mercredi 6 août 2014

2008 ... publié dans le Calame . 19 Août 2008



L’ordonnance du 11 Août 2008
régissant les pouvoirs du Haut Conseil d’Etat :

analyse comparative avec les chartes militaires précédentes :
la dictature a ses institutions




En cinquante-et-un ans d’autonomie interne puis d’indépendance, la Mauritanie moderne, à quelques mois près, a plus longtemps vêcu sous la présidence de militaires que d’un civil. Ses pouvoirs publics constitutionnels ont déjà été régis pendant quinze ans par des textes imposés à la suite de putschs ou de purges internes. Comme n’apparaît aucun engagement de calendrier pour le rétablissement de l’ordre antérieur au coup du 6 Août 2008 ou pour  l’adoption d’une nouvelle Constitution, il est utile de savoir les règles que se donnent les militaires pour exercer le pouvoir : cela peut durer… A la lettre des textes s’ajoute la jurisprudence des directoires militaires précédents. Deux remarques valant pour tous : 1° les textes imposés par les militaires sont plus instables que ceux adoptés par le Parlement ou directement par le peuple ; 2° c’est un règlement intérieur qui décrit le fonctionnement de l’organe de décision et sa composition varie entre la cooptation à l’origine du 10 Juillet 1978, du 3 Août 2005 et du 6 Août 2008 à des participations de droit tenant à l’emploi militaire occupé sur nomination du président régnant lequel cumule les pouvoirs militaires avec les pouvoirs d’Etat. Le collège est alors à la discrétion d’un seul homme.
Pas moins de sept « chartes constitutionnelles » ont affirmé que « conscientes de leurs responsabilités devant le peuple, les Forces armées ont pris le pouvoir, le 10 Juillet 1978, pour sauver le pays et la nation de la ruine et du démembrement, et pour sauvegarder l’unité nationale et l’existence de l’Etat » (20 Juillet 1978 [1] modifiée le 19 Mars 1979 - 6 Avril 1979 - 4 Janvier 1980 - 12 Décembre 1980 - 25 Avril 1981 - 12 Décembre 1981 - 9 Février 1985 [2]…). La charte du 6 Août 2005 [3] a un préambule tout différent : « les Forces armées et de sécurité ont pris devant le Peuple mauritanien, le 3 Août 2005, l’engagement de créer les conditions favorables à un jeu démocratique ouvert et transparent et de mettre en place de véritables institutions démocratiques, à l’issue d’une période transitoire n’excédant pas deux (2) ans. » [4]. Adoptée le 11 Août 2008, l’ « ordonnance constitutionnelle régissant les pouvoirs du Haut Conseil d’Etat » ne s’intitule plus charte : elle proclame que « Les forces armées et de sécurité, par l'intermédiaire du Haut Conseil d'Etat, ont mis fin au pouvoir du président de la République investi le 19 avril 2007, et ont décidé de prendre les dispositions qui s'imposent, en vue de garantir la continuité de l'Etat et de superviser, en concertation avec les institutions, les forces politiques et la société civile, la tenue d'élections présidentielles permettant de relancer le processus démocratique dans le pays et de le refonder sur des bases pérennes. Elles s'engagent devant le peuple mauritanien à organiser, dans une période qui sera la plus courte possible, des élections libres et transparentes qui permettront, pour l'avenir, un fonctionnement continu et harmonieux de l'ensemble des pouvoirs constitutionnels.».
La pétition de démocratie – à venir – n’avait figuré que dans des déclarations politiques des Comités militaires de 1978 à 1985, elle est édulcorée dans le texte de 2008, elle n’est fondamentale qu’en 2005. En revanche, le concept de légitimité, qui, de 1978 jusqu’à aujourd’hui, donne le motif explicite des prises militaires du pouvoir, et que le propre aide-de-camp de Moktar Ould Daddah eut le douteux privilège d’énoncer le premier – et à qui de droit (on ne sait pas encore comment il a été formulé à Sidi Ould Cheikh Abdallahi le 6 Août dernier) – apparaît dans la seconde charte, celle du 6 Avril 1979, correspondant au court exercice du pouvoir, en tant que Premier ministre, par le lieutenant-colonel Ahmed Ould Bousseif. « Confiantes en la toute-puissance d’Allah (les Forces armées s’affirment) dépositaires en dernier recours de la légitimité nationale. » [5] Les règlements intérieurs du Comité pendant la première période militaire (1978 à 1991) affirmaient même que celui-ci « est, par la volonté des forces armées dont il est l’émanation, le seul dépositaire de la souveraineté et de la légitimité nationale » [6]. Cette logique – conduisant à une conception inusuelle de l’ordre constitutionnel – n’a pas été confirmée par la Constitution de 1991, adoptée par referendum (son article 2 dispose en effet que « le peuple est la source de tout pouvoir »). Elle inspire, ces jours-ci, le nouveau pouvoir puisque le président de la République est réputé avoir « tenté de faire un coup d’Etat contre la démocratie » du seul fait qu’il pourvoyait aux commandements principaux de l’armée et à la direction de son état-major particulier…[7] L’intervention pour éviter « le démantèlement du pays » en 2008 fait écho à celle de 1978 « pour sauver le pays du démembrement ». Alors même que l’article 8 de l’ordonnance du 11 Août 2008 dispose que le Parlement et la Haute Cour de justice entre autres « continuent d’exercer leurs compétences conformément aux textes les régissant », la procédure de mise en accusation du président de la République, organisée par le titre VIII (art. 92 et 93) de la Constitution de 1991, est évidemment méconnue par l’article 2 de la même ordonnance : « Il est mis fin aux pouvoirs du président de la République investi le 19 Avril 2007 ». La première des chartes militaires (1978) avait été plus franche : « article premier – Les dispositions de la Constitution du 20 Mai 1961 se rapportant à l’organisation et à l’exercice du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif sont abrogées », ce qu’avaient repris les textes militaires jusqu’à celui de 1985 compris. Au contraire, la Charte de 2005, prévoyait que « les dispositions de la Constitution du 20 Juillet 1991, y compris le préambule, relatives à l’Islam, aux libertés individuelles et collectives et aux droits et prérogatives de l’Etat sont maintenues. Les autres dispositions de la Constitution du 20 Juillet 1991 sont réaménagées et complétées par les dispositions de la présente Charte constitutionnelle ». La même Charte de 2005 n’avait rien disposé pour le président renversé mais elle avait « mis fin aux pouvoirs du Parlement élu en Octobre 2001 » (article 3), déni du même ordre que celui de 2008 pour l’élection présidentielle de Mars 2007. Celle de 1979 avait (art. 2) décidé la dissolution du Conseil consultatif national institué par ordonnance du 29 Mars 1979 à l’initiative de Mustapha Ould Mohamed Saleck. Celle de 1981 revenait sur le projet de Constitution, publié le 17 Décembre 1980 qu’un referendum aurait adopté s’il n’y avait eu la tentative du 17 Mars 1981 contre son promoteur, Mohamed Khouna Ould Haïdalla, nommant en même temps, pour la première fois sous le régime militaire, un Premier ministre (charte de Décembre 1980).
L’innovation – ingénieuse – de l’ordonnance du 11 Août est d’instituer – en théorie – une présidence collégiale provisoire de la République. En effet, l’ensemble des pouvoirs publics et de leur organisation constitutionnelle est maintenu, y compris les fonctions de président de la République mais l’exercice de celles-ci est confié au Haut Conseil d’Etat (article 2). Celui-ci s’organise à la manière des comités et conseil qui l’ont précédé. Le chef des putschistes signe la première ordonnance qui fonde le nouveau régime. Quand le pouvoir change de main au sein du comité militaire – en Avril 1979, en Janvier 1980, en Décembre 1984 – aucun procès-verbal de vote n’est rendu public, puisque le scrutin est censément secret. Le même chef prend – d’abord subrepticement et sans texte – le titre de chef de l’Etat ; c’est le cas ces jours-ci : alors que l’ordonnance constitutionnelle ne le prévoit pas, les dépêches de l’Agence mauritanienne d’information le donne au général Mohamed Ould Abdel Aziz comme elles l’avaient donné au colonel Ely Ould Mohamed Vall, les télégrammes de félicitations aux « homologues » en portent aussi la mention. En 1978, il ne s’agit que de la « présidence du gouvernement » (art. 11) en même temps que celle du Comité. « Le Président du Comité militaire de salut national est le chef de l’Etat » à partir de 1979 (art. 10 des chartes de 1979 à 1981, art. 9 de la charte de 1985). Il n’est responsable que devant le Comité (art. 9 de la Charte de 1985, exercice du pouvoir par Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya) : disposition ne valant auparavant que pour le Premier ministre (art. 12 de la Charte de 1979, Ahmed Ould Bousseif nommé à ces fonctions, et art. 15 de la Charte de 1980, dyarchie favorisant en fait mais sans responsabilité Mohamed Khouna Ould Haïdalla à telle enseigne que la Charte de 1981 ne prévoit plus de responsabilité du Premier ministre que devant le chef de l’Etat). Le système de 2005 et de 2008 est une double responsabilité du Premier ministre devant le directoire militaire et devant son président (art. 6 des deux textes), ce dernier n’étant responsable devant aucune instance militaire ou politique, sauf disposition ultérieure... C’est le règlement intérieur qui prévoit depuis 1979 (art. 6) que le président du Comité ou du Conseil peut être démis au scrutin secret et à la majorité des 2/3, disposition reprise en 2005 (art. 10). Il faut attendre la publication d’un tel texte pour savoir si elle sera valable pour la troisième période militaire, mais ce sera aussi théorique que durant la première puisque la succession de Mohamed Khouna Ould Haïdalla par Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, longtemps son Premier ministre, se fit par la force : le 12 Décembre 1984, devenant un anniversaire officiel au même titre que le 10 Juillet et le 28 Novembre…
Le principe est la collégialité : « les Forces armées exercent par l’intermédiaire du comité… du conseil… du Haut Conseil d’Etat… les pouvoirs nécessaires pour la conduite de l’Etat »(art. 2 Charte de 2005 – celle de 2008, art. 1er ajoutant la réorganisation et la conduite de l’Etat). Les chartes de la première période militaire disposaient plus sobrement que « les Forces armées nationales exercent le pouvoir par l’intermédiaire du Comité militaire… » (art. 3 de 1978 et de 1979, 2 de 1980 à 1985). Jusqu’à cette troisième période militaire qui vient de commencer, le pouvoir exécutif (art. 9 des chartes de 1978 et de 1985) était détenu par le président du directoire militaire (sauf selon les chartes de 1979 et de 1980 le réservant au Premier ministre) et celui-ci exerçait « par voie d’ordonnance le pouvoir législatif » (art. 4 charte de 1978 et de 1979, art. 3 chartes de 1985 et de 2005). L’ordonnance de 2008 dispose au contraire que « le Haut Conseil d’Etat exerce le pouvoir exécutif » (art. 5) et que « les mesures de force législative nécessaires à la garantie de la continuité des pouvoirs publics et à la garantie de la liberté et de la transparence des élections présidentielles prévues » ne sont prises par le Haut Conseil d’Etat qu’au cas où « pour des raisons quelconques, le fonctionnement du Parlement est entravé » (art. 8), hypothèse d’une résistance de la minorité que pourrait inspirer Messeoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale, alors que 109 parlementaires ont déjà fait publiquement allégeance. Cela peut se lire cependant comme une compétence des militaires en dernier ressort pour l’organisation des élections et pour l’essentiel de la législation, ainsi qu’un exercice de fait de l’exécutif par le seul président du Haut Conseil puisque – seul – ce dernier signe « les actes relevant du Haut Conseil d’Etat » (art. 5).
Les pouvoirs d’urgence, à la discrétion du président du Comité, ne sont institués que par une modification, le 19 Mars 1979, de la Charte de 1978 : un nouvel art. 13 repris jusqu’en 1985. Les militaires, versions 2005 et 2008, sont plus francs : ayant le pouvoir, ils ont naturellement celui des crises aussi, un texte serait superflu.
La relation entre le directoire et son président est évidemment l’essentiel pour le fonctionnement des pouvoirs publics en période militaire. La composition du collège se fait par cooptation, en théorie (art. 3 de l’ordonnance de 2008 reprenant art. 4 de la charte de 2005, repris d’art. 6 de la charte de 1978 et 5 de celles de 1980 à 1985). Le règlement intérieur prévoit depuis sa version du 28 Mai 1981, reprise en 1985 et en 2005, des membres de droit [8]. Or, ceux-ci sont tous nommés par le président du comité ou du conseil militaire… en tant que chef de l’Etat, et la clause d’exclusion du comité ou du conseil à la majorité des deux tiers n’a pas de sens s’il s’agit de membres de droit. Pas plus que, de 1980 à 1991, la disposition du règlement intérieur selon laquelle « le Comité militaire de salut national est inamovible tant qu’un pouvoir civil issu d’institutions démocratiques n’aura pas été mis en place ».  La périodicité de réunion du collège militaire a varié depuis la première période : 1° session ordinaire tous les quinze jours selon la charte de 1978, seulement tous les trois mois à partir de 1980 jusqu’en 1991, et selon les textes de 2005 et de 2008 ; 2° « session extraordinaire sur convocation du président, après approbation du comité permanent ou à la demande du tiers de ses membres » (art. 8 de la charte de 1978, repris par toutes les chartes postérieures). Un comité permanent – manifestement repris de l’organisation du Parti du peuple mauritanien de 1961 à 1975 – était de surcroît prévu par les chartes de 1978 à 1985, se réunissant tous les quinze jours. Il n’existe plus dans la deuxième et la troisième période militaires : la collégialité est donc une pure façade, puisque les militaires ne se réunissent à leur « sommet » qu’une fois par trimestre. Militaires qui avaient inventé la « démocratie de façade », version 1991 à 2005, le putsch de 2008 produisant rétrospectivement une singulière interprétation de leur rétablissement des libertés et de leur organisation des élections démocratiques en 2007 [9]. La dictature a ses institutions.
            Bertrand Fessard de Foucault





[1] - abusivement datée du jour du renversement du président Moktar Ould Daddah, le 10 Juillet 1978, elle n’a été publiée que le 20 Juillet et ne figure au J.O.-R.I.M. qu’à la date du 26

[2] - avec la cocasserie, cf. J.O.-R.I.M. 27 Février 1985, p. 112 – que le putsch originel est daté du 10 Mai et non du 10 Juillet 1978

[3] - le coup du 3 Août 2005 mettant fin au régime du colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya ne produit sa charte que le 6 … dont ainsi le putsch de 2008 fête exactement le troisième anniversaire
[4] - contrairement à toutes celles de la première période militaire, la charte du Conseil militaire pour la justice et la démocratie se précise comme « définissant l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics constitutions pendant la période transitoire »

[5] - J.O.-R.I.M. 25 Avril 1979, p. 223

[6] - J.O.-R.I.M. 30 Mai 1979, p. 241 – 23 Septembre 1981, p. 408 – 27 Mars 1985, p. 149

[7] - Mohamed Ould Abdel Aziz à Jeune Afrique n° 2483-2484 du 10 au 23 Août 2008, p. 15
[8] - notamment le chef d’état-major de chaque arme, les commandants de région militaire, les militaires membres du gouvernement, le directeur général de la sûreté nationale, le ou les secrétaires permanents du comité ou du conseil – le Premier ministre sous Mohamed Khouna Ould Haïdalla

[9] - Mohamed Ould Abdel Aziz à Jeune Afrique ibid.

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