Le taximan, la hartania et la mauresque...
Hier matin, j’ai laissé la voiture chez le
peintre vers la Soboma pour qu’il passe une couche d’un
mélange à base de goudron pour protéger le châssis des assauts
de l’air marin. Ensuite, il a fallu trouver un taxi pour rentrer chez moi. Il
m’a fallu 20 minutes pour en trouver un qui veuille bien aller
de l’hôpital national à l’autre bout de la route de Nouadhibou
car sur cet axe ils filent tous soit vers le 5ème et 6ème ou dans l’autre sens vers le marché Capitale.
Ma destination est pour eux synonyme de
galère car ceux qui habitent là ont tous des voitures et ceux qui
cherchent un taxi sont pour majorité les domestiques, les
gardiens et autres qui cherchent surtout un tout-droit à 100 ouguiyas jusqu’à
polyclinique et de là en prendre un autre ou un minibus vers les
quartiers populaires.
Rien à tirer pour les taxis qui
ne sont pas encore suffisamment délabrés pour faire du
tout-droit. Dix fois, j’ai arrêté un taxi, dix fois, on m’a répondu de la
tête « jamais ! ». Au bout de 20 min, je me
suis décidé à rentrer à pied, du moins jusqu’au cœur d’ilot k espérant
trouver un taxi plus raisonnable surtout qu’avec le soleil de plomb, j’étais
prêt à payer une fortune pour rentrer chez moi au plus vite.
Soudain, derrière moi, j’entends
un klaxon significatif de taximan qui signifie « ewa tu montes ou
bien ? ». Je me pousse pour le laisser continuer sa course pour
voir la tête du chauffeur avant même de lui dire où j’allais car on trouve de
tout : de l’imbécile jusqu’au bon type qui essaie dans sa
carcasse de gagner honnêtement sa vie. C’était un maure qui
devait avoir la trentaine à peine entamée dans une vieille Mercedes 200 qui
pourrait avoir l’air de quelque chose dans un quartier populaire mais là
c’était difficile.
Il avait bonne mine, un gentil type, ili
babou disent les maures. Je lui dis en hassania « route de
Nouadhibou » d’un ton qui n’espère plus de réponse positive. Il me regarde
et comprend qu’il peut doubler le prix et lance
« 400 » soit 2 fois le tarif. D’habitude je m’installe devant
pour bavarder mais là, le soleil m’avait sérieusement parlé surtout que
quelques jours à la plage étaient déjà passés par là, je
voulais m’asseoir et rentrer chez moi. Je me suis donc installé derrière à
droite.
Soudain son téléphone sonna. Il
commença une discussion avec manifestement une femme qui voulait un téléphone.
Au ton, à la manière avec laquelle il guidait son choix en fonction de sa
bourse, j’ai compris qu’il parlait soit à sa promise, soit sa
femme de fraîche date soit sa copine tellement il était pris
par la discussion, c’est à peine s’il regardait la route, il semblait flotter
au-dessus de son siège avec seul l’avant-bras hors du boubou sur le
volant.
Pour lui, je n’étais plus là même
si je comprenais le hassanya, peut-être parce qu’étant habillé à
l’occidentale, bronzé par des jours à la plage, avec une
besace en bandoulière, je comptais pour zéro dans son univers.
Si j’étais en boubou, il aurait parlé autrement sinon le passager maure allait
sourire et lâcher un mot ou deux pour participer.
Il parlait comme si j’étais un
étranger, un kowri ou n’importe qui pas suffisamment maure
pour prendre des pincettes, de toute façon, j’allais descendre tout
de suite et disparaître.
Il n’a rien dit d’incroyable mais tout
a été dit à propos de la situation... Les maures quand ils
parlent noblement d’argent pour minimiser une somme, s’en
détacher, ils parlent de « nheillessa » littéralement
« petite pièce ». Comme je n’entendais que ses réponses, je
devais deviner les répliques mais quand on appartient à une
communauté, c’est très simple surtout la communauté maure où les dialogues
finalement obéissent un ping-pong très codifié.
En gros, la femme lui a dit
qu’elle avait besoin d’un téléphone. Pratique courante car le téléphone pour la
femme est aussi un objet de standing qu’on peut aussi vite revendre…
Tout de suite, il a encadré la discussion à propos de « nheillessa »
en sa possession qui n’est pas très grande h'ate comme il le
précisa avec le ton d’un homme fier d’être prêt à donner tout ce
qu’il possède acquis à la sueur de ses freins.
Mais pour amortir cet aveu, qui
diminue un peu l’homme, il ajouta qu’il lui conseillait tout de même un plasma,
certainement un tactile. Puis la voix de mon chauffeur a
sursauté certainement car elle venait de parler d’un téléphone qui
dépassait de loin la fameuse « nheillessa ». « Sony !
non ! non ! c’est trop cher ». On dirait que la femme
était dans une boutique pour acheter un téléphone à crédit et
que c’est ensuite mon taximan qui allait payer la note.
Ce qui est curieux, c’est que la femme
semble lui en avoir proposé sur-le-champ un autre et là, il a répondu «
mais ça c’est un sini (chinois) ». Elle a dû lui répondre que c’est pas
grave alors il a dit « bon très bien » et il raccrocha l'air
rêveur...
C’est là qu’il a réalisé que
derrière j’avais tout entendu, alors pour noyer l’intimité
dont je fus témoin et parler d’autre chose en cherchant un autre client
improbable dans ce sens si tôt, il me fit remarquer que Nouakchott
s’est vidé car tout le monde est à la badiya, sous
entendu sauf lui le pauvre et moi qui ne devais pas comprendre. Sans
meilleure transition pour combler le déficit, il me demanda si je n’avais pas
besoin de temps en temps d’un taxi pour faire des courses. Je
lui ai dit que je prendrais volontiers son téléphone on ne sait
jamais mais qu’en vérité j’ai une voiture que j’ai déposée pour mettre
du goudron sous le châssis et la sauver de ce que les maures appellent
« télémaïte » une sorte de rosée qui détruit toutes les
carrosseries.
Il n’attendait que ça pour
commencer une discussion comme aiment faire certaines personnes pour tuer le
temps et n’avoir pas l’air d’être seulement un chauffeur. Il a commencé à
m’expliquer les dégâts terribles de cette télémaïte soudain il freina
sec comme devant un miracle. Une jeune hartanya bien
ronde machallah avec un type qui semblait l’accompagner sans devoir payer le
taxi.
Il l’a regardée pour sonder le potentiel et
lui lança joignant le geste à la parole « où ? ». Droite,
l’air détaché comme une fine cliente qui ne veut pas montrer au marchand
qu’elle a besoin de son produit au-delà du raisonnable, elle lâcha
« antennates ». Comme les numéros du bandit manchot dans le casino,
les chiffres tournèrent et il lança comme à moi « 400 ! ».
Sans lâcher son cure-dent sur ses dents d’un
blanc parfait, elle émit un son grinçant que seules les femmes sont autorisées à
prononcer pour dire un non qui s’étale sans équivoque. En vérité, étant aussi psychologue que
le taximan, elle avait compris que le monsieur vu sa voiture, son client
et sa direction, ne pouvait pas se permettre de refuser une cliente dans
ce sens en pleine matinée.
Tout cela s’est joué en deux
secondes. Le chauffeur retira 100 et dit d’un ton toujours pas
assuré « 300 ». La femme qui sait que 100 de plus ou de moins c’est
quelque chose quand deux fois par jour il faut prendre un taxi et
qu’on est payé au smic mauritanien à savoir 33000 par mois,
elle lâcha « 200 » comme on dit à prendre ou à laisser à
quelqu’un qui, le couteau sous la gorge, sait que c’est le juste prix.
Le chauffeur encaissa le coup et voulu
trancher, un peu gêné sachant que derrière j’avais accepté 400, c’est alors que
pour en finir avec cette discussion car j’avais mal à la tête
et j’étais presque arrivé, j’ai dit au chauffeur que je paye les 100 de
différence. La femme et son type montèrent sans rien dire car on ne dit
pas merci pour 100 ouguiyas quand on n’est pas mendiante surtout que
j’ai dit cela peut-être avec un ton qui pourrait paraître déplacé comme
« voilà qu’on en finisse » mais c’est pas sûr…
En route, arrivé au second feu rouge, la
voiture émit un bruit et s’éteignit comme si elle tombait en
panne. Le chauffeur comme tout propriétaire en Afrique, connaît sa voiture
comme un dresseur connaît son cheval. Il attendit que le feu passe
au vert, puis jeta un coup d’œil à droite pour jauger la distance et fit un
geste du pied suivi du contact et la voiture se ralluma. Il venait de
comprendre que le premier bruit en question était l’avant-dernière
gorgée de gasoil avant la panne sèche.
Le hasard fit que les stations pullulent sur
la route de Nouadhibou. En quelques mètres nous arrivâmes devant la pompe avant
de devoir purger le moteur. Ce n’était pas fini. Le pompiste
demanda combien ? Le chauffeur commença à fouiller son boubou. Voyant
qu’il n’y avait manifestement pas de liasse et qu’il ne tendait pas la main
vers une cachette comme les taximen en ont tous pour mettre la recette, j’ai
sorti 500 pour payer mes 400 et les 100 de la femme. Il en avait manifestement
besoin puisqu’après avoir cherché, tâté, il n’a trouvé que 500 dans
son boubou.
Pour être galant jusqu’au bout, j’ai dit à la
femme qui tendait ses 200 de laisser tomber et j’ai donné 700. Là elle me dit
merci et le pompiste injecta 1200 ouguiyas de gasoil soit moins de 3 litres et nous sommes
repartis.
La discussion était gentiment animée entre
le chauffeur et sa cliente sur un sujet qui m’a échappé car j’étais fatigué et
je n’ai pas l’habitude d’écouter tout ce qui se raconte surtout que le type
monté à l’arrière essayait en vain de parler avec la femme en oualof pendant
qu’elle parlait en hassanya avec le chauffeur comme des gens de bonne
compagnie ayant un chemin à faire ensemble...
Publié il y a 17 minutes ago par vlane.a.o.s.a
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