A ce lien, une note de lecture écrite par un ami touareg,
journaliste et écrivain: https://www.actualitte.com/article/livres/chronique-idoumou-mohamed-lemine-abass-igdi-les-voies-du-temps/59456
Igdi, les voies du temps : un monde nomade mauritanien en voie d'extinction
Intagrist El
Ansari - 13.07.2015
Igdi, les voies du temps, n’est pas que l’histoire banale d’un drame familial. En effet, en partant d’une tragédie humaine et familiale, l’auteur raconte avec beaucoup d’intelligence et de talent les péripéties d’un monde nomade mauritanien en voie d’extinction.
Déclin d’un monde ancien
Dès les premières pages, Idoumou dresse le tableau. Des règles nouvelles qui supplantent celles qui ont prévalu des siècles durant ; la voix des jeunes qui exclut celle des anciens ; des constructions nouvelles remplacent les vieux édifices ; le mauvais devient enviable face au bon ; le bon sens qui se perd ; l’art de la dissimulation et de la sournoiserie, comme religion bien pensante ; etc.
C’est dans cette confusion générale que Da Ahmane, principal personnage du roman, héritier de la chefferie tribale se voit déposséder de sa souveraineté au sein de sa tribu. Il cède le rôle à son demi-frère, qui, lui, défend cette modernité. Leur relation est faite d’animosité depuis le décès de leur père. Da Ahmane se retrouve à errer, bien qu’investi d’une mission pour la restauration de son honneur de père de famille, dans une capitale du pays, décadente par essence et perverse. Bir Lekhcheb, l’anomalie architecturale, jaillit du sable, au grand regret des seigneurs sahariens habitués du grand espace et des règles de vie qui en régulent l’existence des nomades qui habitent dans le désert, dans la courtoisie et dans le respect de l’héritage ancestral. La nouvelle capitale est donc la concentration de tous les vices et de toutes les choses malsaines.
L’histoire de Da Ahmane Ould Ag Bahim, cet homme intègre et bienveillant, mais ébranlé, est parfaitement emblématique de l’action du temps qui marche sur l’ordre ancien pour construire sur ses débris un monde nouveau qui, inéluctablement, implosera à son tour et de l’intérieur
Deux évènements majeurs déclenchent cette marche du temps et confèrent aux personnages une dimension parfois fantastique, en les plantant dans un décor surréaliste, aussi bien dans leur apparence que dans leurs agissements. D’une part, la pression de l’administration sur le pouvoir autochtone (au point d’exiger de lui qu’il change le nom d’un lieu fondateur de son autorité traditionnelle historique, pour le renommer à l’honneur du président), d’autre part, les menées d’un fils du Ksar, demi-frère de Da Ahmane, pour remplacer la vieille mosquée par une nouvelle. Corrompu par le monde qui advient aux dépens du monde ancien, Zayed œuvre à l’abandon des modes et des matériaux de construction séculaires au profit du béton qui ne fait pas consensus au sein de l’assemblée consultative de la tribu.
Des clans « pour », d’autres qui sont « contre » se forment et ainsi la tribu s’effrite. Elle perd son unité et donc le sens même de son existence, jadis basée sur l’esprit communautaire très fort. Le vieux chef, père de Da Ahmane n’a pas résisté longtemps ; il succombe à la pression du monde nouveau qui spolie le doyen du campement de son autorité traditionnelle.
Contraint de partir de son Oasis ancestrale de Tin Bahra, Da Ahmane est déterminé à venger le déshonneur infligé à sa ravissante fille : Igdi, souillée et meurtrie par le Colonel W..., qui personnifie le « Système » de ce monde nouveau tout de vices et de perversités. La jeune fille est revenue chez elle méconnaissable, rouée de coups et de blessures qui saignent, même au niveau de ses parties intimes. Depuis l’incident le père, fidèle aux principes sahariens de l’honneur, lesquels s’éclipsent tout doucement sous le sable, s’était muré dans un silence, quasi religieux, pour garder secret l’agissement de l’officier tout puissant, qui abuse de son pouvoir à toute fin et préparer, à sa manière, la vengeance de son honneur qu’il veut foudroyante.
Igdi a, depuis lors, perdu le sourire. Sa mère Hella, a quant à elle perdu la voix. Elle n’adresse plus parole et ne répond pas aux questions qu’on lui pose. Le foyer de Da Ahmane est ainsi devenu beaucoup trop lourd à supporter pour l’homme qui s’essaye, l’un après l’autre, aux petits boulots d’une capitale bouillonnante de monde et de misère sociale. Il a été, en suite, contraint de s’évader de sa propre maison. La souffrance des femmes qui l’habitent est devenue insupportable pour lui…
Mais l’histoire que raconte Idoumou avec beaucoup d’adresse n’est pas qu’un drame familial anodin, avons-nous dit. Car le chemin que mène le protagoniste vers l’adultérin de sa fille est émaillé de faits et de personnages qui sont, tout comme Da Ahmane, dans le désir de vengeance et surtout dans la demande que justice soit faite. La profondeur du récit révèle différentes facettes des mondes urbains qui trichent — le plus souvent — pour survivre. Le malaise social, qui n’a pas de frontières, est sous-jacent à cette survie.
Justice aux plus faibles
Leila, une jeune héroïne, sans parents, a tout perdu. Elle se liera d’amitié — avant de l’épouser plus tard — avec « le vieux » (surnom de cœur qu’elle attribue à Da Ahmane), guette aussi le Colonel W… pour lui faire payer l’assassinat supposé de son père. Le colonel était amoureux de la mère de Leïla au point d’avoir commandité la mort de son ami d’enfance, le père de la belle métisse qui finit par séduire le quinquagénaire, de trente ans son aîné.
Hugues, CC BY SA 2.0
Puis, il y a Islem, « le goumier », conteur d’histoires, qui rode également autour du Colonel pour lui faire payer les malheurs qui se sont abattus sur sa famille. Ce goumier a été contraint de céder sa maison, sous la pression du Colonel qui avait emprisonné son fils et qui devient responsable de la folie de sa femme et la dépravation de ses filles qui ont « dévié du chemin ».
Le Colonel W… a tout ce monde aux trousses. Islem et Leïla ont pour lieu de connexion la voiture de Da Ahmane, devenue le QG de surveillance du quartier où réside l’officier. Da Ahmane garde secrètement les raisons pour lesquelles il veut assassiner le Colonel. Il rumine ses plans nuit et jour. Tantôt il veut lui loger une balle dans la trempe, puis il se dit qu’il serait peut-être mieux de le viser au front, ainsi « il me verra en face », se dit-il dans une conversation avec lui-même. De toute manière, le Colonel ne pouvait que mourir, dans l’esprit de Da Ahmane, pour que justice soit rendue aux plus faibles et pour que l’honneur de sa famille « soit lavé ».
Les détracteurs de l’officier qui, tout au long du roman, est un personnage absent présent, commentent, à maintes reprises ses agissements malveillants. Ils s’étaient mis à espérer qu’il passerait à la mort lors d’une mutinerie à la présidence. Au contraire le Colonel W. est apparu comme « l’homme fort de la situation », bien qu’il ne s’agisse que d’une récupération — pour servir son nom – de la riposte menée adroitement par un officier inconnu du grand public.
À travers ces fragments qui rendent dense l’histoire du livre, Idoumou s’insurge également contre les abus de pouvoir. Il dresse, au moyen d’une fiction aussi parlante que la réalité, une esquisse d’une misère sociale endurée par son pays.
En fin de compte l’histoire se termine telle que rêvée par Da Ahmane. La jeune Idgi utilise le moyen redoutable de la séduction pour « revenir » à son bourreau, le temps d’une soirée lors de leur mariage qui tourne au drame. Le Colonel W… est tué par un commando qui s’était introduit dans la cérémonie, déguisé en femmes voilées.
La jeune fille ne laisse pas passer l’occasion, elle dépèce, aidée de sa mère, l’officier, morceau par morceau, dans une scène macabre où joie et folie se mêlent. Les deux femmes au bord de l’aliénation sortent de chez elles avant de mourir à leur tour sous les coups (de balles perdues ?) qui fusent partout en ville.
Bir Leckheb est cernée par des tumultes. Sa chute songée, par Da Ahmane, au cours de ses sommeils agités, est alors devenue une réalité sous ses yeux. Le Monsieur encore abasourdi par les événements prend la route avec sa jeune épouse, pour retrouver son désert natal, « là où tout avait commencé ».
Cette tragédie ouvre cependant une voie du temps nouvelle, devant « Des hommes et des femmes qui n’attendent de l’existence qu’une seule chose : qu’elle continue sans vibration du temps, ni égratignure sur le corps ou dans l’âme de qui que ce soit » comme espère, Leïla, la rescapée, après moult péripéties dramatiques, sur la route d’une nouvelle voie pleine d’espérance, une nouvelle existence « pour rassembler les morceaux de sa vie éparpillée ».
Igdi, les voies du Temps est un fabuleux roman, écrit dans un langage poétique hautement soutenu. Un texte dense, écrit par Idoumou avec une bienveillance, une générosité, un bon sens, propres aux cœurs oasiens, sans artifice. Des cœurs qui sont aux prises avec un Temps bouillonnant et autre le temps de leurs valeurs et de leurs aspirations !
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