vendredi 5 avril 2013

une note pour les autorités françaises

Dialectique de la situation mauritanienne :
la Mauritanie telle que vécue par les siens nous interpelle
  

Nos amis mauritaniens sont capables d’être collectivement conséquents et de discerner.

Nous ne devons pas prendre à la légère les deux résolutions de l’organisation de l’opposition. Celle de ne participer qu’à des élections consensuellement organisées pour l‘intégralité de leur processus. Celle de récuser totalement l’homme actuellement au pouvoir s’il ne fait cette concession minimum. Au général Mohamed Ould Abdel Aziz, il est désormais autant reproché son abus du droit tant au moment du putsch que depuis qu’il est en place, que la honte dans laquelle il plonge le pays par les « affaires » auxquelles il est manifestement mêlé, et de diverses sortes domestiques et en relation avec l’étranger : drogue, « ghanagate », fausse monnaie, attributions de terrain (dans ce trafic, El Ghazouani serait également actif).

Notre point de vue,  l’ensemble de l’opinion et des acteurs mauritaniens le considèrent comme décisif – ce qui est aussi l’humiliation que l’homme fort impose au pays. Notre poids peut déterminer une nouvelle attitude du général Mohamed Ould Abdel Aziz.

Contrairement à l’idée reçue, celui-ci qui ne se sait plus principalement soutenu que par l’étranger – où notre caution est considérée – est capable d’accepter une sortie qui protège ses intérêts (un exil doré au Sénégal ou au Maroc où ses affaires prospèrent déjà, dit-on). Si nous intégrons enfin dans nos analyses du fait mauritanien que ce personnage (et ce qu'il symbolise) constitue le problème de la Mauritanie, et si nous cessons donc de postuler qu’il est par lui-même une partie de toute solution politique propre à ce pays et à trouver pour l’ensemble de l’Ouest saharien, les choses pourraient aller très vite et sans le risque d’un nouveau putsch.

Une transition conduite collectivement par des personnalités civiles de même génération : le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, le président de l’Assemblée Messaoud Ould Boulkheir, l’ancien ministre devenu une personnalité onusienne : Ahmedou Ould Abdallah, et les colonels en retraite Abderrahmane Ould Boubacar (dont le retour annoncé comme chef d’état-major fut le prétexte du putsch de 2008) et Cheikh Sid'Ahmed Ould Babamine (président de la seule CENI exemplaire, celle de 2006-2007), voire même El Ghazaouni trouvant quelque intérêt au rôle d’ouvrier de la onzième heure, est dans la logique des dix dernières années et correspond à une attente de l’opinion : organiser dans le calme et par consensus ce processus électoral où Mohamed Ould Abdel Aziz ne se présenterait pas, ni aucun autre militaire. Tout le monde acceptera qu'une telle transition dure le temps nécessaire pour mettre au point les conditions d'un scrutin sans faute. Au contraire du Mali où nous affirmons cette doctrine, la Mauritanie a une référence – indiscutée à l’époque, et aujourd’hui, celle de 2005-2007.

A contrario, toutes élections non consensuelles rendront la crise encore plus profonde et peuvent déboucher, à très court terme, sur une déviance de la lutte démocratique de l'opposition et des comportements imprévisibles aussi bien de civils que de militaires.

                        Telle que se pratique la vie politique mauritanienne et selon ce que m’en rapportent mes amis personnels – soit engagés, soit neutres de tempérament ou de prudence et perplexité – les raisons de pousser au départ du général Mohamed Ould Abdel Aziz sont les suivantes :

1- C'est un militaire putschiste, multirécidiviste qui n'arrive pas à instaurer un régime stable : Après quatre ans et une élection qu'il doit à la mansuétude d'une communauté internationale qui présumait sa capacité pour dénouer la crise née de son putsch, par des mesures d'apaisement toutes à sa portée, il est toujours aussi contesté qu’au premier jour de sa prise du pouvoir. Il a très vite éludé tous ses engagements, choisi de gouverner suivant le mode de la "démocrature" (néologisme courant à Nouakchott après qu’on y ait modélisé la « démocratie de façade » pratiqué par le colonel Maaouyia Ould Sud’Ahmed Taya. De ce dernier, il n’a pas même les quelques réflexes d’homme d'Etat qu’on reconnaît rétrospectivement à ce prédécesseur. Son humeur tient lieu de volonté politique. L'administration a été privée de beaucoup de ses compétences : près de 900 cadres de haut niveau et de grande expérience ont été limogés et remplacés par des proches de lui ou de ses compagnons putschistes. L'état-civil, décisif pour le processus électoral dont il constitue la première étape, a été confié à un de ses cousins n’ayant d’expérience que la vente du gaz butane et celui-ci a tous pouvoirs en matière de documents sécurisés : carte d'identité, passeports, visas, réduisant la police à un chômage de fait.

 2- Il a instauré un « tribalocratie » mafieuse : tous les leviers du pouvoir politique, économique et sécuritaire sont détenus par des proches et des parents. Le principe séoudien, mais sans ancienneté ni non plus les arguments de l’intelligence et de la religion. L'armée est dominée par une garde prétorienne qu’il commande en personne et les délégations d’autorité sont réparties entre quelques officiers parents ou à la fidélité acquise. L'armée de l'air est commandée par un proche cousin, nombre de cadres de sa tribu ont été placés à différents échelons de la hiérarchie militaire pour surveiller et encadrer les officiers non contribules, y compris El Ghazouani, censément l'alter ego. Le gouvernement est formé par cooptation de parents, de conjoints ou de gendres des officiers de confiance : ainsi la nouvelle ministre des affaires sociales est l'épouse d'un colonel, la ministre de la fonction publique également, le ministre de la formation professionnelle est cousin et gendre d'un des officiers du Basep (la garde prétorienne), la ministre de la jeunesse et des sports est la soeur d'un officier, etc… Quand on pointe ainsi l’organigramme ministériel et militaire, on est saisi. L’administration territoriale subit la même règle (le gouverneur de Noaudhibou, la capitale économique, devenue zone franche, est un cousin). La présidence-même compte au moins trois conseillers ou chargés de mission, cousins du chef de cet Etat. Le domaine économique a été transformé en "seigneuries" pour ses proches comme l’analyse en est faite par la plupart des observateurs extérieurs.  Même l'enseignement est fortement marqué par cette "seigneurisation" : le ministre d'Etat à l'Education qui fait la loi dans son domaine, est un demi-frère du général. La tribalisation du pouvoir conduit facilement à la stigmatisation et aux rancœurs qui en naissent, elle est le principal facteur d’instabilité car elle est déplorée de tous ceux qui n’en profitent pas.

3 - Il est lui-même dans de multiples centres de profit, de la commercialisation des eaux minérales, à celle des hydrocarbures, aux banques, passant par le BTP et l'immobilier. C’est sans précédent en Mauritanie où les régimes militaires toléraient et plaçaient, mais ne permettaient pas au chef d’être intéressé par autre chose que l’exercice du pouvoir et son maintien à la tête du pays. Le général Mohamed Ould Abdel Aziz use de la puissance publique pour régler ses comptes avec des concurrents même dans le seul ordre économique : la classe d'affaires parente de Maouyia Ould Sid’Ahmed Taya en 2010 et maintenant Mohamed Ould Bouamatou, son propre cousin. Il est donc cité dans nombre d'entreprises occultes en sus de divers trafics de drogue et blanchiment de fausses monnaies. Il est soupçonné de corruption pour le contrat stratégique avec une société chinoise de pêche Poly Hondong, pour le contrat d'exploitation de l'or de Tasiast (deux de ses cousins y sont placés : l’un pour les relations extérieures auprès de l'exploitant-même de la mine et un autre comme consultant).

4 – Pour continuer de surseoir aux élections, il a modifié, au printemps de 2012, la Constitution par un congrès de parlementaires au mandat expiré depuis plusieurs mois et il intrumentalise la justice à sa guise : depuis le pustch, l’ancien Premier ministre de la courte période démocratique est périodiquement inquiété voire emprisonné pour des affaires chaque fois différentes, et manifestement fabriqués. Les procès d’opinion ne se dénouent que par grâce présidentielle et achat politique ensuite du grâcié, jamais par décision juridictionnelle. Les grâces – nombreuses – touchent indifféremment condamnés pour trafic ou consommateurs de drogue, délinquants économiques ou terroristes avérés, suivant l’humeur et les intérêts de ce chef d’Etat.

5 – Internationalement, il est flou : relations peu dicibles avec le plus mauvais côté du régime iranien ; mauvaise pratique de la traditionnelle neutralité mauritanienne entre Alger et Rabat, ce qui risque, à tout moment, de faire à nouveau du pays une zone de lutte ouverte d'influence entre les deux frères ennemis du Maghreb

Une seule raison de « garder » le général Mohamed Ould Abdel Aziz au pouvoir (après que nous l’ayons légitimé plusieurs mois avant le putsch de 2008, selon nos propres services de sécurité qui l’évaluaient très positivement) : il jouerait convenablement le rôle sécuritaire qu’Américains et nous, lui aurions confié au Sahel. Quoique d’autres lectures de beaucoup d’incidents avec morts d’hommes, soient possibles. Mais soit !

Il apparait alors que :
- le prix payé pour tenir ce rôle n'est pas indéfiniment supportable : trois millions de Mauritaniens sont appauvris pour que les 18000 hommes que compte l'armée aient de gros salaires et des avantages peu chiffrables, ce qui diminue leur combativité
- une explosion de la Mauritanie déplacerait l'insécurité dans la sous-région vers un territoire plus vaste, ouvert sur l'immensité atlantique, moins contrôlable et contigu à des Etats plus vulnérables (Sénégal, Gambie) et plus proches de l'Europe (Maroc). Cette explosion, n'a jamais été aussi probable que sous le pouvoir actuel. Rivalités ethniques exacerbées par le recensement et la remise en cause de la réconciliation de Juin-Novembre 2007, menaces réelles sur la cohésion de la majorité ethnique au sein de laquelle a commencé de germer un conflit entre anciens esclaves et anciens maîtres, élargissement de la base de la pauvreté, surtout urbaine (= émeutes de la faim, criminalité), frustrations politiques qui peuvent à tout moment dégénérer en tentative violente de prise du pouvoir ou même en rébellion, etc.

En revanche, il est certain que dans tous les cas, la France sera – dans l’esprit des Mauritaniens – associée à l'issue d’une crise dont ils savent qu’elle dépasse leur pays mais dont ils croient cependant avoir les remèdes. mauritanienne. En mal, si nous persistons dans notre refus de nous démarquer (et même de soutenir) le despote… en bien, si nous contribuons, d’une manière ou d'une autre, à une sortie de crise acceptable et acceptée.

Il serait d’ailleurs intéressant, dans notre souhait d’éradiquer la françafrique dont l’origine ne tient pas aux menées de tel ou tel mais à la tolérance de régimes qui n’en sont pas, de constater notre pouvoir ou pas pour encadrer des processus établissant la démocratie, la sincérité, l’Etat de droit et donc l’efficacité, la prévisibilité et la stabilité de nos partenaires. Fermer les yeux, faire la part du feu nous fait jouer constamment à la devinette, pour ce qui va suivre. Et, évidemment, auncun des problèmes de fond en évolution sociale et économique du pays ou sécurisation pérenne de l’ensemble saharien aux multiples souverainetés et champs d’intérêt, ne se résoud. Tout empire.

Or, d’une manière – qui m’émeut personnellement – nos partenaires africains plus de cinquante ans après leur émancipation politique, n’ont pas fait et ne feront pas sécession ni sentimentale ni intellectuelle. Sommes-nous dignes d’être à ce point leur référence ? N’avons-nous pas – là – matière à un dialogue d’Etat à Etat, d’hommes à hommes, exceptionnellement aisé et sans jamais de complexe ni de bras de fer, comme nous en vivons, souvent en infériorité psychologique, avec la plupart des « grands » du monde actuel ? Allemagne, Chine, Russie, Amérique et ces grands investisseurs étrangers…

                                                                     Bertrand Fessard de Foucault et plusieurs de ses amis mauritaniens
jeudi 4 . vendredi 5 avril 2013

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