mercredi 16 juillet 2014

chronique d'Ould Kaïge - publié déjà dans le Calame . 5 Mai 2009




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3.5 Mai 1979 & 4 Mai 1989

Le colonel Ahmed Ould Bouceif n’envisage
pas de cession pure et simple du Sahara

La Mauritanie saisit les Nations Unies du conflit ethnique au Sénégal et de ses conséquences à Nouakchott et Nouadhibou





A dix ans d’intervalle, deux ruptures qui déterminent encore l’actualité et le devenir mauritaniens.

Le 5 Mai 1979, se termine une navette du sous-comité de l’Organisation de l’Unité Africaine sur le Sahara : elle a été décidée, le 13 Mars précédent à Nouakchott en réunion au niveau des ministres. Les présidents Obasanjo et Traoré du Nigéria et du Mali, en compagnie de Edem Kodjo, secrétaire général de l’Organisation ont commencé leurs consultations à Nouakchott le 1er, puis se sont rendus à Alger les 3 et 4, et à Fès les 4 et 5 Mai.

La Mauritanie est en réalité le centre du jeu. Elle le doit au Premier ministre, le colonel Ahmed Ould Bouceif, désigné à ce poste nouvellement créé par le Comité militaire, lui-même réorganisé le 6 Avril (Le Calame, 8 Avril 2008 – chronique anniversaire du 6 Avril 1979). La Charte du 11 dispose que c’est lui qui « conduit la politique intérieure et extérieure du pays, conformément aux orientations et aux options du C.M.S.N. ». Dès le 13 Avril, le nouvel « homme fort » a exposé la position mauritanienne dans des termes qui auraient pu être ceux du président Moktar Ould Daddah, ou presque : soutien des résolutions des Nations unies, autodétermination, pas de remise en cause de l’alliance avec le Maroc. Il est prêt à recevoir une délégation algérienne. Réponse dès le lendemain du Polisario : celui-ci fait du retrait des « troupes d’occupation » un préalable à la négociation ». On biaise alors à Nouakchott : le 16, la Mauritanie se déclare prête « en accord avec le Maroc à entamer des pourparlers officiels avec l’Algérie et le Front Polisario pour parvenir à un règlement négocié du conflit du Sahara occidental ».

En fait, au sein du Comité militaire l’accord se fait, le 18, sur un document interne, qui va rester secret : les lieutenant-colonels Ahmed Ould Bouceif et Abdel Kader le signent seuls : la paix au Sahara ne peut être que « globale », pas de cession unilatérale du territoire mauritanien. C’est aussi la position du président du Comité militaire, Mustapaha Ould Mohamed Saleck, qui, avant d’être dépossédé d’une partie du pouvoir qui lui avait été attribué au début du régime militaire, avait, le 21 Mars, écarté trois ministres favorables à la négociation avec le Polisario : le commandant Jiddou Ould Saleck, ministre de l’Intérieur – Sid’Ahmed Ould Bneijara, ministre des Finances – et Mohamed Yehdih Ould Bredeleill ministre de la Fonction publique. Ce sont maintenant eux qui orientent leurs collègues et le pays. Ils préconisent une politique de bon voisinage avec les deux « frères ennemis » que sont l’Algérie et le Maroc. D’ailleurs, pour eux, comme pour la plupart des responsables mauritaniens dans les années 1970, avant ou après le putsch auquel ces deux officiers – significativement – n’ont pas participé, l’autodétermination ne peut que confirmer l’option des Sahraouis pour leurs frères maures. Origine de Kiffa comme Mustapha Ould Mohamed Saleck, Ahmed Ould Bouceif connaît cependant très bien le grand nord : préfet un temps à Bir Moghrein, il a été gouverneur adjoint à Nouadhibou, puis à F’Derick avant d’être quelque temps chef d’état-major. Il revient à Zouerate pour commander en 1997 la 2ème région militaire, la plus malmenée par le Polisarion, mais au moment du putsch, renversant le président Moktar Ould Daddah, il commandait la 5ème à Nema.

Homme complet, il est assurément capable de traiter aussi les questions intérieures, mais il préfère les laisser mûrir : ni les institutions ni les interrogations soulevées par l’arabisation de l’enseignement ni le fonctionnement de l’administration ne sont à l’ordre du jour. La politique extérieure, le Sahara, l’accapare. Tandis que le 24 Avril, le Polisario détruit la station n° 2 du tapis convoyeur de phosphates de Bou Craa, à Nouakchott, le Premier ministre Ahmed Ould Bouceif ouvre le 2ème Conseil des ministres de « l’accord de non agression et d’assistance en matière de défense » (l’A.N.A.D. créé en 1977 à Abidjan) ; l’instance est suivie du conseil des ministres de la C.E.A.O. C’est la politique d’intimité égale entre les voisinages et les problèmes du nord, et ceux du sud. Dès qu’il a reçu, le 1er Mai, les présidents nigerian et malien, Ahmed Ould Boucei, se rend en visite de travail au Maroc, et de là à Paris (2 et 3 Mai) ; il est accompagné du ministre des Affaires étrangères Ahmedou Ould Abdallah. Le 5 Mai, il rentre de Paris via l’Espagne, puis à nouveau Fès : pas de cession pure et simple de la partie mauritanienne du Sahara occidental, au préalable l’auto-détermination. Manifestement, il a le soutien du président Giscard d’Estaing. Et le 7 Mai, un éditorial de Chaab sur le referendum au Sahara fixe la position mauritanienne. Pas pour longtemps, puisque, le 28, après avoir tenté d’atterrir à Dakar-Yoff par tempête de sable, l’avion du Premier ministre – un Buffalo avec quatorze personnes à bord – s’abîme en mer : Ahmed Ould Bouceif venait participer au sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest : Léopold Sédar Senghor, président de la République du Sénégal, et Abdoul Diouf, alors son Premier ministre, l’attendant officiellement, voient passer en rase-motte l’appareil dont le contact est aussitôt perdu. L’ouverture de la conférence est reportée.

C’est un tournant dans l’histoire de la Mauritanie. La rupture du 10 Juillet 1978 pouvait peut-être se réparer en partie. Cette mort accidentelle change tout jusqu’à aujourd’hui. Les premiers à s’en rendre compte sont paradoxalement les militaires, désormais livrés à eux-mêmes sans plus aucune personnalité d’exception. En dépit des apparences, le grand disparu n’avait pas la majorité au Comité militaire de salut national, mais il en imposait, personnellement . Le 5 Août 1979, sera signé à Alger, un accord disposant du Sahara et qui était inimaginable trois mois auparavant.




Le 4 Mai 1989, la République Islamique saisit les Nations Unies. La démarche mauritanienne tend à connaître le sort des quelques 450.000 Mauritaniens vivant au Sénégal. Le 27 Avril, Abdou Diouf les estimés à 500.000. Le conflit né des incidents de  (Le Calame, 8 Avril 2008 – chronique anniversaire du très grave incident du 9 Avril 1989, à Diawara (Bakel) sur le Fleuve & 22 Avril 2008 & Le Calame, 22 Avril 2008 – chronique anniversaire des massacres à Nouakchott et à Nouadhibou, les  24 . 25 Avril 1989 à la suite de ceux perpétrés au Sénégal  ) a dégénéré dramatiquement. Pour les autorités dont l’ambassade à Dakar a été assiégée, l’intervention à la télévision du président sénégalais, Abdou Diouf , le 27 Avril, a été une « regrettable déclaration qui a mis le feu aux poudres ». C’est ce qui a provoqué « un début de manifestations et d’actes de violence limités à Nouakchott et à Nouadhibou qui ont été rapidement maîtrisés suite à l’intervention vigoureuse des forces armées et de sécurité, et à l’instauration d’un couvre-feu respecté ». Pour la partie sénégalaise, la responsabilité de la Mauritanie dans les événements ne fait pas de doute. Il est demandé aux chefs religieux de prier pour les morts sénégalais, que le Financial Times évalue à au moins vingt-deux. Son éditorialiste, Ray Medlock, confirme : “ la bombe à retardement économique et raciale explose », AFP Dakar donne un papier sur « l’irremplaçable ‘Maure du coin’ », en France, L’Humanité titre sur « l’alibi ethnique » (Claude Kroës).
Le 28 Avril, tandis qu’est proclamé l’état d’urgence pour Dakar et sa région – il sera prolongé jusqu’au 19 Mai –, le principal opposant à Abdou Diouf, M° Abdoulaye Wade se dit prêt à se mettre « à la tête d’un comité national de crise » pour régler le problème des Mauritaniens au Sénégal. Selon lui, ce « règlement entrainera automatiquement la détente en Mauritanie » ; il faut « une solution politique au lieu de l’escalade qui s’annonce dangereusement ». On en est à la rupture de fait des relations aériennes : le 29  après-midi, selon AFP Nouakchott – Air-Sénégal se voit refuser atterrissage à Nouakchott en représaille des agressions sénégalaises contre des passagers d’un vol Air-Mauritanie sommé de quitter Dakar alors que l’ensemble des réfugiés n’a pas encore embarqué. Surtout, une foule énorme se masse aux alentours du périmètre de la Foire internationale où se sont réfugiés 20.000 mauritaniens. C’est alors que par téléphone, à la demande d’Abdou Diouf, le président du Comité militaire à Nouakchott, le colonel Maaouyia Ould Sidi Ahmed Taya convient d’un rapatriement des ressortissants respectifs. Le pont aérien ne se met en place qu’avec le concours de l’Espagne, de la France, du Maroc et de l’Algérie : en trois jours, 54.000 rapatriements s’effectuent ainsi, mais dans le plus grand désordre. AFP Nouakchott rapporte que les propos de Mustapha Ould Abeïderrahmane, alors ministre de l’Information : « Il n’y a pas eu de Mauritaniens qui ont été envoyés au Sénégal. Je n’exclus pas que certains rapatriés arrivés à Dakar aient été en possession de papiers mauritaniens, mais je n’en reconnais pas qui aient des papiers en règle. Dans la formation de notre jeune Etat, un certain nombre de papiers ont pu être faits frauduleusement ». Les expulsions sont justifiées en raison de l’attitude des responsables sénégalais. Il est soutenu que des Sénégalais d’origine mauritanienne quittent le Sénégal par peur, tandis que les Mauritaniens d’origine sénégalaise partent sur ordre des autorités de Nouakchott…

Le Monde du mercredi 3 Mai titre – « sauve qui peut au Sahel » : « il apparaît que la riposte des Mauritaniens au pillage des magasins de leurs comaptriotes à Dakar a pris les proportions d’un massacre organisé, avec des atrocités dont le récit ne pouvait que mettre le feu aux poudres au Sénégal ». Au Sénégal, c’est la catastrophe économique : subitement les détaillants mauritaniens ont disparu, ils tenaient 80% du commerce de proximité. En même temps qu’un problème d’approvisionnement quotidien se pose celui d’une organisation parallèle du crédit. Les Libanais non payés se sont servis et sont désormais les seuls débiteurs des industriels. Une journée de deuil est décrétée par Abdou Diouf. Le même jour, AFP Dakar tente une comptabilité macabre : cent cinquante à deux cent morts en Mauritanie et cinquante cinq au Sénégal. Les estimations iront jusqu’à trois cent morts. AFP Dakar finira par admettre (19 Octobre 1995) que le nombre des victimes n’a jamais été précisé, ni de part ni d’autre.

Dans le moment, la confusion est extrême. Le 4, arrive une centaine de Mauritaniens en uniforme de policiers dans la cour du ministère de la Justice sénégalais… précédemment détenus de droit commun en Mauritanie et expulsés.  AFP Dakar cite le cas de 2 à 3000 sénégalais d’origine mauritaninne, qui ne peuvent aller en Mauritanie qui n’est pas leur pays, ni retourner dans les rues de Dakar où leur « apparence mauritanienne » les mettrait en danger. AFP Nouakchott commente le « désarroi des pêcheurs noirs au port fantôme de Nouakchott » et surtout l’incertitude sur le sort des Mauritaniens d’origine sénégalaise : rumeur d’une décision d’expulser les naturalisés depuis 1966.  AFP Abidjan indique que l’Association des juristes africains demande au Sénégal et à la Mauritanie l’arrêt immédiat « des procédures de refoulement systématique prises à l’encontre de leurs propres nationaux du seul fait qu’ils sont originaires de l’autre pays ». Enfin, commencent les premiers procès à Dakar pour actes de vandalisme. Les fêtes religieuses contribuent cependant à l’apaisement. Celle de l’Ascension, pour les chrétiens à Dakar, et surtout dans la nuit du vendredi au samedi 6 Mai, la fin du Ramadan. Le 9, le président du Comité militaire s’adresse aux Mauritaniens : la classe politique sénégalaise interprète le discours « ferme sur le fond, mais assez subtil dans la forme » (selon Libération),comme une ‘tentative de division’. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya accable en effet les autorités de Dakar mais remercie les chefs religieux… AFP Dakar commentant l’agence nationale sénégalaise APS présente ce discours comme une « sortie malheureuse et déplorable… une tentative délibérée de destruction de l’honneur du Sénégal… cette charge de très faible portée n’atteindra personne ». Pourquoi ? parce que la Mauritanie «  a toujours bafoué les droits les plus élémentaires de l’homme et de la dignité humaine » tandis que le Sénégal est « un pays démocratique…la presse y exerce librement, sans entraves, son métiers. Ce qui est impensable en Mauritanie ». Le lendemain s’interrompt le pont aérien. Les expulsions se poursuivent mais par la route. 

Une fracture décisive entre les deux pays est intervenue. Le 21 Août, les relations diplomatiques seront durablement rompues. Elles ne seront rétablies qu’en 1992. La Mauritanie publiera le 4 Novembre un « livre blanc ». La situation intérieure n’en sera pas améliorée et l’amalgame – tentant pour un régime autoritaire – se fera entre les complots supposés des militaires originaires de la Vallée du Fleuve, et les « chasses aux Maures » sur la rive gauche et à Dakar, où est regardé avec bienveillance les Forces de libération africaine de la Mauritanie : F.L.A.M.

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