvent et de façon aussi pérenne que, depuis des années – prenne surtout ces notes comme un instrument, parmi d’autres, pour se repérer eux-mêmes, et qu’ils veuillent me retourner en écho leurs certitudes et leurs interrogations, non sur ce que j’écris là, mais sur ce qu’ils vivent et voient, au présent et en perspective. Qu’à Bruxelles et à Paris, l’emporte le sens des nuances, je le souhaite s’agissant de la Mauritanie, et que la leçon commence d’être méditée sur ces mécanismes de sanction – d’incitations négatives à la démocratie – qui manquent parfois de bases chez les partenaires donneurs de leçons, et qui très vite couvrent des manœuvres et des hypocrisies afin que chacun puisse refouler toute culpabilité dans la reconnaissance du fait accompli.


à relire
I . les faits : mise en perspective du régime actuel p. 2
II . caractéristiques du nouvel exercice du pouvoir p. 5
III . difficulté d’une stratégie d’opposition p. 9
à écrire
IV . le pouvoir est économique et privé p. 12
V . l’état de droit est-il possible ?
VI . la relation euro-africaine est mensongère

Annexes – deux tests
. l’élargissement d’Hanevy Ould Dedah
. la commémoration des pendaisons du 28 Novembre 1990




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Les faits : mise en perspective du régime actuel





Depuis que la Mauritanie a été unifiée par le régime français (1903-1956) et constituée en Etat autonome puis souverain, il y a juste quarante-neuf ans, son régime politique a toujours été incarné par une personnalité unique. Principalement, le président fondateur Moktar Ould Daddah au pouvoir de 1957 à 1978, renversé par le premier en date des coups militaires (10 Juillet 1978) et le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, l’un de ses aide-de-camp, au pouvoir par la force de 1984 à 1992 puis sous une façade constitutionnelle de 1992 à 2005, date de son renversement par un putsch. Aujourd’hui, le général Mohamed Ould Abdel Aziz, patron de la garde prétorienne d’Ould Taya à partir de 1987 et auteur du plus récent des coups militaires, celui du 6 Août 2008. Exception à cette caractéristique mauritanienne d’un pouvoir exercé d’une façon très signée, le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi qui joua pendant quinze mois, de confiance, aussi bien les scenarii d’une vie constitutionnelle inaugurée par une élection pluraliste incontestée à son époque (25 Mars 2007) et marquée par une grande latitude laissée au Premier ministre et aux ministres, que d’une relation avec les anciens et futurs putschistes : une démocratie sans personnalité dominante, laissant à chacun sa responsabilité et sa figure. Des rôles sereinement répartis, les trois principaux candidats malchanceux respectivement Premier ministre, Zeine Ould Zeïdane, président de l’Assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir, et chef d’une opposition démocratique reconnue institutionnellement, Ahmed Ould Daddah.

La Mauritanie est revenue au système ayant prévalu pendant près de trente ans. Sans ou avec textes constitutionnels, un des principaux de la hiérarchie militaire s’impose à ses pairs selon des arguments ou des moyens qui n’ont pas encore tous été éclaircis, même et surtout pour les périodes précédentes. Deux nouveautés pour l’origine du système actuel – son acte de naissance, un coup de force, n’étant pas original dans l’expérience mauritanienne – 1° une intervention manifeste et avouée de « la communautré internationale » et particulièrement de la France, dans le processus de régularisation qui a produit la reconnaissance du fait accompli plutôt qu’un retour des militaires à leurs casernes, alors même que cette intervention avait été appelée par les opposants et soutenue par le président légitime et 2° une consécration élective, aussi surprenante que celle ayant re-fondé en 1992 l’emprise de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, si l’on s’en tient seulement aux ambiances de campagne portant il y a dix-sept ans comme cet été, plutôt les opposants que le candidat en possession d’état ; le fait nouveau, à cet égard, étant le faible laps de temps entre le coup militaire et le scrutin de régularisation. Comme en 1992, l’élection en un seul tour a été contestée, mais vainement. Le seul contrôle international qui puisse, d’expérience, faire foi puisqu’il a notamment permis de véritables alternances au pouvoir ailleurs : l’observation par l’Union européenne, n’a pu se pratiquer en 2009 (Bruxelles l’avait refusé sous de faux prétextes mais selon le souhait français en 2003 pour l’ultime réélection d’Ould Taya). Il y aurait fallu trois mois de préavis, or il n’y a eu que trois semaines de délai entre la démission formelle de Sidi Ould Cheikh Abdallahi et la tenue du premier tour de l’élection présidentielle, ainsi anticipée de près de trois ans…

C’est dire que le pouvoir issu d’une année putschiste et diplomatique – dont tous les éléments et événements ne sont pas encore au jour, très loin de là – a une identité que ne décrivent ni la Constitution du 23 Juillet 1991, légèrement amendée (serment présidentiel, diminution d’un an de la durée du mandat présidentiel) en 2006, ni l’élection du 18 Juillet 2009.

Apparences voulues par le général Mohamed Ould Abdel Aziz, censément libéré de toute attache avec son passé et le corps militaire, et réalité plus complexe mais tenant beaucoup, cependant à la personnalité du nouveau Président de la République. Or, cette personnalité n’est connue que de l’extérieur. Les éléments qui en transparaissent sont peu biographiques hors sa naissance au Sénégal, ses hautes études militaires au Maroc, ses attaches tribales aussi bien avec un de ses prédécesseurs à la présidence du comité militaire (Conseil militaire pour la justice et la démocratie, à la tête duquel se trouva placé, sans doute Mohamed Ould Abdel Aziz, déjà décisif, le colonel Ely Ould Mohamed Vall) qu’avec l’une des plus importantes fortunes privées nationales (Mohamed Ould Bouamatou) et même, quoique plus lointainement, avec l’épouse du président renversé, Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Comme le colonel Ould Taya, le colonel Ould Abdel Aziz reste longtemps dans l’ombre avec l’apparence de la modestie et de la technicité des choses sécuritaires. Eléments plus conjecturés, ceux qui se déduisent de son exercice du pouvoir, jusqu’à son entrée en fonctions légalisée par un scrutin.

Le cynisme puisque le putsch a été présenté aussitôt comme une « rectification » : l’instauration de la démocratie pluraliste, fondement accepté par tous en 2005 du putsch ayant mis fin à vingt ans de dictature militaire ou déguisée, aurait été faussée par un parrainage accordé par les militaires au civil qui l’emporta et ce parrainage aurait été vite regretté par ceux qui l’avaient accordé et peut-être par celui qui en avait bénéficié, s’il se reconnaît, ce qui n’est pas explicite, dans ce parrainage. Rectification au profit d’un autre civil, apparemment mieux placé dans l’opinion nationale pour l’emporter dès 2007 : Ahmed Ould Daddah ? ou rectification par les militaires au profit de leur seul chef et non plus d’un civil : donc Mohamed Ould Abdel Aziz, nonobstant les envies non déguisées de celui, d’entre eux, qui avait nominalement mené le processus du putsch de 2005 aux élections de 2006 et de 2007. Et c’est le vainqueur du scrutin du 18 Juillet qui se félicite du respect de la légalité pour l’ensemble des opérations électorales, de même que c’est par respect de la Constitution qu’il avait démissionné de sa présidence de la junte pour candidater en costume civil à l’élection présidentielle, sans que le président de la République ait encore démissionné.

La démagogie puisque les onze mois du pouvoir de fait ont été une série de promesses en termes de subventions, une succession de discours et d’audiences à consonnance constamment électorale. Qu’aussitôt au pouvoir, le président du Haut Conseil d’Etat s‘est attribué les prérogatives de discourir aux dates rituelles du calendrier religieux et à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance nationale. Désigner un ou plusieurs boucs émissaires, nommément, à l’occasion de visites dans l’intérieur du pays, est la signature verbale de l’homme fort désignant son ou ses opposants du lieu ou du moment, sans que ceux-ci soient mis en situation de répliquer avec une audience égale. Elément nouveau, juste aujourd’hui, la caricature de la période d’administration française qui aurait été caractérisée par de nombreux martyres. L’abus d’image ou l’annexion de modèles, supposés consensuels, ne se font qu’implicitement sans qu’aucun texte personnellement prononcé par Mohamed Ould Abdel Aziz n’en développe le motif. Ainsi, une avenue Moktar Ould Daddah est-elle inaugurée en tracé et pancarte, à Nouakchott le 5 Novembre 2008 mais l’homme fort laisse à la veuve du père fondateur la tâche d’en dégager le sens. Pendant la campagne présidentielle, une affiche combine les portraits de celui qui fit et proclama l’indépendance nationale, le 28 Novembre 1960, et celui du candidat à la présidence de la République mais Mohamed Ould Abdel Aziz ne prononce pas même le nom de Moktar Ould Daddah. Enfin, beaucoup de Mauritaniens suspectent les attentats perpétrés contre des étrangers ou les guet-apens dans lesquels tombent des patrouilles militaires, d’avoir été machinés pour provoquer un réflexe d’union nationale autour du pouvoir existant, sans que sa légitimité soit, dans le drame, à discuter.

L’hésitation entre la manière forte : une répression énergique des manifestations d’opposition, des attentats aux libertés publiques à commencer par l’emprisonnement du président démocratiquement élu et à continuer par la détention d’un directeur apprécié de site électronique d’informations nationales, d’une part… et d’autre part la délégation à d’autres, notamment à son pair, le général El Ghazaouani, des besognes sur le front : les allées et venues à Paris, l’intérim réel du pouvoir pendant la campagne électorale, commencée une première fois dès le 15 Avril en forme de course au plébiscite, la veille sur les forces armées.

Ces différents traits ne donnent pas une physionomie. Il est vrai que les a priori sur le pays et sur les Maures en particuliers sont tellement répandus et enracinés à l’étranger, pas seulement en France ou en Europe, mais aux frontières-mêmes de la Mauritanie qu’en général le tenant du pouvoir a été mal compris et mal évalué, qu’il soit un modèle de sainteté politique et de ténacité nationaliste comme l’était Moktar Ould Daddah, ou un personnage se donnant une apparence modeste et fragile comme Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, pourtant responsable raciste de véritables massacres au sein du corps militaire, d’Octobre 1987 à Février 1991, et d’un criminel laisser-faire lors des pogroms de Mai 1989. Mohamed Ould Abdel Aziz reste donc un inconnu et sa personnalité, si elle détermine le régime actuel de la Mauritanie, ne permet pas de l’identifier.




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Caractéristiques du nouvel exercice du pouvoir


Plusieurs observations peuvent être présentées pour caractériser les quatre premiers mois du mandat reçu le 18 Juillet dernier.



La mise en place a été laborieuse, plus de trois semaines, et au moins trois noms ont circulé pour l’emploi de Premier ministre, hors celui qui a été reconduit, Moulaye Ould Mohamed Laghdaf. Il n’y a pas eu de discours programme à proprement parler hors le spectacle d’investiture au stade olympique de Nouakchott, davantage une innovation populiste mais avec entrées si réservées que des journalistes ont été bastonnés et refusés. Il n’y a pas non plus une pétition d’identité et de fondement de légitimité. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz s’inscrit, pour les apparences, dans une succession non mouvementées de mandats sereinement accomplis avant lui et le peu de rites dont le pays s’est vu doter depuis la mise en application de la Constitution de 1991, se perpétue comme s’il n’y avait jamais eu de discontinuité par la force. Le rythme est lent et conventionnel.

Les principales décisions ont des nominations et des évictions, elles ont donc porté sur des personnes et même commencé à diviser les soutiens initiaux du putsch de 2008.




Le thème-clé de la prise du pouvoir, il y a maintenant quinze mois, a été la lutte contre la gabegie et accessoirement la corruption, ce qui n’est pas la même chose, en Mauritanie comme ailleurs. Les institutions dans un pays où la fiscalité est indirecte ou fondée sur l’exploitation des ressources naturelles – halieutiques ou minérales – et qui n’a pas de tradition juridictionnelle au sens des démocraties européennes et américaines, ne peuvent concourir à un contrôle de l’argent public que si, à la tête de l’Etat, on est en vérité et en image au-dessus de tout soupçon. Soupçon personnel ou soupçon de favoriser des groupes ou des intérêts. Seul, le fondateur – Moktar Ould Daddah – a répondu à cette vérité et à cette image, en sorte que le contrôle pouvait se réduire à un audit, provoqué par lui ou par le ministre compétent, et donnant lieu à sanction appliquée en considération des personnes puisque tout était dans l’exemple à donner, et fort peu dans les sommes, à l’époque, en question et qui furent toujours dérisoire au regard des mécanismes de corruption et de détournement mis au jour au début des années 2000 et impliquant les représentants locaux des bailleurs de fonds internationaux.

Mohamed Ould Abdel Aziz, quand il n’était que chef de junte, confondit la vindicte politique avec le nettoyage des écuries d’Augias. Il fit donc attaquer l’épouse de l’ancien chef de l’Etat, le Premier ministre en place au moment du putsch, et naturellement courir des rumeurs sur le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, lui-même. Le procédé a fait long feu. Si le nouveau régime avait pu trouver quelque matière à procès de retentissement internationale, cela se serait su. L’opération en cours est plus complexe. A travers un ancien président de la Banque centrale, l’ensemble – non des procédures et du système bancaires – mais des fortunes personnelles édifiées ou manifestées par la banque, est soumis à inventaire et reddition de comptes. Les groupes qui n’ont pas soutenu le vainqueur du scrutin contesté du 18 Juillet dernier, sont tous soumis à redressement, et y consentent en général. Y échappe donc Mohamed Ould Bouamatou qui, non seulement, n’est pas inquiété ni personnellement ni dans les relations de sa banque avec la Banque centrale, mais encore est en train de conquérir le monopole de la distrubution du gaz en Mauritanie.

Reste à s’assurer que cette épuration n’est pas un règlement de comptes et que ce traitement d’un passé, pas uniquement récent, n’est pas le camouflage ingénieux de nouvelles pratiques, qui ne seront identifiées que plus tard, c’est-à-dire trop tard. La « démocratie de façade » et les régimes autoritaires ont été orfèvres du procédé. Ni les institutions financières internationales, ni les principaux Etats partenaires n’ont intérêt à une purge trop active ; en revanche, des querelles et des dédommagements « en interne » arrangent l’étranger à la manière dont le consentement des parties mauritaniennes à l’accord de Dakar, arrangeait davantage les censeurs initiaux que les victimes du coup militaire.




Ce qu’il est convenu d’appeler « le règlement du passif humanitaire » est finalement peu clair. D’abord parce que son assise recouvre aussi bien des crimes de sang, nominalement perpétrés et dont les victime sont connues, que les conséquences du drame sénégalo-mauritanien du printemps de 1989 avec massacres de part et d’autre du Fleuve, commerçants maures principalement au Sénégal, tous originaires de la vallée du Fleuve qu’ils soient de nationalité mauritanienne ou sénégalaise en Mauritanie. Ensuite parce que les dédommagements financiers des familles de militaires assassinés sans procès ne sauraient plus, dans la conscience populaire qu’elle y soit ou non favorable, suivant des clivages qui ne sont pas vraiment ethniques, dispenser de poursuites judiciaires : on instruirait par contumace ou pas le procès des « années de braise », c’est-à-dire de l’exercice de la dictature militaire par Maaouyia Ould Sid’Ahmed avant l’instauration d’une « démocratie de façade ». Un tel processus est dificile à mener, il continuerait les épurations et mises en cause dans les milieux bancaires depuis un mois. Il couperait, paradoxalement, le nouvel homme fort de ses racines originelles au service d’un pouvoir analogue au sien. Sans doute, serait-ce – pour Mohamed Ould Abdel Aziz – une manière de conjurer dans l’esprit de ses compatriotes le précédent d’Ould Taya se perpétuant plus de vingt ans au pouvoir, dans le sang ou dans l’arbitraire. Or, ce précédent est probablement le principal handicap pour que se retrouve en Mauritanie une certaine sérénité.

L’autre élément du passif humanitaire avait commencé d’être traité par le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi : le retour des réfugiés, une certaine indemnisation, le processus débattu à la mauritanienne par plusieurs journées de débats publics, à la satisfaction générale. Des chiffres de retour, sinon d’allocations compensatoires sont périodiquement donnés depuis le printemps dernier. Rapportés à ceux des dommages subis et surtout aux mouvements et échanges de population, dont avaient d’ailleurs – cyniquement – convenu Sid’Ahmed Taya et Abdou Diouf, par téléphone… ces chiffres sont mineurs. Où est la vérité ? et la paix civile peut-elle se fonder sur des apparences ?
En réalité, le débat demeure dans des termes voisins de ceux dans lesquels il se posait à la fondation moderne de la nation mauritanienne : quelles sont les règles de coexistence, au pire ? quelle évolution est-elle possible pour une reconnaissance et une estime mutuelles ?




Une stratégie – de fond – se dessinerait alors confirmant l’habileté d’une personnalité, réputée de peu de charisme et de peu de sens politique. Habileté certaine pour avoir su cacher ambition et jeu, aussi bien à celui placé par ses pairs à la présidence de la junte faisant la transition entre la dictature renversée en 2005 et l’élection démocratique de 2007, qu’au vainqueur de cette élection. Habileté pour avoir discerné que la « communauté internationale », peu encline par principe et selon ses composantes, à reconnaître le fait accompli par la force, pouvait se contourner, se manipuler puis se retourner si l’ancienne métropole était gagnée à son système : cette connivence était vénale, elle fut achetée, elle a été efficace, elle peut l’être encore pour une levée des sanctions européennes.

Ne jouissant guère de l’estime des Maures autant du fait de l’image de sa tribu d’origine que de son faible bagage intellectuel personnel, Mohamed Ould Abdel Aziz peut cependant viser la majorité mauritanienne s’il séduit le tiers état que sont les anciens haratines, ou esclaves affranchis. Certes, l’essentiel a été accompli par celui qu’il a renversé, Sidi Ould Cheikh Abdallahi initiateur et signataire de la loi incriminant l’esclavage et toutes pratiques s’y rattachant en Mauritanie. Certes, aussi, Messaoud Ould Boulkheir, son opposant principal dès les premières heures du putsch de l’an dernier, est évidemment mieux placé que lui dans cette partie de la société et de l’opinion mauritanienne, mais l’image de « président des pauvres » a de l’impact. En renfort déterminant, les originaires du Fleuve si le processus du retour des réfugiés au Sénégal et le « règlement du passif humanitaire » peuvent être mis à l’actif presque exclusivement du régime actuel. Affaire de propagande…

Mohamed Ould Abdel Aziz, en possession d’état, se constituerait ainsi une clientèle de masses par opposition à des élites sociales ou politiques qui n’ont pas su – sous aucun des précédents règnes depuis 1978 – stabiliser le pays sans violence ni corruption. Le fait est que les institutions constitutionnelles, à peu près contrôlées par le nouveau Président de la République, ne sont qu’un soutien formel, la présidence de chacune des deux chambres est, dit-on, soumise à une réserve obligée par chantage à la reddition des comptes de gestion de ces chambres.

Aussi peu élucidées que le fond de la personnalité du Général – qui ne doit son grade, insolite pour la Mauritanie, qu’à la complaisance de son prédécesseur – la physionomie et la cartographie politiques des forces armées. Dans le sentiment populaire comme dans le calcul des élites, satellisées ou évincées, la seule voie pour un nouveau changement au sommet de l’Etat est celle d’un énième coup militaire. Dont seule la date est imprévisible, mais dont les auteurs potentiels sont connus, soit l’alter ego de Mohamed Ould Abdel Aziz, soit des officiers légalistes sur lesquels Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’avait pas su s’appuyer à temps.

Cette stratégie possible et ces inconnues déterminent le trait le plus certain du nouveau régime : il n’est pas consensuel et il n’est pas délibératif.


















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Difficulté d’une stratégie d’opposition



Face au nouveau pouvoir, les oppositions ne sont claires ni dans leur ordre de bataille, ni dans leur nature et leur composition, ni dans les perspectives qu’elles se donnent ou qu’elles offrent au pays.

Leur tâche, il est vrai, est très malaisée.

Le pouvoir en Mauritanie est coopté, au mieux il est conféré consensuellement et selon des processus que les formes constitutionnelles peuvent ratifier – c’était le régime de Moktar Ould Daddah, selon le Parti unique de l’Etat – mais ni initier ni conclure politiquement. La démocratie mauritanienne est de ce genre. Ou c’est le régime du coup d’Etat.

Prétendre comprendre – du dehors – le pays par sa légalité ou, accessoirement, par des références aux traités auxquels il a souscrit (à un mois de son renversement par la force, Sidi Ould Cheikh Abdallahi ratifia la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance : 7 Juillet 2008, la Mauritanie ainsi la première à poser cet acte) est aussi vain, me semble-t-il, que – pour l’opposition intérieure – aller aux élections. Sans doute, les Mauritaniens, autant et peut-être plus que beaucoup de peuples de l’époque contemporaine sur tous les continents, sont capables d’une vie publique réglée et d’une justice contradictoire et selon un droit écrit, mais la tradition s’est instaurée depuis le premier coup militaire (10 Juillet 1978) d’un arbitrage ou d’une détention ultime de la légitimité par les forces armées. Il ya donc, cinquante ans après l’indépendance, tout à bâtir de nouveau ou encore.

Confrontées à une possession d’état acquise militairement, les oppositions ne sont pas en quête de crédibilité ; cet élément n’est déterminant que dans une démocratie sincèrement élective. Elles sont à la recherche d’une force qui soit la leur et qui équivaille puis dépasse celle du pouvoir en place. Dialectique très risquée dans d’autres pays et gros de guerre civile. S’il est un fait acquis depuis l’indépendance, c’est bien que les Mauritaniens ont su – miracle, providence ou réelle maturité bien au-dessus des éphémérides politiques, ce que je crois – préserver leur unité nationale et souterrainement ou explicitement prendre conscience peu des nécessités et des composantes de leur cohésion sociale. En Afrique, c’est rare et pour certains pays européens, dont la France, c’est spectaculaire au regard des communautarismes et des pétitions identitaires à base ethnique, religieuse ou cyniquement de niveau de vie, qui gangrènent – sans analyse ni commentaire médiatiques ou politiques – les systèmes politiques actuels.

Les oppositions souffrent actuellement de plusieurs handicaps :

1° elles n’ont pas été unanimes au moment du putsch, elles ne se sont unifiées que sous des pressions non nationales et pour ratifier un processus – principalement – électoral dont elles n’ont pas su prévoir qu’il tournerait en leur défaveur : elles ont tour ou tour ou ensemble manqué de discernement ;

2° comme il est compréhensible dans un pays où l’argent public décide autant que la mansuétude du pouvoir en place vis-à-vis des circuits organisés d’influences ou de prévarication, beaucoup de manœuvres et de séductions personnelles sont loisibles. La coalition des partis anti-pustchistes n’a pas survêcu à l’ouverture de la compétition électorale, chacun a eu son champion, et il est probable qu’une des causes de la déconfiture spectaculaire des oppositions est de n’avoir pu aller au-delà des programmes communs de gouvernement et des accords de désistement pour un second tour. C’était inciter le tenant du titre à tout faire pour être déclaré vainqueur en un seul tour ;

3° le discours d’opposition est trop peu contestataire de la nature du régime qui s’installe et il n’a pas été du tout légitimiste pendant la campagne présidentielle. Critiquer ou proposer en amélioration des gestions publiques ou en inflexions de politique extérieure ne correspond pas au sentiment des mauritaniens, quand ceux-ci s’opposent foncièrement au système du général Mohamed Ould Abdel Aziz ;

4° les chefs des principaux partis pâtissent désormais non seulement de l’image de perdants, et pour plusieurs d’entre eux, de perdants rituels, mais surtout de n’avoir pas su – de longue date – s’entendre assez fortement et ingénieusement pour éviter au pays cette succession de coups militaires et de dictatures. Ils ne constituent plus une alternative, si tant est qu’en Mauritanie on puisse bâtir une conquête du pouvoir par l’élection et par la comparaison d’un projet avec l’existant. Le système des personnalités charismatiques combattant jusqu’au sang l’emprise coloniale ou l’apartheid, même s’il a été reproduit en Mauritanie sous la « démocratie de façade » entre 1992 et 2005, ne semble pas productif. Le système politique actuel est trop formel et trop peu sincère.





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Le pouvoir est économique et privé



Les enjeux mauritaniens, en fait, ne sont pas politiques, mais économiques et sociaux, et la série des coups militaires ou les interrogations sur la viabilité ou l’adéquation des institutions publiques a plutôt gaspillé les énergies nationales, et surtout affaibli le seul instrument dont disposait le pays, son Etat.

Des fortunes privées de rang national se sont érigées depuis uyne vingtaine d’années : les histoires se ressemblent, des débuts très modestes, du commerce puis l’accaparement d’un monopole et la diffusion des fondations ou des prises de contrôle jusqu’à la constitution d’un groupe ou d’un conglomérat généralement géré depuis une institution bancaire créée ad hoc
suite en gestation

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