jeudi 29 mai 2014

chronique d'Ould Kaïge - déjà publié par Le Calame - 29 Août 2007



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24 Août 1940 & 24 Août 1991

Deux commencements ou deux contre-sens ?



Le 24 Août 1940, massacre des Tenouadji par les « hamallistes » : la répression est immédiate (30 condamnations à mort dont les fils de Cheikh Hamallah et 500 internements).

Le 24 Août 1991, le Rassemblement pour la démocratie et l’union nationale (RDUN) est autorisé officiellement. C’est le premier parti à être autorisé depuis l’interdiction générale en 1978 de tout mouvement politique. Il est dirigé par Ahmed Ould Sidi Baba, le maire d’Atar, ancien ministre de Moktar Ould Daddah, cousin de son contribule, le président du Comité militaire de salut national (le colonel Maaouya Ould Sid Ahmed Taya) et chef reconnu des Smacides.

Ces deux événements ont en commun d’être à l’origine d’une série de faux sens ou de contre sens sur l’histoire de la Mauritanie contemporaine. Celui de 1991 sur un retour du pays à la démocratie, celui de 1940 sur la réalité de l’emprise de l’administration française.

La Constitution adoptée par referendum le 12 Juillet 1991 (et promulguée, le 20, par ordonnance du Comité militaire de salut national CMSN) prévoyait que dans les deux mois serait promulguée la législation sur les partis politiques et sur la presse, en prévision d’élections présidentielle et parlementaires. La nouvelle loi fondamentale, sans référence aux Constitutions du 22 Mars 1959 et 20 Mai 1961 (et qui a été, depuis, amendée par le referendum du 5 Juin 2006), garantit la « liberté d’association, de conscience et d’expression »). Mais alors que l’opposition au régime militaire, établi le 10 Juillet 1978 par le renversement du président fondateur Moktar Ould Daddah, souhaite que les formes du changement en Mauritanie soient débattues consensuellement (ainsi qu’elles le seront lors des journées des 25-29 Octobre 2005 inaugurant la transition démocratique), le système autoritaire préfère procéder seul. Le Front démocratique uni des forces du changement FDUC, regroupant six mouvements, ne sera donc jamais reconnu en tant que tel. Quelques-uns de ses dirigeants (Hadrami Ould Khattri et Ahmadou Mamadou Diop, anciens ministres de Moktar Ould Daddah, Mustapha Ould Badreddine du MND, les jeunes « démocrates indépendants » : Bechir el-Hassen et Dah Ould Yassa) sont d’ailleurs arrêtés le 6 Juin 1991, puis assignés à résidence l’avant-veille du jour où le Comité publie le projet de Constitution censé acheminer le pays vers l’état de droit… l’amnistie n’est promulguée que le 29 Juillet, la participation au referendum n’a été que de 8,02 à 23,08 % selon les régions - seules les régions désertiques ne comptant que 5% de la population, ont vraiment participé : Adrar 86,07 %, Tiris Zemmour 69,13%, Inchiri 92,52%. Les chiffres officiels n’en rendent pas compte : 85,34% de participation et 97,94% oui.

 C’est dans ce contexte que le 25 Juillet, le Comité militaire a adopté les deux lois promises sur les partis politiques et sur la presse.

L’autorisation du mouvement fondé par le maire d’Atar sera suivie de cinq autres, dont – le 28 Septembre 1991 – l’ Union populaire socialiste et démocratique, dirigé par Mohamed Mahmoud Ould Mah, économiste, ancien maire de Nouakchott et SG de l’Union des économistes maghrébins, et surtout – le 2 Octobre 1991 – l’Union des forces démocratiques (UFD), qui compte quatre anciens ministres. Présidé par Hadrami Ould Khattri, qui a compté sous Moktar Ould Daddah, il a comme secrétaire général le très médiatique fondateur de El Hor, Messaoud Ould Boulkheir, qui – lui – a été ministre de Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya. Deux coordinateurs : Mohameden Ould Babah  et Amadou Mamadou Diop, manifestent l’entente de toutes les composantes mauritaniennes. L’UFD est en fait la réapparition du Front démocratique.

Le Parti républicain démocratique et social PRDS, dirigé par l’ancien ministre Cheikh Sid’Ahmed Ould Baba présidant, avec le titre de « coordinateur » une commission de 16 membres – revendique jusqu’à 500.000 adhérents à l’automne de 1991. On y soutient la candidature du président du Comité militaire : « parti du pouvoir, des grosses fortunes, de l’administration mais aussi de la Mauritanie profonde, le PRDS rassemble une impressionnantes collection d’atouts. Il est le seul à diposer directement d’un journal Al Joumhouriya … » (Jeune Afrique 19 Novembre 1991). Le RDUN d’Ahmed Ould Sidi Baba n’est pas fait pour gêner ce nouveau parti ; il lui a ouvert la voie, et se prononce contre toute conférence nationale en Mauritanie (la procédure qui ailleurs a, depuis le discours prononcé par François Mitterrand, le président de la République française à La Baule, le 19 Juin 1990, devant ses pairs africains, provoqué de véritables changements dans le sens de la démocratie). Il est également hostile à toute commission d’enquête indépendante sur les « négro-africains » exécutés en Décembre 1990. Enfin, il annonce ne pas  présenter de candidat à la prochaine élection présidentielle.

La façade démocratique est cependant organisée : pluripartisme légal et vivant pour la première fois en Mauritanie depuis plus de vingt-cinq ans [1]. Toute la question est de vérifier si les élections seront sincères. L’ajout – d’autorité – au texte adopté par referendum d’un article 104 qui n’y figurait pas et qui maintient les lois d’exception, peut en effet faire douter de la sincérité du régime militaire.

Le 7 Octobre 1991, le CMSN promulgue la nouvelle loi organique pour les élections, mais sans donner de date pour la tenue de celles-ci. Pour les présidentielles, notamment, tout candidat doit être présenté au moins 30 des 208 maires ou 400 conseillers municipaux. Or, 200 de ces 208 maires ont adhéré au PRDS. La manœuvre est si évidente que, le 14 Octobre, le pouvoir recule. Le secrétaire permanent du CMSN, le lieutenant-colonel Mohamed Lemine Ould Ndiayane indique que les candidats à l’élection présidentielle n’auront à justifier de la signature que de 50 conseillers municipaux, dont 1/5ème au maximum provenant de la même région. L’UFD enregistre « favorablement », mais réclame un gouvernement de transition pour que se fassent en toute indépenndance du régime militaire la concertation politique préalable entre partis, la révision des textes électoraux et des listes et que soit, consensuellement, fixé l’échéancier des scrutins. L’opposition demande aussi la dissolution des conseils municipaux et des « structures d’éducation de masse » mises en place par le système militaire pour combler le vide laissé par l’interdiction du Parti du peuple mauritanien lors du coup du 10 Juillet 1978. L’ouverture des médias publics aux partis sur une base égalitaire est exigée. Il s’agit de « baliser ensemble le chemin susceptible de garantir une transition démocratique sereine et transparente ». Les prodromes sont déjà discutables, la suite va montrer la nature du régime censément nouveau, car le referendum de l’été de 1991 ne peut – par lui-même, d’autant que les résultats en sont contestés – faire oublier la succession des sanglants événements qui de l’automne 1986 à l’automne 1990 ont endeuillé le pays, sans compter le drame du printemps de 1989, ni les premières « émeutes du pain », à Nouadhibou le 2 Juin.   

En 1940, la coincidence entre le désastre subi par la métropole française et les événements de l’est mauritanien, peut faire croire à une manifestation nationaliste. C’est certainement ce qu’ont craint – alors – les aurorités coloniales. Le « hamallisme », du nom de sa figure emblématique, le Chérif Hamallah, n’est pas encore complètement élucidé faute qu’une recherche indépendante ait été possible avant l’indépendance et parce qu’ensuite l’attention éventuelle des chercheurs a été requise par une actualité à rebondissements. [2] Une conséquence indiscutable et bénéfique a été, pour ces raisons de maintien de l’ordre, le rattachement du Hodh que Bamako on comprenait et contrôlait moins bien que de … Saint-Louis, près de quatre ans plus tard.

Je préfère donc à ce stade laisser s’exprimer le colonisateur, dans son « rapport politique annuel », celui de 1940 donc.

A partir du mois de mai, l’élément européen lui-même, qui, à quelques exceptions près, n’est composé dans la Colonie que de militaires ou de fonctionnaires ne put suivre qu’avec quelque peine les opérations qui allaient se dérouler sur un rythme accéléré. L’annonce de l’Armistice le surprit avant qu’il ait eu le temps de réaliser l’étendue et l’importance de nos défaites successives. Pendant plusieurs semaines, nos postes de radio furent muets, les journaux et périodiques ne parvinrent plus. La propagande étrangère put répandre en toute liberté et sans crainte d’être démentie les informations les plus propres à jeter le trouble dans l’esprit des français éloignés de la métropole. Ceux de la Mauritanie malgré leur anxiété et de douloureux débats de conscience firent preuve de discipline. L’arrivée au pouvoir du Maréchal PETAIN, au moment où tout semblait manquer à notre malheureux pays fut un grand soulagement et permit un premier espoir dans le relèvement de la France.
La suspension des hostilités coïncide avec l’époque où à la suite des premières pluies, les autochtones commencent à se disperser à la recherche des pâturages verts et à ensemencer les terrains de culture. De leur côté, les Européens, encore abattus par notre défaite, et mal renseignés, évitèrent à ce moment d’aborder avec les indigènes la question de la fin de la lutte avec l’Allemagne.
Ce n’est guère que dans le courant de Juillet que la situation de la Métropole commença à être connue en milieu indigène. Les nomades, en commentant les nouvelles de l’invasion et de l’occupation de la France, évoquèrent les images d’un razzi de grande envergure. Le vainqueur, disait-on, avait le trésor de l’Etat, enlevé les femmes, s’était emparé de tous les biens pour les envoyer en Allemagne. Le brusque changement d’attitude de l’Angleterre à notre égard, les évènements de Mers-El-Kébir déconcertèrent nos gens.
Cependant rien ne changeait dans la vie de la Colonie. Aucun mouvement n’avait eu lieu dans les garnisons du Nord, sinon pour les renforcer en vue de parer à une attaque possible venant du Rio. Aussi la plus grande partie de la population demeura-t-elle sans inquiétude trop vive.
Il serait vain cependant de nier l’atteinte grave portée à notre prestige par la défaite. La propagande nécessaire que nous avions menée avant l’Armistice et par laquelle nous affirmions la force de nos armes et la certitude de notre victoire se retournait contre nous. A cela venaient s’ajouter les difficultés matérielles qui, pour des esprits encore fermés à la complexité des problèmes internationaux et économiques, pouvaient passer pour le signe d’une ruine plus ou moins complète de notre pays.
D’autre part, si nous avions apporté à la masse des originaires de nos colonies la paix intérieure, une justice plus exacte, des améliorations certaines dans l’ordre social et économique, nous avions dû, surtout en Mauritanie, lutter contre les abus de pouvoir de certains chefs et de certaines castes privilégiées. Il était humain que ceux qui pouvaient jadis imposer leur volonté sans contrôle éprouvassent quelque regret des temps passés et fussent tentés de les faire revivre au besoin par la violence, comptant sur notre impuissance à maintenir notre autorité, d’autres parmi nos administrés pouvaient être incités par notre défaite et les commentaires tendancieux dont elle était l’objet, à croire qu’il leur était permis sans avoir rien à craindre de notre part d’assouvir librement leurs haines et leurs rancunes.
En effet, alors que dans le reste de la Colonie, seuls quelques isolés se permettaient d’émettre des doutes sur notre maintien dans le pays, de graves évènements se préparaient à la limite orientale de la Mauritanie et dans la zone limitrophe du Soudan. Cette dernière région est le centre de la voie Tidjania réformée dont le chef est Cheikh Hamallah qui réside habituellement à Nioro depuis plusieurs années, celui-ci et ses disciples sont en violent conflit avec leurs coreligionnaires de la voie quadria et de la voie tidjania orthodoxe il apparaît que dès la fin de Juillet, les fils du Cheikh et peut-être le Cheikh lui-même, ont cru le moment venu de s’imposer par la force, en s’attaquant d’abord à leurs vieux ennemis les Tenouadjiou dans le courant du mois d’Août, ils firent répandre chez leurs fidèles le bruit du remplacement prochain en A.O.F. des autorités françaises par les autorités allemandes et, comptant sur notre carence, déclarèrent l’occasion favorable pour les tribus de régler leurs comptes. L’attaque contre les campements Tenouadjiou fut déclenchée à la fin d’Août le récit des évènements est donné par ailleurs. Une action prompte et énergique permit de circonscrire et d’arrêter le mouvement. Les hamallistes des autres cercles mauritaniens : Tagant, Adrar, Guidimaka et Gorgol, surveillés, ne bougèrent pas.
En dehors même de la zone frontière soudano-maritanienne, la population apprit à la fois le mouvement et son échec. Les Hamallistes furent sévèrement jugés par les autres musulmans, l’arrestation des principaux meneurs favorablement commentée. Mais les fidèles du Cheikh de Nioro n’en sont pas à leur première affaire : ils ont suscité dans un passé peu éloigné des désordres plus ou moins sérieux au Soudan, puis à Kaédi. Les sanctions sont attendues avec curiosité dans toute la Colonie, avec anxiété dans l’Assaba. Leur insuffisance, l’impunité laissées à certains chefs du mouvement ne manqueraient pas de susciter des commentaires fâcheux et de faire taxer notre mansuétude de faiblesse. De nouveaux désordres seraient à craindre. L’emprise de Cheikh Hamallah sur ses fidèles est telle que ceux-ci peuvent n’avoir pas perdu encore tout espoir de reprendre leur action. Quant à leurs adversaires, il est nécessaire tout à la fois de les rassurer et de leur ôter tout prétexte de revanche.


[1] - au total six partis sont, à l’époque, autorisés : Rassemblement pour la Démocratie et l’Unité nationale RDUN ; Parti Républicain Démocratique et Social PRDS ; Parti Mauritanien du Renouveau PMR ;Union Populaire Socialiste et Démocratique UPSD ; Union des Forces Démocratiques UFD ; Parti pour la Justice Démocratique PJD

[2] - Moktar Ould Daddah, dans ses ses mémoires (La Mauritanie contre vents et marées Karthala . Octobre 2003 . 669 pages – disponible en arabe et en français) l’évoque p. 259 et fait référence à la thèse de Alioune Traoré, un compatriote

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