mercredi 9 octobre 2013

réflexions sur le moment mauritanien



La Mauritanie : regards sur elle et mode d’emploi,

pour les siens et pour les autres

 

 

 

J’ai connu la Mauritanie dès la seconde étape de sa période fondatrice (après la première étape de l’indépendance et de l’institutionnalisation du parti unique, celle de la mise en pratique de ces deux acquis) y ayant séjourné comme coopérant du service national français à la future Ecole nationale d’administration de Nouakchott en 19965-1966, puis comme stagiaire de l’E.N.A. française à Miferma à l’automne de 1967. J’ai vécu la troisième, celle de la recherche du consensus pour une nouvelle génération : œuvre marquée par la personnalité patiente et séduisante du Président à partir de 1968, m’invitant très fréquemment à me mettre à jour dans la capitale et à le suivre en tournées dans tout le pays. De 1975 à 1978, commençant une carrière diplomatique française à l’étranger, je ne suis pas revenu en Mauritanie et n’ai donc aucune sensation ni souvenir dialogué de cette période pendant laquelle la fondation s’est détraquée puis a été inopinément détruite. De 1978 à 2001, je n’ai su de la Mauritanie que ce que m’en apprenait Moktar Ould Daddah avec lequel je n’ai pas cessé de m’entretenir, parfois plusieurs jours d’affilée, mais au moins une fois par an. Revenant au pays pour accompagner mon éminent ami, sa femme et l’aîné de ses fils en fin d’exil, j’ai interrogé de cette année-là à 2006, en séjournant fréquemment et chaque fois plusieurs semaines, les personnalités de la première époque tout en contribuant à la relecture des mémoires du Président, dont le premier jet manuscrit a constitué les quatre-cinquièmes du livre finalement mis au point par lui avec son épouse et moi. Je ne suis plus revenu en Mauritanie depuis, j’ai entamé une collaboration bimensuelle puis quasi-hebdomadaire avec Le Calame (www.lecalame.info directeur Ahmed Ould Cheikh), d’abord consacrée à la mémoire nationale pensant pouvoir, en l’écrivant pour ce qui m’est accessible en documentation et en langue, y contribuer et la répandre. Le putsch de 2008 m’a surpris au moment où allait s’organiser une relation de travail avec l’ancien ministre de Moktar Ould Daddah, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, élu l’année précédente contre un ami de plus longue date, demi-frère du fondateur, Ahmed Ould Daddah. Avec celui-ci, j’avais commencé d’agir en politique intérieure puisque je l’accompagnais dans ses démarches de contestation du régime de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya à Paris et à Bruxelles. J’ai alors tenté de maintenir les autorités françaises dans leur condamnation du coup militaire, puis de les y faire revenir. En vain. Je n’ai pu depuis convaincre ni leurs représentants à Nouakchott ni elles-mêmes au niveau des cabinets ministériels et de la « cellule africaine » à l’Elysée de contribuer à l’invention mauritanienne d’une démocratie sincère et adaptée. En 2008-2009, puis à plusieurs reprises depuis « la balle amie » d’Octobre 2012, je me suis proposé à l’homme fort pour établir un début de dialogue non public et portant sur des bases de consensus avec les opposants. Sans jamais recevoir une réponse personnelle et directe, j’ai été considéré comme un demandeur, non comme un outil du bien commun.

L’évidence a été depuis le putsch que la réponse à la dictature et l’empêchement à ce qu’elle se perpétue sous couvert de son contraire… est une unité de l’opposition et des opposants. Faute qu’elle ait été conséquente lors des « négociations » de Dakar en Mai-Juin 2009, par un refus absolu de la candidature du putschiste à cette élection anticipée pour « rectification » de celle de Mars 2007, une stratégie du long terme s’imposait à partir d’Août 2009. L’unité manifestée par le choix intangible d’un candidat unique à l’élection présidentielle quelle qu’en soit la date, par une mise en notoriété nationale et mondiale de ce candidat entouré de ses pairs de l’opposition de manière à propos au pays et aux observateurs une alternative précise au cours du moment et par un site unique d’information et de communication de tous les partis d’opposition. Cela ne s’est pas fait, le boycott des scrutins en préparation ne sera le fait que de certaines formations – du moins est-ce l’état immédiat de la question – et les opposants ne sont pas parvenus à être crédibles ni pour le pouvoir en place, ni pour la population, ni pour les partenaires étrangers.

Une nouvelle note après des dizaines depuis l’été de 2008 aurait quel destinataire ? qui ne soit déjà convaincu soit de la justesse de sa position : pouvoir en place, partenaires étrangers s’en satisfaisant et ne contribuant qu’à son éventuelle meilleure présentation, soit de ce que la partie est désormais perdue.

Un récit et un bilan des cinq années écoulées n’ont pas d’intérêt. Pratique, il sera toujours temps d’écrire l’un en conclusion attristée et suspendue d’un abrégé d’une histoire réconciliée de la Mauritanie de 1903 (arrivée des Français en forme de conquête puis d’administration du pays) à ces jours, et l’autre ne peut être documenté puisque les sources publiques, nationales et internationales, ont déjà été prises en défaut de sincérité statistiques et factuelle, et que les autres sont partielles, peut-être partiales. Seul ressortirait l’irrespect constant de l’état de droit et des personnes, les libertés publiques faisant l’objet de grâce présidentielle jamais de procès en règle. Seul paraîtrait une mise en cause personnelle et fréquente du général Mohamed Ould Aziz, ne se reconnaissant – et seulement depuis peu – qu’une seule incapacité, la gestion des eaux usées dans la capitale.

En revanche, le pays mis ainsi sous clé par la pratique gouvernementale de ces années et par l’amnésie de la plupart des partenaires et des observateurs à qui la possibilité d’un autre état de la Mauritanie et d’un autre avenir que ceux de maintenant, est possible puisqu’ils ont eu un précédent – de 1957 à 1978 – frémit d’immenses interrogations. Fondamentalement, mentalement, la Mauritanie non seulement n’a pas changé mais elle a tenu dans ses composantes et dans son identité telles qu’elle les avait fait reconnaître aux siens et à leurs partenaires, malgré les dictatures et les coups militaires, malgré aussi l’inconséquence des oppositions – excusables  il est vrai tant elles sont interdites de moyens pratiques et tant elles sont marginalisées dans les analyses et les commentaires étrangers. Mais les solutions d’antan trouvées en période consensuelle et exprimées par une personnalité aussi modeste et modérée de comportement, qu’intransigeante et consciente de son rôle de catalysateur, demandent des mises à jour et des novations, dont une dictature est incapable.

Fixité et enjeux donc. Je tente ici de les décrire.

 

 

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L’actuel moment mauritanien combine plusieurs précédents propres au pays. Ceux-ci peuvent se considérer aux deux points de vue des nationaux et des Français.

L’homme au pouvoir, militaire défroqué, organise des élections qui tourneront forcément à son avantage parce que techniquement douteuses et parce que le processus électoral, d’introduction coloniale, a toujours été influencé (décisivement) par la possession d’état et la dépendance physique et mentale de la plus grande partie de la population. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya et Mohamed Ould Abdel Aziz ont en commun d’avoir préparé leur prise de possession durable du pouvoir dans l’ombre et sans que des concurrents pas plus délicats qu’eux, d’ailleurs, s’en soient aperçus. Putschiste de la première heure, Maaouyia est maire du palais pendant six ans, mais mêlé, sans compromission et sans choix affiché que pour le gagnant final, aux éphémérides de la première période gouvernement militaire, période relativement collégiale qui permit sa dissimulation. Mohamed Ould Abdel Aziz, autant qu’on puisse le reconstituer, est dans l’intimité de Maaouyia mais seulement pour la tecnique sécuritaire, séparée semble-t-il du renseignement et lui aussi importe autant lors du putsch manqué de 2003 que de celui réussi en 2005 mais devant aboutir à un semblant seulement de passage du pouvoir aux civils et aux urnes. La France est consdérée généralement comme ayant choisi son homme dans les deux cas : les visites du chef d’état-major des armées françaises à son homologue mauritanien jusqu’à quelques mois de son putsch en 1984, l’évaluation positive par les services français du chef de l’état-major particulier de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, seul président civil depuis trente ans alors, dès les premiers mois d’exercice de celui-ci.

Ces précédents laissent prévoir la suite, c’est-à-dire l’imprévisibilité d’un dénouement qui peut se faire attendre pendant deux décennies, une parodie de vie politique, seul le multipartisme faisant façade mais ne correspondant en rien ni aux nécessités du pays ni, à l’exception de deux ou trois formations dans l’opposition, et du système de parti d’Etat pour pouvoir en place, et donc un système opaque pour son ensemble, propre donc à la corruption. Le dénouement ne peut être que violent. Paradoxalement, la persévérance de l’étranger, mené en cela par la France, s’applique au formalisme d’élections dont la légitimité et la respectabilité importeraient moins que la confirmation au pouvoir de leur organisateur. La France a recommandé avec constance le travesti d’une succession par la force à la présidence de la République en une élection dont il fallait qu’elle enregistre la participation du plus grand nombre de partis et de candidats, surtout d’opposition. Elle a la même recommandation, cet automne, pour la perpétuation du putschiste au pouvoir. La vie politique, simplifiée à l’extrême d’un gouvernement autoritaire et de consultations sans contrôle, sous Maaouyia, s’est « enrichie » depuis 2008 d’éphémérides fréquemment renouvelés d’états-généraux, de dialogues organisés débauchant immanquablement une partie de l’opposition mais en en confirmant une autre.

La nouveauté est cependant là, elle aussi. La corruption de l’Etat et le clientélisme étaient une manière de gouverner de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya mais ne firent ni son ancrage politique ni sa fortune personnelle, comme sa chute l’a montré. Mohamed Ould Abdel Aziz place ses familiers et contribules, alors même qu’il est lui-même de naissance et de sociologie incertaines, et il fait une fortune personnelle. Le maquillage des comptes publics, les comptabilités occultes et doubles des grandes institutions bancaires et financières publiques et privées, à commencer par la Banque centrale de Mauritanie ne datent pas de 2008 et l’organigramme des grandes fortunes privées en Mauritanie n’a pas évolué depuis la prise de pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. Il est même possible que ces fortunes, antérieures de constitution à la sienne, deviennent une forme d’opposition et donc un facteur d’inconnu pour la prochaine dévolution du pouvoir aussi importantes que les forces armées. Ces deux ensembles échappent manifestement à l’analyse des observateurs étrangers et semblent demeurer imperméables aux influences de l’extérieur. La France qui a eu longtemps l’expertise du pays, héritée des cinquante ans de sa présence administrative et militaire, n’a pas plus la main que d’autres.

La considération stratégique du pays, par lui-même et par ses partenaires, en revanche ne change pas. Au monisme de la ressource en fer qui caractérisa les années fondatrices, a succédé une diversification relative : la richesse halieutique est le thème principal e la relation euro-mauritanienne, ce qui ne fait plus de la France le partenaire économique principal, et le sous-sol reste l’objet de négociations complexes, champ certainement ouvert à toutes les corruptions autant qu’aux abus par l’étranger du moindre savoir de la Mauritanie sur ses propres ressources. La question de la part du Sahara anciennement administré par l’Espagne avait rendu vulnérable la Mauritanie et même provoqué la chute du régime fondateur, pourtant largement consensuel. Sans que la France y ait directement pris part, elle fut certainement satisfaite de n’avoir plus à plaider que le dialogue et la sécurité collective plutôt qu’à participer à un effort de guerre fut-il également à l’avantage du grand partenaire marocain, face à une Algérie finalement la moins préférée des trois anciennes possessions maghrébines. La question d’aujourd’hui : un Sahel et le plus vaste ensemble désertique de l’Afrique désormais champ d’existence et d’action des mouvements extrêmistes très entreprenants et rayonnants,  place la Mauritanie en position courtisée. La situation économique, les progrès en équipement, les propensions à investir en services ou en explorations sont donc au second plan. Ce qui d’une part permet tous les cheminements financiers souterrains et d’autre part met en vue le responsable politique suprême, quelle que soit sa personnalité. Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya et Mohamed Ould Abdel Aziz n’ont jamais paru exceptionnels ni aux yeux de leurs compatriotes ni aux partenaires, interlocuteurs et diplomates étrangers. Il est vrai que ces derniers n’avaient jamais vraiment – génération précédent – vraiment distingué Moktar Ould Daddah, généralement présenté et vécu par eux comme difficile à évaluer et comprendre. Mais l’actuel homme fort est particulièrement univoque. Il semble ne se mouvoir que dans le présent et en cela correspond parfaitement à des interlocuteurs et à une époque diplomatique et géo-stratégique ne traitant que l’immédiat, ne se préoccupant d’aucune fondation, s’obsédant sur une seule inimitié et ne suivant qu’une seule ligne de lecture.

Les acteurs mauritaniens, personnes physiques, autres que l’homme fort de la période sont peu honorés par l’étranger et ne s’imposent pas parmi leurs compatriotes. Sauf pour Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir, les parcours, et même la reconnaissance légale de leur parti, sont relativement récents, tandis que les deux premiers sont en politique active et en campagne électorale depuis vingt ans, avec un visage typé . Pour Ahmed Ould Daddah : l’expérience de l’Etat, de ses prérogatives économiques et monétaires à l’intérieur et à l’extérieur ainsi que l’appartenance à l’Internationale socialiste, sans qu’il soit possible d’assurer que son nom lui vaut un supplément de définition dans l’opinion nationale. Pour Messaoud Ould Boulkheir, c’est évidemment l’extraction haratine mais une évolution politique qui lui a fait perdre le monopole de représentation d’une composante mauritanienne, majoritaire physiquement et culturellement à beaucoup de points de vue. Ces deux opposants sont compétiteurs entretemps depuis le rétablissement d’un cadre légal pour la vie politique mauritanienne en Juin 1991 puisque l’un voulut que l’opposition s’en tienne au boycott du probable plébiscite du militaire alors en place, et que l’autre arrivant de l’étranger imposa au contraire sa propre participation, et l’emporta peut-être dans les urnes en Janvier 1992.

Le clivage en stratégie politique intérieure n’a donc pas changé et ne changera pas tant que les régimes resteront autoritaires et disposeront, unilatéralement, du calendrier et des formes pour les élections. Du point de vue de l’étranger, et notamment de la France, pour qui la possession exclusive de l’outil électoral n’est pas illégitime, seule comptant ce qu’elle produit, aucun opposant n’a jamais été discerné comme l’homme de l’avenir et l’opposition en tant que telle a toujours été regardée comme devant être conduite au ralliement. Il n’y a donc pas de débat – pour l’observateur – sur les alternatives se présentant aux Mauritaniens, à leurs dirigeants et aux opposants.

 

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Cette fixité de toute la superficialité mauritanienne n’a jamais correspondu à la réalité, mais elle correspond à l’analyse courante et, en cela, l’étranger de plus en plus appelé à valider pas seulement des scrutins, mais même le jugement du pays sur lui-même, joue un rôle majeur dans la conscience natiuonale.

La Mauritanie a eu de très nombreux et difficiles choix d’elle-même, en beaucoup de points de vue, à poser pendant ses années fondatrices. Celles-ci l’ont d’ailleurs été évidemment du fait de la personnalité de Moktar Ould Daddah aussi tenace que consensuel, mais surtout parce des choix ont été faits. Leur force a été d’ailleurs qu’ils ont été posés avec une indépendance d’esprit vérifiable autant par ses compatriotes que par l’ancienne métropole ou les différents revendicateurs de chemins très différents qui, s’ils avaient été, l’un ou l’autre suivis en politique intérieure comme en relations extérieures, auraient empêché tout bonnement la naissance d’un pays moderne, d’une nationalité certes complexe mais cohérente, la naissance de la Mauritanie. Choix habilement énoncés et encore mieux pratiqués alors qu’ils étaient souvent contraints et recélaient en eux-mêmes des contradictions qui auraient été destructrices si l’ambiance unitaire et volontariste n’avait été constamment entretenue, pendant plus de vingt ans. La vocation à unir Afrique noire et Afrique blanche, à zéler une unité régionale de coopération ouest-africaine et à rejoindre une entente inter-maghrébine conciliait des options, des appartenances différentes, sinon opposées. Le monopole en tous domaines d’un parti constitutionnel unique de l’Etat s’est pratiqué par le débat, les remises en cause périodiques et l’ouverture aux nouvelles vagues de diplômes formés à l’étranger et a priori peu convaincus par ce monisme. Le règlement par partage avec le Maroc de la succession espagnole au Sahara était de même facture. L’exercice du pouvoir par les militaires a opéré des choix sans souci d’équilibre ou de synthèse. Le multipartisme n’a pas été sincèrement pratiqué malgré son instauration il y a maintenant plus de vingt ans puisqu’il n’a eu aucun débouché politique par la formation de gouvernement d’unité nationale, sauf les trois semaines de la campagne présidentielle de Juillet 2009, ni aucune conséquence électorale. Les seules élections techniquement contrôlées de façon incontestable et incontestée (celles s’étant déroulées pour les assemblées locales et nationales, puis pour la présidence de la République de l’automne de 2006 au printemps de 2007) n’ont pas été animées par les partis, mais par des personnalités. La tutelle d’ambiance par les militaires n’a été dénoncée qu’après coup mais l’innovation consistant à permettre et à encourager des candidatures à tous niveaux qui soient indépendantes de tout mouvement politique, quoique fermement dénoncée dès que les militaires l’envisagèrent, n’a pas été regardée ni par les Mauritaniens ni par l’étranger comme dangereuse pour l’avenir de la future démocratie politique. C’était en fait revenir à la tradition reçue de la période d’administration étrangère (celle de la France de 1903 à 1957) : l’encouragement à la disponibilité des élites traditionnelles ou à présent modernes aussi pour une part, vis-à-vis de tout pouvoir en place.

Pour un Français observant la Mauritanie et les Mauritaniens depuis près de cinquante ans, la continuité l’emporte donc largement sur l’accidentel et sur les nombreuses mutations matérielles et mentales. Pour un analyste plus jeune et qui par fonction doit privilégier l’existant s’il n’est pas carrément insatisfaisant, et qui traite avec la possession d’état, c’est aussi la continuité qui l’emporte, mais d’une autre nature. Un regard selon l’histoire, celle-ci elle-même déterminée par la géographie, surtout climatique, répartissant ethnies, mode de vie, en organisant les relations de métissage et de différenciation, constate cette continuité et croit pouvoir en faire la base d’une imagination de la suite qui exploiterait les acquis pour une rupture avec une trentaine d’années opaques. Un regard de partenaire du moment avec l’homme du moment souhaite au contraire une continuité avec le présent, sa perpétuation et se contente de tout élément modifiant, surtout à son adresse, les présentations de cette opacité et de ces dénis de diversité, de contestation et de consensus.

Autant il est impossible de prédire les formes de dévolution du pouvoir à celui – personne physique ou collectif signifiant un consensus national pour une nouvelle transition – et a fortiori la date de cette succession, autant il est certain que certaines questions ne peuvent plus attendre leur réponse. Elles sont devenues belligènes.

La première est d’énoncé très complexe car pour la plupart des Mauritaniens, elle n’est certes plus ni tabou ni secondaire, comme elle le fut dans les années fondatrices dont la dynamique était telle que les facteurs d’unité l’emportaient et faisaient cohésion, même du disparate ou de l’attentiste. Pratiques de l’esclavage ? métissage des composantes blanches et noires du pays d’une manière forcée historiquement ? métissage physique mais assimilation culturelle, linguistique ? Un parti, puis plusieurs mouvements haratines ont leur historicité, leur reconnaissance légale, mais d’autres expressions, celles de représentations, souvent à l’étranger (ainsi les F.L.A.M.), des Muritaniens originaires de la vallée du Fleuve ne l’ont pas. Les uns réclament la réforme des mœurs sociales et économiques, les autres des révisions constitutionnelles de substance. L’ensemble de ces pétitions et de ces militances a sa modération dans des parcours individuels montrant une égalité de chance et de participation pour tous les Mauritaniens quelle que soit leur extraction. Mais ces exemples ne suffisent plus, et des problèmes ponctuels, parce qu’ils dérivent des différents énoncés de cette question des différences sociales et ethniques – pratiquement évidentes mais non reconnues en tant que telles légalement, ce qui est un choix, sans doute le moins mauvais à condition que le déni des particularismes impose par voie de conséquence égalité en tout – sont devenus périlleux. Le paroxysme du printemps de 1989, dont les causes historiques ont été presqu’aussitôt établies et n’ont été exceptionnelles que du fait des ambiances politiques délétères au Sénégal et en Mauritanie, ne s’est pas renouvelé. Il avait suivi de peu des énoncés politiques (« le manifeste du négro-mauritanien opprimé » . première circulation en Avril 1986) qui favorisèrent des semblants de coups militaires et des répressions, voire des hécatombes d’une réalité terrible et inoubliable. Peuvent-ils se reproduire ? Les événements de Boutilimit, la semaine dernière, n’ont pas de précédents en nombre de victimes, de morts, mais les échauffourées et interventions des forces dites de l’ordre, en ont beaucoup depuis l’été de 2009 et la « mise en sommeil » des législations d’éradication, de criminalisation et d’abolition de l’esclavage votées laborieusement en Septembre 2007, à l’initiative de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi. Esclavage mais aussi question de la langue, toujours pas sanctuarisée comme l’ont montré révoltes et incendies à l’université de Nouakchott au début de 2010. A chaque établissement ou rétablissement du système autoritaire, ont surgi depuis Septembre 1978 des contestations ne demeurant pas longtemps dans la seule enceinte universitaire. Résoudre l’ensemble de la question sociale et culturelle suppose un tout autre climat et des engagements consensuels dans une durée certaines.

L’identité islamique ne fait apparemment pas autant question, mais l’autorisation de Tawassoul a été une rupture dans la tradition politique mauritanienne pour laquelle le multipartisme ne pouvait admettre une composante principalement religieuse. Les militaires combattirent, emprisonnèrent et interdirent tout expression politique s’y référant ou prétendant se fonder sur elle. Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi autorisa au contraire ce parti, élément certain de la détermination de Mohamed Ould Abdel Aziz pour l’éliminer. Le jeu actuel serait à la fois une démonstration électorale – de force selon Tawassoul, de faiblesse selon le pouvoir en place – mais surtout une manifestation de l’identité réelle du parti, d’abord en quête d’existence à fins propres, ou d’abord en militance démocratique. Eclatement possible du parti ? En réalité, difficile mise en place d’une expression islamique de la vie publique et démocratique mauritanienne dans un contexte international manichéen, particulièrement dans la zone géographique et culturelle à laquelle appartient le pays, et dans un contexte social facilitant les recrutements terroristes. L’irrespect des droits et de la dignité de l’homme étant déjà chronique, la régression que représenterait vis-à-vis de ces droits une application de la Charia – en procédure pénale mauritanienne – telle qu’en eût idée l’un des lointains prédécesseurs de Mohamed Ould Abdel Aziz, Mohamed Khouna Ould Haïdalla serait une sorte de contradiction. Deux ordres de violences, les unes morales, les autres physiques s’additionneraient à grands risques pour une Mauritanie déjà trop souvent regardée comme le pays de l’esclavage. Il reste – comme l’ont montré l’autidafé de Biram Dah Ould Abeïd et les réactions très antagonistes qu’il provoqua – que la déclinaison pratique de l’identité islamique du pays manque encore d’expression, de réflexion publiques et qu’elle demeure dans le registre des convictions privées. Donc dans l’indéfini. Celui-ci est-il préférable ?

La participation aux interrogations parfois violentes et d’expression internationale, le plus souvent implicites, sur les découpages territoriaux issus des partages et bornages coloniaux, n’a jamais vraiment caractérisé ni la politique étrangère mauritanienne ni l’opinion nationale. Comme pour beaucoup de sujets, potentiellement polémiques, les Mauritaniens et leurs dirigeants distinguent des évidences : l’ensemble mauritanien, au sens d’ailleurs de l’avis de la Cour internationale de justice, rendu en Octobre 1974, concerne bien les espaces et les populations d’ouest en est de l’Atlantique aux marches septentrionales du Mali, voire du Niger. Mais cela ne s’est jamais manifesté en irrédentisme militant. Le partage de la possession espagnole a été davantage, dans la pensée de Moktar Ould Daddah, un arrangement de frontière avec le Maroc qu’une réunification malgré la présentation de l’époque. Les séparatismes au nord du Mali n’ont pas été inspirés à Nouakchott. Le pouvoir actuel garde en mémoire ce qui décida la chute de son prédécesseur à partir de Juin 2005 ; des incursions à l’est et les forces armées, pourtant très entretenues dans leur soumission au général Mohamed Ould Abdel Aziz, répugneraient à être engagés dans ce qui est considéré en Mauritanie-même comme des luttes ethniques et non comme la restauration d’un ordre public national et unitaire. La question est cependant dangereuse car elle est offre des possibilités d’initiatives soudaines pour un pouvoir cherchant à satisfaire une partie de son opinion.

 

Cette réflexion attend pour continuer et proposer que des faits autres que ceux d’une routine autoritaire au jour le jour, aient lieu. La Mauritanie est apparemment sans autre orientation que celle-même de son chef actuel : continuer, se perpétuer. Pour elle, c’est un manque à gagner car la mise en exploitation de l’ensemble de ses possibilités économiques suppose un nouvau contrat social et que s’instaure une transparence qu’ailleurs permet ou devrait permettre la démocratie (la France actuelle malheureusement n’est plus un exemple d’intégrité selon ses milieux dirigeants). Pour le général Mohamed Ould Abdel Aziz, c’est manquer l’intelligence que seraient par un relatif désintéressement personnel, une candidature à sa réélection conditionnée par un sincère intérim dans l’exercice du pouvoir et un débat ainsi permis, et autre qu’électoral, sur l’ensemble des questions posées au pays à la troisième génération de son fondation en époque moderne.

 

 

Bertrand Fessard de Foucault – jeudi 10 Octobre 2013


 

 

 

 

Annexe

 

Version initiale de cette réflexion – dont j’ai vite abandonné le cheminement.

 

Le président du moment ne laisse jamais indifférent, qu’il fasse positivement l’unanimité ou presque : Moktar Ould Daddah et ses années fondatrices, qu’il ne soit argumenté qu’au titre des réalisations pratiques pour la vie quotidienne des populations mais pas de sa personnalité : Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, Mohamed Ould Abdel Aziz. Les failles du premier, rares sauf les circonstances de sa chute, les qualités cependant des deux autres, ne sont dites qu’avec le recul des années. Le pouvoir bien plus concentré et personnalisé en Mauritanie qu’en France ne donne paradoxalement pas lieu à une analyse psychologique de son exercice par la personnalité du moment. Ce sont au contraire les éphémères qui sont le plus commentés pendant leur « règne » : Mustapha Ould Mohamed Saleck, Mohamed Khouna Ould Haïdalla, Ely Ould Mohamed Vall et Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.

L’observateur étranger, des années 1960 à aujourd’hui, est toujours court dans une analyse tant le politique mauritanien, surtout au niveau suprême semble se dérober et n’offrir à qui le considère que le minimum fonctionnel justifiant la rencontre ou la relation. Aussi le journaliste et le diplomate, de décennies en décennies, semblent rendre compte d’une unique personnalité alors que le pays a été diversement gouverné. Deux types peuvent se distinguer : un exercice collégial tempéré par une conscience de sa responsabilité personnelle a caractérisé les périodes longues ou brèves de Moktar Ould Daddah et des premiers militaires de 1978 à 1984, d’Ely Ould Mohamed Vall aussi ; un système autoritaire et sans délibération, celui de Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya et de Mohamed Ould Abdel Aziz. Ces deux types, de durée équivalente dans l’histoire politique de la Mauritanie contemporaine, ont engendré des vies politiques et une nature, un rôle des partis très différents. Pour le premier, c’est une recherche constante du consensus, heureuse jusqu’en 1978, impossible ensuite, suivant qu’il existe ou non un parti de l’Etat, lequel n’est pas un organe de soutien ou une machine électorale, mais un relais pour la participation et la délibération. Tandis que pour le second, le multipartisme apparent dissimule l’absence de débouché pratique pour les opinions discordantes. La participation dans le premier cas est l’objectif principal d’une vie politique qui veut mobiliser la population vers du mental : l’unité nationale, et vers du pratique : le développement, l’équipement économiques. Dans le second la satisfaction de critères importés : tenue des élections, multipartisme, permet au régime d’être moniste.

Les quinze mois de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi sont exceptionnels à tous égards car le président de ce moment a été encadré a priori par les tenants des systèmes précédents : l’autorité militaire et un multipartisme sur lesquels il n’a pas prise. Le consensus qu’il cherche n’a donc pas eu de visée institutionnelle, mais des expressions thématiques : le règlement du passif humanitaire, le retour des réfugiés, la confrontation radicale avec la principale des plaies sociales mauritaniennes, l’esclavage. Les régimes et périodes autoritaires se sont prétendus, l’actuel se prétend démocratique tandis que la période fondatrice a affiché sa nature moniste.

Ces différences profondes sont regardées de deux manières antagonistes.

Pour l’étranger et notamment pour les ressortissants ou les représentants de l’ancienne métropole, le régime fondateur et la courte période démocratique – dont la parenté spirituelle s’explique, malgré l’éloignement l’un de l’autre dans le temps (trente ans) par les personnalités, les parcours assez analogues de Moktar Ould Daddah et de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, et leur correspondance puis leur collaboration – sont ceux d’une Mauritanie fragile, tandis que les périodes autoritaires, appréciées par la France (la relation particulière accordée par Jacques Chirac à Maaouyia Ould Sid’Ahmed Taya, dont la coincidence d’un voyage officiel en Mauritanie à l’ouverture de la campagne de réélection présidentielle – son rôle de caution à l’international du putsch du 6 Août à une légitimation élective le 18 Juillet suivant et sa pression sur la négéociation de Dakar), produisent un pays stratégiquement sûr et constant.

Pour les Mauritaniens, qu’ils soutiennent ou non le pouvoir du moment, sa longévité ou sa précarité, les clivages d’une période à l’autre, d’une ambiance à l’autre ne sont pas du tout de cette sorte.      BFF . dimanche 7 Octobre 2013

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