dimanche 27 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà dans Le Calame . 16 Février 2010



60 .


13-14 Février 1965    &    17 Février 1989

Installation du secrétariat du Comité inter-Etats des riverains du fleuve Sénégal
&
Fondation de l’Union du Maghreb arabe





Les 13 et 14 Février 1965, les présidents Léopold Sedar Senghor, Modibo Keita et Moktar Ould Daddah se réunissent à Saint-Louis-du- Sénégal et y installent le secrétariat général du Comité inter-Etats des riverains du fleuve Sénégal. Il s’agit de rechercher le développement intégré de la sous-région  et l’on convient d’une rencontre annuelle « au sommet ». L’économie est le domaine choisi pour une coopération entre des pays qui depuis l’indépendance n’ont pu s’entendre sur une organisation politique commune, encore moins sur une iuntégration terriroriale. On évoque l’harmonisation (sans suppression) des obstacles aux échanges et l’on envisage de renégocier les accords de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest avec la Guinée et le Mali. Sékou Touré est absent, il est entendu que Moktar Ould Daddah lui rendra compte et le pressera de participer à la prochaine rencontre. Pour le président mauritanien, la nouvelle institution n’est qu’un premier pas ; il affirme à ses pairs « l’intérêt qu’il y a également d’envisager la constitution d’un ensemble économique régional qui grouperait francophones et anglophones de l’Ouest Africain ».

L’entente à quatre des Etats riverains du fleuve Sénégal n’a jamais été facile du fait de la Guinée et des conflits de personnes entre Sékou Touré et ses deux voisins frontaliers [1]. Moktar Ould Daddah fut sans cesse l’intermédiaire agréé autant par le Sénégal que par l’ex-Soudan français relevant seul le grand nom du Mali.
La mise en place de 1965 a été laborieuse. Le Comité inter-Etats a été projeté à partir de la première conférence ministérielle des quatre Etats riverains du Sénégal qui s’était tenue les 10 et 11 Juillet 1962 à Conakry. On y avait reconnu l'unité du bassin du Fleuve quant à son développement, et par l’"adoption de mesures concrètes pour une action immédiate et concertée", on devait aller vite, et à quatre. De fait, depuis le 12 Janvier précédent, la Mission d'aménagement du Sénégal (M.A.S.) se réunissait sans que le Mali soit représenté : la Mauritanie et le Sénégal sont en tête-à-tête et à nouveau le 8 Février 1963. Sans doute pas fâchés, puisqu’il sera entendu, le 8 Mars 1965 que « la M.A.S. intégrée dans le comité inter-Etats continuera de servir d’instrument de développement exclusif pour le Sénégal et la Mauritanie »

Les obstacles ont été de trois sortes.

Les relations politiques bilatérales entre les Etats étaient, pour presque toutes, à régler au lendemain des indépendances décidées et développées dans des circonstances particulières à chacun, sinon antagonistes. Entre la Guinée et le Sénégal, la confrontation a toujours été chronique et l’institution d’une commission permanente de coopération se décide à Labé, lors d’entretiens, du 26 au 28 Mai 1962, dans un contexte compliqué : le Sénégal est alors bicéphale, la rivalité de plus en plus évidente entre Léopold Sedar Senghor et Mamadou Dia qui discutent plus entre eux qu’ensemble avec Sekou Touré.

Entre la Mauritanie et le Mali, le contentieux est grave tant que persistent un différend frontalier à l’initiative malienne et une semi-revendication de populations dans l’esprit mauritanien [2] et surtout que Bamako reste à l’écoûte de Rabat : la menace terroriste à partir du territoire malien, est dramatiquement effective. Le 29 Mars 1962, à Nema, attentat contre un mess d'officiers de l'armée mauritanienne causant la mort de trois français et faisant treize blessés. Aussi, dès l’été de 1962, les plaies doivent être débridées : d’abord à Kiffa, les 2 et 3, où les ministres de confiance de Moktar Ould Daddah, Ahmed Ould Mohamed Salah et Mohamed Ould Cheikh, règlent avec le secrétaire d'Etat malien à la Défense le "contentieux psychologique", puis par la décision du Bureau politique national du Parti du Peuple prise, le 9, en l'absence du secrétaire général, d’envoyer une délégation au congrès de l'Union soudanaise–RDA [3]. Dans cet esprit nouveau, les ministres de l'Intérieur du Mali et de la Mauritanie, se rencontrant les 23 et 24 Novembre, à Bamako, constatent leur « complète identité de vues sur les problèmes examinés » et particulièrement sur les questions frontalières et de sécurité ainsi que sur les problèmes économiques. On s’accorde sur la réinstitution de la commission des frontières, la non-incursion des forces de sécurité mais la coopération pour la recherche des éléments subversifs [4] et enfin l’application des accords de Nouakchott du 25 Janvier 1960 et d'Aioun-el-Atrouss du 13 Juin suivant pour la transhumance et le recensement fiscal. Finalement, les entretiens qu’ont Modibo Keita et Moktar Ould Daddah, du 15 au 17 Février 1963, à Kayes, règlent le contentieux entre les deux Etats et un traité [5] précise leur frontière : " des résultats que nous pourrons donner en exemple à tous ceux que pourraient opposer des problèmes semblables à ceux qui devaient être discutés entre nous, c'est à dire des contentieux frontaliers … nous avons apporté à l'édifice de l'unité africaine une pierre de taille ". Les 3 et 5 Mars suivant, des négociations  à Nouakchott aboutissent à des accords de commerce, de paiement et de transports routiers et aériens.  Puis, l’élan retombe, il faut attendre le 1er Février 1965 pour convenir de la matérialisation de la frontière, examiner l’application des accords routiers et douaniers du 5 Avril 1963 et surtout un voyage officiel de Moktar Ould Daddah au Mali du 3 au 9 Février 1966, accompagné de Mamadou Samba Boly Ba, Président de l’Assemblée et des deux plus brillants ministres de l’époque, celui du Développement : Elimane Mamadou Kane, et celui des Affaires étrangères et de la Défense : Mohamed Ould Cheikh. Mais entre les deux présidents, la confiance existe depuis leur entrevue, à Néma, du 19 Juin 1965.

Entre le Sénégal et le Mali, à peu près au moment du traité de Kayes, un communiqué conjoint le 1er Février 1963, règle enfin le contentieux de 1960. Le 8 Juin suivant, sont signés à Bamako, des accords sur le commerce, le paiement, les douanes, la reprise du trafic ferroviaire et l'utilisation des ports sénégalais. Puis le 22 Juin, à Kidira, au Mali, les deux chefs d’Etat s’entretiennent après trois ans de brouille. Ils se revoient davantage, deux ans plus tard, du 29 au 31 Mai 1965, à Kayes, selon la dialectique nouvelle que nourrit l’intégration régionale et, enfin, du 4 au 10 Décembre 1965, Léopold Sédar Senghor visite officiellement le Mali.

Entre la Mauritanie et le Sénégal, les relations sont complexes plus sur le plan d’une susceptibilité toujours vive de part et d’autre [6], que sur les plans pratiques. Du 19 au 21 Novembre 1962, une visite officielle de Mamadou Dia, président du Conseil sénégalais, à Nouakchott, apure en principe tous les contentieux et en marge se tient une conférence entre les ministres de la Planification des deux pays, mais un mois après, du 14 au 19 Décembre, crise au Sénégal et fin du dualisme gouvernemental. Censuré par l'Assemblée nationale le 14, Mamadou Dia s'opose à cette dernière et est arrêté le 18 (il sera condamné le 11 Mai 1963 à la détention perpétuelle). Léopold Sedar Senghor, déjà chef de l'Etat devient également le chef du gouvernement, pour assurer son homologue mauritanien, dès le 5 Janvier 1963, de la poursuite des conversations et accords entamés pendant le récent voyage officiel de l’ancien président du conseil. Le 28 Avril 1963, à Dakar, une conférence conclut à " la révision et à l'adaptation des accords passés entre les deux Etats ".

Les 26 et 27 Juillet 1963, à Bamako, les quatre Etats riverains du fleuve Sénégal signent une convention sur l’aménagement du bassin du Sénégal instituant un Comité inter-Etats. Mais dès le 30…Sekou Touré considère que l’adoption de la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine implique la dissolution de tous les groupements régionaux, et son entretien avec Senghor, le 24 Octobre, à Tambacounda, au Sénégal, n’arrange rien : les retrouvailles du 13 au 18 Mai précédents, quand le Guinéen avait visité officiellement le Sénégal, n’ont pas eu de lendemain. Pourtant, réunis du  5 au 8 Février 1964, à Dakar, les experts des quatre Etats riverains du fleuve Sénégal parviennent à régler l’organisation et le fonctionnement du Comité inter-Etats et adoptent même une convention précisant le nouveau statut du Fleuve [7] et élaborée le 20 Décembre précédent à Nouakchott.

L’ambiance politique générale, elle surtout, pèse en effet. Au départ, Sékou Touré admet (14 Juin 1962) que " la réalisation de l'unité africaine peut être atteinte sans qu'il soit tenu compte des régimes intérieurs " des Etats. La tendance, il est vrai, va dans le sens des solutions guinéennes : en voyage officiel dans les pays de l'Est, du 4 au 8 Juin 1962, Mamadou Dia avait déclaré méditer sur le rôle dirigeant du Parti, et c’est surtout Moktar Ould Daddah qui avait placé son voyage officiel en Guinée, du 27 Octobre au 3 Novembre 1963, " sous le signe du Parti" : " les deux chefs d’Etat sont tombés d’accord pour reconnaître que les formes d’action du PDG et du Parti du peuple dans la recherche des solutions aux problèmes posés par la construction de leurs nations étaient les mieux adaptées aux réalités nationales de la Guinée et de la Mauritanie ». On était allé vite depuis la mission de bonne volonté en Mauritanie de l'ambassadeur de Guinée à Dakar, le 11 Juillet 1962, et la remise des lettres de créance, le 15 Août 1963, du premier ambassadeur de Guinée à Nouakchott. Après plusieurs reports de date depuis le printemps, Sekou Touré voyage officiellement en Mauritanie du 16 au 21 Décembre 1964. L’accueillant, Moktar Ould Daddah déclare : « il faut avoir vu le peuple guinéen, il faut l’avoir vu vivre et réagir pour mesurer son degré d’engagement militaire … l’exemple du P.D.G.-R.D.A. nous a beaucoup aidés à trouver les solutions adaptées à nos réalités ». Conclusion du 16 au 20 Avril 1965 : une mission mauritanienne en Guinée, conduite par Yahya Ould Menkouss, signe des accords de coopération : commerciaux, culturels, aériens, judiciaires, agricoles

Les relations économiques étaient compliquées du fait de relations très différentes d’un pays à l’autre avec la France. Le 12 Mai 1962,à Paris, avaient été signés le traité instituant une union monétaire ouest-africaine U.M.O.A., entre le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Niger, le Dahomey et la Haute-Volta, ainsi qu’un accord de coopération monétaire entre la France et les Etats de l'Afrique de l'Ouest,  mais très peu après, le 30 Juin, le Mali décide de créer sa propre monnaie et en conséquence de ne pas participer à l'Union monétaire Ouest-Africaine ; il demeure cependant membre de l'Union douanière des Etats de l'Afrique de l'Ouest [8] et le 5 Août, le ministre malien du Commerce "confirme" l'appartenance du Mali à la zone franc, sans régler les problèmes techniques, liés à la décote de la nouvelle devise. Deux ans plus tard, l’U.M.O.A. interdit l’importation et de négociation de la monnaie malienne.

Une troisième raison dans le retard de l’intégration des pays ayant en commun le bassin du Fleuve a tenu au mouvement d’unification continentale que pouvait, selon certains chefs d’Etat, contrarier la pérennité d’organisations régionales antérieures, ainsi l’Union africaine et malgache U.A.M. vis-à-vis de l’Organisation de l’Unité africaine O.U.A.. Du 6 au 10 Mars 1964, à Dakar, la conférence des Chefs d’Etat de l’U.A.M. s’était tenu en l’absence du Centrafricain et de l’Ivoirien. Il y avait été décidé la transformation de l’U.A.M. en une Union africaine et malgache de coopération économique et Moktar Ould Daddah, avait été élu président de la nouvelle organisation, mais le 29 Avril suivant, à Nouakchott, il était apparu que l’unanimité des Etats membres de l’Union serait nécessaire. Or, la Côte d’Ivoire, le Niger, la Haute-Volta et la République centrafricaine non représentées, n’avaient pas paraphé la nouvelle Charte.  La tâche de Moktar Ould Daddah est quasi-impossible . sans doute, les Chefs d’Etat de l’U.A.M.C.E.décident, sous sa présidence à Nouakchott, du 10 au 12 Février 1965, la constitution de l’Organisation Commune Africaine et Malgache,  l’O.C.A.M. « dans le cadre de l’O.U.A. pour renforcer la coopération et la solidarité entre les Etats africains et malgache », mais tout est reporté à un an, pour adopter le projet des structures de l’organisation et de sa charte. En attendant, Moktar Ould Daddah doit faire fonctionner une institution discutée et sans statut que l’adhésion congolaise sous la signature de Moïse Tshombé, le sécessionniste du Katanga et le tombeur de Dag Hammarsjoeld, secrétaire général des Nations Unies, videra de tout consensus politique. La Mauritanie, quoique présidente, s’en retirera par le fait mais, dès la fondation de l’O.C.A.M., elle a marqué sa préférence pour d’autrres constructions, dont celle des riverains du Fleuve, aux chefs d’Etat moins « faits au moule » que ceux de l’organisation à laquelle tient encore la France

Ce qui facilitera plutôt la réunion des quatre Chefs d’Etat riverains du fleuve Sénégal, à Nouakchott, du 3 au 5 Novembte 1965. Seul, le Sénégal reste dans le système multilatéral hérité de la période colonial. Accueillant ses pairs, Moktar Ould Daddah proclame que « l’indépendance politique est vaine sans une véritable indépendance économique » : « nous devons faire face à un néo-colonialisme fort et organisé  et l’Afrique pourrait être un exemple ». Il est chargé de toutes démarches pour un ensemble ouest-africain où s’inscrira un sous-groupe régional des Etats riverains

Mais l’essentiel du domaine économique reste traité d’Etat à Etat, l’organisation ne règle pas les questions bilatérales. Ainsi du 30 Mars au 1er Avril 1966, les ministres sénégalais et mauritaniens des Finances et du Développement peinent à convenir des relations entre les deux trésors et s’opposent sur le taux des ristournes douanières. Ainsi, les 25 et 26 Avril suivant, les ministres du Développement malien et mauritanien ne traitent que partiellement les problèmes de paiements entre les deux pays, et celui du ravitaillement de l’Est mauritanien – que seul résoudra la construction de la route de l’Espoir, inversant même les relations de dépendance.
La mise en commun – économique et multilatérale – a  cependant été longue à instituer et à approfondir ; des ouvrages d’art décisifs pour l’irrigation de la vallée et l’alimentation en énergie électrique la manifestent aujourd’hui [9], mais l’intégration ne se fait toujours pas. Deux pas furent cependant décisifs, toujours au temps de Moktar Ould Daddah. La transformation du Comité inter-Etats en une organisation des Etats riverains du fleuvve : O.E.R.S. se fit d’accord à quatre, traité signé le 2 Mars 1968 à Labé. La résignation aux absentéismes et aux humeurs querelleuses de la Guinée fut acquise par la signature, sans celle-ci, le  11 Mars 1972, de la convention créant l’Organisation pour la mise valeur du fleuve Sénégal : O.M.V.S. Les objectifs, plus modestes de champ territorial, étaient plus pratiques ; ce sont ceux-là qui ont été à peu près atteints. La structure est très légère : la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement, le conseil des ministres et surtout un haut-commissaire.



Le 17 Février 1989, le roi Hassan II et ses pairs d’Algérie, de Tunisie, de Libye et de Mauritanie signent à Marrakech le traitant instituant une Union du Maghreb arabe. Celle-ci est la seule œuvre institutionnelle, de droti international, à laquelle soient parvenus les régimes autoritaires qui avaient succédé à celui de la fondation, en 1978. Sans doute parce qu’elle correspond au vœu fréquemment exprimé par Moktar Ould Daddah et qu’il fait la symétrie avec toutes les intégrations dont il avait été le zélateur – avec succès – en Afrique occidentale. Une raison impérieuse a forcé la pratique : la relation de chacun des Etats avec l’Union européenne interdit dès cette époque le cavalier seul à chacun. Les désarmements douaniers, les programmes d’aide structurel, les mouvements migratoires font du Maghreb la frontière méridionale de l’Europe et de celle-ci le marché, et aussi un essentiel bassin d’emploi, des Etats d’Afrique du nord. A tel point d’ailleurs que, depuis Novembre 1995 et le début du « processus de Barcelone » de partenariat euro-méditerranéen, l’Egypte cherche à entrer dans l’Union du Maghreb arabe : elle équilibrerait par là son contexte économique obsessivement dominé par le conflit israëlo-palestinien.

Trois jours après les cérémonies de Marrakech, le 20, c’est, à Nouakchott, une « marche de soutien ». Elle est encadrée par les « structures d’éducation de masses » [10] dont c’est l’un des derniers feux. Une motion de soutien est lue devant le président du Comité militaire de salut national, chef de l’Etat : « apport positif sur le plan politique, économique et social pour le peuple mauritanien ». Le colonel Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya est qualifié d’ « artisan actif de cette union auprès de ses pairs du Maghreb ». Il répond que la manifestation constitue « une preuve éclatante de l’adhésion des masses mauritaniennes à la création de l’Union du Maghreb arabe ».

En réalité, le mouvement vers l’Union du Maghreb arabe est alors plus ancien [11] que l’exercice du pouvoir par le colonel Ould Taya. La première ébauche revient à Habib Bourguiba dans la dernière année de son pouvoir et failli se faire par simple extension d’un traité de fraternité et de concorde signé par le Combattant suprême, le 19 Mars 1983 avec le président Chadli. L’entente particulière entre l’Algérie et la Tunisie était censée contribuer à l’édification d’un « grand Maghreb arabe », elle était assortie de deux engagements : ne pas héberger de mouvements d’opposition à des régimes territorialement voisins, respecter l’intégrité territoriale de chacun. La diplomatie mauritanienne – le colonel Ould Haïdalla est alors l’homme fort – part aussitôt aux nouvelles : le colonel Ahmedou Ould Abdallah,  ministre de l’Intérieur va à Alger et Ahmed Ould Minnih, ministre des Affaires étrangères, à Tunis : « la Mauritanie encourage et salue tout rapprochement qui s’opère dans le Maghreb ». Des messages s’échangent ensuite : le 13 Mai, Mahmoud Mestiri, secrétaire d’Etat tunisien est à Nouakchott, porteur d’un message personnel de Bourguiba ; six jours après, le Premier ministre, le colonel Ould Taya… reçoit Abdel Atti Al Obeidi, ministre des Affaires étrangères libyen, tandis qu’Abdel Aziz Ould Ahmed, ministre de la Justice va donner à Alger un message d’Ould Haïdalla. L’ancien collaborateur de Moktar Ould Daddah est reçu par Bourguiba et affirme la disponibilité de la Mauritanie à se joindre au traité de fraternité et de concorde entre Tunisie et Algérie. Malte avait fait la même demande la semaine précédente… mais n’y reviendra pas.  des séjours officiels s’échangent : du 30 Mai au 1er Juin, le président du Comité militaire est à Alger. Les 22 et 23 Juillet, le colonel Khadafi est en Mauritanie ; avec son sens habituel de l’à-propos, il diagnostique que la Mauritanie n’est pas viable sans association avec un autre pays de la région et pour la énième fois propose « une unité progressive par la concertation qui sera institutionnalisée entre les dirigants des deux pays à différents niveaux ». Mohamed Khouna Ould Haïdalla ne lui rend que tardivement la politesse ; du 11 au  13 Octobre, il est à Tripoli. Mais la visite décisive est celle qu’il accomplit de nouveau, le 12 Décembre, à Alger : visite d’amitié et de travail au cours de laquelle se signe par les deux chefs d’Etat une convention de bornage de la frontière commune, et le lendemain, toujours à Alger mais en présence du Premier ministre tunisien Mzali, le président du Comité militaire signe l’adhésion de la Mauritanie au « traité de fraternité et de concorde », puis Ould Haïdalla se rend à Tunis y recueillir la signature d’Habib Bourguiba à la participation mauritanienne. C’est le 14 Décembre 1983, en présence Mohamed Ben Ahmed Abdelghani, le Premier ministre algérien : symétrie protocolaire avec la cérémonie d’Alger, l’avant-veille. On en reste là car le 19, la Tunisie doit annoncer que la Libye a demandé à adhérer au traité tripartite, mais que l’Algérie s’y oppose. Quant au Maroc, il est loin de songer à la même démarche, d’autant que, dans deux mois, la République Islamique de Mauritanie va reconnaître – 27 Février 1984 – la République arabe sahraouie démocratique « pour l’amener à respecter les frontières mauritaniennes ».

Les temps de l’Union du Maghreb arabe n’étaient pas encore arrivés, mais la Mauritanie d’Haïdalla avait d’emblée été un partenaire, avant le Maroc et avant la Libye.

Le 6 Mars 1989, le Comité militaire de salut national ratifie le traité de Marrakech créant l’UMA et le 9 est nommé un secrétaire d’Etat chargé des affaires du Maghreb : Ahmedou Ould Sidi inaugure la fonction. Il était auparavant conseiller à la présidence du Comité militaire et avait été ministre de l’Information, puis ambassadeur à Tripoli. Le portefeuille est devenu pérenne, depuis.
Selon ses textes fondateurs, la structure de l’Union présente tous les organes d’une organisation intégrante : un conseil présidentiel, ayant seul le pouvoir de décision, mais à l’unanimité, qui se réunit une fois par an article 6 – un conseil des ministres des Affaires étrangères articles 8 et 9 – une assemblée consultative, composée de dix représentants par Etat, élus par le parlement national, qui donne des avis sur les résolutions du conseil présidentiel et peut lui adresser des recommandations article 12 – des commissions ministérielles par secteurs sans pouvoir décision – une cour de justice, composée de deux juges par Etat membre, nommés pour six ans article 13 qui n’a été mise en place que lors du conseil présidentiel tenu en Mars 1991 à Ras Lanout en Libye : elle n’a compétence que selon le traité et donc pas pour résoudre les conflits politiques entre les Etats. Lesquels ne manquent pas, à commencer par la question du Sahara anciennement administré par l’Espagne : la République arabe saharouie ne fait donc pas partie, en tant que telle, de l’Union même si le territoire qu’elle revendique pour sien est couvert par le traité, mais au titre du Maroc … ce qu’a dû concéder implicitement l’Algérie.
                                                                   



[1] - Moktar Ould Daddah caractérise ces relations bilatérales dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français), pp. 426 à 431

[2] - le 6 Juin 1962, aux Nations Unies, le représentant permanent Souleymane Ould Cheikh Sidya souligne "la collusion Maroc-Mali" et fait allusion aux populations maures et touareg vivant dans le Nord du Mali dont le "désir de se joindre à la communauté nationale mauritanienne continue à être passé sous silence" – le même jour, à Nouakchott, le président de l'Assemblée nationale et le chef général des Mechdoufs s'entretiennent ; ce dernier rend public son ralliement à la République Islamique de Mauritanie le 9

[3] - la réconciliation malo-mauritanienne est donc scellée par la participation de Youssouf Koita et Ahmed Baba Ould Ahmed Miske au congrès de l'Union soudanaise, du 10 au 12 Septembre 1962. Leur succède les 26 et 27 Septembre, Mohamed el Moktar Marouf, le ministre de la Planification, qui évoque des "rapports de bon voisinage" et le renforcement des liens traditionnels par des  accords généraux : douaniers, commerciaux, de transport. Il est reçu par Modibo Keita qui invite Moktar Ould Daddah à venir en visite au Mali

[4] - le 17 Octobre 1962, l’ancien député de la Mauritanie au Parlement français qui avait en 1956 rallié le Maroc et sa revendication, Horma Ould Babana est prié par le gouvernement malien de transférer ses camps d'entraînement hors du Mali ; ce transfert est effectif le 26

[5] - ratifié par les deux parties les 19 et 20 Juin suivants ; les 9 et 10 Septembre 1963, est inaugurée la liaison aérienne Nouakchott-Bamako
[6] - ainsi ce qu’écrit le 1er Février 1965, Senghor à Moktar Ould Daddah très engagé aux Nations Unies à propos du Congo : « si nous voulons renforcer la coopération mauritano-sénégalaise, il est essentiel que nos politiques étrangères soient fondées sur les mêmes principes »  pour finalement, le 5 Mars donner acte au président de la République Islamique de Mauritanie des « principes d’égalité, de solidarité et de réciprocité » invoqués par ce dernier – en revanche, le président sénégalais sera de marbre pendant les événements de Janvier-Février 1966 en Mauritanie, refusant même en Avril, de recevoir une délégation de Mauritaniens originaires de la vallée du Fleuve souhaitant l’entretenir de la situation en Mauritanie – alors que le 4 Avril 1958, il avait assuré à l’A.F.P. que  “ les noirs de la rive droite du fleuve Sénégal … n’ont été détachés du Sénégal que lors de la constitution du territoire de la Mauritanie et il était entendu que ce détachement ne devait être que provisoire ”

[7] - la même année, le 26 Octobre 1963, les Etats riverains du fleuve Niger adoptent la charte de Niamey organisant la navigation sur le fleuve et la coopération économique dans le bassin (l’acte de Berlin étant abrogé) – de même, le 18 Février 1965, lors de l’indépendance de la Gambie, l’institution d’un comité d’aménagement du fleuve Gambie entre le nouvel Etat et le Sénégal, est contemporaine de la mise en place du comité à quatre pour le fleuve Sénégal

[8] - la décision de Modibo Keïta est peu populaire : le 20 Juillet 1962, notamment à Bamako, manifestations de commerçants après l'instauration du franc malien, alors que dix ans plus tard l’opinion et les opérateurs en Mauritanie soutiendront une décision analogue de Moktar Ould Daddah. Il est vrai que la dialectique est très différente puisque la décision malienne suivait la signature, le 9 Mars 1962, à Bamako des accords de coopération paraphés le 2 Février précédent, auxquels s'étaient ajoutés des accords de coopération économique, monétaire et financière. La Mauritanie au contraire avait d’abord pris ses distances avec l’ancienne métropole 

[9] - l’ensemble des barrages irrigue plus de 400.000 hectares du bassin du fleuve Sénégal; les deux principaux ouvrages sont le barrage-réservoir anti-sel à Diama, réalisé en 1986 et ayant été complété par 100 kilomètres de digue sur la rive droite, achevés en 1991 mais malheureusement sans travaux synchronisés ou préalable, en sorte que faune et flore de l’estuaire ont été très mis à mal – et le barrage hydro-électrique à Manantali  achevé en 1990 : le réservoir de 11 milliards de mètres cubes et la puissance installée de 800 mégawatts

[10] - lancées le 23 Avril 1983, sous Mohamed Khouna Ould Haïdalla, elles devaient permettre la tenue d’instances régionales et départementales en Janvier 1984 ; elles furent maintenues après le 12-12 qu’elles n’empêchèrent pas, elles avaient alors remplacé le « Mouvement national du volontariat », dissous en Décembre 1982 – le lecteur sait que les partis et mouvements politiques furent interdits pendant toute la durée des régimes militaires jusqu’au printemps de 1991

[11] - faudrait-il le dater de la première conférence du Maghreb réunissant des représentants de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie, qui se tint du 11 au 14 Février 1963, à Rabat ? ou d’une réunion des trois chefs d’Etat en marge du deuxième « sommet » de l’Organisation de l’Unité Africaine, le 18 Juillet 1964 ? voire de la conférence, tenue le 29 Avril 1958,  à Tanger, par l’Istiqlal, le Neo-Destour et le F.L.N. qui envisagent ensemble un Maghreb uni à la suite de la décolonisation française

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire