dimanche 8 juin 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame . 10 Octobre 2007



11 .



15 Octobre 1902 & 16 Octobre 1975

Les commencements français en Mauritanie
Les conclusions de la Cour internationale de justice


Le 15 Octobre 1902, le ministre français des Colonies nomme par arrêté Xavier Coppolani, « délégué du Gouverneur général de l’Afrique occidentale française en pays maures ». On est aujourd’hui tenté de mettre des guillemets à chaque mot… seule, l’acception de « pays maures » a de l’exactitude. Les géographes français depuis deux siècles – G. Delisle, notamment – présentent l’Afrique française ou Sénégal sans en distinguer le Sahara ou désert de Barbarie, le royaume d’Alichandora, « dépendant du Roi du Maroc dont ce prince est parent et qui se dit roi de tous les pays situés entre le Cap Blanc et le Sénégal », et quantité de pays dits maures, le tout couvert par la dénomination de pays des Maures jusqu’au « pays de Tacite ou Tesset, habité par les Maures. Ils campent sous des tentes ». D’ailleurs l’ensemble est sous-titré « campements des Maures ».
Haut-fonctionnaire de l’administration française en Algérie, Xavier Coppolani s’est passionné pour l’étude de l’Islam et est devenu un expert des confréries et de l’organisation sociale en pays musulman. A partir de l’Algérie, dont le Gouverneur général le charge – le 11 Septembre 1898 –   d’une mission d’étude des confréries musulmanes du Soudan occidental, extrême-sud marocain, sud-ouest algérien et de leur rapport avec la politique française soudano-algérienne. C’est lui qui inspire la     décision « tendant à l’étude d’une organisation plus rationelle des pays maures situés au nord du Sénégal et à l’examen plus approfondi des questions se rattachant à l’Islam » : un projet de protectorat dont Xavier Coppolani assurerait la direction en prenant le titre de résident. Mais dix-huit mois plus tard, il est rendu compte au ministre – le 12 Mai 1900 – que « des circonstances indépendantes de sa volonté n’ont pas permis à M. Coppolani de se rendre au Sénégal pour procéder sur place à la nouvelle organisation des contrées dont il s’agit ». Le rapport d’ensemble de Xavier Coppolani au ministre des Colonies sur l’organisation des pays maures lui parvient le 12 Mai 1901, presqu’aussitôt suivi d’un autre – le 17 Septembre 1901 – sur l’organisation du service des affaires musulmanes et sahariennes. Après discussions en en commission interministérielle du nord-ouest africain, le 14 Octobre 1901, les décisions sont prises : 9 Janvier 1902, lettre du Président du Conseil (René Waldeck-Rousseau, une des plus belles figures de l’histoire républicaine française, le père aussi de la loi de 1901 sur les associations qu’a calquée la Mauritanienne par sa loi de 1964).

On est donc passé d’une investigation personnelle et d’un intérêt des autorités françaises en Algérie à une enquête sur le Sahara, du point de vue des populations. Les visées économiques ou les considérations stratégiques sont secondes. La vue d’ensemble est nord-sud. Le Maroc n’est pas encore abordé, la pénétration du Sahara occidental par le Sénégal ne fait pas dépendre l’analyse des pays maures des intérêts saint-louisiens. Bien avant les négociations internationales – en fait, franco-allemandes – qui aboutirent au protectorat sur le Maroc en 1912 et empêchèrent de fait le renversement de la dynastie alaouite par les Regueibats qui portèrent alors le « sultan bleu » jusqu’à Marrakech où la prière fut récitée en son nom pendant quinze jours ou trois semaines (spectaculaire redite de l’épopée almoravide à l’époque contemporaine), la France a dû s’accorder – ce qui va décider l’avenir pour longtemps et cet avenir dure toujours – avec l’Espagne. Les circonstances de cet accord et l’origine des prétentions de Madrid sur des espaces qu’elle n’occuperait cependant pas avant une période proche des indépendances de l’Afrique française (ceci expliquant peut-être cela…) sont encore peu étudiées [1]. Elles pourraient faire comprendre beaucoup. Comme plus tard avec l’Allemagne de Guillaume II, la convention du 27 Juin 1900, entre la France et l’Espagne pour la fixation de la frontière dans les territoires contestés des régions voisines du Cap Blanc et dans la partie septentrionale du Congo français, opère une jonction artificielle entre deux régions du continent, manifesté privé de de toute expression de ses réalités historiques et sociologiques.

Terra nullius… ce sera l’interrogation portée devant la Cour internationale de justice par le Maroc et la Mauritanie. L’initiative est lmarocaine, mais aussitôt la déclaration d’Ahmed Laraki faite aux Nations Unies, la Mauritanie a accepté la procédure (21 Octobre 1974), tout en spécifiant qu’un referendum doit se tenir, sous le contrôle des Nations unies et en consultation avec les parties intéressées. Le président Moktar Ould Daddah le confirme le 16 Novembre suivant. A l’époque où il n’est publiquement pas question de partage – au point que Moktar Ould Daddah a pu répondre à Jeune Afrique tout en ignorer – le Font Polisario ne rejette de revendication sur le Sahara que celle exprimée par le Maroc. D’ailleurs tant que Rabat a maintenu sa prétention sur la Mauritanie, il a été aisé pour Nouakchott de montrer qu’en réclamant autant le Sahara sous administration espagnole que la Mauritanie ex-française, le Maroc considérait bien l’appartenane commune à un même ensemble de ces deux territoires administrativement distingués. C’est ce dont avait pris acte, devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le 17 Décembre 1965 Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, représentant permanent de la Mauritanie, plus tard «  passé » au Polisario. Prenant la parole devant l’émir de l’Adrar – dont l’ancêtre Mohamed Ould Aïda a précisément conclu avec l’Espagne le traité de protectorat de 1384 sur le Sahara occidental -, Moktar Ould Daddah, à peine à la tête du pays, avait défini le 1er Juillet 1957 le « Trab el Beïdane », c’est à dire la Mauritanie, comme englobant « les populations maures du Sahara espagnol et des confins marocains ». Devenu indépendant, le gouvernement mauritanien avait marqué nettement qu’il ne reconnaît pas la situation coloniale en refusant le 3 février 1968 de ratifier un accord frontalier conclu le 16 janvier précédent à Nouadhibou. Ce qu’explique le ministre des Affaires étrangères, Hamdi Ould Mouknass, à son homologue espagnol le 20 août 1968 : « la Mauritanie évitera tout acte qui hypothèquerait sa volonté de voir le plus rapidement possible l’unité du pays réalisée ».

C’est dans ces circonstances et selon des projets très éloignés du point de vue des responsables de la colonie française du Sénégal, que – le 5 Mars 1902      – le Gouverneur général de l’Afrique occidentale française écrit au ministre des Colonies sur les troubles survenus chez les Trarzas. A quoi répond – le 21 Mars 1902 – W aldeck-Rousseau, président du Conseil au ministre des Colonies sur le projet d’unification du nord-ouest africain. Le lien se fait – dans une ambiance et selon des données faites à Paris et à Alger par Xavier Coppolani – entre une pacification sécurisant Saint-Louis et la rive droite du fleuve Sénégal et une « politique musulmane » à suivre à l’extérieur des possessions françaises de religion islamique (panislamisme) – le 30 Septembre 1902, rapport transmis par le président du Conseil au ministre des Colonies qui de son côté l’a anticipé, le 3 Septembre 1902, par une circulaire aux Gouverneurs généraux au sujet de la politique à suivre à l’égard des sujets musulmans. En fait, Xavier Coppolani, à son incontestable capacité d’enquête et d’exposé scientifique, joint un exceptionnel talent de négociateur, ou plutôt d’entrée en relations avec les personnalités ou les groupes dont dépend la réalisation de ses propositions. Ce talent est démontré en Mauritanie où pas un coup de feu n’aura été tiré jusqu’à celui qui lui sera fatal. Il en impose aussi bien à René Waldeck-Rousseau en personne, qu’au gouverneur général Roume à Dakar. Résultat : le 15 Octobre 1902, arrêté de Gaston Doumergue, ministre des Colonies (il sera président de la République française de 1924 à 1931, puis chef d’un gouvernement d’union national après la tragique journée du 6 Février 1934, place de la Concorde, à Paris). Xavier Coppolani, est délégué du Gouverneur général en pays maures. Ce qui permet de définir aussi – le 28 Octobre 1902 – l’action française dans le Maghreb (note du Président du Conseil au ministre des Colonies : le fait de cette correspondance entre le chef du gouvernement français et le ministre des Colonies sur ce qui va encadrer politiquement la « pénétration française » en Mauritanie, démontre que la question a été traitée mûrement et au plus niveau de l’époque, ce n’était pas courant).
Mais la mission de Xavier Coppolani commence de rencontrer ses traverses, elles sont françaises et administratives. Le projet n’est désormais plus septentrional, il va trouver un autre centre de gravité et un autre point de départ. Le 18 Novembre 1902, instruction du ministre des Colonies au Gouverneur général de l’A.O.F. d’abandonner le projet d’occupation d’un poste dans le sud de l’Adrar oriental. Mais il faut bien occuper le délégué du Gouverneur général : le 10 Décembre 1902, Xavier Coppolani est chargé d’étudier les bases d’une organisation des populations maures situées sur la rive droite du Bas-Sénégal (ce dont rend compte, le lendemain, une lettre du Gouverneur général de l’A.O.F. au ministre des Colonies : envoi d’une mission chez les Maures Trarza). Tandis que les préparatifs pour une mission d’étude de faisabilité de la jonction Niger-Touat (23 Décembre 1902 & 8 Janvier 1903, instruction du Président du Conseil au Gouverneur général de l’Algérie) sont contre-demandés le 17 Février 1903.

C’est donc des « pays maures » seulement qu’il va désormais et pour une dizaine d’années s’agir.  Le 12 Mai 1903, par arrêté du Gouverneur général Roume : les « pays maures du Bas-Sénégal » sont placés sous protectorat et dirigés par un délégué, assisté de fonctionnaires civils et militaires mis à sa disposition.

C’est le 16 Octobre 1975, qu’à La Haye, la Cour internationale de justice rend son avis consultatif : trois points.
1° le Sahara occidental n’était pas un territoire sans maître au moment de sa colonisation par l’Espagne ;
2° il avait des liens avec le Maroc (14 contre 2 opinions)  avec l’ensemble mauritanien (15 contre 1 seule opinion)
3° « les éléments et renseignements portés à la connaissance de la Cour montrent l’existence au moment de la colonisation par l’Espagne de liens juridiques d’allégeance avec le Sultan du Maroc  et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental. Ils montrent également  l’existence de droits, y compris certains droits relatifs à la terre, qui constituent des liens juridiques avcec l’ensemble mauritanien  au sens où la Cour l’entend, et les tribus du Sahara occidental. En revanche, la Cour conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale ».

La portée de l’avis, qui n’est que consultatif, est double. Le point de vue mauritanien, non seulement, a été exposé et reçu sur un pied d‘égalité avec celui du Maroc : qui l’eût pensé en 1957-1960 quand Rabat prolongeait ses prétentions territoriales jusqu’à Saint-Louis ? pourtant il a davantage convaincu que l’exposé de celui du Maroc. Mais cet avis permet aussi que les Nations Unies, le recevant, adoptent parallèlement deux résolutions, l’une avalisant l’accord tripartite de Madrid, sur lequel Moktar Ould Daddah pourra à raison appuyer la Mauritanie dans son entreprise de réunification partielle, l’autre donnant matière à contestation de ceux que va soutenir l’Algérie de Houari Boumedienne.

Le jour-même où est rendu l’avis, Madrid rend publique son invitation au Maroc, à l’Algérie et à la Mauritanie d’une conférence quadripartite sur le Sahara,  ce qui peut ajouter à l’ambiguité.

La thèse mauritanienne ne se présente pas ainsi. Elle a été formellement exposée devant la Cour, le 3 Juillet 1975, par le représentant permanent de la Mauritanie auprès de l’Organisation des Nations Unies, Moulaye El Hassan. Elle a, en fait, été documentée et rédigée par Mohamed Ould Maouloud Ould Daddah avec une telle maîtrise scientifique, documentaire et dialectique que le Doyen Georges Vedel, qui avait suivi par ailleurs les études en France puis la politique de Moktar Ould Daddah, mais conseillait la délégation marocaine dans l’affaire, rendit les armes… L’exposé mauritanien, par élégance et selon ce qu’a quasiment « extorqué » Moktar Ould Daddah au roi Hassan II, «  se félicite que le Maroc ne conteste pas que le sud du Sahara occidental fait partie de l’ensemble mauritanien », mais il ajoute aussitôt que, bien plus au nord, «  la référence à l’oued Seguya El Hamara ne saurait être interprêtée comme une frontière, mais bien comme une limite naturelle des zones de nomadisation des tribus relevant de l’ensemble mauritanien », ce qui crève les yeux au sol et vu d’avion. Aussi, « la Cour n’est pas appelée à statuer sur une quelconque contestation territoriale ». Reste à établir la cohérence entre la politique traditionnelle de la Mauritanie depuis et ce qui va apparaître un partage, mal vêcu d’ailleurs par une part de l’opinion tant au Maroc qu’en Mauritanie : pourquoi pas le tout à nous ? et aussi par quelques-autres mais rares : pourquoi pas une indépendance, contenue en germe par une auto-détermination dont ls modalités ne sont cependant, à l’époque, approchées par personne… « Le Gouvernement mauritanien a accepté certes le principe de l’auto-détermination, mais il ne s’est jamais départi pour autant de sa position fondamentale, à savoir que le Sahara sous administration espagnole fait partie intégrante de la Maritanie ».

C’est la conclusion d’efforts continus (et habiles) [2]. Rappelant chaque fois que Rabat fonde sa prétention sur le caractère mauritanien du Sahara dit espagnol, les représentants successifs de Nouakchott aux Nations-Unies sont d’abord parvenus en 1963, 1964 et 1965 à faire repousser tout texte mentionnant à un titre quelconque le Maroc dans la question saharienne. Deye Ould Sidi Baba, « trransfuge » de 1958, bornait en réponse ses efforts à maintenir liées les questions d’Ifni et du Sahara sans jamais ouvrir de débat sur le point de connaître l’identité exacte des populations. Seule donc à démontrer ce que sont effectivement les populations sahariennes et à inviter le Comité de décolonisation, à dépêcher quelques-uns de ses membres  pour juger de ces arguments sur le terrain, la Mauritanie était parvenue, le 21 novembre 1965 à faire prendre note par le Comité des 24 de la nécessité pour la puissance administrante de procéder en consultation avec elle. Ce qu’avaient confirmé les résolutions de l’Assemblée générale des Nations-Unies 2229 du 20 décembre 1966, 2354 du 19 décembre 1967, du 19 décembre 1968, 2591 du 26 décembre 1969 et 2711 du 14 décembre 1970. De revendiquée, la Mauritanie est devenue partie prenante à ce qui la concerne et ses droits sont reconnus.

Marchant inlassablement vers le nord, Xavier Coppolani avait, soixante-dix ans auparavant, déjà reconnu cette réalité. La Mauritanie s’est constituée du sud et de l’est vers le nord. 


[1] - Le comptoir espagnol de Santa Cruz, installé au lieu-dit Puerto Cansado et rasé par les Maures en 1524, se trouvait probablement en effet au sud de Draa.

Les recherches des commissions hispano-marocaines poursuivies jusqu’en 1878 pour localiser les vestiges de l’ancien établissement n’aboutirent pas pour la raison très simple que les alentours de l’oued Draa ayant plu aux Espagnols, ces derniers prétendirent que Santa Cruz y avait été primitivement établi et que les autorités marocaines n’exerçant effectivement aucune souveraineté plus au sud se rallièrent à cette interprétation. Ainsi fut fondé Sidi Ifni, dont le minuscule Territoire reçut précisément pour limite méridionale, celle-là même de l’empire  chérifien : l’oued Noun ; ainsi naquit également l’intérêt espagnol pour la rive occidentale de l’Afrique que l’on avait tenté de reconnaître au sud des rivières Noun et Draa .

Un ordre royal du 26 décembre 1884 complété par un décret gouvernemental de juillet 1885 institua le protectorat espagnol sur la région comprise entre les 20 et 27° parallèles. Des querelles et des négociations avec la France – dont des édits royaux de 1681, 1685 et 1696 avaient explicitement concédé à la Compagnie du Sénégal le littoral de l’embouchure du Fleuve au cap Blanc – aboutirent quinze et vingt ans plus tard – quand la France commençait d’organiser le « protectorat des pays maures » - aux accords du 27 juin 1900 et du 3 octobre 1904 déterminant la zone espagnole au Sahara occidental du Cap Blanc à Ifni. Le protectorat français établi au Maroc, un traité du 27 novembre 1912 modifia la frontière septentrionale de ce Sahara espagnol la faisant descendre de l’oued Noun à l’oued Draa et isolant ainsi Ifni à qui était reconnu le statut de « préside ». Le Sahara espagnol, divisé en deux circonscriptions administratives : Tarfaya au nord du 27°30’, le Rio de Oro au sud, n’est effectivement occupé qu’à partir de 1934 – précisément à l’époque où les Français occupent Tindouf et organisent par l’instruction du 10 avril 1934 le commandement des « confins ». Tandis que la France rassemble, l’Espagne distingue : le décret du 29 août 1934 sépare l’administration du Sahara de celle d’Ifni et le décret du 20 juillet 1946 détache la région de Tarfaya ou Tekna du reste du Sahara pour en faire un « Maroc méridional » improprement nommé et cédé au Maroc par le traité de Cintra du 1° avril 1958, deux ans après qu’ait été reconnue son indépendance et le Rif rendu à sa souveraineté. Quant au Sahara et à Ifni, le décret du 10 janvier 1958 les érige en « provinces » relevant désormais administrativement de la présidence du Gouvernement à Madrid et militairement du capitaine général des Canaries.
[2] - Moktar Ould Daddah l’explique dans ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français), pp. 654 et ss.

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